les diagnostics possibles sont rares, et il ne faut pas hésiter à

publicité
AUGMENTATION DES TRANSAMINASES
Florence LACAILLE
Hôpital Necker-Enfants Malades
INTRODUCTION
Les transaminases ne sont pas des protéines habituellement circulantes, et les
valeurs normales de leur concentration sérique sont bien connues depuis longtemps :
une augmentation persistante de ces valeurs ne doit jamais rester inexpliquée. La
« transaminite » bénigne n’existe pas. La cause la plus fréquente chez l'enfant est une
infection virale aiguë. Mais il faut connaître aussi la gravité possible d'une hépatite
virale ou toxique, et savoir chercher la révélation d'une maladie chronique.
Les transaminases ou amino-transférases (ASAT = aspartate aminotransférase =
SGOT, et ALAT = alanine aminotransférase = SGPT) sont des enzymes tissulaires
catalysant le transport de radicaux -aminés de l'alanine et l'acide aspartique à l'acide
-cétoglutarique. Elles sont exprimées dans le foie, mais aussi dans d'autres organes
dont le muscle, et pour les ASAT, les hématies. L’augmentation de leur concentration
sérique peut donc être due à une maladie hépatique, mais aussi à une myopathie, et
pour les ASAT, à une hémolyse. Les ALAT sont plus spécifiques d'une atteinte
hépatique. La concentration sérique normale est très basse (< 25 à 60 UI selon les
laboratoires). Elle n’est pas bien corrélée à l'importance des lésions hépatiques : elle
2
peut atteindre 2000 UI dans une hépatite virale non compliquée, et être à peine élevée
dans certaines cirrhoses. C’est l’occasion de rappeler que le foie est un organe
« traître », qui s’explore mal de l’extérieur…
QUAND DEMANDER DES TRANSAMINASES ?
Un ralentissement de la croissance, une diarrhée chronique, des douleurs
abdominales, sont rarement des signes révélateurs de maladie hépatique.
Les symptômes évocateurs d’une maladie du foie peuvent être bruyants : nausées,
éruption, fièvre, hépatomégalie, hémorragie digestive, ascite, ictère.
Mais la présentation est plus souvent indolente : hépatomégalie, splénomégalie,
signes d'hypertension portale, asthénie, prurit.
Un épisode « d’allure virale » aigü, sans caractère de gravité, n’est pas une bonne
indication, car beaucoup de virus ont un tropisme hépatique, et vont donc être la cause
d’une augmentation des transaminases. Il faudra contrôler la normalisation de la
biologie à distance, alors que l’enfant aura guéri cliniquement. Cette source
d’inquiétude et de dépenses supplémentaires n’aide en rien à la prise en charge de
l’infection aigue.
ANTECEDENTS
Il faut rechercher d’abord une prise de toxique, en particulier le paracétamol, dont il
faut comptabiliser exactement la dose reçue (combien de cuillers, de sachets, à quel
dosage). Chez l’adolescent(e), quoique ce soit plus rare en France qu’en Angleterre
étant donné le conditionnement individuel des comprimés, il peut s'agir d'une
intoxication volontaire. Quasiment tous les antibiotiques et les anti-inflammatoires non
stéroïdiens peuvent entraîner une élévation modérée des transaminases.
Il faut immédiatement suspendre la prise de tout médicament non vital, surtout
les antipyrétiques (aggravation possible de l'évolution d'une hépatite virale).
3
Il faut s’enquérir d’une infection d'allure virale dans l'entourage, de la consommation
de champignons sauvages, d’un contage possible d'hépatite A (voyage en pays à bas
niveau d’hygiène, mais aussi sur la côte Atlantique !).
Sauf en cas d’obstacle biliaire, l’enfant se plaint rarement de douleurs abdominales
importantes, mais seulement d'un vague "malaise gastrique".
La courbe de croissance (qu’il faut bien sûr reconstituer !) donne rarement des
renseignements, car un infléchissement staturo-pondéral est inconstant, et tardif dans
les maladies hépatiques chroniques, sauf en cas de cholestase chronique anictérique.
Par contre une diminution du rendement scolaire peut être précoce (maladie de
Wilson).
Des antécédents familiaux d'auto-immunité doivent être recherchés (diabète
insulino-dépendant, vitiligo, goitre, polyarthrite, sclérose en plaques ...), de même que
des symptômes musculaires (myopathie).
A L’EXAMEN
On recherche :
-
un ictère : d'abord conjonctival, visible à partir de 50-60 M de bilirubine, avant
d’être cutané ;
-
une hépatomégalie, dont la consistance doit être précisée (ferme ou dure,
orientant vers une maladie chronique), souvent sensible s'il s'agit d'une hépatite
aiguë ;
-
une splénomégalie, évoquant soit une infection virale (herpesviridae) soit une
hypertension portale, (ou, rarement dans ce contexte, certaines maladies
métaboliques) ;
-
une circulation veineuse collatérale (hypertension portale) ;
-
une érythrose palmaire et un hippocratisme digital (maladie hépatique
chronique) ;
-
des adénopathies ou une angine (infection virale).
4
Des douleurs abdominales vagues sont fréquentes en cas d'hépatite aiguë, mais il est
rare de provoquer à la palpation sous-hépatique des douleurs de type vésiculaire.
Chez un jeune enfant, il faut aussi chercher des signes en faveur d'une maladie
métabolique : visage poupin, hépatomégalie volumineuse et molle, vomissements.
Si l’enfant est ictérique, il faut aussitôt rechercher des signes de gravité :
-
inversion du rythme du sommeil (premier signe de l’encéphalopathie
hépatique) ;
-
troubles de la coagulation (hématomes faciles).
EXAMENS COMPLEMENTAIRES
1- Suspicion d’hépatite toxique
En cas de doute, il faut demander le dosage sanguin de paracétamol en urgence, et
commencer un traitement par N-acétylcystéine (sans danger), oral de préférence. Les
hépatites dues au paracétamol, aux antituberculeux (isoniazide et pyrazinamide), au
valproate (Dépakine) peuvent évoluer sur un mode fulminant : il faut contrôler en
urgence la fonction hépatique (taux de prothrombine) et demander un avis spécialisé.
2- Pas de prise de toxique
a- Virus
Le premier à rechercher est celui de l'hépatite A, par le dosage des IgM spécifiques.
Une hépatite A ictérique sur mille évolue de façon fulminante : il faut contrôler le taux
de prothrombine (TP) au pic de l'ictère (ne pas hésiter à revoir l’enfant, recontrôler
l’hémostase si l’enfant a été vu au tout début), et demander un avis spécialisé en
urgence s’il est abaissé. Une hépatite A sans ictère n'est jamais fulminante (car le virus
entraîne une nécrose hépatique). La normalisation des transaminases peut prendre
plusieurs mois après l’épisode aigu, et il n'y a pas d’intérêt à la vérifier car l'évolution
n’est jamais chronique.
5
Si les IgM anti-hépatite A sont négatives, et en fonction du contexte et de la gravité du
tableau, on peut rechercher d'autres virus (le laboratoire a obligation légale de garder
le sérum, il n'y a donc pas besoin de re-prélever l'enfant).
Une hépatite aiguë B peut être observée dans trois situations : après 45 jours de vie
chez un nourrisson contaminé par sa mère et non vacciné à la naissance (très
rarement dans l’absolu, et «jamais en France », théoriquement, étant donnés le
dépistage légal pendant la grossesse et la vaccination néonatale ; attention aux
« ratages » de plus en plus fréquents !!) ; chez un adolescent contaminé par voie
sexuelle ou sanguine (drogues intra-veineuses, acupuncture, piercing, tatouages) ;
dans une famille où vit un porteur chronique (généralement originaire d’un pays
d’endémie et non « dépisté »). Le risque d'évolution fulminante est de 1% des
hépatites ictériques, et il est là aussi indispensable de surveiller le TP.
Il est rarissime que le virus de l'hépatite C entraîne un tableau d'hépatite aiguë chez un
enfant. Par contre, en cas d’hépatite C de contamination néonatale, il est fréquent
d’observer une fluctuation des transaminases dans les premières années de vie, sans
signes cliniques. Il n'y a pas d'évolution fulminante.
Pour les deux virus B et C, il est important de surveiller l'évolution, qui se fait souvent
sur un mode chronique.
Les virus CMV et EBV, comme tous les herpesviridae, ont un tropisme hépatique,
mais l'hépatite est le plus souvent peu symptomatique, dans un contexte de
mononucléose
infectieuse:
angine,
poly-adénopathies,
hépato-splénomégalie
modérée. Si le diagnostic est confirmé par les IgM spécifiques, il n'est pas nécessaire
de contrôler la normalisation du bilan hépatique.
De nombreux autres virus ont un tropisme hépatique (adénovirus, entérovirus, etc), et
sont probablement responsables de la majorité des hépatites anictériques de l'enfant :
les transaminases ont été dosées dans un contexte viral et se normalisent en
quelques semaines. Il n'y a aucun signe clinique inquiétant, et pas d'autres
6
explorations à faire. Comme on l’a dit plus haut, le dosage des transaminases dans ce
contexte n’a que peu d’intérêt.
b- Pas de virus retrouvé
On recherche alors une maladie hépatique, ou plus rarement extra-hépatique,
chronique. On complète donc les examens par :
-
un dosage de créatine kinase (CK) : ne s’agit-il pas d’une maladie musculaire ?
-
le dosage de la bilirubine totale et conjuguée, des phosphatases alcalines (PA)
et de la gammaglutamyl-transpeptidase (GGT). La concentration sérique de
ces
deux
dernières
enzymes
est
augmentée
en
cas
d'hépatite,
proportionnellement moins que celle des transaminases : c’est généralement le
contraire en cas de cholestase aiguë ou chronique ;
-
une étude de la coagulation : signes d'insuffisance hépatocellulaire ;
-
une électrophorèse des protides, qui donne trois renseignements :
o l'albuminémie : si elle est basse, étant donnée sa longue demi-vie, il
existe une insuffisance hépatocellulaire ancienne ;
o l'existence d'un pic d'1-globulines, qui est absent dans un déficit en
1-antitrypsine : mais attention que, pour des raisons techniques, le pic
peut être visible dans d’authentiques déficits ;
o le
taux
des
gammaglobulines :
augmenté
dans
les
maladies
auto-immunes (hépatite auto-immune, cholangite sclérosante), et aussi,
mais de façon moins importante, dans beaucoup de cirrhoses ;
-
une échographie abdominale : aspect du foie, dilatation des voies biliaires,
signes d'hypertension portale ;
-
en fonction de l'orientation clinique (cf plus bas) :
o une recherche d'auto-anticorps,
o le dosage de la céruléoplasmine, de l’haptoglobine, et de la cuprurie des
24 heures,
o l’ammoniémie,
7
o le dosage des lactates et un bilan lipidique
o une radiographie du rachis de face
o une échographie cardiaque
o un examen ophtalmologique.
Tous les diagnostics possibles sont rares, et il ne faut pas hésiter à demander
un avis spécialisé rapidement.
-
Hépatite auto-immune : se révélant soit par un tableau aigu ressemblant à une
hépatite virale plus ou moins grave, soit de façon beaucoup plus indolente. Elle
touche préférentiellement des jeunes enfants des deux sexes, ou des
adolescentes, et peut s'associer à d'autres signes d'auto-immunité, chez
l’enfant ou dans sa famille. On retrouve une hypergammaglobulinémie et des
anticorps
anti-tissus
spécifiques
(anti-nucléaires,
anti-muscle
lisse,
anti-microsomes de foie et de rein= anti-réticuline ou anti-LKM).
-
Maladie de Wilson, qui se révèle chez un enfant de plus de 3-4 ans (le temps
que le cuivre s'accumule) sous forme soit aiguë, soit fulminante, soit chronique
(hépatomégalie et augmentation des transaminases). Il peut exister une
atteinte
neurologique
(baisse
du
rendement
scolaire,
micrographie),
hématologique (hémolyse, évaluée par l‘haptoglobine ou les réticulocytes),
oculaire (anneau de cuivre « de Kayser-Fleischer », visible seulement à la
lampe à fente). La céruloplasminémie est abaissée, la cuprurie des 24 heures
(à récolter dans une bouteille d’eau minérale non gazeuse…) est augmentée.
-
Maladies métaboliques : seules certaines formes modérées se révèlent
« fortuitement » par une augmentation des transaminases.
o La glycogénose chez un jeune enfant se manifeste par un visage poupin,
une croissance médiocre, une hépatomégalie volumineuse et molle, des
malaises hypoglycémiques pouvant passer inaperçus s'ils ne sont pas
8
sévères. On retrouve à jeun une hypoglycémie, une hyperlactatémie et
une hyperlipidémie.
o L'intolérance héréditaire au fructose s'accompagne de vomissements,
d'un dégoût pour les sucres, et souvent de signes modérés
d'insuffisance hépatocellulaire (troubles de la coagulation).
o Le déficit en OTC (ornithine transcarbamylase, enzyme du cycle de
l’urée), lié à l’X, donc le plus souvent chez une fille, s'accompagne aussi
de vomissements, d'une somnolence post-prandiale, de troubles de la
coagulation modérés, et d'une hyperammoniémie.
-
Déficit en 1-antitrypsine : on retrouve inconstamment une hépatomégalie, plus
ou moins ferme selon le stade de fibrose. Le diagnostic est suspecté sur
l'électrophorèse des protides, et confirmé par le dosage spécifique et le
génotypage (M étant l’allèle normal, et Z l’allèle déficitaire). L'évolution est
variable, avec un risque (peu important dans cette présentation) de
développement d'une cirrhose.
-
Lithiase de la voie biliaire principale : l’enfant se plaint le plus souvent de
douleurs, qui n’ont un caractère franc de colique hépatique que chez le grand.
Le profil biologique est plus souvent cholestatique, mais les transaminases
peuvent dépasser 500 UI. L'échographie est la clé du diagnostic.
-
Cholangite sclérosante : elle est le plus souvent d’origine auto-immune, et très
souvent associée à une maladie inflammatoire du tube digestif (colite
ulcéreuse). C'est une maladie cholestatique, et les PA et GGT sont donc
proportionnellement plus anormales que les transaminases. Quand l’origine est
dysimmune, il existe des auto-anticorps ANCA (anti-cytoplasme des
polynucléaires). Les voies biliaires peuvent être visibles ou dilatées à
l'échographie. Le diagnostic repose sur une visualisation des voies biliaires,
soit par opacification soit par IRM, et l’éventuelle démonstration d’une maladie
digestive associée.
9
-
Syndrome d’Alagille, associant un visage particulier, une cholestase chronique,
une cardiopathie (sténose pulmonaire périphérique), une vertèbre en aile de
papillon, un embryotoxon postérieur (visible à la lampe à fente), tous ces
éléments ou seulement certains d’entre eux. Le prurit et la cholestase sont le
plus souvent au premier plan, les transaminases étant proportionnellement
moins élevées que les GGT.
-
Cholestase fibrogène familiale (maladie de Byler, ou progressive familial
intrahepatic cholestasis = PFIC). Là aussi le prurit et la cholestase chronique
sont plus souvent au premier plan. Par contre les GGT sont souvent normales.
-
Stéatose hépatique : c’est un diagnostic d'élimination, chez un enfant obèse,
dont le foie est cliniquement un peu gros, et hyperéchogène à l’échographie.
Bien entendu, ce problème est de plus en plus fréquent avec l’épidémie
d’obésité infantile, mais il reste indispensable d’avoir éliminé les autres
maladies nécessitant un traitement spécifique. L’évolution est sans doute
sévère et fibrosante chez certains enfants.
-
Maladies non hépatiques : pièges classiques et pas si rares :
o Myopathie : le taux des transaminases peut aller jusqu'à plusieurs
centaines d'unités, autant des ALAT que des ASAT. On retrouve souvent
à l'interrogatoire une fatigabilité, à l'examen des signes évocateurs. Les
CK sont très élevées.
o Maladie coeliaque: le diagnostic peut être suspecté sur la courbe de
croissance, l'interrogatoire, et l’existence d’un ballonnement abdominal.
La cause d’une « transaminite » doit toujours être recherchée. En suivant cette
démarche, il est rare que l'on doive aller jusqu’à la biopsie hépatique pour parvenir au
diagnostic.
Tableau I
10
Augmentation des transaminases

Toxique ? Contage ?

Dosage des IgM anti-VHA


(+)
(-)
hépatite A
autre virus ?

dosage du TP
(VHB, VHC, CMV, EBV)


(+)
(-)

dosage du TP
hépatite auto-immune
Wilson
déficit en 1-AT
maladie métabolique
cholestase chronique
lithiase
maladie coeliaque
obésité
myopathie
Abréviations : TP : taux de prothrombine ; VHB : virus de l'hépatite B ; VHC : virus de
l'hépatite C ; CMV : cytomégalovirus ; EBV : Epstein-Barr Virus ; 1-AT :
1-antitrypsine
Téléchargement