Résumé :
Lors de la séance précédente nous avons évoqué l’émergence de la rationalité chez les Grecs, en
rupture avec le mythe, avec la croyance. Avec le christianisme, la croyance va reprendre et
revendiquer sa place face à la raison. Je me contenterai dans ce résumé de rappeler les étapes de
cette longue histoire, qui va de la fin de l’Antiquité jusqu’à la fin du Moyen-Age .
Comment le Logos grec devient Verbe divin : la pensée chrétienne a subi une profonde
influence de la pensée grecque, en particulier platonicienne, qui à plus d’un titre s’y prêtait fort
bien. Le néo-platonisme de Plotin a joué un rôle important dans cette histoire.
Saint Augustin est le premier grand philosophe chrétien, qui a cherché à mettre en accord la
philosophie des Anciens avec la Bible. La foi, le credo est au fondement de toute intelligence,
Dieu éclairant les esprits de sa lumière (l’homme s’est détaché de la vérité lors du péché originel
et ne la peut retrouver qu’avec l’aide de son Créateur). Credo ut intelligam : je crois pour
comprendre.
En 529, l’empereur Justinien ordonne la fermeture de l’Ecole d’Athènes. Selon le Pape, le
fidèle ne doit pas chercher à comprendre, il doit croire. Deux siècles plus tard, Charlemagne
s’inquiètera de l’état intellectuel et moral de son Empire. Il fait appel à l’Anglais Alcuin, qui le
rejoint en 793 pour devenir maître de l’école du palais. Peu à peu on va voir renaître un
enseignement, qui conduira à la naissance des Universités au XIIIème siècle. Mais une autre
influence va jouer un rôle déterminant pour la pensée scolastique du XIIIe : c’est celle de la
philosophie arabe (la falsafa). La tradition grecque s’est transmise dans le monde hellénistique,
les grands textes étant traduits du grec au syriaque, puis en arabe. C’est par ce biais que le corpus
aristotélicien a été conservé pour réapparaître en Europe, au grand dam de l’Eglise qui
commença par l’interdire.
Dans le monde arabo-musulman, dès le VIIIème siècle on voit apparaître des libres-penseurs, les
mutazilites. Viendront ensuite les Frères de la Pureté, qui ont réalisé une immense encyclopédie
de tous les savoirs. Par ailleurs des philosophes, tels Al Kindi, Al Fârâbi (IXe-Xes), chercheront à
mettre en accord la raison et la foi. On retrouve dans ces mouvements de pensée l’idée d’un libre-
arbitre. Avicenne est le plus grand philosophe de cette époque. La polémique ouverte par
Algazel, qui combat philosophes grecs et arabes, puis la naissance du sunnisme (derrière
Ash’Ari) provoquent l’émigration de la Falsafa vers l’Espagne. Averroès, le philosophe de
Cordoue, qui s’est donné pour tâche de revenir à la lettre d’Aristote, est à l’origine d’un
mouvement qui va s’étendre en Europe, prenant la forme d’un rationalisme inquiétant pour
l’Eglise.
La théologie du XIIIème ,dont le plus illustre représentant est Saint-Thomas d’Aquin, va
soumettre la raison à la foi (la raison est « servante » de la foi). Si la foi est première, et si la
raison ne peut pas comprendre tout ce que la foi nous enseigne, rien n’empêche le croyant de
chercher à comprendre, jusqu’à un certain point, le contenu de sa foi. C’est ainsi que Saint
Thomas prouve rationnellement l’existence de Dieu, s’appuyant sur des principes de la
métaphysique aristotélicienne.
Dès le XIVème, la critique de Guillaume d’Ockham séparera la raison de la foi.
Avec l’humanisme de la Renaissance, qui correspond à un profond bouleversement culturel en
Europe (déclin de la puissance politique de l’Eglise, apparition de la classe bourgeoise, naissance
de la science moderne etc.), la raison va reprendre ses droits, et l’on peut à juste titre évoquer un
« rationalisme triomphant » au XVIIe . Il faudrait ici interroger la raison des Modernes, qui peut-
être a cru en elle de façon excessive, et se demander aussi ce qu’a pu être ce « Dieu des
philosophes », qui n’a plus grand-chose à voir avec celui de la foi mais qui fonde ou garantit un
ordre du monde et l’accord de la pensée avec son objet. La critique de la raison (par elle-même)
sera l’objet de la philosophie kantienne. C’est encore une autre histoire…
Bibliographie :
François Châtelet : Histoire de la philosophie,tome II « La philosophie médiévale, du Ier siècle
au XVeme siècle ». (collection Pluriel en poche).
Etienne Gilson : La philosophie au Moyen-Age. C’est un des plus grands spécialistes du sujet. Il
y a aussi
Alain de Libera : La philosophie médiévale (Que sais-je ? n°1044)
Penser au Moyen-Age ; Seuil
Averroès et l’averroisme (Que sais-je ? n°2631)
NB : dans tous ces ouvrages, la pensée arabe est traitée.
Malek Chebel : L’islam et la raison (il est l’auteur de nombreux livres sur la pensée arabo-
musulmane).
J’ai également signalé la polémique suscitée par l’ouvrage Aristote au Mont Saint Michel (de S.
Gougenheim) qui remet en question l’apport de la pensée arabe au Moyen-Age, soulevant
l’indignation de très nombreux spécialistes. On peut lire par exemple l’article de Pierre
Assouline, qui fait bien le point et envoie sur différents liens très intéressants.
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