1
Le théâtre de l’opprimé
Essai sur une forme de ritualisation de la violence dans l’institution scolaire
LES DIFFERENTES PERCEPTIONS DE LA VIOLENCE ......................................... 2
La violence et la souffrance chez Le Breton. ........................................................................................................ 2
La violence chez Girard et l’importance du bouc émissaire ............................................................................. 3
Entre Girard et Le Breton .................................................................................................................................... 4
Entre la typologie de la souffrance et les stéréotypes de persécution. ............................................................... 5
La violence et le rite de passage. ........................................................................................................................... 8
LA THEATRALISATION DE LA VIOLENCE ............................................................ 9
Le théâtre de l’oppri. ....................................................................................................................................... 9
Le théâtre de l’opprimé dans l’institution scolaire ........................................................................................... 10
Développement de la journée .......................................................................................................................... 10
Les problèmes posés par ce théâtre ................................................................................................................... 11
Quelles sont les visées ? .................................................................................................................................... 12
Le théâtre de l’opprimé comme rite de passage ............................................................................................. 12
Calmer la crise .................................................................................................................................................. 14
Qu’est-ce qui fait que ça fonctionne ? ............................................................................................................... 15
De la crise généralisée à l’indifférenciation ..................................................................................................... 15
Le handicap comme signe de sélection victimaire ........................................................................................... 17
Une victime émissaire : « l’intello » .................................................................................................................. 18
Le professeur comme bouc-émissaire .............................................................................................................. 19
CONCLUSION .......................................................................................................... 21
Des traces de sacré ........................................................................................................................................... 21
Si l’école et l’institution scolaire font l’objet de débats depuis de nombreuses années,
un des plus actuel aujourd’hui concerne la violence. D’un coté, un professeur frappe un de ses
élèves et passe deux jours en garde à vue. De l’autre, un élève poignarde son professeur.
Derrière ces cas exemplaires qui sont sujets à traitement médiatique, il convient de
s’interroger sur l’objet de ces procès. Sont-ils simplement celui des individus mis en cause ?
Est-ce plus généralement celui de l’institution scolaire et d’une partie de celle-ci ?
Ces procès ont en commun de traiter d’affaires de violence, c’est donc bien le procès de la
violence qui est fait ici.
Les différentes perceptions de la violence
2
Le terme de violence recouvre des réalités très diverses. On trouve d’abord les
violences physiques, les insultes et menaces graves en passant par les vols et les tentatives de
vols. Mais on pourrait aussi ajouter des formes de violence comme la violence institutionnelle
ou la violence symbolique. Et ces analyses peuvent être complétées par d’autres, comme la
répartition géographique de celle-ci ou la population qu’elle touche principalement.
Il semble donc important de redéfinir ce qu’on entend ici par violence, avant d’essayer de
comprendre pourquoi c’est particulièrement chez les jeunes et à l’école qu’elle est présente.
Pour cela nous nous appuierons sur deux auteurs : David Le Breton et René Girard. Tous
deux, se définissant comme anthropologues mais de manière différente, traitent souvent des
mêmes thèmes (sacrifice, sacré, violence…) mais de façon distincte.
Puis, nous analyserons une expérience cherchant à endiguer les problèmes qui découlent de la
violence dans l’institution scolaire. Celle-ci consiste à aborder la violence sous forme
théâtrale.
Mais commençons par présenter les théories de nos deux penseurs
La violence et la souffrance chez Le Breton.
Pour Le Breton, les phénomènes de violence et de souffrance, chez les jeunes, sont à
mettre en lien avec les conduites à risque. Elles sont une forme de quête d’identité mais aussi
une forme de résistance.
Il nous rappelle aussi que cette période de la vie n’est et ne doit être qu’un passage. « Même si
l’homme reste toujours dans l’inachevé, et donc, dans une forme d’adolescens, le passage du
gué traduit l’adieu à l’enfance et le fait d’être désormais un acteur de son existence. Lors de
cet entre-deux mondes qui succède à l’enfance et prélude à l’âge d’homme, le jeune est
simultanément en quête d’indépendance et de réassurance à l’égard des autres, cherchant à la
fois leur tutelle et l’autonomie, il expérimente pour le meilleur et pour le pire son statut de
sujet, la frontière entre le dehors et le dedans, joue avec les interdit sociaux, teste sa place au
sein d’un monde où il ne se reconnaît pas encore tout à fait. »
1
Dans ces indications sur les caractéristiques du passage de l’adolescence, se gage très
clairement la dimension individuelle de ce moment. Le sujet se trouve face à autrui,
l’adolescent devant le reste du monde. Si on pouvait penser que c’était la société qui intégrait
le jeune dans le monde des adultes, il semble qu’ici, se soit à lui de le faire, à l’aide de sa
propre expérience.
Si on accédait au monde adulte par le biais de rites de passage (rite religieux, certificat
d’étude, service militaire…), on trouve maintenant des conduites à risques qui prennent la
forme de rite privé d’individualisation de soi.
« Ces conduites sont un jeu contre la mort pour donner sens et valeur à sa vie, une quête
éperdue de reconnaissance qui passe par l’épreuve personnelle et le fait d’y survivre. Elles
sont répétitives tant que la souffrance le taraude. Mais ce sont des tentatives de vivre et
nullement de mourir. Parce qu’il ne se sent pas reconnu par ses proches, le jeune cherche une
reconnaissance ailleurs en sollicitant une instance anthropologique radicale : la mort. Logique
de condition humaine, manière ultime de fabriquer du sens quand tout se dérobe. »
2
Le Breton distingue quatre formes de conduites à risques.
1/ L’ordalie : comme échange symbolique avec la mort (tentative de suicide, conduire sur une
route à contre sens…)
1
LE BRETON, David, En souffrance, Adolescence et entrée de vie, Métailié, Paris, 2007, page
58.
2
LE BRETON (2007), page 83.
3
2/ le sacrifice : sorte de rite de la purification identitaire (scarification…)
3/ la blancheur : Recherche de l’effacement de l’identité, ce qui est l’inverse de la quête de
sensation. (Comportement Mutique, anorexique…)
4/ l’affrontement : avec le reste de la société et de ses membres
Dans les trois premières formes c’est à lui-même que l’adolescent s’en prend, la souffrance
est en quelque sorte « autoaffligé »
3
. Alors que dans la quatrième forme la souffrance est
transformée en violence qu’on afflige à autrui. La dimension collective est double ici. Quand
le rite privé d’individualisation de soi prend la forme de l’affrontement, la violence se porte
sur une ou plusieurs personnes, mais elle est souvent portée par plusieurs individus.
Le problème de cette typologie tient au fait que les trois premières conduites sont
individuelles alors que l’affrontement, en tant qu’il s’adresse directement au social une
partie de celui-ci) prend une dimension collective.
Si David Le Breton nous permet de comprendre la souffrance individuelle chez les jeunes, son
exposé de la violence collective est plus explicatif.
Il semble donc intéressant de le confronter avec René Girard, qui s’est intéressé au
phénomène de violence collective à travers le concept de bouc émissaire.
La violence chez Girard et l’importance du bouc émissaire
Dans la théorie girardienne, il n’y a de désir pour une chose que par la diation d’un
tiers qui désire cette même chose. Le désir peut alors amener l’envie, la jalousie, la souffrance
et la violence. C’est la volonté de posséder un bien (un objet, un savoir…) au détriment d’un
autre membre de la collectivité.
Si le désir mimétique peut devenir destructeur et risque de tout détruire (la société elle-
même), l’Homme a bien dû trouver des moyens pour vivre avec ces congénères. Les individus
cherchant à vivre ensemble doivent donc détourner cette violence primitive.
Girard fait un constat en étudiant différents mythes. Leurs quasi-totalités racontent la même
histoire : celle du massacre d’une victime (qui devient émissaire dans le rituel) par les
membres d’une communauté, et ce massacre serait à l’origine de la société.
Cette victime émissaire est accusée d’un crime (qu’il appelle crime stéréotypé ou crime
d’indifférenciation) qui remet en cause les divisions établies par les normes sociales. Cette
indifférenciation amenant la crise prend la forme d’une contagion (épidémie, sécheresse ou
famine). On trouve parmi ces crimes, l’inceste, l’infanticide et le parricide (qui brouille la
différence générationnelle), le cannibalisme et diverses déviances sexuelles (ramenant
l’homme à l’animalité, effaçant la différence entre l’humain et l’animal) mais aussi la
démence ou la sorcellerie. « Tous ces crimes s’attaquent aux interdits fondamentaux qui
conjurent le fantasme de toute-puissance dont l’être humain doit faire le deuil pour vivre
humainement, c'est-à-dire en tant qu’êtres de symboles, en société. »
4
Le bouc émissaire est toujours affligé d’un stigmate (« signe victimaire ») qui le désigne
comme coupable. Ce signe peut être un stigmate physique (marque corporelle, couleur de
peau…) ou social (être pauvre, ou au contraire très riche). Le bouc émissaire est marqué d’un
signe le plaçant dans une position d’exceptionnalité. Et c’est ce signe qui le désigne
naturellement comme étant à l’origine des maux de la communauté et qui permet la
convergence de la violence de tous contre lui.
3
Même si certain de ces rites privés d’individuation de soi se déroulent avec d’autres adolescents, dans
la même instance de passage.
4
TARLET, Renaud, « « La différence des sexes » à l’épreuve des contes », Illusio, n°4/5 Automne 2007,
page 56.
4
Le bouc émissaire apparaît aux yeux de tous en période de crise. Il évite alors aux rapports
sociaux de dégénérer vers la violence mimétique. Ceci risquant d’amener l’anéantissement de
la communauté. La désignation d’un membre marginal de la collectivité, voire d’un étranger,
peut permettre de conjurer le sort lié à la violence de tous contre tous pour la canaliser vers
une victime unique, ou un petit groupe sans défense.
Enfin, une fois cette violence transférée vers le bouc émissaire, se produit un retournement
paradoxal, permettant au groupe de fixer des normes sociales qu’il avait précisément violées.
C’est ce que René Girard appelle le « retournement sacrificiel » permettant la sacralisation
que l’on retrouverait dans tous les rites et mythes.
Entre Girard et Le Breton
Aujourd’hui, il semble difficile de retrouver ce mécanisme décrit par Girard dans nos
sociétés modernes. Les raisons sont assez simples : nos sociétés sont interconnectées et
évoluent dans un contexte mondialisé ; la modernité a amené un processus de déritualisation
remettant en cause la tradition et la manière de transmettre les savoirs ; et l’individu est
devenu une des valeurs fondamentales de notre époque, prenant une place presque sacrée dans
notre imaginaire. Aujourd’hui, comme l’avait déjà vu Durkheim, ce qu’il reste de sacré dans
notre société, c’est l’individu. « Il est en effet très remarquable que les seuls sentiments
collectifs qui soient devenus intenses sont ceux qui ont pour objet, non les choses sociales,
mais l’individu.
5
» Si cet individu sacré était une religion, ce serait « une religion dont
l’homme serait à la fois, le fidèle et le dieu »
6
.
Dans son anthropologie Le Breton intègre ces nouveaux paramètres liés à la
modernité. « L’individu moderne n’est plus un héritier, au sens d’une transmission de
l’habitus à travers une socialisation familiale. Il n’est plus dépendant d’un chemin déjà tracé,
il n’entre plus dans la carrière quand ces aînés n’y sont plus, selon la parole de la Marseillaise.
L’individu moderne n’est plus assigné à une origine ou à une filiation, il a ses racines dans la
seule expérience personnelle. Ses références sont celles qu’il a choisies. Il établit de son
propre chef les liens qui satisfont au sentiment de soi et délaisse les autres il se reconnaît
moins. Il lui revient de s’instituer par lui-même, certes sous l’influence des autres, mais avec
une marge de manœuvre qu’il lui appartient de construire. Sa liberté n’est pas un choix mais
une obligation puisque toute tutelle s’efface et qu’il est le premier artisan de son existence. Il
devient un acteur, en quête d’un bricolage identitaire n’appartenant qu’à lui, et non plus un
agent par un habitus de classe qui le rendrait d’emblée culturellement dépendant du passé
(Le Breton2004). De manière générale l’existence devient en permanence un dilemme
identitaire à résoudre. »
7
Ses deux axes de réflexion sont d’un coté le corps et ses représentations, de l’autre, les
conduites à risques. Les émotions trouvent une place importante dans ces recherches.
Si Le Breton s’intéresse à la passion dans une forme d’interactionnisme symbolique, Girard a
centré son anthropologie sur le désir mimétique (le désir jamais ne vient de celui qui éprouve
ce désir). Il le nomme aussi désir triangulaire. Cette triangularité vient du fait qu’entre sujet et
objet, il y a un médiateur. Cette médiation peut être interne mais tend à devenir externe. Le
médiateur peut passer du modèle à l’obstacle. Si le médiateur externe devient l’obstacle entre
5
DURKHEIM, Emile (1893), De la division du travail social, PUF, 1991, page 141.
6
DURKHEIM, Emile (1898), L’individualisme et les intellectuelles, Mille et une nuits 2002, page 12.
7
LE BRETON (2007), page 29.
5
le sujet et l’objet, le désir mimétique se matérialisera de plus en plus sous forme de rivalité, et
mènera vers la violence.
Lien entre passion et désir
Le Breton ne définie pas réellement la passion. Pourtant ce terme est redondant comme titre
de ces livres mais aussi dans le chapitrage de ceux-ci.
Cette définition peut-être trouver en corrélant la passion avec le désir mimétique.
Une situation passionnelle serait de fait : je désir quelque chose via un médiateur faisant
modèle particulièrement efficace. Ce médiateur (interne ou externe) propulserait le sujet vers
les désirs de manière extrême.
Mais quelque serait ces médiateurs extrêmes ?
Peut-être ce le plus en fac avec la pensé de l’époque.
Entre la typologie de la souffrance et les stéréotypes de
persécution.
L’ordalie :
Girard s'intéresse à l'ordalie comme forme intermédiaire entre le religieux et le
judiciaire proprement dit, notamment au sujet des peines légales. Il relève alors le caractère
faussement aléatoire de cette épreuve. Il voit ensuite une corrélation étroite entre l'élimination
par immolation rituelle et l’établissement d’un système judiciaire. L'ordalie qui, comme
« jugement de dieu », déterminait sans alternative si l'accusé devait vivre ou mourir, a été
remplacé par un système de justice plus « rationnel ». Mais dans la modernité, ce jeu aléatoire
se serait reporté sur l'individu sous forme d'échange symbolique avec la mort. Chez Le
Breton, c'est l'individu qui s'inflige un jugement ordalique en cherchant la plus grande
proximité avec la mort.
Si l'un donne une vision individualiste de l'ordalie et l'autre la met en lien avec le mécanisme
du bouc émissaire, entre ces deux visions, des rapprochements sont possibles. Dans les deux
cas, l'ordalie se fait visible de la communauté. Dans un cas c'est la communauté qui l'instaure,
dans l'autre c’est l'individu qui se l'inflige. Dans les deux formes, c'est toujours d'une épreuve
dont il s'agit. Le problème est de comprendre ce glissement de l'ordalie comme rite social à
une ordalie devenue figure inconsciente
8
. Aujourd’hui la société manque d’atouts pour
prendre en charge ce glissement.
Le sacrifice :
Chez Le Breton le sacrifice est assimilé à une sorte de rite de la purification identitaire
qui peut prendre la forme de scarification ou de tatouage par exemple. Le but de ce sacrifice
est de laisser la marque violente sur le corps ayant une efficacité symbolique pour créer ou
recréer de l’identité. Ils mettent symboliquement une fin à l’incertitude, à la haine de soi par
cette violence.
Dans les rites sacrificiels, Girard constate qu’ « un peu de violence réelle persiste dans le rite ;
il faut, certes, que le sacrifice fascine un peu pour qu’il conserve son efficacité, mais il est
essentiellement orienté vers l’ordre et la paix. Même les rites les plus violents visent
8
Bien que se ne soit pas l’objet de ce texte, il semble qu’il faille chercher les éléments de réponse du
coté du sacré et de ces déplacement dans la modernité.
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