Attac, Commission Méditerranée 1
Séminaire du 2 juin 2007
ATTAC
COMMISSION MEDITERRANEE Séminaire du 2 juin 2007, Lyon
MIGRATIONS EN MEDITERRANEE ET AU MOYEN-ORIENT
ELEMENTS DHISTOIRE
(Elisabeth Longuenesse)
J’ai organisé mon exposé en 4 points :
- dans un premier point, j’expliquerai comment l’expansion capitaliste a vu la
naissance de nouveaux mouvements migratoires en Méditerranée
- dans un second point je parlerai des migrations vers les pays producteurs de pétrole
du Moyen-Orient, et j’essaierai d’en expliquer la spécificité
- dans un 3e point, je vous proposerai quelques réflexions sur le lien entre l’invention
de l’État nation et de la nationalité et celle de l’ « immigré » du fait de l’évolution
de la représentation de l’étranger, non seulement en France et en Europe, mais aussi
de l’autre côté de la Méditerranée
- enfin je reviendrai en conclusion sur ce qui me semble être les traits nouveaux des
courants migratoires depuis 10 ou 15 ans.
En guise d’introduction, rappelons-nous l’ancienneté et l’intensité des circulations en
Méditerranée. Les Phéniciens qui ont fondé Marseille et Carthage, la Tunisie, qui fut romaine
avant la Gaule, les Vandales qui ont donné leur nom à l’Andalousie avant de fonder un
royaume en Tunisie au 5e siècle, puis de retraverser la Méditerranée pour occuper la
Sardaigne et la Corse, l’empire ottoman en Méditerranée, le commerce entre Venis et Alep.
mais aussi la culture grecque, héritage commun à toutes les rives de la Méditerranée, au
monde arabo-musulman autant qu’à l’Europe « chrétienne ».
Les relations entre les différentes rives de la Méditerranée, la circulation des
populations, ont donc été intenses au long des siècles, parfois conflictuelles, souvent
pacifiques. Les rapports de force étaient changeants, la puissance passant d’un côté à l’autre.
Au 19e sièclen les choses changent avec la révolution industrielle et l’expansion
coloniale.
1. La révolution industrielle et l’époque coloniale
La révolution industrielle, l’expansion du capitalisme, la conquête et l’occupation
coloniale, changent la nature des migrations.
Désormais, les migrations sont l’effet du développement du capitalisme, de la
destruction des sociétés agraires traditionnelles, du développement industriel, de la
colonisation.
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- Émigration européenne les Amériques, mais aussi vers le Maghreb, l’Egypte,
l’empire ottoman.
- A l’inverse, une émigration en provenance de l’empire ottoman (en part. du Liban et
de Syrie), vers les Amériques, résulte aussi du bouleversement de la société rurale
syrienne
- Le Maghreb :
La colonisation de peuplement en Algérie est précoce, elle ne vient pas que de la
métropoloe : dès 1870, on trouve 250 000 Européens, parmi lesquels les Français
deviennent vite minoritaires
La population originaire de France peuple la fonction publique ; la main d’œuvre
agricole, artisanale et industrielle est essentiellement composée d’immigrants espagnols et
italiens. Dans des proportions différentes, on trouve la même diversification de l’immigration
européenne au Maroc (espagnols) et en Tunisie (Italiens)
- En Egypte : on trouve des ouvriers grecs et italiens dans les chemins de fer, les
ports, les tramways, le tabac…
- Avec les débuts de l’industrie pétrolière dans la péninsule arabique, à partir des
années 1930 du XXe siècle, on est face à la même logique d’attraction d’une main
d’œuvre pour l’industrie, qui puise d’abord dans les polulations locales et entraine
désarticulation des sociétés traditionnelles, mais va aussi chercher ailleurs une main
d’œuvre ouvrière qualifiée, différente selon que le pays est indépendant (l’Arabie)
ou sous protectorat britannique (Bahreïn) :
o dans le premier cas, on puise d’abord dans la population locale, puis, dans
les années 40, recrutement d’Italiens par l’Aramco (anciens colons
d’Érythrée), puis de Palestiniens après 48 ;
o dans le second, recrutement d’ouvriers Indiens par la puissance coloniale
britannique qui va puiser dans ses autres colonies.
En revanche, après le contre choc pétrolier, de nouvelles vagues migratoires vers les
pays du Golfe répondent à une logique différente, du fait du développement d’une économie
rentière.
(A un autre niveau, la colonisation de la Palestine et l’immigration juive ne relèvent bien
entendu pas principalement d’une logique d’expansion capitaliste, même si on ne peut la
dissocier de l’expansion coloniale)
2. Les migrations de main d’œuvre au Moyen-Orient après le choc pétrolier de
1973 - En 1973, après la guerre d’octobre (dite du « Kippour »), les pays arabes doublent le
prix du pétrole, nationalisent partiellement ou totalement les ressoruces pétrolières, et leurs
ressources sont multipliéea par dix.
Ils lancent de grands travaux et recourent massivement à la main d’œuvre étrangère.
Au même moment, on assiste aux premières politiques d’ouverture économique des
pays voiusins qui avaient adopté une orientation socialiste : en Egypte, assouplissement des
limites à l’émigration : à la fin des années 1970, au moins trois millions de travailleurs
égyptiens en Arabie, en Irak, au Koweït et dans les Émirats, mais aussi en Libye ;
au début des années 80, 20% de la population active égyptienne est émigrée ;
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90% de la pop active (80% de la population) aux Émirats, 70% de la pop active (60%
de la population) au Koweït, sont des étrangers ; la structure démographique devient
littéralement aberrante, avec un gonflement extrême de la part des hommes aux ages actifs ;
en Arabie, 40 ou 50% de la population est étrangère, etc.
en Libye : les travailleurs sont égyptiens, palestiniens mais aussi tunisiens.
- Les sociétés des pays du Golfe sont dès lors massivement régies par une logique
rentière, qui transforme leurs économies en économies de prédation et de
redistribution. D’où la mise en place d’un système social très particulier, qui
externalise les rapports de production capitalistes, au sens ou entrepreneurs et
ouvriers sont étrangers. La population locale se contentant de prélever au passage
une part de rente sur l’activité économique.
Les étrangers sont arabes, indiens, philippins, coréens, mais aussi anglais, américains…
L’immigration est soumise au système du sponsor (en arabe : kafil), ce qui signifie une
sorte de délégation de la gestion et du contrôle de l’immigration aux citoyens du pays : tout
étranger doit avoir un sponsor, qui est responsable de sa situation, de ses faits et geste, qui
peut confisquer son passeport (NB : y compris les entrepreneurs ou les hommes d’affaires,
pour qui le sponsor est généralement un « associé », qui peut cependant prélever une part des
bénéfices de la société sans avoir mis un sou)
- Dès 1982, avec le premier contre choc trolier, se produit un ralentissement de
l’immigration. Les mouvements migratoires suivent les cours du pétrole.
Les travailleurs arabes deviennent minoritaires, de plus en plus de main d’œuvre
originaire du sous continent indien, d’Asie du sud et du sud est, moins chers, réputés
plus dociles, dont on pense qu’ils ne chercheront pas à s’installer, ne revendiqueront pas
de droits.
- On assiste aussi à l’apparition d’un phénomène de migrations dites de
remplacement, en fait, de migrations en chaîne : en Jordanie, au Liban, au Yémen.
Exemple de la Jordanie :
En 1985, pour 3 millions d’habitants, et 646 000 actifs, on compte 143 000
travailleurs étrangers, mais 348 000 travailleurs jordaniens à l’étranger
En 1996, pop 4 400 000, 1248000 actifs, 254000 étrangers et 275 000
jordaniens à l’étranger (parmi ces jordaniens, compter un très grand nb de
réfugiés palestiniens de nationalité jordanienne)
- Avec la guerre Irak-Iran (1981-88), puis en 1990, la première guerre d’Irak, suivi de
l’ embargo, en 2003, la 2e guerre d’Irak, etc : de plus en plus de migrations sont des
migrations « forcées ».
- Aujourd’hui nouvelles transformations du phénomène migratoire avec le
développement du plus en plus important des migrations de femmes et de l’emploi
de personnel domestiques étranger.
Politiques de remplacement des étrangers par la main d’œuvre nationale
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3. L’invention de la nationalité. Migrations et question nationale
a) Petit retour en arrière dans l’histoire de France
La nationalité est une invention de la révolution, elle est associée à la citoyenneté,
lorsque le « peuple souverain » se constitue en « communauté nationale ». Mais au début, la
présence des étrangers n’est pas un problème.
Le contrôle des étrangers commence à préoccuper les autorités à la fin du 19e siècle :
pour le service militaire, par crainte des agents étrangers dans un contexte de montée du
nationalisme et des tensions, puis de guerre.
L’exclusion des étrangers apparaît avec la mise en œuvre de politiques sociales, avec la
naissance des droits sociaux, qui voit se poser le problème de savoir qui en bénéficiera, et
émerger l’idée de les réserver aux français: la loi sur l’assistance médicale en 1893,
l’indemnisation des accidents du travail en 1898, plus tard, les lois sur les retraites.
Apparaît l’association : nationalité=citoyenneté=droits civiques et sociaux
Avec la colonisation, la question de l’identité nationale se pose dans des termes
symétriques.
b) En Algérie
Les Algériens « indigènes » sont exclus de la nationalité (doivent renoncer à la loi
musulmane en matière de statut personnel pour accéder à la nationalité : rares sont ceux qui le
font). Ils sont soumis au code de l’indigénat.
La France accorde la nationalité aux juifs, puis aux Européens :
ce lien nationalité/citoyenneté/droits apparaît à nouveau clairement
Mais logiquement, à l’indépendance de l’Algérie, tous ces « Français » (appelés
« pieds-nois ») devront partir, y compris ceux (les juifs) dont les racines sont depuis des
siècles dans ce pays.
c) Dans l’empire ottoman
- Les Capitulations accordées d’abord aux Français (en 1536), puis successivement aux
autres pays européens, sont des privilèges destinés à favoriser le commerce, qui deviennent de
plus en insupportables avec la domination économique des intérêts étrangers, puis
évidemment avec l’occupation.
- Dans l’empire ottoman, les communautés non musulmanes sunnites ne bénéficiaient
pas des mêmes droits. L’égalité des citoyens est cependant proclamée dès les réformes de
1839, en Egypte 1841. Confirmée par la constitution de 1876: pourtant les capitulations
demeurent jusqu’à la chute de l’empire.
- Le 19e siècle voit la montée des nationalismes, des conflits à base nationale-ethnique,
et des expusions de population : expulsions des Turcs (musulmans) de Bulgarie et de Grèce.
Massacres des Arméniens. Échanges de population. On note une confusion entre nationalité et
religion (les musulmans sont qualifiés de turcs, les chrétiens de grecs)
En Egypte, la loi sur la nationalité de 1927 accordera la possibilité aux « ottomans »
(originaire d’Anatolie ou de Syrie) de la prendre ou de partir. C’est seulement en 37 que sont
abolies les Capitulations.
d) La Palestine
L’immigration juive. Chiffres.
L’expulsion des Palestiniens : 1948, 1967. Chiffres (voir annexe).
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e) Les pays du Golfe
Dans les pays du Golfe, il est quasiment impossible d’acquérir la nationalité : elle est
associée à des privilèges économiques et sociaux (en particulier la possibilité de disposer de
« visas » pour faire venir des travailleurs étrangers.
Le cas du Koweït : en 2000, 2,2 millions d’habitants, 800 000 koweitiens et 1,4 millions
d’étrangers. Mais seulement 82000 votants : 2 catégories de citoyens, il faut faire la preuve
d’être koweitien depuis 3 ou 4 générations
D’où la contradiction insurmontable du nombre d’étrangers
4. Développements récents
Ils sont principalement de trois ordres :
- la multiplication des foyers de guerre de toutes nature, donc des exodes de réfugiés,
au Moyen-orient, en Afrique : pose le problème du statut de ces « réfugiés », de la
politique du Haut Commissariat aux Réfugiés, de la convention de Genève
(beaucoup de pays ne sont pas signataires) : il est souvent difficile de faire la
différence entre réfugiés et migrants économiques/ stratégies diverses des migrants
et des Etats
- le développement de nouvelles migrations, en particulier féminines (en provenance
du Bangla Desh, du Sri Lanka, d’Indonésie, des Philippines), dans de nouveaux
secteurs (services domestiques, économie de service…) : le Golfe est un cas
extrême, et Dubaï la caricature ; mais que dire du Liban ou de la Jordanie, ou même
d’Israël ?
les femmes représentent 30% des arrivées en 2000 dans l’ensemble des pays du
Golfe (8% en 1980) : certaines familles ont 3 ou 4 bonnes ;
rien qu’au Koweït de 29000 en 1980, sont passées aujourd’hui à 400 000 ;
en Arabie Saoudite il y aurait 1 million d’employées domestiques, au EAU 450 000,
au Liban 150 000 ;
Il faut sans doute comprendre cette évolution en relation avec la transformation
du capitalisme industriel en capitalisme financier et de service
Il faudrait aussi, dans ce contexte, parler du développement des zones franches,
des « zones industrielles qualifiées » (QIZ) : les QIZ en Jordanie en 2005 :
54000 travailleurs, dont 36000 non jordaniens et 1/3 de chinois
- La fermeture des économies occidentales, l’enfermement des sociétés… et
l’apparition du phénomène des migrations bloquées : en particulier sur tout le
pourtour de la Méditerranée (de l’Europe)
Quelques références bibliographiques
Carpentier, Lebrun (dir.), Histoire de la Méditerranée, Coll. Points (2001)
Liauzu, L’Europe et l’Afrique méditerranéenne, Complexe (1994)
Noiriel, Le creuset français, Coll. Points/ Etat, nation immigration, coll. Points, etc.
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