EXTRAITS DE PRESSE Gouverner c’est servir, Jacques Dalarun Presse écrite La Croix, 8 avril 2013 Management et église Dans un ouvrage récent (3), un historien montre l'originalité et la créativité de gouvernance de certains lieux d'Église comme l'abbaye de Fontevraud, que dirigeait une femme non consacrée : c'était au XIIe siècle ! Les institutions du XXIe siècle feraient bien de se montrer aussi créatives en matière d'organisation du pouvoir. Maurice Thévenet [3] J. Dalarun, Gouverner, c'est servir : essai de démocratie médiévale. Alma Editeur, 2012. La Vie, 21 mars 2013 La pauvreté exigeante de François d'Assise Le nouveau pape a pris pour guide une figure qui rayonne depuis huit siècles sur la chrétienté. Retour sur la vie de ce saint pour qui humilité, amour et service des pauvres sont indissociables de l'attachement au Christ et à la Création. « La pauvreté matérielle et la pauvreté spirituelle, en tant que renoncement à l'orgueil et remise confiante à Dieu, ne sont absolument pas disjointes chez François. Il pouvait entrer dans des colères noires quand des frères cédaient à la tentation du confort », rappelle Jacques Dalarun, médiéviste, directeur de la publication des Sources franciscaines (Cerf) et auteur de Gouverner c'est servir. Essai de démocratie médiévale (Alma). Un livre dans lequel il démontre que la détestation de l'argent du Poverello va de pair avec sa conception du pouvoir comme service et non comme domination. À l'image du Christ lavant les pieds des apôtres. Refusant de se faire appeler abba (père) par ses disciples, le va-nu-pieds d'Assise se présentait donc à eux comme leur « mère ». Pour autant, et contrairement à une idée reçue, plutôt que de s'opposer à l'autorité ecclésiale, l'époux de dame Pauvreté a toujours promu l'obéissance à ses représentants. En premier lieu les papes, Innocent III puis Grégoire IX, avec qui le saint entretint des relations confiantes. « Il est vrai, souligne Jacques Dalarun, que ces derniers ont compris la pertinence du message et de l'action de François, en réponse à la demande des fidèles. Et ils ont su y donner une suite favorable, non sans renforcer en même temps l'autorité papale. » De fait, à la différence des jésuites - leur fondateur, Ignace de Loyola, était admiratif de François et s'est inspiré de lui -, les franciscains n’ont guère été en butte à la papauté. Mais ils se sont violemment querellés entre eux dès la mort de leur fondateur. Le courant dit des spirituels, partisans d'une vie itinérante, supposant à celui dit des conventuels, promoteurs d'une vie plus structurée en couvent, garante a leurs yeux d'une meilleure efficacité apostolique « On a là l'illustration frappante de la tension entre la fonction charismatique ou prophétique de l'Église, et sa dimension institutionnelle, bureaucratique Ce conflit entre l'enseignement de Jésus et sa délicate mise en œuvre est palpable dès les Actes des apôtres », commente encore Jacques Dalarun […] Jean-Claude Noye Evangiles aujourd'hui, mars 2013 DES SŒURS SERVANTES A SAINT-DAMIEN. ET APRES ? Dans son dernier ouvrage Gouverner c'est servir (Alma éditeur), Jacques Dalarun montre qu'à Saint-Damien, il a existé très tôt (dès 1220), une partition de la communauté entre des « dames » ou « sœurs » d'un côté, et des servantes ou « sœurs servantes » de l'autre. Le Télégramme, 29 janvier 2013 Spiritualité. Cinq règles monastiques à adopter Se retirer des turbulences du monde, s'offrir le luxe du temps et du silence, plonger en soi pour redonner du sens à sa vie... Ce n'est pas un hasard si les retraites spirituelles connaissent un succès croissant. L'ascèse monastique serait-elle le nouveau Graal ? Elle a en tout cas donné des clés […] à l'historien Jacques Dalarun qui, dans « Gouverner c'est servir » (Alma Editeur, 2012), voit les ordres religieux comme « les laboratoires de nos démocraties ». Ces vies vouées à la spiritualité, construites sur les deux piliers que sont l'intériorité et la communauté, nous ont également inspirés. Parce qu'elles peuvent aider à donner une assise à notre quotidien, plus d'attention à nos relations, nous avons choisi d'adapter à la vie profane les cinq grands principes communs à toutes les règles monastiques, occidentales et orientales. Une ascèse à pratiquer avec constance et modération, comme le précise saint Benoît, qui invite son lecteur à « n'établir rien de rigoureux ni de trop pénible ». Flavia Mazelin Salvi Religions et Histoire n° 47, décembre 2012 Jacques Dalarun Ancien directeur des études médiévales à l’École française de Rome puis directeur de l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT CNRS), Jacques Dalarun est actuellement directeur de recherche au CNRS. Ses travaux passés et présents portent principalement sur l'érémitisme et le monachisme au Moyen âge, les expériences religieuses féminines dans l’Italie des XIII et XIV siècles et les grandes figures franciscaines. Inventer la démocratie Le monastère médiéval, un laboratoire d'expérimentation politique ? DANS LES DEUX ANNÉES à peine écoulées, l'espérance démocratique a fleuri en divers points du globe, de manière imprévue, spontanée et buissonnière. Comment ne pas s'en réjouir ? On connaît la boutade de Winston Churchill : « La démocratie est la pire forme de gouvernement à l'exception de toutes les autres formes qui ont été essayées au long des temps. » À l'abri de cette évidence, le régime démocratique est un des rares sujets qui fasse consensus dans nos démocraties occidentales. Et comme tous les consensus, il est source d'interrogation. On s'est interrogé sur les origines de la démocratie. Les premières traces en ont été identifiées à Sumer ou en Inde. Athènes en offre, au V siècle avant notre ère, la forme classique, le paradigme absolu, éclipsant même celui de la République romaine. Puis vient le temps des oublis et des balbutiements, avant le retour de la démocratie à l'époque des Lumières, avec le double flambeau des États-Unis d'Amérique et de la Révolution française. Ainsi contée, la geste prend vite des allures téléologiques résolument occidentales, l'histoire de la démocratie serait celle des résurgences successives d'une idée transhistorique, d'un idéal absolu dont il n'y aurait qu'à tenter de s'approcher sans jamais pouvoir atteindre sa perfection intrinsèque. La réalité historique n'est pas ainsi faite. Au sein de la seule Union européenne, nous classons sous le terme générique de « démocratie » une multiplicité de régimes : régimes parlementaires ou semi-présidentiels, au sein de républiques aussi bien que de monarchies, dans des États centralisés ou fédéraux - ce qui rappelle que chacun de ces régimes se réclamant de la démocratie est, en fait, la résultante d'une expérimentation particulière. Pour que l'histoire offre, sur ce point, des clés d'intelligence du présent, plutôt que de sonder les origines de la démocratie dans l'absolu, il importe de scruter son éclosion, les conditions et les modalités d'une naissance souvent répétée et toujours singulière. Le Moyen Âge occidental est d'ordinaire considéré comme une sorte de trou noir de la démocratie. Certes, on ne manquera pas de citer telle ou telle assemblée nordique des hommes libres, le régime communal lié à la renaissance urbaine ou le début du parlementarisme anglais avec la Grande Charte, concédée par Jean sans Terre aux barons en 1215. Mais, dans la sphère civile, ces tentatives limitées ne pèsent guère face à la suprématie du principe dynastique : partiellement entravé dans l'Empire germanique par le pouvoir électif des grands seigneurs, il s'affirme sans ambages dans les monarchies et, par le biais de la féodalisation, s'insinue jusqu'aux plus infimes détenteurs d'une parcelle de la puissance publique. Le problème se posait tout autrement dans la sphère religieuse. Sans doute les atermoiements sur le célibat des prêtres laissèrent-ils se constituer de modestes lignages cléricaux, sans doute le népotisme joua-t-il fréquemment un rôle dans la promotion des évêques, des abbés ou des papes, mais, d'une manière générale, la chasteté à laquelle l'appareil ecclésial avait choisi de se soumettre rendait par principe impossible une transmission des charges par le simple jeu de la filiation biologique. Il fallut donc inventer. L'exemple venait de l'Église primitive. Pour remplacer Judas au sein du collège des apôtres, deux candidats avaient été présentés : Joseph, appelé Barsabbas, et Matthias. « En priant, ils dirent : « Toi, Seigneur, qui connais les cœurs de tous, montre lequel tu as élu de ces deux-là pour assumer ce ministère et cet apostolat dont Judas s'est détourné pour aller en son lieu. « Ils tirèrent au sort ; et le sort tomba sur Matthias, qui fit nombre avec les onze apôtres. » (Actes I, 24-26) Sous le terme d'« élection », on peut donc entendre diverses pratiques et non notre seul scrutin. Dans la tradition biblique, aussi bien hébraïque que chrétienne, l'élection est fondamentalement un choix de Dieu : le « peuple élu », les « peu d'élus » qui se détacheront des « beaucoup d'appelés ». Dans l'Église médiévale, ce sens ne se perd jamais : la décision, d'où qu'elle vienne, doit refléter la volonté divine. L'élection n'est toutefois qu'une étape dans la procédure de nomination. Elle doit être confirmée par une consécration et déboucher sur une investiture. La désignation aux charges subalternes était souvent laissée à la discrétion du supérieur, mais pour désigner ces supérieurs, on avait fréquemment recours (en principe) à l'avis d'une assemblée : le peuple des fidèles pour un évêque, la communauté des moines pour l'abbé. Pour que cette élection collective reflète la volonté divine, l'unanimité était bienvenue. À défaut, on rechignait à un décompte et on se réclamait traditionnellement de la qualité plus que de la quantité. Dans l'univers monastique, la règle bénédictine, composée vers 530 et imposée en 817 à tous les monastères de l'empire par Louis le Pieux, fils de Charlemagne, fut la référence prépondérante en Occident. Or, au chapitre LXIV, « De la manière d'ordonner l'abbé », Benoît précise : « Dans l'ordination de l'abbé, que l'on considère toujours cette raison : que soit institué celui qu'aura élu soit unanimement toute la communauté, inspirée par la crainte de Dieu, soit une part même petite de la communauté, par un plus sain conseil. » L'avis de la sanior pars (« part plus saine »), qui pouvait être la senior pars (« part plus âgée », plus sage), devait donc l'emporter sur le poids du nombre. Le problème se posa avec une acuité renouvelée lors de la réforme dite grégorienne, ce mouvement se réclamant de la « liberté de l'Église » pour la soustraire à la coupe des puissances laïques, en un élan qui culmina sous le pontificat de Grégoire VII (1073-1085). Dès lors que le pape n'était plus imposé par l'empereur, que les évêques et les abbés n'étaient plus désignés par les souverains ou les comtes - à tout le moins élus sous leur influence -, il fallut élaborer des procédures électives plus strictes au sein du collège des cardinaux, des chapitres cathédraux et des communautés monastiques de toutes robes de l'un et l'autre sexe. Dans les élections épiscopales, le rôle du peuple se réduisait à une acclamation. Entre la fin du XI et le début du XlI siècle, la réforme grégorienne renforça le rôle du chapitre cathédral (les chanoines qui entouraient l'évêque) pour limiter les interventions des puissances laïques. Dans la même logique, dès 1059, Nicolas II avait confié l'élection du pape au collège des cardinaux afin de limiter les interventions de l'empereur et de la noblesse romaine. En 1179, le concile de Latran I institua la majorité des deux tiers pour l'élection pontificale : on se mit ainsi à compter les voix des cardinaux. Et au XIII siècle, dans les ordres mendiants, c'est la logique comptable de la major pars (la « majorité », au sens actuel) qui l'emporta. Les XII et XIII siècles furent donc des temps d'intense inventivité « démocratique ». Dans l'univers civil, les régimes communaux, en Italie plus qu'ailleurs, en offrent la preuve éclatante. Dans l'univers religieux des moines, chanoines et religieux, les monastères bénédictins réformes comme Cîteaux, les communautés d'ermites comme la Chartreuse, les communautés de chanoines réguliers comme Prémontré, mais aussi, à partir du XIII siècle, les ordres mendiants, tels les fils de François d'Assise et de Dominique, eurent à définir les modalités de désignation de leurs supérieurs ; procédures d'autant plus complexes que triomphait à cette époque la notion de réseau monastique •. les établissements se fédérèrent en congrégations puis s'unifièrent en ordres dotés d'un supérieur général qu'il fallut aussi élire. Les notions de délégation du pouvoir des électeurs aux élus et de représentativité de ces derniers se firent alors jour. Les plus abouties de ces élaborations eurent parfois valeur de modèle pour d'autres familles religieuses : ainsi Cîteaux au XIIe siècle ou les frères prêcheurs (dominicains) au XIIIe siècle. Mais chacune de ces familles affirma pourtant sa spécificité, ne serait-ce que dans l'appellation de son supérieur : abbé, prieur, pasteur, maître ou encore ministre. Comme pour les « ministres » franciscains, le nom même de ces offices pouvait rappeler que le supérieur était en fait le serviteur (minister) de la communauté. Dans le même temps, ces charges devinrent le plus souvent temporaires et non viagères. Le supérieur pouvait en outre être mis en cause par l'assemblée qui l'avait élu, et le droit à la désobéissance fit son apparition. Alors, la démocratie, une invention des communautés religieuses médiévales ? Certes pas. Il serait absurde, au gré d'un renversement facile, d'un coup de théâtre historique, de prétendre que le Moyen Âge a inventé la démocratie. Rappelons par ailleurs qu'une procédure telle que l'élection ne suffit pas à faire un régime • il y eut des monarchies électives, et les dictatures aiment entretenir la fiction électorale. Il ne s'agit pas davantage de se livrer à un quelconque plaidoyer en faveur de la « démocratie chrétienne ». Mais il n'est pas indifférent de rappeler, quelles que soient par ailleurs les convictions de chacun en matière de laïcité, que, par le passé, religion et démocratie n'ont pas forcément fait si mauvais ménage ; que, dans notre présent européen, nombre de régimes que nous considérons comme parfaitement démocratiques ont été ou sont en liaison étroite avec une religion dominante, et que nombre de leurs partis politiques, partis de gouvernement de surcroît, se réclament ouvertement d'une inspiration chrétienne, sans que les laïcs les plus intransigeants y voient autre chose que l'exercice normal de la liberté d'opinion. Sommes-nous mentalement prêts à accepter ce pan avec d'autres croyances ? Les expériences religieuses médiévales ont la vertu de nous rappeler qu'il n'existe pas de démocratie idéale, un modèle athénien désincarné dont il faudrait scruter les épiphanes récurrentes au cours des siècles. Elles nous enseignent que la démocratie est sans cesse à inventer, qu'elle est, chaque fois et chaque jour, originelle. Et puisqu'elle s'invente de l'intérieur, cette démocratie aux cent visages ne s'exporte ni ne s'importe. Elle ne saurait naître ni d'un modèle, ni d'une contrainte, quand bien même cette dernière déborderait de bonnes intentions. Elle procède non pas d'une pression mais d'un vide, d'une liberté conquise, d'un espace offert à l'imagination. Témoignage Chrétien, 4 octobre 2012 Histoire politique, puissance de la faiblesse Le médiéviste Jacques Dalarun rappelle combien l'injonction évangélique du service a été prise au sérieux par certaines figures monastiques qui ont inventé un nouvel art de gouvernement. Où la faiblesse devient puissance. Ce n'est que contrainte par François que Claire d'Assise avait accepté le titre d'abbesse. Le Poverello, pour sa part, n'avait jamais consenti qu'à celui de ministre, c'est-à-dire serviteur. Aussi Claire s’employait-elle à s'abaisser. Dans La Légende de Sainte Claire vierge, Thomas de Celano rapporte quelle l’avait souvent les pieds des sœurs servantes. Mais un jour qu'elle s'apprêtait à baiser les pieds de l'une d'elle, celle-ci « ne supportant pas une si grande humilité, retire son pied, et elle envoya à sa dame un coup de pied dans la bouche ». C’est par cette scène que l'historien médiéviste Jacques Dalarun ouvre un étonnant essai sur le gouvernement, tels que l'inventent aux XII et XIII siècles quelques figures religieuses François, Dominique, Abélard, Robert d'Arbrissel, Étienne de Muret… - qui prennent très au sérieux l'injonction évangélique. « Les premiers seront derniers, et les derniers seront premiers. » Cherchant au Moyen Âge les pierres de fondation d'un art de gouverner, il met au jour un principe contestataire de l'ordre normal du pouvoir : la puissance de la faiblesse, toujours présent dans nos démocraties. Dialoguant avec Michel Foucault et Giorgo Agamben, citant Marcel Gauchet, Jacques Dalarun a l'art de faire parler les documents pour en faire surgir des pépites. Le coup de pied qu'essuie Claire trahit la répulsion que suscite son abaissement. Mais dans le geste de la sainte – celui de Jésus lavant les pieds de ses disciples - un principe s'affirme et un renversement qui se fait norme Robert d'Arbrissel à Fontevraud l'exprime à sa manière : puisque sa communauté est mixte, c'est aux femmes, la part « indigne », que revient la gouvernance « Les frères seront sujets des servantes du Christ » Plus encore : l'abbesse devait être une converse (au sens, alors, d'une convertie qui avait connu le monde). « Qu'on laisse Marie aspirer continuellement aux affaires célestes, et qu'on élise Marthe, qui sache administrer les affaires extérieures » Abélard, définissant son monastère idéal, veut que l'abbé se fasse le serviteur des moniales. Et surtout qu'il s'abaisse : « Qu'il soit certain d'être d'autant plus élevé qu'il sera plus humilié auprès de Dieu ». Certes, ce renversement rencontre des résistances. Dès la troisième « génération » d'abbesses, à Fontevraud, les vierges sont au pouvoir et non plus les converses. Dominique doit faire amende honorable dans les larmes et propose même d'être « déposé » : il avait eu le tort de vouloir, dans son projet d'« Institutions », que les convers illettrés dirigent les frères lettres Grandmont, fondé par Étienne de Muret, gronde et tremble de l'opposition des clercs à pareil retournement évangélique de l’ordre social, souhaité par le fondateur. Quant à Élie de Cortone, il doit sa disgrâce en bonne partie à sa volonté d'être fidèle au désir de François, qui l'avait désigné comme successeur, parce qu'il s'oppose aux clercs et aux « doctes » au moment où ceux-ci prennent le pas sur les illettrés laïques dans l’ordre mineur. Contestée, rejetée, cette puissance de la faiblesse laisse une empreinte indélébile Foucault la repère dans ce qu'il appelle « le pouvoir de type pastoral » - « la forme de pouvoir la plus étrange et la plus caractéristique de l'Occident » — qui se caractérise moins par le territoire sur lequel il s'impose que par le fait qu'il s'exerce pour une communauté en mouvement. Le pasteur se trouve être le serviteur de tous et de chacun. Et son ministère relève davantage de la conduite que du pouvoir. Jacques Dalarun conclut avec François, dont il dissèque le « billet à frère Léon » d'une manière lumineuse. En dessinant un art du « gouvernement maternel », l'historien dévoile une étonnante articulation entre l'obéissance et la responsabilité individuelle. C’est finalement la conscience de chacun qui est convoquée par celui qui gouverne. Ultime leçon : cet art du gouvernement, sans cesse battu en brèche, ne cesse de se réactualiser. La démocratie, puissance de la faiblesse, est ainsi sans cesse à réinventer et en réinvention. Elle naît, écrit Jacques Dalarun, non d'une contrainte, mais d'un retrait « Ce que tu croîs bon pour toi et pour les autres, faites-le ». Jean-François Bouthors La Croix, 28 septembre 2012 ENTRETIEN JACQUES DALARUN, historien L'historien met en lumière les tâtonnements du christianisme médiéval vers la démocratie « Le Moyen Âge s'est essayé à la démocratie » Votre ouvrage Gouverner c'est servir se présente comme un « essai de démocratie médiévale ». On a peu l'habitude d'entendre associer démocratie et Moyen Âge… Jacques Dalarun : Ce sous-titre est provocateur, en ce sens qu’il espère provoquer la réflexion. Je ne prétends évidemment pas que le Moyen Âge soit démocratique, ni qu'il ait inventé la démocratie au sens où on l'entend aujourd'hui, mais je défends l'idée que le Moyen Âge s’est essayé à la démocratie, sous des formes embryonnaires et tâtonnantes. Je souhaite ainsi battre en brèche l’idée reçue selon laquelle l'histoire de la démocratie se serait jouée avec des modèles antiques réactivés à la Révolution française, en sautant à pieds joints par-dessus le Moyen Âge. Vous soulignez le rapport très ambivalent du christianisme au pouvoir durant la période médiévale. Par quoi est-il travaillé ? J. D. : Le Moyen Âge occidental est marqué par une domination idéologique absolue de la religion chrétienne. En même temps, lorsque l'on revient à la source des Évangiles, on se rend compte que la parole du Christ n'est pas particulièrement propice à établir ou à stabiliser l'ordre social. Il y a un certain nombre de propos du Christ qui sont plutôt déstabilisants comme « Les premiers seront les derniers » (Mt 20, 16). Évidemment, cette perspective est rejetée dans un futur lointain, mais l'Évangile n'est tout de même pas très propice à faire tenir une société tranquille. Pour toute une série de raisons le christianisme s'est retrouvé être la religion dominante de l'Occident médiéval mais c'est une religion mal douée pour être une idéologie. Il y a une sorte de critique intrinsèque au message évangélique qui, sans être révolutionnaire, sème le doute sur tout ordre établi et tout pouvoir. La croix est à la fois la charpente et l'écharde de la société médiévale. Que va produire cette ambivalence ? J. D. : Aux XII et XIII siècles, on voit surgir toutes sortes de communautés religieuses qui veulent suivre l'Évangile à la lettre et ne peuvent pas ignorer l'« inversion des pouvoirs » qu’il porte. Les monastères et les couvents constituent des îles où va s'expérimenter une nouvelle forme de direction des hommes, construite autour de l'idée que « gouverner, c'est servir ». Un nouveau mode d'autorité s'invente, de type pastoral : le supérieur devient un serviteur (sens du mot « ministre ») plus qu'un souverain. Déjà, dans la règle de saint Benoît l'abbé ne doit pas être « au dessus », mais « être pour » ses frères. Le pape lui-même se dit le « serviteur des serviteurs du Christ ». Aujourd'hui, on n'entend plus ces mots, devenus fades, mais il faut bien voir que, au Moyen Âge, le servus, c'est le serf, l’esclave, celui qui n'a pas la propriété de lui-même. Le renversement est très fort. Comment la société environnante va-t-elle regarder ces expériences ? J. D. : Il ne faut pas oublier que l'Église médiévale a le plus souvent été au service des pouvoirs établis, mais ces retours successifs à l'Évangile introduisent une contradiction avec la société laïque, où la distinction entre les hommes est liée à la naissance et à la force physique. C'est un monde dominé par les chevaliers, des guerriers, qui possèdent la science des armes. II s'y vit une forme très lourde de domination. À côté de cela, dans les monastères, on dit que l'abbé est le « serviteur des serviteurs » et l'Écriture proclame « Tu ne tueras pas ». On pourrait dire que ce sont deux modèles antagonistes. En réalité, ils restent dans une espèce de tension, de dialectique permanente. Quelles traces ce gouvernement pastoral a-t-il laissé ? J. D. : Le philosophe Michel Foucault, dont les travaux m'ont beaucoup inspiré, a mis en évidence l'existence de deux types de direction des hommes la « souveraineté », un pouvoir qui surplombe, qui vient d'en haut et va vers le bas, et le « gouvernement », un pouvoir qui enrobe, qui passe par le bas et qui est hérité du christianisme médiéval. Ce deuxième mode a entièrement infiltré notre vision du pouvoir. Regardez ce qui se passe lorsqu'un candidat se présente aux élections, il y a toujours quelqu'un pour lui dire : « Qu'est-ce que vous faites pour moi ? » Sa demande ne sera pas considérée comme illégitime. C'est un héritage d'un modèle pastoral, où le gouvernant doit s'occuper non seulement de tous, mais de chacun. Les travaux de Michel Foucault ont montré que le pouvoir de gouvernement pouvait être redoutable… J. D. : Tout à fait. « Gouverner, c'est servir » est un beau slogan, mais un slogan dangereux, justement parce qu'il est aimable. Le problème d'un gouvernement de service, c'est qu'on ne peut pas se révolter contre des gens qui veulent votre bien. On se révolte plus facilement contre ce qui est au-dessus de soi. Il y a une forme d'emprise du gouvernement pastoral qui peut être perverse. L'expérience des ordres religieux offre-t-elle des moyens de contrer ce type de dérive ? J. D. : Oui, je le crois. La plupart des fondateurs d'ordre religieux, bon gré mal gré, vont abdiquer du pouvoir qui est exorbitant - même quand il se manifeste par les formes les plus extraordinaires d'humilité - pour accepter que l'on mette en forme leur vie et celle de leurs frères. Le moment de l'institutionnalisation, où l'on écrit les règles du jeu, est essentiel. Quand on fixe des règles au jeu, il y a un contrôle possible des individus les uns par les autres. Quelle leçon tirez-vous de cet héritage médiéval ? J. D. : À l'arrière-fond de ces formes de direction des hommes, on retrouve les figures anthropologiques du père et de la mère. Soit on privilégie la figure du père, qui représente le pouvoir de la domination, soit celle de la mère, qui représente le gouvernement de service. Mais la conséquence, c'est que les gouvernes sont toujours… des enfants ! La question reste de savoir si les gouvernes sont en mesure d'avoir un rapport non infantile avec le pouvoir. Peut-on, en utilisant les leçons de l'histoire, se débarrasser des figures du père et de la mère pour se diriger vers un fonctionnement politique adulte, où les citoyens exercent à tour de rôle l'administration des affaires communes ? C'est le véritable défi démocratique. Élodie Maurot Etudes, septembre 2012 Histoire « Les derniers seront les premiers et les premiers les derniers… » Cette inversion évangélique a eu au Moyen Âge une grande influence sur le mode de gouvernement des communautés religieuses. Partant de ce constat, renouant avec ses lectures de Michel Foucault, Jacques Dalarun formule une hypothèse : ces instituts médiévaux n'auraient-ils pas servi de laboratoire à l'élaboration de la « gouvernementalité » moderne ? Ce livre est en soi une réponse à cette question. Dans les trois parties qui le constituent – la première centrée sur un épisode de la vie de Claire (le lavement et le baiser des pieds de ses sœurs) ; la seconde reprenant quelques expériences institutionnelles des XIIe et XIIIe siècles (Fontevraud, le Paraclet, Grandmont, etc.) ; la troisième analysant un billet autographe de François d'Assise adresse au frère Léon - Jacques Dalarun, après une « rumination obstinée » des sources, présente, avec beaucoup d'habileté et « sur le mode de l'essai », les idées qu'elles lui inspirent. Sans aller jusqu'à dire que le Moyen Âge aurait inventé la démocratie, il laisse entendre cependant qu'en la matière, la leçon de cette période est « qu'il n'existe pas une démocratie idéale, un modèle athénien désincarné dont il faudrait, en une perspective hégélienne, scruter les épiphanies récurrentes dans le cours des siècles ». Selon Jacques Dalarun, la manière dont les communautés médiévales ont vécu nous apprend finalement que « la démocratie est sans cesse à inventer », qu'elle se dévoile de l'intérieur et en de multiples visages, qu'elle ne peut ni s'exporter, ni s'importer… Mais soyons clairs ! Dans cet ouvrage, il ne s'agit pas à proprement parler d'histoire religieuse, mais « exclusivement d'histoire sociétale, à la croisée de l'idéologique, du politique et du social ». Notons cependant que, par-delà ce projet déjà si riche, il y a plus. Il y a le souhait épistémologique de dépasser la séparation, accomplie surtout par les historiens français du XIXe siècle, entre histoire religieuse et histoire civile, pour « recoudre » cette déchirure, sans bien sûr faire disparaître toute distinction. Et, reprenant les mots de Georges Duby, Jacques Dalarun, pour conclure, explique à son lecteur que, dans les pages qu'il vient de lire, il n'a voulu rien d'autre que de repenser l'organisation sociale au sein du religieux… Philippe Lécrivain Psychologies Magazine, septembre 2012 Se retirer des turbulences du monde, s'offrir le luxe du temps et du silence, plonger en soi pour redonner du sens à sa vie. Ce n'est pas un hasard si les retraites spirituelles connaissent un succès croissant. On y vient chercher un rythme apaisant, on y vit, pendant quelques jours au moins, comme ces hommes ou ces femmes que l'on se prend parfois à envier, tant leur existence semble pleine et sereine. L'ascèse monastique serait-elle le nouveau Graal ? Elle a en tout cas donné des clés à Sébastien Henry, formateur de coachs qui vient de publier. Quand les décideurs s'inspirent des moines et à l'historien Jacques Dalarun qui, dans Gouverner c’est servir, voit les ordres religieux comme « les laboratoires de nos démocraties ». Ces vies vouées à la spiritualité construites sur les deux piliers que sont l'intériorité et la communauté, nous ont également inspirés parce qu'elles peuvent nous aider à donner une assise à notre quotidien plus d’attention à nos relations, nous avons choisi d’adapter à la vie profane les cinq grands principes communs à toutes les règles monastiques, occidentales orientales. Une ascèse à pratiquer avec constance et modération, comme le précise saint Benoît, qui invite son lecteur à « n'établir rien de rigoureux ni de trop pénible. » I. Entrer dans le silence « L'apôtre nous recommande le silence lorsqu'il nous ordonne de travailler. Et le prophète témoigne également que le silence est l'observation de la justice ; et ailleurs : dans le silence et l'espérance sera votre force. » Règle primitive de l'ordre de Notre-Dame Du MontCarmel. Le bénéfice : seul un temps conscient de silence peut redonner du sens et du poids aux paroles que l'on prononce en quantité et qui, venant s'ajouter au brouhaha ambiant, ne font que renforcer au fond de soi le sentiment d'une grande solitude existentielle. Faire silence, ce n'est passe retirer, s'extraire, mais au contraire vivre sa présence au monde d'une façon plus profonde, plus consciente. Le silence entraîne l'observation, la contemplation, il éclaire souvent la compréhension et donne aux échanges une saveur et une valeur nouvelles. Y entrer permet également - c'est une évidence, mais encore faut-il l'expérimenter pour s'en convaincre - de mieux écouter, dans le sens d'un accueil généreux de la parole de l'autre. La pratique : se fixer un rendez-vous silence régulier (par exemple, le jeudi de 18 heures a 20 heures) et noter les émotions et sensations éprouvées. Avec son conjoint : faire une balade dans la nature, en silence, main dans la main et échanger seulement au retour. Avec les enfants : ménager des temps sans écrans ni son, autour d'activités manuelles (cuisine, modelage, peinture). Au bureau, pour ceux qui le peuvent, choisir de travailler une matinée entière en silence, en prêtant une attention critique à ce que l'on aurait dit (questions, réactions) en temps ordinaire. Au cinéma, au musée, s'abstenir de commenter en direct, différer la parole pour aiguiser sa réflexion et pouvoir mieux argumenter. II : Méditer et prier « Ce que tu médites le matin, garde-le dans l'esprit tout le jour : applique-toi diligemment à cela, c'est d'un grand profit. » Sainte Thérèse d'Avila. Le bénéfice : méditer et prier. Dans la plupart des traditions religieuses, les deux notions se confondent. Méditation et prière consistent à plonger en soi pour mieux se déployer à l'extérieur. Il s'agit de s'ancrer dans l'ici et le maintenant, via ses sens, ses émotions, puis de se relier à plus grand que soi. Dans ce mouvement de l'intérieur vers l'extérieur, les angoisses s'apaisent et le mental se clarifie. Méditer, la science l'a prouvé, est l'un des meilleurs antidotes à l'anxiété. Dans un monde vécu comme de plus en plus menaçant, trouver en soi un lieu ressource procure un sentiment de sécurité. Par ailleurs, méditer, ne serait-ce que quelques minutes par jour, renforce la concentration et régule les fonctions cardiaques. Prier, en étant en demande, aide à prendre conscience de ses vrais besoins- les souhaits égocentriques et superficiels s’éteignent rapidement-, à solliciter de l'aide et à sortir des jeux de rôle de la toute-puissance. La pratique : émailler sa journée de pauses sensorielles de « pleine conscience » - je respire vraiment, je regarde vraiment, j'écoute vraiment, je touche vraiment, je goûte vraiment. Au réveil et au coucher, prendre cinq minutes pour inspirer et expirer - inspirer, compter jusqu'à dix, expirer lentement, puis recommencer -, les yeux fermés, jusqu'à ce que l'on se sente détendu et allégé. Oser prier à haute voix - demander pour soi, pour les autres, ou bien remercier – ou écrire ses prières dans un cahier prévu à cet effet. III : Pratiquer l'hospitalité « Lorsqu'un moine étranger se présente au monastère, on le recevra autant de temps qu'il le désire pourvu qu'il ne trouble point le monastère par ses exigences. » Saint Benoît Le bénéfice : en dépit des apparences, l'altérité est le parent pauvre de notre culture, qui favorise l'individualisme et incite à former des groupes de « mêmes ». Pourtant, rien n'est plus fécond que la rencontre avec la différence, l'étrangeté inhérente à l'autre • elle est source d'étonnement, d'enrichissement et de renforcement de sa propre identité. Accueillir celui qui ne nous ressemble pas, mais qui nous respecte, bouscule nos croyances et nos préjugés. Accueillir l'autre dans notre univers, recevoir sa différence nous permet également d'éprouver nos limites, nos valeurs et notre capacité à nous remettre en question. Cette ouverture - d'esprit et de territoire – développe notre empathie et réduit nos peurs imaginaires, toutes fondées sur la crainte de l'inconnu. La pratique : adopter de temps en temps, mentalement un point de vue différent, voire opposé au sien afin de voir le monde et les autres par un autre prisme. Ouvrir son groupe, amical, professionnel ou familial, en déjeunant, en recevant, en travaillant avec une personne que l'on n'aurait pas choisie spontanément. Ouvrir sa maison en échangeant avec des inconnus, en accueillant des enfants défavorisés en vacances, en lançant des invitations spontanées… IV. Cultiver la stabilité « Même si votre situation est difficile, ne soyez pas pressé d'aller ailleurs. Ne suivez pas l'exemple de ceux qui viennent d'atteindre le sommet d'une montagne et s'imaginent trouver mieux à côté. » Thich Nhat Hanh, moine bouddhiste vietnamien. Le bénéfice : la stabilité, par la répétition consciente des actes et des gestes, est un facteur de progrès spirituel, intellectuel et manuel et la garantie d'un vrai plaisir de faire car c'est par la constance que vient la maîtrise. Autre bénéfice de la stabilité par la ritualisation du quotidien, renforcer le sentiment de sécurité intérieure et d'appartenance au groupefamilial, amical ou professionnel. Enfin, la persévérance face aux difficultés est sans doute l’un des meilleurs antidotes à la confusion mentale et à l’insatisfaction chronique, deux maux propres à notre culture du zapping tous azimuts. C'est en effet en persévérant que l'on peut se découvrir de nouvelles ressources et que l'on renforce son estime de soi. La pratique : réintroduire des rites collectifs - repas, rendez-vous, fêtes. - dans son groupe familial ou amical. Ritualiser ses rendez-vous - papiers administratifs, sport, méditation, soins à jours et à heures fixes, puis mesurer les progrès obtenus. Lister ces progrès dus à la persévérance, dans tous les domaines. Essayer d'honorer tous les rendez-vous et engagements de la semaine ou du mois sans les reporter ni se trouver d'excuses. Énumérer, à l'aide d'un ami chargé d'apporter la contradiction, les avantages qu'il y aurait à changer de relation, d'emploi, de lieu de vie, etc. V : Oser l’humilité « Soyez toujours un débutant. » Shunryu Suzuki, fondateur de monastères zen aux ÉtatsUnis Le bénéfice : adopter la posture du débutant permet de sortir des jeux de rôle de l'ego imposés ou choisis -, d'évoluer dans la connaissance de soi et des autres, de ne pas s'accrocher à des croyances erronées ou limitantes et de se rendre disponible aux opportunités que la vie nous envoie. Sortir de la toute-puissance du « moi je » nous déleste d'un poids considérable et rend également les relations avec les autres plus fluides et plus authentiques. Dernier bénéfice de l'humilité elle favorise la prise de conscience des principes d'impermanence de toutes choses et d'interdépendance entre les êtres. La pratique : accueillir la critique, argumentée et respectueuse, et examiner ses actes, ses choix, son comportement par son filtre. Elle entraîne une remise en question, facteur de progrès. Oser dire simplement « je ne sais pas » lorsque c'est le cas, sans se justifier. Demander de l'aide, des conseils à son entourage privé ou professionnel, établir des relations égalitaires et enrichissantes Reconnaître ses erreurs, ses fautes, savoir s'excuser ou demander pardon. Flavia Mazelin Salvi In Quarto, le mensuel des Libraires Siloë, juillet-août 2012 En historien, Jacques Dalarun se penche sur les rapports entre violence, sacré et pouvoir à une époque où « le fossé était abrupt […] entre une société qui repose sur la domination encore visiblement liée à la force physique » et « une religion dominante où la promesse évangélique, les premiers seront les derniers, n’est pas, a priori, des plus propice à stabiliser l’ordre social ». Pour les communautés religieuses médiévales éprises d’absolu, ce fossé pouvait devenir un précipice. Ils furent toutefois quelques-uns à relever le défi et à inventer un art de gouverner qui échappe à la domination, tentant de réconcilier l’ordre politique et l’idéal religieux autour des concepts d’humilité et de service. Ils s’appelaient Claire et François d’Assise, Benoît, Abélard… Ce livre d’histoire fondamentale interroge « les ajustements innombrables, ces perpétuelles reprises qui, bon gré mal gré, permettent à tous et à chacun d’aller de l’avant », entre idéal et réalité. Véronique M. Les affiches de Normandie, 9 juillet 2012 L'Histoire au Présent. Retours sur le Moyen Âge (suite) midi à sa porte, Chacun, bien-sûr, voit midi à sa porte, et l'on préférera ouvrir l'admirable Gouverner c'est servir de Jacques Dalarun. Le grand médiéviste, au fil d'une œuvre d'une richesse exceptionnelle, s'est penché sur les grands ordres monastiques des XIIe et XIIIe siècles. Il a publié d'innombrables textes et a su les lire pour en tirer des sucs d'une saveur souvent très particulière, et inattendue. À un Moyen Âge où, dans la sphère civile, s'affirme très brutalement la suprématie du principe dynastique qui, par le biais de la féodalisation, va s'insinuer jusqu'aux plus infimes détenteurs d'une parcelle de la puissance publique, il dresse un univers, lui aussi strictement codifié, mais où l'humble est exalté, où les puissants se dépouillent eux-mêmes des emblèmes du pouvoir. Et de très grands noms s'imposent : Benoît de Nursie, Robert d'Arbrissel, Pierre Abélard et Héloise, Étienne de Muret et l'ordre de Grandmont, François d Assise, Claire, Dominique de Guzman et quelques autres. Nous voici de plain-pied dans un univers où s'opère un véritable renversement de valeurs, où est prise à la lettre la promesse évangélique : « Les derniers seront les premiers et les premiers des derniers ». Tous les ordres monastiques ont fondé leur existence même sur cette expérience révolutionnaire qui n'était pas des plus propices à stabiliser l'ordre social, et a réussi à vivre le « paradoxe chrétien ». En ruminant obstinément les sources, l'historien ne prétend nullement que les temps médiévaux ait « inventé » la démocratie. Il montre, en revanche, qu'alors & été vécue une « puissance de faiblesse » qui a peu à voir avec le modèle athénien Sur la trace de philosophes comme Michel Foucault ou Giorgio Agamben, il dévoile une tradition contestataire et une « démocratie » qui procède non pas d'une pression, mais d'un vide, d'une liberté conquise, d'un espace offert à l'imagination. Un livre d'une rare pénétration, admirable. […] Pierre Aubé Technikart, juillet/août 2012 La question incongrue Et si la démocratie avait été inventée au Moyen âge ? Nous avons tous en tête un Moyen âge associé à une époque obscure dirigée par des tyrans soiffards et incultes. C'est contre ce préjugé tenace que dans son « Gouverner c'est servir, essai de démocratie médiévale », Jacques Dalarun entend montrer, parfois avec excès de zèle, que tous les linéaments de notre démocratie se retrouvent dès les XIe et Xlle siècles. À travers une enquête passionnante, ce médiéviste montre en effet comment, au sein des communautés religieuses, se sont peu à peu développés des embryons de démocratie. Le point de départ est très simple : alors que la société de l'époque se fonde sur la hiérarchie et l'hérédité, les communautés qui se fondent au contraire sur la chasteté vont devoir imaginer des règles de gouvernement pour pouvoir assurer leur continuité. Non seulement le dirigeant de la communauté va être élu, mais en plus il va devenir le serviteur de ses électeurs, réitérant ainsi l'image de l'humilité du Christ. Par capillarité, ces modèles de fonctionnement vont faire des émules et peu à peu dépasser les frontières des communautés pour se propager à travers la société. Mais le monde est quand même mal fichu : cet admirable renversement démocratique n'en contient pas moins des éléments pervers car, comme le rappelait Foucault, il est très dur de se révolter contre quelqu'un qui se prétend votre serviteur Edouard Jourdain L’Histoire, juin 2012 Moyen Âge : la démocratie au couvent Tirage au sort ou vote à la majorité, vote par tête ou vote par ordre : les procédures d'élection sont variées, on l'oublie parfois. Le Moyen Âge fut en la matière un temps d'invention. Aux XI et XII siècles, alors que l'Église s'émancipait des puissances laïques, il fallut mettre au point des systèmes d'élection en son sein, à tous les niveaux. Le cas de l'ordre de Grandmont, dans le Limousin, est sans doute l'une des expériences les plus originales. Qu'est-ce que la démocratie ? Quel est le sens de l'élection ? Ces questions seront au cœur du débat qui réunira le 23 juin à Fontevraud Jacques Dalarun […] sur le thème « La démocratie, une invention permanente ». Télérama, 12 mai 2012 (interview) Le Moyen Âge, en particulier les ordres religieux, a beaucoup à nous apprendre sur la façon dont nous sommes gouvernés. C'est ce que montre Jacques Dalarun, ancien directeur des études médiévales à l'École française de Rome, spécialiste notamment de François d'Assise et de Robert d'Arbrissel, le fondateur de l'abbaye de Fontevraud, dans son dernier livre, Gouverner, c'est servir. Aux XIIe et XIII siècles, les frères et sœurs des communautés d'Assise, de Fontevraud ou du Paraclet inventent collectivement de nouvelles façons d'exercer le pouvoir et de concevoir l'autorité. De véritables laboratoires de nos démocraties… Nous ne sommes pas habitués à voir associer Moyen Âge et démocratie… Pour beaucoup de monde, l'affaire est entendue : la démocratie est inventée sous l'Antiquité, elle réapparaît avec la Révolution française, et le Moyen Âge, lui, fait figure de « trou noir » entre les deux. Pourtant, si les communautés religieuses qui apparaissent entre le Xe et le XIIIe siècle exercent une emprise sur le corps et l'esprit de leurs membres, elles développent une conception du pouvoir et un exercice de l'autorité qui tranchent radicalement avec la société médiévale. Cette dernière, rappelons-le, repose entièrement sur le principe d'hérédité : charges, royaumes et châteaux sont transmis en suivant les liens du sang ; dans les ordres, en revanche, la chasteté a été érigée en règle et toute transmission « génétique » du pouvoir est exclue. Qui, alors, pour les diriger ? Et comment ? Pour répondre à ces questions, ces communautés vont faire preuve d'une très grande créativité. Comment se passe le recrutement de leurs membres ? On retrouve le même schéma dans toutes les expériences religieuses innovantes du Xe au XIIIe siècle. Un personnage charismatique, débordant de valeurs évangéliques, lance un appel : c'est l'image déterminante du pasteur qui se lève et constitue autour de lui son troupeau. Un troupeau on ne peut plus ouvert, d'ailleurs : dans les premières communautés, on trouve des pauvres, des riches, des bien portants, des malades, des hommes et des femmes - il n'y a plus « ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni femme », écrivait saint Paul dans sa Lettre aux Galates, qui sert alors de référence. Est-ce l'autorité qui est discutée, dans ces communautés en construction, ou la façon dont elle doit s'exercer ? L'idée que, dans toute société humaine, il faut une tête et des membres n'est pas remise en question : les communautés religieuses veulent être dirigées. Mais elles opèrent un renversement radical : non seulement le supérieur est élu, mais il va se définir lui-même comme un être inférieur à ceux qui l'ont porté au pouvoir : il sera leur serviteur. Le pape n'était-il pas, déjà, « servus servorum Dei », serviteur des serviteurs de Dieu ? Et encore, cette traduction moderne est quelque peu aseptisée, car servus renvoyait directement aux serfs et à l'esclavage : le pape est donc plutôt « l'esclave des esclaves de Dieu ». Et le supérieur prouve qu'il est au sommet en se définissant comme le plus bas dans la hiérarchie… Ce renversement renvoie directement à l'exemple du Christ… Effectivement, le Christ est fils de Dieu, mais il « dégringole » sur terre avec l'Incarnation et meurt comme le dernier des esclaves. Le Moyen Âge vit dans une réitération permanente des origines du christianisme, il retourne constamment à l'Évangile, et les communautés vont reprendre cette idée fondatrice du renversement de la puissance, de l'exercice du pouvoir par l'humilité. Cette dernière devient la vertu fondamentale de ces microsociétés. Elle vaut à la fois pour les membres, qui doivent obéir à leur supérieur, et pour ce dernier, qui doit se montrer encore plus humble que les gens qu'il dirige. Dans les sources issues de la communauté de Claire d'Assise (vers 1194-1253), on trouve ainsi trois acceptions du mot « servante » : il y a les servantes effectives du monastère, femmes d'extraction modeste au service des autres membres ; mais aussi les sœurs de Claire, qui sont toutes « servantes du Christ », quels que soient leur fortune et leur statut social. Et Claire, la « servante des servantes du Christ ». La rupture est nette avec la conception du pouvoir dans la société féodale ? La société féodale fonctionne sur la domination : le seigneur est un « dominus ». Elle est dominée par la caste chevaleresque, des hommes dont la supériorité sociale repose sur le fait qu'ils savent tuer, qu'ils possèdent « l'art de la guerre ». Pour autant, on croise déjà, à l'époque, quelques expériences civiles de prédémocratie : des groupes d'habitants qui apprennent à se gouverner eux-mêmes en jouant sur les interstices de liberté que la lutte entre les grands pouvoirs - empereur, rois ou pape - leur a laissés. Les communes italiennes, par exemple, profitent pleinement de cette rivalité. Mais les ordres religieux me semblent plus novateurs. Et ils poussent très loin le principe des « premiers seront les derniers », en s'imposant notamment de choisir leur supérieur dans les catégories sociales que la société médiévale jugeait les plus indignes… À Fontevraud, par exemple… Dans la mentalité médiévale, l'homme est supérieur à la femme. Qu'à cela ne tienne : à Fontevraud, qui est une communauté mixte, on confie la direction à une femme, converse de surcroît, c'est-à-dire non vierge, ce qui est une double indignité dans la mentalité de l'époque ! À Grandmont aussi, l'administration de l'ordre revient aux convers, qui ne sont pas clercs de l'Église, qui sont peu éduqués et ont « vécu » - bref, des « vocations tardives » comme on dit aujourd'hui ! Toutes les communautés choisissent-elles les mêmes règles ? Elles sont proches dans les grandes lignes, mais elles se distinguent dans le détail. À Grandmont, par exemple, fondé par Étienne de Muret (vers 1046-1125), qui avait abandonné tous ses biens pour vivre en ermite dans les bois de Muret, près d'Ambazac (Haute-Vienne), les moines, retirés dans des « celles » (cellules) dispersées dans la forêt, inventent une manière tout à fait originale de remplacer leur fondateur. Des moines sont envoyés à Grandmont pour désigner un conseil réduit… qui va lui-même élire un supérieur. C'est une élection par étapes - et par délégation - tout à fait « décapante » pour l'époque. Car ces hommes perdus au milieu des bois, modestement instruits, sont en train de mettre au point une pratique politique - la délégation - et un principe - la représentativité - qui, huit siècles plus tard, n'ont pas fini de livrer leur richesse. Ils introduisent l'idée que, quand un individu est investi d'une charge, il n'est pas seulement le porte-parole de ceux qui l'ont investi : c'est sa volonté à lui qui se substitue à celle des autres. Les frères de Grandmont se sont en effet juré que, lorsque leur délégué parlerait, ils s'interdiraient de le désavouer, quelle que soit sa position. Chacune de ces communautés « éprouve » donc cette démocratie balbutiante à sa façon ? Les différences entre elles soulignent une idée qui m'est chère : la démocratie ne s'importe pas, elle ne s'exporte pas non plus, elle s'invente. Elle s'invente « de l'intérieur », « du cœur », par ceux qui sont directement concernés, et elle n'est jamais la même entre deux communautés distinctes. C'est toujours vrai : tous les pays européens sont des démocraties, mais entre la république, les États fédéraux, les États centralisés et les monarchies parlementaires, on ne trouve pas deux régimes identiques. L'audace d'organisation que montrent ces communautés au moment de leur création va-t-elle durer ? Après la phase « ouverte » où tout reste expérimental, la seconde phase, d'institutionnalisation, a souvent été décrite comme un déclin ou une trahison de l'esprit originel. Mais si l'Histoire n'avait que des phases exploratoires, il ne serait rien resté ! Et la mémoire des fondateurs n'a été conservée que parce qu'une institution a pris soin d'écrire leurs vies, de garder leurs manuscrits et de transmettre leurs paroles. L'institutionnalisation est une nécessité qui permet d'inscrire une intuition dans la durée. Alors, bien sûr, les Frères mineurs- les Franciscains - finissent par s'établir. Ils vont même jouer avec la propriété d'une manière assez subtile, et se « compromettre » avec ce monde que François, le fils de marchand, avait voulu fuir. N'empêche qu'ils ont su garder quelque chose de l'étincelle originelle. L'idée que « gouverner, c'est servir » ? Oui, mais ce titre ne doit pas être lu de manière univoque. Si ce « renversement » démocratique a des aspects admirables, il ne manque pas non plus de côtés « pervers » : car, comme l'a bien montre Michel Foucault, il est quasiment impossible de se révolter contre celui qui se prétend votre serviteur. Et un pouvoir contre lequel on ne peut pas se révolter est un pouvoir redoutable… Marcel Gauchet a aussi analysé comment la religion des plus humbles est devenue la religion triomphante, comment cette puissance par la faiblesse l'a emporté au sein même de l'Empire romain, qui avait condamné le Christ ! Tout le Moyen Âge est traversé par cette ambiguïté. Ce qui me fait dire que la Croix est à la fois la charpente et l'écharde des sociétés médiévales : charpente, car tout repose sur le Christ, et le christianisme est évidemment l'idéologie dominante de l'époque ; mais aussi écharde, car cette idéologie dominante sème le doute sur l'ordre qu'elle légitime, en renversant la hiérarchie des valeurs, en posant la pyramide sur la pointe. Le christianisme n'est pas une idéologie « tranquille », c'est une pensée inquiète et inquiétante. Et cette inquiétude s'exprime dans les tâtonnements de ces communautés religieuses. Ces laboratoires de la démocratie sont aussi des laboratoires de la modernité… En effet, on y prépare les conditions du monde préindustriel, autour de projets qui englobent tous les aspects de l'existence et produisent au passage certains effets totalisants… qui n'ont pas disparu : la discipline du corps, le manque de sommeil volontaire, l'alimentation minimale, le respect strict des horaires. Là encore, Foucault nous aiguille, lorsqu'il fait la distinction entre deux modes d'exercice du pouvoir : la souveraineté et le gouvernement. Souveraineté : le pouvoir domine ses sujets ; gouvernement : le pouvoir prétend être le serviteur de ceux qui l'ont choisi, mais les domine aussi, d'une autre manière. On retrouve avec ces deux modèles la figure anthropologique banale du père l'abbé, le roi - et celle de la mère, qui prétend gouverner sur le mode du service. Et moi je me pose, en tant que médiéviste pleinement ancré dans le XXIe siècle, la question suivante : quand donc serons-nous capables de concevoir une démocratie adulte - une démocratie qui se passe de papa et maman ? Notre démocratie serait donc immature ? Voyez avec quel empressement on rend les élus responsables de tous nos maux… Devenir adulte en politique passe selon moi par un changement de mentalité, ce qui exige une bonne compréhension de la généalogie de notre démocratie - une généalogie qui n'oublie pas, par exemple, le Moyen Âge. En étudiant les formes de démocratie mises en œuvre dans ces communautés religieuses, on comprend mieux, d'abord, que religion et démocratie ne sont pas spécialement antinomiques (et je ne parle pas par conviction religieuse). Et, en découvrant ce que ces expériences ont insufflé à nos démocraties, on pourra décider, en adultes, ce que l'on souhaite faire de cet héritage, choisir ce que l'on garde, ce que l'on jette et ce que l'on transforme. Olivier Pascal-Moussellard Libération supplément Livres, 19 avril 2012 Si le Moyen Âge n'a pas inventé la démocratie, il a expérimenté des formes de gouvernement très originales, révolutionnaires à certains égards. Les fondateurs de certains ordres religieux, comme les franciscains et les clarisses, ont voulu appliquer dans le gouvernement de leur ordre le principe du renversement évangélique selon lequel les derniers seront les premiers. Le Christ n'est-il pas venu sur Terre, selon l'évangile de Matthieu, « non pour être servi, mais pour servir » ? Mobilisant de multiples textes, comme la Correspondance d'Abélard et d'Héloïse ou différents récits de la vie de François d'Assise, Jacques Dalarun décrit ces tentatives de mettre à la tête de certains ordres religieux non pas des membres de l'élite sociale mais des membres ordinaires de la communauté. Son hypothèse paradoxale, enrichie d'une lecture stimulante des œuvres de Michel Foucault et Giorgio Agamben, est que les communautés religieuses médiévales ont servi de laboratoire à l'élaboration de la gouvernementalité moderne en éprouvant en pratique ce « déséquilibre dynamique » de la société chrétienne qui doit tenir ensemble la mise en place d'un ordre social stable et hiérarchisé et le respect du message évangélique qui enseigne le renversement de cet ordre. J.-Y.G. La vie, 26 avril 2012 La subversion évangélique Jacques Dalarun scrutateur des sources médiévales et de la tradition franciscaine, en particulier, raconte comment les ordres religieux, au XIIe siècle, ont repensé la façon d exercer le pouvoir au sein des communautés monastiques, à partir du modèle du Christ. Celui-ci inverse les rôles en imposant que le chef soit le plus humble et le plus servant de tous. Ce travail passionnant est un monument sur le raffinement de la subversion évangélique. Élisabeth Marshall Radio France Culture, Les lundis de l’Histoire par Jacques Le Goff, 3 septembre 2012 La démocratie au Moyen âge http://www.franceculture.fr/emission-les-lundis-de-l-histoire-la-democratie-au-moyen-age2012-09-03 Radio Fréquence Protestante, 21 juillet 2012 France Culture, 30 juin 2012. Émission Concordances des Temps. Les Monastères au Moyen âge, une source de nos démocraties ? Radio Notre Dame, "Matière à penser", 18 avril 2012 www.franceculture.fr, 4 avril 2012 L’essai et la Revue du jour La démocratie n’est certes pas une invention du Moyen Âge. Mais dans cet essai profond et très documenté, arrimé à l’examen des sources, Jacques Dalarun redonne vie à une étonnante et paradoxale tradition issue des communautés monastiques des XIIème et XIIIème siècles, qui ont tenté d’instituer une forme de gouvernement à rebours où le détenteur de l’autorité doit se faire le serviteur de ceux qu’il dirige, appliquant à la lettre la promesse évangélique selon laquelle « les derniers seront les premiers et les premiers les derniers ». Certaines communautés ont même poussé le paradoxe jusqu’à mettre à leur tête, par principe, ceux d’entre leurs membres les moins dignes de cette charge et d’une manière générale, c’est le modèle pastoral qui a inspiré l’art de gouverner au sein de ces collectivités, « un art de gouverner les hommes qui les enrobe plus qu’il ne les domine », comme dit l’auteur, et qui s’inscrit en ligne directe dans la tradition du Christ berger. Jacques Munier