de conscience est douloureuse et chacun aimerait bien secrètement faire boire la
ciguë à cet empêcheur de dormir -ou de croire- tranquillement).
Ce serait ainsi gravement se méprendre sur le rôle des Socrate que de les
regarder comme des sortes de gourous, d’autorités devant lesquelles il faudrait
s’incliner. Les Socrate invitent chacun à se libérer de ses illusions et à « se
connaître ». Le fameux « connais-toi toi-même » ne doit toutefois pas être
entendu comme l’entend par exemple la psychanalyse, à savoir comme la
connaissance de soi comme être particulier, mais de la façon suivante : tente de
savoir ce qui fait d’un homme, et de tout homme, un homme. Du même coup,
l’ensemble des philosophes doit être approché dans le même esprit : il n’y a
aucun intérêt philosophique (mais que de culture générale) à savoir ce que les
grands hommes (et femmes !) ont pensé. On ne philosophe que lorsque l’on
entre directement dans les textes des penseurs afin de parcourir avec eux le
chemin de leur pensée ; ce qui revient à penser avec eux, librement. Les résumés
de pensée ne sont pas la philosophie car la philosophie n’existe que dans le
philosopher en acte. « Butiner les textes comme du pollen et en faire son propre
miel » dit à peu près Montaigne dans ses Essais.
La philosophie fait partie des trois activités dites désintéressées : la science et
l’art constituant les deux autres. Les activités humaines dites désintéressées sont
des activités que l’on dira inutiles (le mammifère que nous sommes peut
survivre sans) mais indispensables pour affirmer le plus humain en l’homme. Ce
sont des activités de loisir (scholé), ce dernier étant à distinguer du
divertissement (je détourne mon regard de ma condition et je m’abrutis pour
tenter de l’« oublier »). Pascal note qu’il s’agit alors « d’aller les yeux fermés au
précipice » (nous mourrons « bêtes »). Dire que la philosophie est une activité
de loisir, c’est indiquer aussi qu’elle ne peut s’exercer que dans le temps libre de
tout travail et de toute préoccupation (faim, peur…). La pensée, pour pouvoir
philosopher, doit être disponible. Cela ne doit pas conduire à conclure que la
philosophie est une activité pour riches, car cela consisterait à déplacer la
question sur le terrain social des distinctions de classes : on peut très bien viser
un monde où tous les hommes auraient la possibilité et le droit, au-delà du temps
incontournable du travail, de se mettre à penser.
Se pose, bien sûr, dans ce panorama, la question de la place de la croyance,
comme foi notamment. La question peut se poser de la manière suivante : celui
qui vise la sagesse (dans le sens de bien penser) doit-il, du même coup, tenter de
se débarrasser de ses croyances ? S’il s’agit des croyances-opinions, la réponse
est sans ambiguïté : oui. S’il s’agit de la croyance comme foi, c’est une autre
affaire (que nous n’avons pas encore assez développée). Mais l’on peut déjà dire
que la croyance en ce sens n’est pas du tout illégitime. Mais elle commence à
devenir problématique dès lors qu’elle se prononce comme certitude sur des
terrains qui ne sont pas les siens, à savoir, notamment, le terrain occupé par