ECONOMIE ET
SECURITE
149 ESCEW 12 F rév. 1
Original : anglais
Assemblée parlementaire de lOTAN
SOUS-COMMISSION
SUR
LA COOPERATION ET LA CONVERGENCE
ECONOMIQUES EST-OUEST
LES SOULEVEMENTS ARABES :
DIMENSIONS ECONOMIQUES ET DEFIS
RAPPORT
UWE KARL BECKMEYER (ALLEMAGNE)
RAPPORTEUR
Secrétariat international novembre 2012
Les documents de l’Assemblée sont disponibles sur son site internet, http://www.nato-pa.int
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TABLES DES MATIERES
I. INTRODUCTION ....................................................................................................... 1
II. LES CONDITIONS DANS LA REGION MOAN A L’APPROCHE DE LA CRISE ....... 2
III. LES CONDITIONS ECONOMIQUES DANS LA REGION MOAN APRES LE
PRINTEMPS ARABE ................................................................................................ 5
IV. L’EFFET DES PRIX DES MATIERES PREMIERES ................................................. 9
V. LE DEFI DU CHOMAGE .......................................................................................... 11
VI. LA REACTION ECONOMIQUE DES AUTORITES AU PRINTEMPS ARABE ........ 13
VII. CONCLUSION ......................................................................................................... 15
BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................... 21
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I. INTRODUCTION
1. Pour des raisons manifestes et parfaitement justifiées, les analystes occidentaux
considèrent les soulèvements arabes essentiellement d’un point de vue politique et stratégique.
Cela n’a rien de surprenant. Les bouleversements qui ébranlent cette région depuis un an et demi
ont directement abouti au renversement de quatre dirigeants de longue date en Tunisie, en
Egypte, au Yémen et en Lybie. Ils ont jeté la Syrie dans une horrible guerre civile, dont l’issue
demeure très incertaine. Ils ont conduit à une brutale répression contre la majorité chiite au
Bahreïn et inspiré des réformes en Jordanie et au Maroc, deux pays qui empruntent désormais
une voie susceptible de les mener vers des systèmes de gouvernance plus ouverts et pluralistes.
Ces soulèvements accentuent la pression sur l’Iran, dont le plus proche allié dans la région est
précipité dans le chaos. Ils suscitent enfin des préoccupations croissantes dans le Golfe, les
royaumes riches en pétrole considèrent depuis longtemps la stabilité comme la principale priorité
et la possibilique l’esprit révolutionnaire puisse inciter les habitants de cette région à mettre
en question les autocraties locales suscite de vives inquiétudes.
2. Les événements des deux dernières années entraînent une refonte du paysage politique au
Moyen-Orient et en Afrique du Nord, tout en redessinant la carte stratégique de la région. Il existe
naturellement une grande incertitude quant à l’issue de ce processus. Les sociétés civiles se sont
mobilisées, de manière sans précédent dans la majeure partie de la région, pour exprimer leur
mécontentement face à l’ordre établi. L’objectif ultime varie toutefois considérablement entre ces
nouvelles forces politiques. Les événements qui secouent la région révèlent de nouvelles fissures
au sein de ces sociétés, ainsi que des fractures internes que les gouvernements autoritaires
étaient longtemps parvenus à juguler. Une région plus complexe, plus délicate à approcher pour
les diplomates et plus volatile fait son apparition. Pour la première fois depuis des décennies, la
région MOAN se trouve à la croisée des chemins et a au moins l’occasion de se lancer dans des
réformes fondamentales. Les risques d’instabilité et de réaction sont toutefois considérables. Il
reste dès lors à voir si les pays de la région seront en mesure d’adopter des changements positifs
ou s’ils sombreront dans une période d’incertitude et d’instabilité plus grandes encore.
3. Comme c’est souvent le cas lorsque des événements politiques dramatiques attirent
l’attention du monde, les conditions économiques sous-jacentes, qui peuvent jouer un rôle
fondamental en modelant le paysage politique, demeurent en général quelque peu à l’arrière-plan.
C’est ainsi, par exemple, que les journalistes couvrant le drame de la place Tahrir n’ont tout
naturellement pas accordé beaucoup d’attention aux questions macro- et micro-économiques
dans leurs billets. A première vue, on peut le comprendre, mais une analyse plus approfondie du
séisme politique ayant secoué la région ne peut ignorer la manière dont ces réalités économiques
sous-jacentes conditionnent les événements conduisant à ces soulèvements. Les événements de
l’année 2011 n’étaient d’ailleurs pas simplement l’expression de la frustration politique éprouvée
face aux anciennes élites dirigeantes ; ils constituaient également une protestation contre
l’incapacide ces régimes à offrir le moindre espoir d’un véritable développement économique, ni
la moindre perspective d’une amélioration des conditions de vie de millions de gens. On constate
au Moyen-Orient et en Afrique du Nord un échec généralisé de la politique économique et, dans
certains cas, de l’imagination politique.
4. Le problème actuel peut être posé en ces termes : si les questions économiques sont la
source d’une formidable frustration, il n’existe guère de consensus dans la région quant à ce qu’il
convient de faire à présent. Tant les protestataires que les personnes qui prennent les rênes du
pouvoir consacrent de nombreux efforts à éradiquer, au moins en partie, l’influence des anciens
dirigeants, sans accorder beaucoup d’attention à la modification de la politique économique, ni
débattre de celle-ci. Dans beaucoup de pays de la région, l’absence de consensus sur ce qu’il
convient de faire représente peut-être la raison essentielle pour laquelle si peu, en fait, a été
accompli jusqu’à présent. Or, à l’exception de quelques pays exportateurs de pétrole, les
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économies de la région sont en crise et des réformes s’avéreront, en fin de compte, essentielles
dans le cadre de tout effort visant à parvenir à la stabilité politique à long terme.
5. Il est en outre essentiel d’être conscient de l’extrême hétérogénéité de la région sur le plan
économique, culturel, politique, historique et social. Les principaux indicateurs économiques des
pays impliqués dans le réveil arabe varient fortement. Les PIB annuels par habitant s’échelonnent
de 10 000 dollars en Egypte à moins de 5 000 dollars au Maroc. Jusqu’à récemment, nombre de
ces pays connaissaient un taux de croissance positif, voire dynamique, mais ces chiffres
masquaient des problèmes sous-jacents persistants. (Carli, 2012) Il faut éviter toute généralisation
quant à la situation économique de la région et s’intéresser aux conditions qui sous-tendent le
débat économique et politique dans chacun des pays.
6. Une chose est claire néanmoins : la majeure partie de la région MOAN (Moyen-Orient-
Afrique du Nord) sera confrontée à une crise politico-économique durable si ses gouvernements
ne parviennent pas à remédier aux problèmes structurels profonds et récurrents qui ont limité la
croissance et le développement dans le passé. Ces problèmes ne sont pas uniquement de nature
technique et économique. Certains d’entre eux sont indissociables de la trame socio-culturelle de
la région et ne seront pas faciles à résoudre, que ce soit au niveau politique ou social. Les
autorités devront faire preuve d’énormément de cohésion pour relever ces défis et elles devront
convaincre leurs sociétés respectives en apportant des preuves irréfutables de la nécessité de
procéder à des changements. L’on peut s’attendre à une certaine résistance dans plusieurs
domaines. Faute d’adoption de réformes structurelles dans l’ensemble de la région, il sera
d’autant plus difficile de répondre aux griefs économiques des citoyens et de satisfaire leurs
aspirations en matière de croissance participative, générant des emplois et des possibilités de
progrès social. Le créneau pour ce faire est déjà en train de s’estomper et les gouvernements de
la région devront agir rapidement s’ils veulent avoir le moindre espoir d’orienter leurs économies
nationales vers une nouvelle direction plus prospère.
II. LES CONDITIONS DANS LA REGION MOAN A L’APPROCHE DE LA CRISE
7. Jusqu’en 2010, la majeure partie de la région MOAN connaissait un degré raisonnable de
croissance économique et montrait des signes d’absorption des effets néfastes de la crise
économique mondiale. Mais ces indicateurs ne révélaient en rien les tensions fondamentales
propres à ces sociétés. La Tunisie constitue un excellent exemple à cet égard. Au cours de la
décennie précédant le soulèvement, l’économie affichait une croissance annuelle de l’ordre de
5 % et de nombreux analystes considéraient le pays comme très performant. Se situant à
2 713 dollars en 2005, le revenu annuel par habitant avait atteint 3 720 dollars fin 2010, suggérant
une progression du niveau des revenus sous-tendue par la croissance. Ce chiffre ne révèle
toutefois pas la mesure dans laquelle cette croissance ne bénéficiait qu’à une tranche assez
étroite de la société, pas plus qu’il n’illustre les tensions sociales de plus en plus vives résultant de
cette situation.
8. La vie politique tunisienne reposait sur un compromis aux termes duquel le régime Ben Ali
assurerait la croissance économique et apporterait des acquis sociaux à un large segment de la
population, ce qui lui permettrait de conserver une certaine forme de légitimité. Au fil du temps
cependant, ces acquis sociaux se révélèrent de plus en plus hors de portée, les structures
truquées du marché favorisant une oligarchie bien protégée. A un certain moment, le contrat
social fut tout simplement rompu. La crise de l’emploi a peut-être représenté le détonateur critique
et la manifestation la plus tangible de l’échec du modèle économique tunisien. Alors que les
fonctionnaires et les membres des strates les plus privilégiées du secteur privé continuaient à
gagner décemment leur vie et à bénéficier d’un minimum de sécurité, un nombre beaucoup plus
important de jeunes diplômés étaient soit au chômage complet, soit contraints de travailler dans
les secteurs marginaux de la société et au marché « noir ». Cette situation ne fit qu’exacerber les
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disparités au niveau des revenus et au niveau régional, la capitale bénéficiant d’un degré de
développement beaucoup plus élevé que les campagnes et les villes provinciales. Le nombre de
chômeurs augmentant, les autorités furent bientôt incapables en raison de la situation
budgétaire de fournir un soutien financier pour rallier à leur cause des jeunes gens mécontents,
désormais contraints de vivoter en marge de l’économie nationale. Les conditions du soulèvement
à venir étaient ainsi réunies.
9. Bien que la structure économique de la région MOAN se prête mal à une généralisation,
certaines caractéristiques se retrouvent dans la plupart des pays. En premier lieu, la région MOAN
est, du point de vue économique, l’une des plus divisées au monde. Les échanges commerciaux
entre les pays arabes sont très faibles ; 10 % seulement des échanges totaux de marchandises
s’effectuent avec d’autres pays de la région MOAN et plusieurs études révèlent que les échanges
dans la gion ont été de 60 à 70 % inférieurs à ce qu’ils auraient pu être au cours de la dernière
décennie. En comparaison, les échanges commerciaux intrarégionaux atteignent 25 % entre les
pays de l’ASEAN et 66 % environ dans l'Union européenne (UE). (Caroline Freund) En dépit de la
progression des échanges commerciaux avec d’autres régions du monde depuis quelques
années, le niveau de l’intégration commerciale régionale stagne au niveau atteint dans les
années 60. (Adeel Malik, 2012) Cette situation représente presque l’antithèse de celle qui prévaut
dans les régions émergentes plus dynamiques de la planète, telles que l’Asie de l’Est, où le niveau
d’intégration des échanges commerciaux n’a fait que se renforcer lorsque la région a décollé.
10. Les obstacles aux échanges commerciaux au sein de la région MOAN sont nombreux. Il
existe tout un éventail de barrières non douanières qui faussent les prix relatifs, excluent les
produits de la région des marchés mondiaux et nuisent à la prospérité des différents pays. L’une
des conséquences de ces restrictions commerciales est que les économies de la région ne sont
guère diversifiées et ne parviennent pas à se mondialiser. L’absence de structure intégratrice, la
corruption mesquine et la mauvaise administration des frontières régionales peuvent coûter très
cher à ceux qui les franchissent et, de l’avis de certaines entreprises, tous ces efforts n’en valent
tout simplement pas la peine. Les barrières douanières et non douanières minent davantage
encore les efforts d’édification d’un marché régional. Dans la plupart des pays de la région MOAN,
les droits de douane sont proches des 12 %, soit le double de ceux des économies émergentes
asiatiques, et ces restrictions aux échanges commerciaux s’avèrent extraordinairement
onéreuses. De nombreuses entreprises sont moins concurrentielles que celles n’appartenant pas
à la région MOAN, précisément parce qu’elles sont handicapées par ces charges et ne disposent
pas des économies d’échelle dont bénéficient les négociants internationaux d’Asie. Les firmes
asiatiques sont, en comparaison, bien intégrées aux niveaux régional et mondial, ce qui implique
une âpre concurrence et un marché d’une taille considérable, deux conditions essentielles à la
réduction des prix et au renforcement de la qualité.
11. Parmi les importateurs nets de pétrole de la région, la Jordanie et la Syrie étaient les deux
plus importants exportateurs de biens vers l’Egypte et la Tunisie, mais ces exportations vers des
pays voisins ne généraient que 5 % de leur PIB. L’Algérie et le Maroc partagent une longue
frontière commune, mais entretiennent des relations commerciales très peu développées, signe
révélateur du faible niveau des échanges commerciaux entre les pays de la région. La seule
exception concerne naturellement les producteurs locaux de pétrole et de gaz qui vendent leur
énergie aux importateurs nets de la région. La Libye, par exemple, ne vend pratiquement rien
d’autre que de l’énergie dans la région.
12. Ce faible niveau d’échanges commerciaux est particulièrement surprenant lorsquon sait que
la région MOAN est en réalité géographiquement très bien située pour faire du commerce. Elle se
trouve au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie ; la grande majorité de sa population vit
non loin de la mer, dans des zones urbaines les emplois sont les plus nombreux et le climat
agréable. Ces caractéristiques, auxquelles s’ajoutent des voies de navigation aisément
accessibles et bon marché, confèrent à la région des avantages naturels indéniables d’un point de
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