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L’Europe, jusqu’où ?
Débat d’actualité animé par Pascal Arnaud et Jean Pierre Rioux, avec Roselyne Bachelot,
Baudouin Bollaert, Jean-Noël Jeanneney et Hervé Le Bras.
Introduction de Pascal Arnaud :
L’Europe est un sujet de pleine actualité : 2004, année de l’Europe… Le 1er mai,
élargissement de l’Europe à 25 membres, événement considérable qui n’a pas forcément été
mesuré dans toutes ses dimensions par les Français… En juin, renouvellement élargi du
Parlement européen, marqué par une faible participation, non seulement en France (44%),
mais aussi dans l’Union européenne (45%) et dans les nouveaux Etats membres de l’Union
(environ 26%). Cette baisse d’intérêt démocratique pose des questions alors que les enjeux
sont de plus en plus importants, de plus en plus compliqués…Débat autour du traité
constitutionnel… Débat sur la candidature de la Turquie, débat à travers les média, débat à
l’Assemblée nationale…
C’est une question qui provoque des déchirements, des divisions : le Président de la
République n’est pas en accord avec sa majorité, le PS est lui aussi divisé… Tout ceci laisse
une impression de brouillage, de pagaille…On ressent un besoin de clarification, comment les
choses sont-elles réellement ?
Hervé Le Bras :
On pourrait avoir l’impression aujourd’hui que l’Europe a atteint ses limites historiques : les
frontières de l’Union européenne à 25 correspondent actuellement à la partie européenne non
orthodoxe, à l’exception de la Grèce. On a l’impression d’avoir atteint une vieille limite. On
trouve cette limite en démographie.
En effet, si l’on se place sur le plan démographique, traditionnellement depuis le XVIe siècle,
à l’est d’une ligne Saint Pétersbourg / Trieste, on a un mariage pubertaire et à l’ouest, un
mariage tardif, une forme de famille différente.
L’Europe est-elle immobilisée ? On pourrait distinguer « trois Europes »: Une Europe
archaïque, l’Empire russe et l’Empire ottoman ; une Europe des Lumières, la France,
l’Angleterre ; une Europe intermédiaire, celle des nouveaux membres de l’Union européenne.
C’est une erreur que de se concentrer sur la construction européenne dans l’intérieur des 25
Etats membres.
Il y a une notion de frontière culturelle : pour Montesquieu, les mœurs, c’est ce qui reste une
fois que les Etats ont disparu ; en fait, les mœurs ne sont pas avant les Etats mais la politique
crée les mœurs. L’existence de la RFA et de la RDA a donné plus ou moins naissance à deux
peuples différents. Or, s’il y a un exemple d’Etat qui se revendiquait un caractère culturel,
c’était bien l’Allemagne. Certains Allemands de l’Ouest n’hésitent pas à dire qu’ils préfèrent
engager un turc plutôt qu’un Ossie… Comparons les personnes de langue française et de
langue flamande en France et en Belgique, deux destinées politiques différentes ont crée la
différence.
Il faut concevoir l’idée d’Europe comme une idée de mouvement à la façon des anciens
Grecs. La Turquie actuelle était appelée l’Anatolie, « terre qui est à l’est », le Levant.
L’Europe présente une direction originale de progression.
Si l’on fait un parallèle entre le destin et l’évolution démographique récente de l’Europe et des
Etats-Unis, on a une spectaculaire différence.
La fécondité est relativement plus élevée aux Etats-Unis (2,1 enfants par femme et 1,5 enfants
par femme en Europe).
Les migrations : 1 500 000 entrées officiellement pour les Etats-Unis contre 6 à 700 000 pour
l’Europe.
On constate deux dynamiques différentes : développement des Etats-Unis sur leur territoire,
développement de l’Europe autrement.
Quand on compare les deux populations du fait des différences dans leur dynamique : la
population américaine augmente jusqu’en 2015, la population européenne diminue mais il
s’agit de l’Europe à périmètre constant
Lors de la signature du traité de Rome, la population de l’Europe équivalait à celle des EtatsUnis.
Aujourd’hui, la population européenne est de 450 000 000 habitants, celle des Etats-Unis est
de 300 000 000 habitants.
Dans la construction européenne, on a une dynamique particulière : construire en intégrant
peu à peu plusieurs pays. Cela est la nature même de l’Europe.
Cela pose le problème de l’entente politique entre 15 puis 25 membres.
La construction de l’Europe revêt une forme originale. Est-ce une forme de l’avenir ?
Pour continuer à être elle-même, l’Europe est amenée à continuer à progresser…mais dans
quelles directions ? Vers l’Est ? Vers le Sud ? On doit quelque part aller vers le Sud. La
Russie n’est pas intéressée à faire partie du concert européen, l’Europe réciproquement. Le
Sud par contre est fortement désireux d’intégrer l’Europe.
Les pays du Sud et de l’Est sont des pays d’immigration, pays de transit de tout le Tiers
Monde le plus pauvre qui cherche à gagner l’Europe, relativement riche encore. Il y a
nécessité à travailler avec ces pays.
Il y a eu la chute du rideau de fer, une autre barrière reste à céder, celle du Sud.
Les pays du sud de l’Europe, Espagne, Portugal, Italie, et même Grèce sont aux premières
lignes de ce changement ; ils sont tous en faveur de l’entrée à terme de la Turquie.
La position de la France sur ce sujet est bien étrange. Le repli actuel est-il un prétexte à une
angoisse à aller plus loin dans la construction européenne ?
Jean Pierre Rioux :
Dans cette nouvelle époque que nous vivons, quelle est la prise de conscience des Européens
de l’importance de la question de l’élargissement de l’Europe ?
Les nouveaux venus ne participent pas à la zone euro.
La question turque pose le problème : que faire avec un pays de culture islamique ?
Roselyne Bachelot :
La question est d’ordre quantitatif et d’ordre qualitatif.
Sur le plan qualitatif, en France, la question turque se pose avec acuité car la culture de
conceptualisation de la démocratie est plus forte qu’ailleurs.
Le problème est de savoir quelle Europe nous voulons ?
Depuis cinquante ans, la construction européenne a été l’œuvre de grands bourgeois,
visionnaires de l’Europe. Aujourd’hui, on convie les peuples à s’exprimer.
On passe d’une « Europe des Pairs » à une « Europe des Peuples ».
L’élargissement ne peut se faire sans approfondissement démocratique :
- Citoyenneté européenne.
- Acceptation par les peuples de la démarche législative européenne.
- Effectivité : L’Europe n’a pas les moyens de contrôle des décisions. Une Europe
technocratique.
- Cohérence des politiques européennes.
On risque un rejet de l’Europe si ces quatre items ne sont pas respectés.
Baudouin Bollaert :
Depuis la création du Marché commun en 1957, il y a eu deux référendums sur les questions
européennes en France : l’un concernant l’entrée de la Grande Bretagne, l’autre le traité de
Maastricht.
De 1957 à 1973, L’Europe ne comprenait que six Etats membres.
Par deux fois, De Gaulle s’est opposé à l’entrée de la Grande Bretagne…
Au cours des années, différents pays sont entrés dans l’Union… Cette fuite en avant inquiète
les Français, particulièrement depuis le dernier élargissement. Si l’on regarde les sondages
d’opinion, les Français sont convaincus de l’utilité de la construction européenne mais ils
éprouvent en même temps une sorte de désintéressement, d’anxiété, de désamour sur le sujet.
Les Français ont des doutes à propos de leur propre identité, perdent leurs repères : l’Union
européenne leur en donne de nouveaux.
Les Français comme tous les Européens ont besoin de sécurité, pour leurs biens, sur le plan
économique.. L’Europe sans frontières est anxiogène à certains regards. Le doute s’immisce
chez les partisans des souverainistes comme ceux d’une Europe intégrée.
Si l’on organisait un sondage aujourd’hui, la majorité des Français dirait NON.
Jean Pierre Rioux :
Quelle est la part de l’angoisse sociale ? Des problèmes de l’emploi et de la délocalisation ?
Hervé Le Bras :
Les Français ont l’impression que cela leur échappe. Il est difficile d’accepter de peu compter
démocratiquement. Où est passé le temps où, avec Victor Hugo, l’on rêvait d’une Europe avec
comme capitale Paris ! En ce qui concerne les délocalisations, le problème ne vient pas de
l’Europe. Le problème est l’économie mondiale : les revenus versés au travail diminuent, les
revenus versés au capital augmentent. Des maquiladoras commencent à fermer, on délocalise
dans la vallée des Perles… Tant qu’à délocaliser, autant le faire dans l’enceinte européenne.
Roseline Bachelot :
La question sociale est fondamentale. Le débat est fort, particulièrement en France, alors que
les délocalisations touchent aussi l’Allemagne. La structuration des partis politiques y est très
différente. Il y a une différence structurelle de la vie politique française par rapport aux autres
pays de l’Union européenne. En France, l’on considère que le pouvoir politique peut avoir les
rênes du pouvoir économique.
L’ensemble de la classe politique se pose la question du renouvellement des institutions, à
travers l’Europe, on est en face de nos propres contradictions que nous n’arrivons pas à
résoudre et nous n’avons pas envie d’en rajouter une autre.
Quelle est l’influence de la France au sein de l’Union européenne? Sommes-nous encore
écoutés et entendus ?
Baudouin Bollaert :
L’attitude défensive des Français peut s’expliquer par la baisse d’influence française :
La langue française est moins parlée qu’à l’époque de l’Europe des 12…
Pascal Arnaud :
Quelle est l’attitude des autres pays ?
Il y a une très grande diversité. On peut distinguer, avec J. Lévy :
 Les pays qui, comme la France, pensaient pouvoir peser sur l’Europe à une certaine
époque.

Les petits pays qui cherchent à protéger leur culture sans qu’elle rayonne autour
comme par exemple la Slovénie. Aujourd’hui, ces pays sont majoritaires.
En France, la classe politique s’investit peu dans les institutions européennes ; en Lettonie, le
ministre des finances n’hésite pas à démissionner pour être député européen.
La langue anglaise, jusqu’où ?
Le Parlement européen veille à respecter les langues nationales, même si dans bien des
conversations, l’anglais l’emporte bien souvent.
Quelle ambiguïté entre le religieux et la laïcité ?
La laïcité est une valeur universelle précise Jean-Noël Jeanneney, un Etat moderne distingue
Dieu et César. Mais jusqu’où la laïcité doit-elle être imposée ailleurs ?
Le préambule de la Convention reconnaît les héritages de l’Europe.
R. Bachelot rappelle qu’avant de construire l’Europe, nous avons construit la France et que la
laïcité est un principe, un outil, une méthode de la construction du pays.
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