VALADIER PHILOSOPHE /CROIRE 31 12 06

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Paul VALADIER, UN PHILOSOPHE PEUT-IL CROIRE ? Editions Cécile
Defaut, 2006, 89 p., Suivi de LA SCIENCE COMME NOUVELLE RELIGION SELON NIETZSCHE
(p. 41 à 69) et LA PERSONNE EN SON INDIGNITE (p. 71 à 87)
Le P. Valadier s’adresse aux philosophes contemporains qui se disent
incroyants ou athées et se demande : comment peut-on penser sans croire ?
Etre philosophe…
« [Le philosophe] ne doit même pas croire, si par croyance on entend ces
certitudes jamais remises en cause, ces vérités apaisantes qui interdisent à la
pensée libre toute investigation ou toute enquête. Le philosophe, le vrai
philosophe, est tout à l’inverse celui qui interroge sans cesse, ne tient jamais
aucune vérité pour acquise, remet en cause les savoirs établis ou reçus par la
force de l’habitude ; du moins en principe un tel philosophe ne se fait pas
seulement gloire de contester les certitudes des autres, celles de la cité ou
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des traditions, mais il s’honore à contester les siennes propres, se flattant
lui de savoir qu’il ne sait pas, selon la formule socratique et s’honorant de s’en
tenir à cette nescience. Il ne sait pas, mais il est en quête d’un savoir jamais
clos… ». (p. 7)
Est-ce aussi simple ?
« […] est-il vrai que le philosophe doit se garder de croire ? peut-il croire
justement que, lui du moins, par le pouvoir de la raison, pourrait échapper au
croire ? et si la croyance devait s’avérer un phénomène humain quasi
incoercible, voire nécessaire à la vie, pour parler comme Nietzsche, que
signifierait cette prétention exorbitante de prétendre s’émanciper de toute
croyance ? Cette prétention ne mettrait-elle pas le philosophe au-dessus de
l’humanité ordinaire, dans une sorte d’apesanteur et de supériorité tout à
fait suspecte ? S’émanciper du croire aboutirait alors à tomber dans le vide, ou
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à chuter dans l’illusion dont par ailleurs on nous déclare qu’elle est universelle
et qu’elle enserre chacun dans le voile de Maïa [la représentation du monde
est une illusion selon les doctrines brahmanique et bouddhiste] pour parler
cette fois comme Schopenhauer. » (p. 9)
Projet de Paul Valadier…
« Qu’il y ait une telle extériorité entre le philosopher et le croire que celle
par laquelle je suis parti, je voudrais le contester à plusieurs niveaux
d’inégale importance. Et montrer d’abord qu’en réalité la philosophie ne
s’en est jamais tenue à la pure attitude de doute et de méfiance envers des
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certitudes fondamentales, qu’on peut assez légitimement appeler des
croyances, mais qu’elle n’a jamais pu éviter d’aboutir à des croyances
certes fondées et visitées par la raison ou qu’elle n’a pas pu écarter de
telles conclusions assurées. » (p. 14)
Ne pas se laisser abuser…
Il ne faut pas se laisser abuser par la manière dont on présente la méthode
de Socrate et de ses disciples comme Platon… « Platon ne doute pas d’avoir
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atteint un monde de vérités, vraiment vraies et dissipatrices du monde des
ombres et des approximations. [Allusion au mythe de la caverne dans laquelle
l’homme qui se trouve dedans ne voit que des ombres]. Observons encore et
surtout que Platon n’aboutit pas à de telles conclusions par dogmatisme ou par
affaissement de la dialectique, par fatigue devant l’effort de la pensée, mais
parce que son dessein premier tient dans la réforme de la cité et dans
l’instauration de la justice. Comment réaliser un tel programme de réforme
radicale de l’homme dans ses relations avec autrui si l’on professe un doute
permanent, faisant ainsi le jeu des sophistes et laissant par conséquent libre
cours aux abus et aux corruptions qui minent la cité ? […] Il faut bien se
référer à des principes stables (les Idées) pour pouvoir agir sur le sensible,
il faut avoir aperçu la lumière du soleil pour revenir dans la caverne sans
se laisser abuser par les ombres qui y règnent. […] A partir de là, on
pourrait montrer que ce n’est pas sans abus que l’on identifie la philosophie à
l’acte de douter de toute vérité ou à un processus indéfini de remise en cause
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des certitudes durement acquises ». (p. 16)
Descartes lui-même…
Ensuite, Paul Valadier rappelle que de Descartes à Nietzsche par exemple,
philosophes et savants n’abandonnent pas la croyance et il conclut : « Non sans
humour, Zarathoustra dit qu’il ne croira qu’en un dieu qui sache danser, mais il
ajoute aussitôt qu’il ne croira pas (au sens du besoin de savoir à quoi s’en tenir,
mais qu’il sera capable de dire oui à un dieu danseur). Toute philosophie
repose ainsi sur une croyance en ce sens-là, tout philosophe croit donc
qu’il dit et voit quelque chose de vrai et de juste du monde et de lui-même.
Sinon, à la limite, il ne parlerait même pas, il s’enfermerait dans le silence et la
morosité. Mais le vrai philosophe comme le vrai scientifique n’absolutise
pas sa croyance ; il la sait fragile et féconde, féconde parce que fragile, en tant
qu’il ne la prend pas pour la vérité ultime et définitive. Loin de fermer sur soi,
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une telle croyance ouvre au dialogue, à la compréhension et à la prise en
compte d’autres points de vue et des autres croyances. Elle accepte de se
remettre en cause, tout en sachant que ce sera au profit d’une autre croyance,
moins étroite, plus ajustée au réel, plus libératrice. Mais une croyance
encore. » (p. 28)
Croyance et foi religieuse…
Si le philosophe ne peut pas éviter une croyance, peut-il se passer d’une foi
religieuse ? Paul Valadier cite un colloque organisé par le philosophe Derrida
sur « La religion » dans lequel Derrida parlait d’une source commune de la
raison et de la foi religieuse : « le gage testimonial de tout performatif, qui
engage à répondre aussi bien devant l’autre que de la performativité
performante de la technoscience… ». […] « Source unique qui se divise en
deux branches qui passent pour antinomiques et qui pourtant
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entretiennent des liens intimes en leur origine même : rendre compte ou
attester de ce qui est, se rapporter à une altérité qu’on vise sans la maîtriser, se
mesurer à une réalité qui s’offre à la foi ou à la compréhension ou aux deux, se
vouloir responsable ou témoin sur ce qu’on dit et analyse. » (p.30)
Foi, raison, une source commune…
Paul Valadier : « Je reprendrais volontiers à mon compte cette idée de la
source commune […] Je n’en conclus pas que la philosophie a besoin de la foi
(ou de la religion) pour garder son énergie, y compris son énergie critique. Je
veux souligner qu’un sort commun les lie : le refus, de la part de la raison,
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de se mesurer à l’univers religieux risque bien d’aboutir à un affaissement
de ses prétentions et à un repli sur le pré carré de l’immanence ;
inversement une religion ou une foi qui n’est plus stimulée, remise en cause,
interrogée par la raison s’abîme à son tour dans le fondamentalisme, le repli
sectaire, elle glisse vers l’irrationnel, le subjectivisme ou l’intériorité
acosmique et apolitique. » (p. 33)
Foi et intelligence…
« La vieille opposition rationaliste tient pour acquis, et tel l’un des
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indéracinables préjugés, que la foi religieuse est saut dans le vide, irrationalité,
crédulité et pas seulement croyance, bref naïveté à quoi un esprit bien fait et
droitement conduit se doit d’échapper. Or, si je m’en tiens à la foi
chrétienne, celle-ci ne demande nullement un tel saut dans le vide, ou alors
on a affaire à un fidéisme qui fut très constamment critiqué dans l’Eglise.
La foi est foi dans une Parole qui se propose à l’homme dans un discours
articulé et sensé, qui invite à entrer dans une Alliance de vie, qui livre ses
titres à l’admettre ou à la refuser, qui se présente comme une invitation à la vie
et au salut. Elle n’exige pas une inconditionnalité de l’obéissance, mais une
obéissance au sens de obe-dire, donc d’écouter, d’ouvrir l’oreille à un message
bienfaisant, salvifique, comblant au-delà de toute mesure humaine. L’écoute
ou l’obéissance à cette Parole appelle du côté de celui qui entend une réponse à
hauteur de ce qui est entendu : donc une réponse de raison, fondée sur la
conviction qu’une acceptation positive est l’entrée dans une Alliance qui
s’opère avec toutes les puissances humaines dont le créateur a doté sa
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créature… » (p. 34)
Foi et liberté…
« Il en va du philosophe comme de tout homme ou femme : la Parole de Dieu
s’adresse à une liberté, elle se propose à l’adhésion comme toute parole ;
elle requiert par conséquent une démarche de liberté et de raison. Une
adhésion contrainte ou aveugle serait un outrage au Dieu vivant. Et par
conséquent là où il y va d’adhésion libre, rien ne s’impose, et l’on peut pour de
justes et fortes raisons, se tenir en retrait de la proposition d’Alliance. Le
philosophe peut donc estimer ne pas pouvoir croire, ne pas devoir croire, ce qui
ne le dispense nullement … de s’enquérir de la nature de la religion,
d’interroger ses traditions théologiques, d’analyser de manière critique et
raisonnée les données de la foi traditionnelle, de fournir aussi des
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interprétations de ces données qui peuvent jeter sur elles de vives
lumières… ». (p. 37)
Adhésion à la foi.
« Puisqu’il s’agit d’adhésion libre, donc éminemment personnelle, une
telle adhésion a sa spécificité : elle n’est pas de l’ordre de l’adhésion à une
conclusion nécessaire et nécessitante ; elle n’est pas de l’ordre de la déduction
logique ; elle requiert pourtant une mobilisation de soi pour répondre par
tout son être à une Parole dont on a discerné qu’elle est Parole de vie et de
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salut. En ce sens un philosophe peut croire, mais il ne fera évidemment pas
passer sa foi pour une conclusion nécessaire, en sorte que celui qui n’adhèrerait
pas serait à ses yeux insensé… ». (p. 40)
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