LISTES D'ATTENTE , STRATÉGIE DÉPASSÉE : DANS LES D.P.J ET AU SCOLAIRE, ON EFFACE
LES BESOINS !
Il faut être ignorant de la réalité de la vie et des dossiers que l'on prétend défendre pour croire que la stratégie des
listes d'attente est la plus pernicieuse. Je suggère donc aux politiciens qui s'agitent de part et d'autre des partis en
lice de vérifier les modèles qui ont vu le jour au tournant des années 90 dans les directions de protection de la
jeunesse et au Ministère de l'Éducation : modèles pour faire disparaître les clientèles à desservir ! Et, suite à
l'examen, d'avoir le courage de révéler la vraie nature des problématiques et de s'engager formellement à les
corriger.
Comme intervenant scolaire cadre, j'ai eu à maintes reprises à effectuer des signalements de protection pour des
écoliers du préscolaire et du primaire en situation de maltraitance ou d'abus. Je l'ai fait, au début de ma carrière, aux
côtés d'un Jean Gélinas, D.P.J., qui dénonçait lui-même l'horreur des listes d'attente de l'époque : un même combat
pour la reconnaissance entière des besoins des enfants à protéger. Jean ne pouvait aucunement tolérer d'avoir à
choisir si, faute de ressources en nombre suffisant, il enverrait intervenir auprès d'un adolescent suicidaire ou d'un ''5
ans'' abusé sexuellement…Jean Gélinas, qui dénonçait les listes d'attente des D.P.J., a pris sa retraite…
Depuis lors, il est devenu si complexe de signaler, si ardu de démontrer la maltraitance ou l'abus, que l'usure s'est
emparé des intervenants et qu'elle a estompé les signalements, diminué l'identification des besoins, radié des listes
d'attente une clientèle pour laquelle, sauf avec l'équivalent d'un dossier d'enquête policière, il est impossible de
percer le crible des nouvelles grilles de signalement.
L'impuissance des intervenants sociaux de première ligne, qui ont pourtant dénoncé et lutté, a fini par les rendre
complices.
Le système avait solutionné à la base la problématique : bloquer les entrées.
Imaginez un système de santé qui agirait de la sorte : ça ruerait dans les brancards. Un contrôle à la porte d'entrée
!!! Le pas qui suivra la salle de « triage» ?…
Mais, stratégiquement, cela s'est avéré efficace et il faut croire que la recette a circulé puisqu'elle a inspiré largement
le modèle qui s'est mis en place dans le réseau scolaire. Le M.E.Q. a ,en effet, modifié en 94-95 son identification
des élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage. Non pas que le M.E.Q. les desservait tous,
pas du tout : il ne l'a jamais fait et n'a pas l'intention de le faire. Il en finance historiquement la moitié.
Mais c'est quand même drôlement embarrassant de risquer de les identifier tous sans les desservir. Et, au début des
années 90, le risque en question s'amorçait à l'effet que les intervenants des écoles, aidés de ceux du réseau de la
santé et des services sociaux, reconnaissent de plus en plus et de mieux en mieux tous les écoliers, tous leurs
risques et leurs amplitudes.
Alors, abracadabra : le M.E.Q. a créé l'énorme catégorie des écoliers à risque où il amalgame les difficultés, les
retards et les troubles spécifiques d'apprentissage, les difficultés naissantes d'adaptation, la déficience intellectuelle
légère ainsi qu'un nombre grandissant de handicaps qu'il préfère considérer comme des risques (moins coûteux à
desservir)… Un mot d'ordre : intervenir. Bravo ! Ne pas perdre son temps en évaluations parce que, de toute façon,
le nombre d'écoliers à risque subventionnés est déjà décrété pour chaque commission scolaire et que le M.E.Q. a
lui-même décidé qu'il ne veut pas en connaître le nombre !
Pas d'évaluations, ou bien tard, trop tard, en bout de piste, en fin d'intervention infructueuse : absurde et contraire à
tous les progrès diagnostiques enregistrés au cours des deux dernières décennies. Comment peut-on intervenir
efficacement, en pédagogie différenciée (comme le prône le M.E.Q.), sans explorer systématiquement les
différences ?
Revenons à la comparaison aux hôpitaux : un système de santé qui imposerait en quelque sorte aux médecins
d'intervenir sans poser de diagnostic !!!
Et bien, au scolaire, on a cela et on a même développé une tolérance coupable à ce camouflage des besoins.
Pas d'évaluations, pas d'identifications, pas de nombres, pas d'attentes : la solution parfaite, quoi !
La seule catégorie en augmentation : les écoliers en troubles de comportement. Pourquoi ? Parce que lorsque l'on
est pas desservi selon ses besoins vrais, on crie sa souffrance en semant la pagaille autour de soi…Comme le
système intervient sur les symptômes et non sur les causes …je vous laisse conclure.
La complicité du réseau scolaire est de même essence : elle est liée à l'impuissance face au manque de ressources
et…à la logique qui s'en suit : il faut être raisonnable et pragmatique et faire autrement avec les moyens qui nous
sont octroyés.