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Cependant, cet effet positif vient rapidement buter sur la loi des rendements décroissants. Selon
cette loi, pour une main-d'oeuvre donnée, l'efficacité des investissements diminue à mesure que le
volume de capital utilisé augmente. Ainsi, une société de livraison gagne en productivité du travail à
acheter un véhicule supplémentaire si certains chauffeurs sont parfois inoccupés, mais, si ce véhicule
ne sert que quelques heures par semaine, sa productivité (il s'agit ici de productivité du capital) est
plus faible que celle des autres véhicules, à moins d'embaucher un chauffeur supplémentaire.
De manière générale, au début du processus de croissance, quand le stock de capital est faible,
l'investissement accroît considérablement la productivité du travail. Mais, une fois la main-d'oeuvre
suffisamment équipée en capital, l'augmentation du stock de capital par travailleur devient inutile.
L'investissement est d'ailleurs dissuadé par la diminution de son rendement, donc des profits qu'il
permet d'obtenir. D'extensive, fondée sur l'accumulation du capital et la mobilisation du travail, la
croissance doit devenir intensive. Ainsi, au XIXe siècle, la croissance américaine a résulté en grande
partie d'un effort d'investissement ; au XXe siècle, elle s'est maintenue en devenant intensive, et le
rôle de l'investissement a décrû.
2. Le progrès technique au secours de l'investissement
Comment la loi des rendements décroissants peut-elle être surmontée ? Grâce au progrès technique,
disent les économistes depuis Say et Ricardo. Il rend les machines de plus en plus efficaces, en ce
sens qu'elles permettent de produire autant en utilisant moins de facteurs de production, en
particulier moins de travail. Puisque le volume de richesses produites est limité par la quantité de
travail disponible, l'installation de machines plus efficaces est facteur de croissance.
Mais le progrès technique n'est pas nécessairement incorporé dans les biens d'investissement. Il se
traduit aussi par de nouveaux objets, pour la fabrication desquels il faut investir dans l'installation de
nouvelles capacités de production. De tels investissements sont-ils porteurs de croissance ? Si les
nouveaux objets remplacent des objets de même valeur, fabriqués en utilisant autant de travail et de
capital, il n'y a pas de croissance. Mais, le plus souvent, les nouveaux objets rendent de plus grands
services que ceux qu'ils remplacent, ce qui justifie un prix plus élevé et implique une certaine
croissance(2).
Le progrès technique peut également permettre d'utiliser plus efficacement le capital existant, par
exemple sous la forme d'une amélioration de l'organisation du travail. Ce rendement plus élevé est
source de croissance (un même volume de facteurs permet de produire plus), ce qui justifie des
investissements supplémentaires.
Il faudrait donc distinguer deux cas de figure : lorsque le progrès technique est incorporé à
l'investissement, il en accroît directement le rendement, et la tendance aux rendements décroissants
est surmontée ; lorsque le progrès technique prend d'autres formes, il dynamise la croissance, et
l'investissement accompagne cette croissance, du fait de débouchés nouveaux. Conformément à
cette vision des choses, les travaux empiriques utilisant les méthodes traditionnelles distinguant trois
facteurs de la croissance (le travail, le capital et le progrès technique, traité à part) attribuent à
l'investissement un rôle très limité dans la croissance. Les premiers résultats obtenus par Robert
Solow à la fin des années 50, selon lesquels 10 % seulement de la croissance américaine venaient de
l'accumulation de capital, avaient même été reçus comme un choc.