1 - polys-ENC

publicité
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
THROMBOSES VEINEUSES PROFONDES
Pierre DJIANE, Alec VAHANIAN
I - INTRODUCTION
C’est l’oblitération plus ou moins complète d’une veine profonde par un thrombus résultant d’une
coagulation intravasculaire localisée. Cette pathologie est indissociable de sa complication
immédiate qu'est l'embolie pulmonaire (EP) ce qui justifie le concept de maladie thromboembolique
veineuse (MTEV). Plus de 80 % des EP sont dues à une thrombose veineuse profonde (TVP) des
membres inférieurs. La MTEV présente un risque immédiat potentiellement vital l'EP, alors qu'à
distance de l'épisode aigu le risque est lié au développement d'une maladie post-thrombotique et
plus rarement à l'évolution vers une pathologie pulmonaire chronique.
II - DONNEES GENERALES
1 – Epidémiologie
Les estimations concernant l'incidence de la MTE sont très imprécises faute d'éléments
diagnostiques fiables puisque même le diagnostic post-mortem est soumis à discussion. En France
l'incidence annuelle de la MTE est de l'ordre de 50 à 100 000 cas responsables de 5 à 10 000 décès.
On constate une augmentation régulière de l'incidence de la MTEV notamment en milieu médical.
Cette augmentation est liée à la proportion de plus en plus importante de sujets âgés dans les
services de médecine.
La MTEV est une pathologie d'accompagnement c'est-à-dire qu'elle vient le plus souvent
compliquer l'évolution d'une autre pathologie ou un geste chirurgical. De ce fait, il s'agit très
fréquemment d'une pathologie acquise en milieu hospitalier. La moitié des patients présentant une
MTEV ont une espérance de vie de l'ordre de 1 an, la mortalité étant essentiellement liée à la
pathologie initiale. La mortalité d'une MTEV non traitée est de l'ordre de 30 %.
1
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
2 - Physiopathologie et histoire naturelle
La thrombose veineuse est induite par trois facteurs principaux (triade de Virchow) :
• l'altération de la paroi veineuse (facteur pariétal) qui reste un facteur mineur, sauf dans
certaines situations (cathéter veineux central, foyers septiques loco-régionaux...) ;
• la stase veineuse liée à l'alitement ou à l'immobilisation prolongés, à l'insuffisance veineuse
chronique, aux compressions extrinsèques (adénopathies, cancers digestifs ou pelviens) ;
• l’activation des facteurs de la coagulation favorisée par les traumatismes, l’accouchement, la
chirurgie, les déficits acquis ou congénitaux en certains facteurs protecteurs.
Sous l'influence d'un ou plusieurs de ces facteurs, le thrombus se forme dans veines drainées par les
systèmes caves. La majorité des thromboses débute dans les membres inférieurs parce qu’ils sont
plus souvent et plus facilement immobilisés que les membres supérieurs. Le thrombus prend
naissance en général dans un nid valvulaire souvent au niveau des veines du mollet ; il est alors
asymptomatique et peut le rester plusieurs jours.
Lorsque les capacités de lyse physiologique du patient sont dépassées, il y a un risque d'extension
qui se fait en amont et surtout en aval avec un thrombus non adhérent à la paroi comportant un
risque important d'embolie pulmonaire. Secondairement, le thrombus va adhérer à la paroi et
obstruer complètement la lumière vasculaire entraînant un syndrome obstructif responsable des
phénomènes douloureux et de l’oedème. L'évolution se fait à long terme vers la formation d’un
tissu de granulation aboutissant à la rétraction et à l’épaississement de la paroi veineuse avec
éventuellement une recanalisation et la réendothélisation de la veine. Cela aboutit à la destruction
des valvules dont l’incontinence est à l'origine de la maladie post-thrombotique.
3 - Facteurs étiologiques
C’est le plus souvent l’association d’un facteur déclenchant (situation à risque) et de facteurs
favorisants propres au patient qui est à l’origine d’une TVP.
a - Etats favorisant la stase :
• Alitement prolongé : La stase est particulièrement marquée chez l’hémiplégique et
l’insuffisant cardiaque ; les suites d’infarctus du myocarde associent stase et libération de
facteurs prothrombotiques.
2
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
• Longs voyages en avion, voiture ou train, sans mobilisation des membres inférieurs.
• Varices, séquelles de thrombose veineuse
• Syndrome de Cockett (compression de la veine iliaque primitive gauche par l’artère iliaque
primitive droite, favorisant les thromboses veineuses du membre inférieur gauche).
• Matériel endoveineux (cathéters, filtre cave…).
• Grossesse (la compression utérine et l’hyperoestrogénie favorisent la thrombose), le risque de
maladie thrombo-embolique est 5 fois supérieur chez la femme enceinte.
Le sujet âgé combine plusieurs états favorisant la stase (moindre mobilité, prévalence augmentée
des varices,…).
La femme jeune a un risque plus élevé de thrombose veineuse que l’homme jeune en raison de la
prévalence plus élevée des varices, de la contraception oestro-progestative, des grossesses…
b -Etats favorisant un déséquilibre des facteurs de l’hémostase
• Traumatismes, chirurgie, accouchement : dans ces situations la libération de facteurs
prothrombotiques est souvent associée à la stase. Le risque de TVP post-chirurgicales, en
l'absence de prophylaxie, varie, selon le type de chirurgie, de 10 % en chirurgie générale à
plus de 50% en chirurgie orthopédique d'urgence. La chirurgie carcinologique est à plus haut
risque de thrombose. La thrombose veineuse peut se développer avant, pendant ou après le
geste chirurgical. Ces chiffres doivent être modulés en fonction des facteurs de risque propres
au patient : âge, obésité, antécédents thrombo-emboliques, insuffisance veineuse.
• Cancers : ils associent souvent activation de la coagulation et obstacles au retour veineux. Le
risque thrombogène est maximum pour les cancers du Pancréas, de la Prostate, du Poumon
(P.P.P.), du côlon, du rein, de l'utérus et du sein (rôle des thromboplastines tissulaires). La
TVP complique souvent un cancer connu mais peut en être la première manifestation dans 5 à
10 % des cas, nécessitant des investigations minimales dans certains cas sélectionnés. Les
hémopathies
:
leucémies,
lymphomes,
polyglobulies,
anémies,
hypochromes
hyposidérémiques et thrombocytémies sont aussi génératrices de TVP.
• Médicaments favorisant un état prothrombotique : l'héparine lorsqu’elle est responsable d’une
thrombopénie (< 1 %), les contraceptifs oraux de type oestroprogestatifs (risque relatif
multiplié par 6 si la dose d’oestrogène est supérieure à 50 µg et les antioestrogènes
(Tamoxifène).
3
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
• Maladies intestinales inflammatoires (rectocolite ulcéro-hémorragique…) : elles favorisent
diverses modifications de l’hémostase.
• Thrombophilie : elle peut être d’origine génétique, historiquement ont été successivement
découvertes les anomalies suivantes :
* le déficit en antithrombine III (1965) retrouvé dans 1 à 4% des cas ;
* les déficits en protéine C( 1981), protéine S (1985) mis en évidence dans 4 à 8 % des cas ;
* la résistance à la protéine C activée "RPCA" (facteur V Leiden), , identifiée en 1993, serait
présente dans près de 20% des cas de TVP inexpliquée; elle constitue la première cause de
TVP liée à une anomalie de l'hémostase ;
* la mutation du gène de la prothrombine (1996)
* l’augmentation du taux de facteur VIII sérique (1998)
La thrombophilie peut également être acquise et liée à une autoimmunité ; le syndrome des
antiphospholipides, particulièrement fréquent chez les lupiques, associe des avortements à répétition
chez la femme, des thromboses veineuses et parfois des thromboses artérielles. Il est dû à des
anticorps dirigés contre plusieurs types de protéines associées à des phospholipides qui portent le
nom d’anticoagulants circulants quoique à l’origine de thromboses. En effet chez les patients
porteurs de ce type d’anticorps, le TCA est spontanément allongé. Leur action prothrombotique
s’explique par leur fixation à la membrane des cellules endothéliales qui altère les mécanismes de
résistance contre la thrombose.
c –Veinites
• dans des maladies de système telle que la maladie de Behcet (associant souvent une aphtose
bipolaire, une uvéite, des rhumatismes inflammatoires, chez des sujets habituellement
originaires du Proche Orient).
• après lésion de la paroi veineuse par perfusion d’un soluté toxique ou par propagation d’un
sepsis.
• lors de l’accumulation dans le sang d’un acide aminé toxique pour l’endothélium,
l’homocystéine.
L’hyperhomocystéinémie est rattachée à des mutations de la cystathionine bétasynthéthase ou,
le plus souvent , de la méthylène tetra-hydrofolate réductase .
4
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
III -THROMBOSE VEINEUSE PROFONDE DES MEMBRES INFERIEURS
1 - Diagnostic positif
a - Les signes cliniques
Ils résultent de deux facteurs la réaction inflammatoire pariétale et l’obstruction due au caillot. De
l’importance de chacun d’eux va dépendre la symptomatologie clinique ; elle est fruste ou même
absente quand un caillot est non occlusif et ne s’accompagne d’aucun phénomène inflammatoire ;
elle est , au contraire, bruyante quand s’associe à leur plus haut degré, obstruction et inflammation .
Il faut d’emblée insister sur le manque de sensibilité et de spécificité de ces signes qui sont surtout
utiles pour évoquer le diagnostic mais ne permettent jamais à eux seuls de l’affirmer ou de le
réfuter. Leur recherche représente cependant une étape préliminaire indispensable pour porter les
indications aux examens paracliniques : Examiner ne suffit pas mais examiner est nécessaire.
• La douleur est le signe d’appel le plus fréquent et le plus important, elle est présente dans 60 %
des cas. Elle relève de plusieurs mécanismes : la stase, le spasme et l’inflammation de la veine .
Elle peut être spontanée, minime ou absente , elle doit alors être exagérée ou provoquée par la
palpation le long des trajets veineux , par le ballottement ou la compression manuelle du mollet
ou par la dorsi-flexion du pied , c’est le classique signe de Homans qui n’est pas spécifique et
peut s’observer dans certaines atteintes musculo-tendineuses ou articulaires .
• l’oedème n’est présent que lorsque la thrombose entraîne une gêne au retour veineux comme
c’est le cas lorsqu’elle est occlusive et siège au niveau poplité , fémorale et /ou iliaque. Il est dur
résistant et ne prend pas le godet, la peau est de couleur blanche luisante avec une augmentation
de la températurelocale et une dilatation des veines superficielles . Selon la topographie de
l’obstruction il est limité à la jambe (thrombose poplitée) ou s’étend à tout le membre inférieur
(thrombose fémoro-iliaque), se trouve alors réalisé le tableau clinique typique de phlegmatia alba
dolens qui peut être complété par une hydarthrose du genou et des adénopathies inguinales.
En cas d’oedème massif et brutal par blocage aigu du carrefour saphéno-fémoro-iliaque , la mise
en tension sous aponévrotique entraîne une compression de la circulation artérielle ce qui se
manifeste par des signes d’ischémie avec une cyanose s’étendant à tout le membre accompagné
parfois d’un état de choc , c’est la phlegmatia coerulea dolens ou phlébite bleue qui constitue une
urgence thérapeutique .
5
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
Cette forme particulière est très rare (1% des TVP) , son pronostic est mauvais car l’évolution
peut se faire vers la gangrène et l’amputation , le risque embolique est élevé et l’association à un
cancer est fréquente.
Les signes généraux sont généralement peu intenses avec fébricule aux alentours de 38° C, pouls
classiquement accéléré de façon progressive (pouls grimpant de Mahler) et angoisse. Baser le
diagnostic de TVP sur les signes cliniques, c’est courir le risque d’un traitement inutile, coûteux et
dangereux . C’est sur un faisceau de signes cliniques que l’on évoque la possibilité d’une TVP et la
probabilité clinique a priori de TVP est d’autant plus élevée qu’il existe des circonstances
favorisantes, la certitude diagnostique n’est apportée que par des examens complémentaires.
Le passage de la suspicion clinique à la confirmation paraclinique s’accompagne d’un « déchet
diagnostique » plus ou moins important selon la localisation du thrombus. Les examens
complémentaires confirmeront la suspicion clinique dans seulement des 10 % des cas pour les TVP
surales et dans 30 % des cas pour les TVP proximales.
b - Les examens complémentaires
Les examens de confirmation associent habituellement dosages des D-dimères et échographie
veineuse .
* Dosage des D-dimères
La présence des D-dimères dans la circulation témoigne de la formation et de la lyse de fibrine,
constituant principal du thrombus. Lorsque la concentration plasmatique de D-dimères mesurée par
le test ELISA ( plus sensible et plus spécifique que le test au latex) est inférieure à 500 µg/l, la
présence d’une thrombose veineuse peut être exclue avec une valeur prédictive négative
supérieure à 95 %. Ce test est un examen de dépistage idéal dans une population cliniquement
suspecte de maladie thromboembolique ou de sa récidive. En revanche, il n’a aucune valeur en
phase post-opératoire ou obstétricale, ou lors d’un syndrome inflammatoire (valeur positive faible).
Au total ce test est avant tout un test d’élimination car les « faux négatifs » sont rares mais qui
s’applique dans un nombre limité de circonstances car les « faux positifs » sont fréquents.
6
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
* Echographie-doppler pulsé avec codage couleur
Cet examen non invasif, réalisé en première intention en pratique médicale quotidienne, permet
l'étude des veines, du thrombus et des flux sanguins. Dans la TVP symptomatique il a une
sensibilité diagnostique de 92 à 95 % et une spécificité de 97 à 100 %.
De bonnes conditions techniques sont nécessaires (un équipement de haute résolution et un choix de
sonde adapté, réalisation d’un examen bilatéral et comparatif de tout le réseau veineux superficiel et
profond, un opérateur compétent et entraîné : c’est un examen manipulateur-dépendant).
Une veine normale est vide d'écho et compressible par la sonde. Le remplissage couleur est total et
permet de délimiter la paroi. Le signal Doppler est variable avec la respiration et augmente avec la
chasse veineuse.
En cas de TVP,les deux signes pathognomoniques sont l’incompressibilité de la veine et l’absence
de flux au doppler pulsé, la couleur apporte le troisième critère de thrombose en montrant un flux
moulant un thrombus non occlusif. D'autres signes indirects de thrombose veineuse peuvent être
mis en évidence : augmentation de calibre veineux constatée au début de la thrombose ou au
contraire sa diminution par la suite, diminution de la cinétique pariétale, visualisation de la
circulation collatérale.
Les avantages de l'échographie Doppler sont la distinction entre TVP et d’autres affections locales
(hématomes profonds, claquage musculaire...), la détection de TVP même non occlusives ou isolées
en particulier distales. Elle permet de préciser l'aspect évolutif (récent ou au contraire organisé) ou
non (ancien, chronique et séquellaire) du thrombus et de suivre facilement son évolution avec des
examens répétés.
* Phlébographie
C’est l’examen de référence ou " gold standard " mais ce n’est plus l’examen d’imagerie réalisé en
première intention, elle est préconisée uniquement en cas d’incertitude diagnostique persistante ou
de non disponibilité des techniques ultrasoniques.
On procède à une injection bilatérale progressive par une veine du dos du pied d'un produit iodé
hypo-osmolaire.
7
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
Elle fournit 4 signes : la lacune, l'arrêt en cupule, l'absence de segment veineux principal et la
circulation collatérale. Le critère principal de thrombose veineuse est la présence d'une lacune
(image radio-claire) constante sur plusieurs clichés.
Elle a des limites et des inconvénients :
• lorsqu'elle est négative, elle ne permet pas d'exclure formellement le diagnostic de TVP car
il n'est pas toujours possible de visualiser toutes les veines de jambe (veines soléaires,
jumelles, fémorale profonde, circonflexe ou hypogastrique) ;
• elle est invasive et ne peut être pratiquée de façon courante et systématique ;
• elle peut être traumatisante et douloureuse, elle entraîne une irradiation, elle nécessite
l'injection d'un produit iodé qui peut être mal supporté (intolérance, allergie) ou dangereux
(insuffisance rénale, embolie pulmonaire dans 1 % des cas) ;
• son coût est trois fois plus élevé que l’échographie veineuse.
2 - Diagnostic différentiel
La spécificité des signes clinique est faible car ils peuvent être présents dans d’autres affections non
thrombotiques :
• rupture d’un kyste synovial de Baker ;
• hématome intramusculaire ;
• claquage musculaire ;
• érysipèle, lymphangite , cellulite inflammatoire ;
• lymphoedème ou lipoedème
• maladie post-phlébitique ;
• compression extrinsèque (adénopathies , tumeur, utérus gravide)
• sciatique tronquée
• insuffisance cardiaque droite.
3 - Diagnostic étiologique
Le clinicien doit toujours s’interroger sur l’opportunité d’une enquête étiologique devant toute
thrombose veineuse que celle-ci survienne ou non en dehors de toute cause déclenchante. La
survenue chez un sujet jeune avec antécédents familiaux de thrombose inciter, même en présence
d’un facteur favorisant classique, à réaliser un bilan de la coagulation pour rechercher une mutation
8
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
du facteur V, une hyperhomocystéinémie , une mutation du gène de la prothrombine. Les
recherches d’un déficit en protéine C, protéine S, antithrombine III sont conseillées en sachant que
leur prévalence très faible, tant chez les témoins que chez les patients, rend la rentabilité de ces
recherches assez faible.
A l’inverse après 40 ans , en l’absence de facteur déclenchant évident (TVP ambulatoire), les
cancers sont à redouter particulièrement en cas de récidives de thromboses dans différentes
localisations , d’association à des thromboses superficielles. Un examen clinique complet avec la
réalisation des touchers pelviens associée à un minimum d’examens complémentaires : radiographie
pulmonaire, recherche de sang dans les selles, échographie abdomino-pelvienne permettra
d’éliminer une affection maligne sous jacente. L’intérêt de mettre en oeuvre d’autres examens :
endoscopies digestives, tomodensitométrie, mammographie n’a pas été démontré. Les dosages des
marqueurs tumoraux n’ont aucune place dans le dépistage d’un cancer occulte. Le cancer primitif
n’est pas toujours suffisamment développé pour repérable dès le premier bilan, il faut savoir répéter
les examens.
La recherche d’une maladie auto-immune ou d’un syndrome des antiphospholipides ne doit pas être
systématique en cas de premier épisode de thrombose « primitive » en l’absence d’élément
d’orientation : collagénose, antécédents de fausses couches spontanées, thrombopénie ou TCA
spontanément allongé avant traitement héparinique.
Au total la cohérence et la clinique doivent présider à l’enquête étiologique d’une thrombose
veineuse.
L’exhaustivité n’est pas nécessaire, le souci de l’utilité du résultat doit dominer.
IV - AUTRES LOCALISATIONS
* Thrombose pelvienne
Elle complique les interventions sur le petit bassin, qui sont réputées très thrombogènes comme la
prostactectomie et l’hystérectomie, la grossesse et les accouchements. Elle se traduit par des signes
locaux à type de dusyrie , de ténesme d’épreinte , de constipation , de congestion pelvienne. Les
toucher rectal ou vaginal peuvent réveiller la douleur. Le diagnostic est très difficile car elle
9
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
échappe à toutes les explorations sauf lorsqu’elle atteint la veine hypogastrique ou iliaque.
Lorsqu’elle se propage vers le réseau ilio-cave , elle devient très emboligène.
* Thrombose de la veine cave inférieure
Classiquement, elle se traduit par des signes bilatéraux qui surviennent en un temps ou en deux
temps successifs (thrombose veineuse à bascule). En fait, il faut la rechercher systématiquement
devant toute thrombose proximale car, habituellement non obstructive, elle ne se traduit par aucun
signe spécifique.
* Thrombose du membre supérieur
Elle reste rare et survient dans certaines circonstances :
• héroïnomanes ( injections itératives septiques)
• cathéters de perfusion (néoplasie – sida)
• stimulateurs cardiaques
• compression axillaire ou défilé costo-claviculaire.
Le diagnostic clinique est évoqué devant un oedème inflammatoire du bras ou de l’avant-bras dans
un contexte évocateur. Dans certains cas, l’extension du thrombus dans la veine cave supérieure est
responsable d’un œdème en pélerine.
L’écho-doppler veineux est le plus souvent suffisamment contributif. La réalisation d’une
phlébographie du membre supérieur et de la veine cave supérieure est discutée au cas par cas.
* Thrombose de la veine cave supérieure
Elles sont très souvent satellites d’une néoplasie profonde, d’une thrombose sur cathéter ou sonde
de stimulation ; parfois elles sont dues à l’extension d’une thrombose du membre supérieur, à une
maladie de système ou une thrombophilie. Elles se manifestent de manière progressive par une
dyspnée, une toux, une turgescence des jugulaires, un oedème en pèlerine, un oedème de la glotte.
En raison du peu de spécificité de ces signes, le diagnostic est souvent difficile à la phase initiale.
10
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
V – EVOLUTION
* Evolution normale
Dans la majorité des cas, sous l’effet du traitement, on assiste à la régression des signes cliniques
locaux et généraux avec lyse du caillot ou développement d’une circulation collatérale lorsque
persiste une obstruction plus ou moins complète de la veine.
* Evolution compliquée
• Les récidives : elles surviennent en cas d’erreurs dans la conduite du traitement anticoagulant
(durée trop brève, hypocoagulabilité insuffisante), en cas de thrombopénie à l’héparine ou dans
certaines causes (cancers, thrombophilie).
• L’embolie pulmonaire : on doit évoquer ce diagnostic en cas de dyspnée, douleur thoracique,
hémoptysie, lipothymie et pratiquer des examens de confirmation (cf. question embolie
pulmonaire) .
• La maladie post-phlébitique : elle peut apparaît après une thrombose veineuse profonde des
membres inférieurs et se traduit par :
• un oedème dur, chronique, permanent , douloureux ;
• des varices de suppléance ;
• des troubles trophiques essentiellement cutanées avec dermite ocre, hypodermite et ulcère.
VI - TRAITEMENT
1 - Traitement curatif
Les objectifs de ce traitement sont :
• Dans un premier temps : prévenir l’extension du thrombus veineux et sa migration embolique
au niveau du parenchyme pulmonaire et obtenir une reperméabilisation maximale du réseau
veineux profond.
• Secondairement, prévenir les récidives de la maladie et lutter contre le développement d'un
syndrome post-thrombotique.
11
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
Actuellement, l'hospitalisation d'un patient ayant une TVP n'est plus systématique. Certains critères
permettent d'envisager le traitement à domicile :
• TVP surales (peut -être aussi certaines TVP proximales ) ;
• absence d'embolie pulmonaire cliniquement décelable ;
• absence de risque hémorragique particulier au terrain (cirrhose hépatique, insuffisance rénale
chronique, lésion organique évolutive susceptible de saigner, grossesse, traitement par AINS,
poids < 50 kg ou poids > 100 kg)
• réseau de soins organisé (infirmière pour assurer injections à heures fixes, médecin traitant
pour suivre le patient. . . )
• coopération possible du patient et de son entourage.
Dès le diagnostic de TVP confirmée, qu'elle soit ou non symptomatique, le traitement
anticoagulant doit être entrepris dans les plus brefs délais :
• il est débuté immédiatement après les prélèvements sanguins (NFS plaquettes, TP, TCA,
créatininémie, D-dimères par une méthode ELISA, et si possible prélèvements à conserver
pour dosages ultérieurs : antithrombine III, protéine C, protéine S, résistance à la protéine C
activée ;
• il est poursuivi au moins jusqu'au résultat des tests diagnostiques pratiqués dans les 12-24 h
(échodoppler veineux ou de plus en plus rarement phlébographie).
Le caractère d'urgence du traitement anticoagulant explique le recours à l'héparine.
On utilise :
• soit l'héparine non fractionnée (HNF), par voie intra-veineuse au pousse-seringue
électrique à la dose moyenne de 500 UI/kg/jour, après une dose de charge (bolus IV) de 5000
UI. Le premier contrôle du TCA se fait à la 6ème heure puis est renouvelé au moins une fois
par jour . La posologie est adaptée de telle sorte que le TCA du patient atteigne 2 à 3 fois celui
du témoin et/ou que l’héparinémie soit entre 0,2 et 0,6 UI/ml.
• soit l'héparine, non fractionnée par voie sous-cutanée (CalciparineR) elle est prescrite
initialement à la posologie de 500-600 U/kg/jour à répartir en 3 injections espacées de 8
heures ou 2 injections espacées de 12 heures sans jamais dépasser 0.6 ml par injection. Un
12
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
bolus initial par voie intraveineuse est recommandé. Le TCA et l’héparinémie sont mesurés
au milieu de l'intervalle entre deux injections ou juste avant l’injection.
• soit une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) proposées à la dose de 100 UI anti
Xa/kg toutes les 12 h (FraxiparineR, FragmineR, LovenoxR), ou à la dose de 175 à 200 UI anti
Xa/kg en une seule injection unique quotidienne (FraxodiR, InnohepR). Plusieurs métaanalyses ont repris les essais contrôlés qui ont comparé HNF et HBPM dans le traitement
curatif des TVP et ont démontré que les HBPM en une ou deux injections quotidiennes sont
au moins aussi efficaces que les HNF par voie intraveineuse. Dans certains cas particuliers
détaillés précédemment un traitement ambulatoire de la TVP peut ainsi être envisagé. La
surveillance d’un traitement curatif par HBPM s’effectue théoriquement par la mesure de
l'activité antiXa, 4 h après la 2ème ou la 3ème injection (le taux thérapeutique est de 0,5 à 1
Unité antiXa /ml) ; en fait la détermination de l’activité antiXa n’est plus obligatoire sur le
plan médico-légal. Cependant dans certaines situations précises, (insuffisance rénale, sujet
âgé, sujet très maigre ou obèse, et patients avec un risque hémorragique élevé), une
surveillance biologique reste recommandée.
A la fois sous HNF et sous HBPM, une surveillance bi-hebdomadaire des plaquettes doit être
effectuée de façon systématique pour dépister une thrombopénie à l’héparine qui peut survenir entre
le 5ème et le 21ème jour de traitement. La durée d’une anticoagulation curative par les héparines ne
doit pas ainsi dépasser 7 à 10 jours.
Le relais par une antivitamine K (AVK) doit être réalisé le plus tôt possible, avec même
introduction des anticoagulants oraux dés le jour du diagnostic, simultanément avec l'héparine, si la
réalisation d’examens complémentaires n’est pas programmée (endoscopies, ponctions...). Les
AVK à demi-vie longue (PréviscanR ou plus rarement CoumadineR) assurent une meilleure stabilité
de l’hypocoagulabilité durant le nycthémère, ils sont à privilégier en pratique médicale quotidienne
La surveillance d’un traitement par AVK se fait par le taux de prothrombine (TP) à maintenir entre
35 et 45 % et par l’INR (International Normalized Ratio) dont la valeur recherchée est située entre 2
et 3, le contrôle est hebdomadaire le premier mois, puis mensuel. Il ne faut interrompre
l’héparinothérapie qu’après l’obtention d’un TP et d’un INR en zone thérapeutique sur 2 contrôles
consécutifs et prévoir une période suffisamment prolongée de chevauchement (4 à 6 jours au
minimum).
13
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
La durée du traitement anticoagulant oral reste controversée et varie en fonction du risque de
récidive de TVP et du risque de complications hémorragiques iatrogènes (augmenté chez le sujet
âgé ou lors d’affections médicales ou psychiatriques associées). Le consensus actuel est : 6 à 12
semaines au décours d’un premier épisode de TVP distale ; 3 à 6 mois au décours d’une première
TVP proximale ; au moins un an voire plus en cas de récidive a fortiori si persistance des facteurs
favorisants. Il faut également faire une distinction entre les patients avec un facteur prédisposant
temporaire à la thrombose qui peuvent certainement bénéficier d’une durée de traitement courte, et
ceux avec un facteur prédisposant permanent ou avec une TVP idiopathique chez lesquels les
durées de traitement doivent être plus prolongées.
La contention élastique par bas ou collants de contention moyenne ou forte est indispensable dès
le diagnostic et doit être mise en place quotidiennement avant le lever, elle doit être poursuivie
pendant au moins 3 mois et réduit ainsi considérablement le risque de syndrome post-thrombotique
veineux.
L’alitement est préconisé uniquement à la phase aiguë si le caillot est non adhérent à la paroi et si
la douleur et l’inflammation locales sont importantes. L’immobilisation doit être la plus brève
possible.
* La chirurgie et la thrombolyse
L'indication de ces deux traitements est de proposer une levée précoce de l'obstacle au retour
veineux .
La thrombectomie chirurgicale : ses indications sont toujours l’objet de controverses, elle doit
être réservée aux thromboses proximales, occlusives, extensives et récentes ( < 5 jours) du sujet
jeune, ou aux exceptionnelles "phlébites bleues".
Les thrombolytiques : ils n’ont pas d'efficacité démontrée sur la limitation de l'extension de la
thrombose ni sur la prévention du syndrome post-thrombotique ; par contre, ils majorent le
risque hémorragique , exposent à l’embolie pulmonaire par fragmentation du caillot et
induisent une mortalité de 0,6 %. Ils ne doivent être discutés que devant une thrombose très
proximale (ilio-fémorale) récente (< 5 jours , chez un sujet de moins de 65 ans, sans contreindication aux thrombolytiques.
14
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
* L'interruption de la veine cave inférieure par matériel endoveineux :
Elle doit être discutée seulement dans les situations cliniques suivantes :
• TVP proximale et contre-indication temporaire ou définitive aux traitements anticoagulants,
• extension documentée du thrombus veineux malgré un traitement anticoagulant bien conduit,
• survenue d'une embolie pulmonaire, durant le traitement (bien adapté) d'une TVP.
2 - Traitement préventif
Ses modalités doivent tenir compte du risque de thrombose qui est d’autant plus élevé que : le sujet
est âgé, obèse, présente une insuffisance veineuse ou des antécédents de thrombo-emboliques, est
atteint d’un cancer ou d’une cardiopathie , est immobilisé pour une affection orthopédique,
traumatique ou neurologique, a subi une intervention sur la rate, le petit bassin ou prend la pilule.
La prévention repose dans tous les cas sur un lever précoce, une mobilisation rapide des malades et
des règles d’hygiène veineuse simples : surélévation des membres inférieurs, exercices
respiratoires, contention élastique.
Ces mesures suffisent en cas risque faible de thrombose veineuse. Si le risque est estimé comme
modéré ou élevé il faut adjoindre un traitement médicamenteux. Il s’agit actuellement d’une
héparine de bas poids moléculaire (ClivarineR, FraxiparineR, FragmineR, InnohepR, LovenoxR)
administrée par voie sous cutanée en une injection par jour avec une posologie adapté au risque :
Risque modéré *
Risque élevé **
ClivarineR
1750 U AXa
4200 U AXa
FragmineR
2500 U AXa
5000 U AXa
FraxiparineR
2850 U AXa
38 U AXa /kg
InnohepR
2500 U AXa
4500 U Axa
LovenoxR
20 mg
40 mg
*
1ère injection 2 heures avant l’intervention
**
1ère injection 12 heures avant l’intervention
CE QU’IL FAUT RETENIR
15
Polycopié National des Enseignants de Cardiologie / 2002-2003
La TVP est une affection fréquente et dont le pronostic vital et fonctionnel peut être grave.
De nombreux facteurs favorisent la survenue de cet événement et ils doivent systématiquement être
recherchés.
De même en présence de ces facteurs de risque, chez un patient aux antécédents de MTEV, une
prévention
systématique doit être discutée.
Le diagnostic seulement clinique de cette affection n’est plus de mise. Certes, dans l’urgence (soir,
nuit, week-end) on peut débuter un traitement anticoagulant mais il faut veiller à confirmer dans un
second temps le diagnostic. Cette confirmation repose en première intention sur deux examens non
invasifs : dosage des D-dimères et surtout échodoppler veineux. Le développement de ces
techniques non invasives permet souvent d’établir un diagnostic positif formel sans avoir recours
systématiquement à une hospitalisation et/ou la réalisation d’une phlébographie (examen de
deuxième intention).
Le traitement à instaurer à la phase aiguë lors d’une TVP est l’héparinothérapie avec un relais
généralement rapide aux anticoagulants oraux pour une durée nécessaire mais non excessive (risque
de complications hémorragiques iatrogènes). Le développement des héparines de bas poids
moléculaires a fait évoluer le traitement curatif de la TVP vers des schémas thérapeutiques
simplifiés, applicables en ambulatoire dans certains cas. La contention veineuse est également
primordiale et malheureusement trop souvent négligée.
16
Téléchargement