ECONOMIE ET
SECURITE
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Original : anglais
Assemblée parlementaire de lOTAN
SOUS-COMMISSION
SUR
LA COOPERATION ET LA CONVERGENCE
ECONOMIQUES EST-OUEST
LE PRINTEMPS ARABE :
DIMENSIONS ECONOMIQUES ET DEFIS
PROJET DE RAPPORT
UWE KARL BECKMEYER (ALLEMAGNE)
RAPPORTEUR*
Secrétariat international 24 avril 2012
* Aussi longtemps que ce document n’a pas été approuvé par la Commission de l’économie et
de la sécurité, il ne représente que les vues du rapporteur.
Les documents de l’Assemblée sont disponibles sur son site internet, http://www.nato-pa.int
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TABLES DES MATIERES
I. INTRODUCTION ....................................................................................................... 1
II. LES CONDITIONS DANS LA REGION MOAN A L’APPROCHE DE LA CRISE ....... 2
III. LES CONDITIONS ECONOMIQUES DANS LA REGION MOAN APRES LE
PRINTEMPS ARABE ................................................................................................ 5
IV. LE DEFI DU CHOMAGE ............................................................................................ 9
V. LA REACTION DES AUTORITES AU PRINTEMPS ARABE .................................. 11
VI. CONCLUSION ......................................................................................................... 12
BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................... 17
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I. INTRODUCTION
1. Pour des raisons manifestes et parfaitement justifiées, les analystes occidentaux
considèrent le Printemps arabe essentiellement d’un point de vue politique et stratégique. Cela n’a
rien de surprenant. Les bouleversements qui ont ébranlé la région l’année passée ont directement
abouti au renversement de quatre dirigeants de longue date en Tunisie, en Egypte, au Yémen et
en Lybie. Ils ont jeté la Syrie dans une horrible guerre civile, dont l’issue demeure très incertaine.
Ils ont conduit à une brutale répression contre la majorité chiite au Bahreïn et inspiré des réformes
en Jordanie et au Maroc, deux pays qui empruntent désormais une voie susceptible de les mener
vers des systèmes de gouvernance plus ouverts et pluralistes. Ces soulèvements accentuent la
pression sur l’Iran, dont le plus proche allié dans la région est précipité dans le chaos. Ils suscitent
enfin des préoccupations croissantes dans le Golfe, où les royaumes riches en pétrole considèrent
depuis longtemps la stabilité comme la principale priorité.
2. Les événements de l’année dernière entraînent donc une refonte du paysage politique au
Moyen-Orient et en Afrique du Nord, tout en redessinant la carte stratégique de la région. Il existe
naturellement une grande incertitude quant à l’issue de ce processus. Les sociétés civiles se sont
mobilisées de manière sans précédent dans la majeure partie de la région, pour exprimer leur
mécontentement face à l’ordre établi. L’objectif ultime varie toutefois considérablement entre les
différents contestataires. Les événements qui secouent la région révèlent de nouvelles fissures au
sein de ces sociétés, ainsi que des fractures internes que les gouvernements autoritaires étaient
longtemps parvenus à juguler. Plus complexe, plus délicate à approcher pour les diplomates et
plus volatile, la région qui est en train de se transformer a pour la première fois depuis des
décennies l’occasion de se lancer dans des réformes fondamentales. Les risques d’instabilité et
de réaction sont toutefois considérables.
3. Comme c’est souvent le cas lorsque des événements politiques dramatiques attirent
l’attention du monde, les conditions économiques sous-jacentes, qui jouent un rôle fondamental
en modelant le paysage politique, demeurent quelque peu à l’arrière-plan. C’est ainsi, par
exemple, que les journalistes couvrant le drame de la place Tahrir n’ont tout naturellement pas
accordé beaucoup d’attention aux questions macro-économiques dans leurs billets. À première
vue, on peut le comprendre, mais une analyse plus approfondie du séisme politique ayant secoué
la région ne peut ignorer les facteurs économiques fondamentaux qui ont contribué à ces
soulèvements. Les événements de l’année dernière n’étaient d’ailleurs pas simplement
l’expression de la frustration éprouvée face aux anciennes élites dirigeantes ; ils constituaient
également une protestation contre l’incapacité de ces régimes à offrir le moindre espoir d’un
véritable développement économique, pas plus que la perspective d’une amélioration des
conditions de vie de millions de gens. Il s’est donc agi également d’une manière de sanctionner
l’échec de la politique économique et de l’imagination politique.
4. Le problème peut être posé en ces termes : si les questions économiques sont la source
d’une formidable frustration, il n’existe guère de consensus dans la région quant à ce qu’il
convient de faire à présent. Tant les protestataires que les personnes susceptibles de prendre les
rênes du pouvoir consacrent de nombreux efforts à éradiquer, au moins en partie, l’influence des
anciens leaderships, sans accorder beaucoup d’attention à la modification de la politique
économique. Dans beaucoup de pays de la région, l’absence de consensus sur ce qu’il convient
de faire représente peut-être la raison essentielle pour laquelle si peu, en fait, a été accompli
jusqu’à présent. Or, à l’exception de quelques pays exportateurs de pétrole, les économies de la
région sont plongées dans une crise profonde, ce qui ne fait que compliquer l’adoption de
changements positifs fondamentaux.
5. Il convient en outre de prendre en compte l’extrême hétérogénéité de la région sur le plan
économique, culturel, politique, historique et social. Les principaux indicateurs économiques des
pays impliqués dans le réveil arabe varient fortement. Les PIB par habitant s’échelonnent de
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10 000 dollars en Egypte à moins de 5 000 dollars au Maroc. Jusqu’à récemment, nombre de ces
pays connaissaient un taux de croissance positif, voire dynamique, mais ces chiffres masquaient
des problèmes sous-jacents (Maria Rosaria Carli, 2012). Il faut donc éviter de généraliser et porter
une attention soutenue aux conditions qui, dans chacun des pays, influent sur le débat
économique.
6. Une chose est claire néanmoins : la majeure partie de la région MOAN (Moyen-Orient-
Afrique du Nord) est aujourd’hui confrontée à une crise politique permanente, en raison de
l’incapacides gouvernements à remédier aux problèmes structurels profonds et récurrents qui
ont limité la croissance et le développement dans le passé. Ces problèmes ne sont pas
uniquement de nature technique et économique. Certains d’entre eux sont étroitement liés à la
trame socio-culturelle de la région et ne seront pas faciles à résoudre. Les autorités devront faire
preuve d’énormément de cohésion pour relever ces défis et elles devront convaincre leurs
sociétés respectives de la nécessité de procéder à des changements. L’on peut s’attendre à une
certaine résistance dans plusieurs domaines et c’est pour cette raison que l’optimisme de divers
analystes est limité quant aux perspectives d’ajustement positif des politiques économiques, à
court terme du moins. Or, faute d’adoption de réformes structurelles dans l’ensemble de la région,
il sera d’autant plus difficile de répondre aux griefs économiques des citoyens et à leur désir d’une
croissance participative, générant des emplois et des possibilités de progrès social. Le créneau
pour ce faire est déjà en train de s’estomper et les gouvernements de la région devront agir
rapidement s’ils veulent avoir le moindre espoir d’orienter leurs économies nationales dans une
nouvelle direction plus prospère.
II. LES CONDITIONS DANS LA REGION MOAN A L’APPROCHE DE LA CRISE
7. Jusqu’en 2010, la majeure partie de la région MOAN connaissait un degré raisonnable de
croissance économique et montrait des signes d’absorption des effets néfastes de la crise
économique mondiale. Mais ces indicateurs ne révélaient en rien les tensions fondamentales
propres à ces sociétés. La Tunisie constitue un excellent exemple à cet égard. Au cours de la
décennie précédant le soulèvement, l’économie affichait une croissance annuelle de l’ordre de
5 % et de nombreux analystes considérait le pays comme très performant. Se situant à
2 713 dollars en 2005, le revenu par habitant avait atteint 3 720 dollars fin 2010, suggérant une
progression du niveau des revenus sous-tendu par la croissance. Ce chiffre ne révèle toutefois
pas la mesure dans laquelle cette croissance ne bénéficiait qu’à une tranche assez étroite de la
société, pas plus qu’il n’illustre les tensions sociales de plus en plus vives résultant de cette
situation.
8. La vie politique tunisienne reposait sur un compromis aux termes duquel le régime Ben Ali
assurerait la croissance économique et apporterait des acquis sociaux à un large segment de la
population, ce qui lui permettrait de conserver une certaine forme de légitimité. Au fil du temps
cependant, ces acquis sociaux se révélèrent de plus en plus hors de portée, les structures
truquées du marché favorisant une oligarchie bien protégée. A ce moment, le contrat social fut
tout simplement rompu. La crise de l’emploi a peut-être représenté le détonateur critique et la
manifestation la plus tangible de l’échec du modèle économique tunisien. Alors que les
fonctionnaires et les membres des strates les plus privilégiées du secteur privé continuaient à
gagner décemment leur vie et à bénéficier d’un minimum de sécurité, un beaucoup plus grand
nombre de jeunes diplômés étaient soit au chômage complet, soit contraints de travailler dans les
secteurs marginaux de la société et au marché « noir ». Cette situation alimentait les disparités à
la fois au niveau des revenus, et au niveau régional, la capitale bénéficiant d’un degré de
développement beaucoup plus élevé que les campagnes et les villes provinciales. Le nombre de
chômeurs augmentant, les autorités n’eurent bientôt plus les moyens budgétaires de gagner à leur
cause des jeunes gens mécontents, désormais contraints de vivoter en marge de l’économie
nationale. Les conditions du soulèvement à venir étaient ainsi réunies.
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9. Bien que la structure économique de la région MOAN se prête mal à une généralisation,
certaines caractéristiques se retrouvent dans la plupart des pays. En premier lieu, la région MOAN
est, du point de vue économique, l’une des plus divisées au monde. Les échanges commerciaux
entre les pays arabes sont très faibles ; 10 % seulement des échanges totaux de marchandises
s’effectuent avec d’autres pays de la région MOAN. En dépit de la progression des échanges
commerciaux avec d’autres régions du monde depuis quelques années, le niveau de l’intégration
commerciale régionale stagne au niveau atteint dans les années 60. (Adeel Malik, 2012) Cette
situation représente presque l’antithèse de celle qui prévaut dans les régions émergentes plus
dynamiques de la planète, telles que l’Asie de l’Est, le niveau d’intégration des échanges
commerciaux n’a fait que se renforcer lorsque la région a décollé. Cet exemple est instructif.
10. Les obstacles aux échanges commerciaux au sein de la région MOAN sont multiples. C’est
ainsi que l’absence de structure intégratrice, la corruption mesquine et la mauvaise administration
des frontières peuvent coûter très cher à ceux qui les franchissent avec des marchandises et que,
de l’avis de certaines entreprises, tous ces efforts n’en valent tout simplement pas la peine. Les
barrières douanières et non douanières minent davantage encore les efforts d’édification d’un
marché régional. Dans six pays de la région MOAN, les tarifs douaniers avoisinent 12 %, soit le
double de ceux des économies émergentes asiatiques, et ces restrictions aux échanges
commerciaux s’avèrent extraordinairement onéreuses. De nombreuses entreprises sont moins
concurrentielles que celles n’appartenant pas à la région MOAN, précisément parce qu’elles sont
handicapées par ces charges et ne disposent pas des économies d’échelle dont bénéficient les
négociants internationaux d’Asie. Les firmes asiatiques sont pour leur part bien intégrées aux
niveaux régional et mondial, ce qui implique une âpre concurrence et un marché d’une taille
considérable, deux conditions essentielles à la réduction des prix et au renforcement de la qualité.
11. Parmi les importateurs nets de pétrole de la région, la Jordanie et la Syrie étaient les deux
plus importants exportateurs de biens vers l’Egypte et la Tunisie, mais ces exportations vers des
pays voisins ne généraient que 5 % de leur PIB. L’Algérie et le Maroc entretiennent des relations
commerciales très peu développées, signe révélateur du faible niveau des échanges
commerciaux entre les pays de la région. La seule exception concerne naturellement les
producteurs locaux de pétrole et de gaz qui vendent leur énergie aux importateurs nets de la
région. La Libye, par exemple, ne vend pratiquement rien d’autre que de l’énergie dans la région.
12. Ce faible niveau d’échanges commerciaux est particulièrement surprenant lorsquon sait que
la région MOAN est en réalité géographiquement très bien située pour faire du commerce. Elle se
trouve au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie ; la grande majorité de sa population vit
non loin de la mer, dans des zones urbaines les emplois sont les plus nombreux et le climat
agréable. Ces caractéristiques, auxquelles s’ajoutent des voies de navigation aisément
accessibles et bon marché, confèrent à la région des avantages naturels indéniables d’un point de
vue commercial. Le problème réside dans leur exploitation insuffisante. Même si les tarifs
douaniers officiels sont parfois peu élevés, les barrières non douanières, incluant un véritable
embrouillamini de réglementations, constituent un formidable obstacle aux échanges
commerciaux internationaux. On dit souvent que la région a « de solides frontières et des
économies fragiles ». (Adeel Malik, 2012) Le fait que plusieurs pays dépendent presque
exclusivement des exportations énergétiques ne fait qu’exacerber le problème. Il existe certes une
Grande zone arabe de libre-échange (GZALE - GAFTA), mais sa portée est très limitée.
(Dabrowski, 2011)
13. Les conséquences de ce faible niveau d’intégration sont très préjudiciables. Elles
empêchent les firmes de bénéficier d’un marché couvrant l’ensemble de la région et des
avantages de productivité engendrés par la concurrence. Qui plus est, à la suite des turbulences
de l’année dernière, l’accès au financement du commerce s’est considérablement réduit, les
fournisseurs exigeant le paiement immédiat des expéditions. L’UE demeure un marché essentiel
pour les pays méditerranéens en développement, mais elle ne devrait enregistrer qu’une
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