Texte : Apocalypse 21/1-8
Genre : Etude biblique
Auteur : Pierre PRIGENT
Source : Le Christianisme au XX° siècle, n° 46, 03.12.1979 (p. 3-4).
LE MONDE NOUVEAU
TEXTE
1 Et je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle. Car le premier ciel et la première terre ont passé et
la mer n'est plus.
2 Et la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d'auprès de Dieu, prête
comme une épouse qui s'est parée pour son mari.
3 Et j'entendis une voix forte, venant du trône, qui disait : Voici la demeure de Dieu avec les
hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples, et lui, le Dieu avec eux, sera leur Dieu.
4 Il essuiera toute larme de leurs yeux. La mort ne sera plus et il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni
peine, car les premières choses ont passé.
5 Et celui qui siège sur le trône dit : Voici, je fais toutes choses nouvelles.
Et il dit : Ecris ! Ces paroles sont certaines et véritables.
6 Et il me dit : C'en est fait ! Je suis l'Alpha et l'Oméga, le commencement et la fin.
Moi, à celui qui a soif, je donnerai de la source d'eau vive, gratuitement.
7 Le vainqueur héritera de ces choses, je serai son Dieu et il sera mon fils.
8 Quant aux lâches, aux infidèles, aux dépravés, aux meurtriers, aux impudiques, aux magiciens,
aux idolâtres et à tous les menteurs, leur part se trouve dans l'étang embrasé de feu et de soufre :
c'est la seconde mort.
COMMENTAIRE
Le renouvellement du monde
Le thème est tout à fait classique dans le judaïsme de l'époque. Tous les parallèles font
ressortir l'étonnante sobriété de notre texte qui se borne à énoncer l'affirmation. Notre auteur n’a
que faire de descriptions. Il veut signifier. C'est pourquoi, dès Apocalypse 20/11, il a affirmé la
disparition des éléments du monde sans se soucier de l'apparente incohérence qu'il y a à les
supposer à nouveau présents un peu plus loin (20/13). Il veut signifier que Dieu intervient pour
bouleverser le monde : il crée des hommes nouveaux pour qui il faut un cadre nouveau. La vie
nouvelle, la vie éternelle dont les chrétiens sont dès à présent les témoins, est prophétie d'un monde
renouvelé.
On précise seulement que la mer, qui est l'élément le plus redoutable et le plus obscur de la
création (n'a-t-elle pas partie liée avec l'abîme primordial en qui tout l'Orient a reconnu le grand
ennemi du Dieu créateur ?) ne sera plus.
La nouvelle Jérusalem
Le thème apparaît furtivement dans le modèle prophétique de notre texte (Esaïe 65/17).
Ce n'est pas la glorification d'une réalité humaine : la ville descend d'auprès de Dieu. Mais
cette nouvelle création est pourtant un accomplissement : le plan de Dieu s'accomplit fidèlement et
c'est pourquoi la ville porte le nom de Jérusalem.
On peut y trouver l'image de l'Eglise, mais la question véritable est de déterminer de quelle
Eglise il s'agit. Il est hors de doute qu'on ne peut y voir l'Eglise actuelle. Mais il faut se garder
d'oublier que, dans l'Apocalypse, les derniers temps sont là, l'éternité de Dieu est présente dans le
temps des hommes. Le vainqueur est déjà un citoyen de la ville sainte de Dieu, la Jérusalem céleste
(Apocalypse 3/12) qui doit devenir la réalité ultime de l'univers.
Cette ville céleste n'est donc pas l'Eglise contemporaine, mais elle en révèle la nature
véritable encore bien masquée aujourd'hui.
C'est la cité Dieu est présent au milieu des hommes dont il fait des créatures nouvelles.
Ceci peut se dire au présent de la foi comme au futur de l'espérance, parce que l'affirmation dépasse
infiniment et l'expérience qu'on en peut faire et l’attente qu'elle suscite. L'Eglise est ici-bas appelée
à être le signe de cette réalité nouvelle, sans se prendre pour le Royaume, mais aussi sans
s'accommoder de ses imperfections. Elle signifie dès maintenant le monde de Dieu, celui que la
langue des hommes ne sait désigner que comme futur ou céleste.
L'épouse
De l'image de la ville on passe à celle de la femme, suivant en cela une ancienne tradition
prophétique (cf. Ezéchiel 16/11-13). Le contraste avec la prostituée du chapitre 17 devient évident.
Quel est le texte ?
Au verset 3, la matérialité du texte pose deux petits problèmes.
La voix céleste fait écho à Lévitique 26/11-12. Comme ce passage annonce que les fidèles
seront le peuple de Dieu, la tendance naturelle des copistes a être de reproduire le singulier. Le
pluriel (ses peuples), attesté par plusieurs manuscrits, a donc toutes chances d'être le texte primitif
qui insistait sur l'universalisme du dessein de Dieu. Les mots suivants posent une question moins
facile : on attendrait quelque chose comme « et lui sera leur Dieu ». Or, cette forme n'apparaît
jamais dans les manuscrits. Ils hésitent entre « et lui sera le Dieu avec eux » et « et lui, le Dieu avec
eux, sera leur Dieu ». On ne peut retrouver à coup sûr le texte original. Tout au plus peut-on
supposer avec une relative certitude qu'il comportait la formule : Dieu avec eux, par laquelle notre
auteur indiquait que la nouvelle relation annoncée entre Dieu et les hommes accomplirait la
prophétie d'Esaïe 7/14 : le fils promis s'appellera Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous.
La demeure de Dieu
Littéralement : sa tente. Le mot a perdu tout lien avec l'image première et note seulement
l'idée de résidence, de demeure.
On peut noter que le judaïsme, soucieux de sauvegarder l'absolue transcendance de Dieu,
parle volontiers de la Demeure (Shekina), nous dirions : Dieu. Or, entre le mot Shekina et le
grec skènè (la tente), on constate une remarquable parenté phonétique. Si notre auteur a
consciemment joué sur cette allitération (et l'auteur du quatrième évangile l'a fait en Jean 1/14 : la
parole de Dieu a demeuré parmi nous ; Jésus fut la Shekina, c'est-à-dire Dieu présent), la phrase
souligne avec une insistance renouvelée la présence immédiate de Dieu lui-même au milieu des
hommes.
Plus de larmes, de mort, ni de peines
Le thème est repris des prophéties de l'Ancien Testament (Esaïe 25/8, 35/10, 65/16-19). Il est
intéressant de noter que les effets de la présence divine sur la vie des hommes sont présentés
négativement : il ne s'agit pas d'une amélioration de ce que l'on connaît ici-bas, mais d'une création
nouvelle. Cette réalité nouvelle n'est connue que par révélation et seule la foi en peut mesurer la
vérité éternelle.
Les choses anciennes s'en sont allées
On comparera 2 Corinthiens 5/17. Ce que Paul affirme de l'individu est ici dit du monde. La
nouvelle création, dont l'homme est présentement le seul témoin, englobe l'univers entier.
L'annonce des choses nouvelles s'inspire manifestement d'Esaïe 43/19. On notera que, dans ce texte
aussi, la novation annoncée est déjà commencée puisqu'on peut la voir : « Je vais faire du neuf qui
déjà bourgeonne ; ne le reconnaîtrez-vous pas ? ».
Ecris !
L'ordre d'écrire a été donné antérieurement par le Christ, des voix célestes anonymes ou celles
des anges (1/11 & 19, 14/13, 19/9).
Nous approchons de la conclusion et c'est Dieu lui-même qui intervient maintenant pour
mandater le voyant en authentifiant les révélations qu'il a reçues. On peut remarquer que les deux
adjectifs emplos pour définir les paroles de Dieu dans l'Apocalypse ont déjà servi à caractériser
la parole de Dieu qu'est le Christ (3/14, 19/11).
C'est fait !
La création nouvelle est présentée comme réalisée. De fait, l’existence d'hommes qui, dès à
présent, sont des êtres nouveaux, des citoyens de la Jérusalem céleste et des habitants du paradis,
est le témoignage de cette réalité nouvelle. Que seule la foi reçoive pour l'instant ce témoignage
n'en invalide nullement le contenu.
Alpha et Oméga, titre qui s'applique aussi bien à Dieu (Apocalypse 1/8) qu'au Christ (22/13) :
leur unité est sans faille ; c'est toujours le Dieu à la fois cause, origine et but de toutes choses.
A celui qui a soif...
L'eau rare et précieuse en ces pays de soleil a toujours été l’image du don parfait de Dieu (cf.
Esaïe 55/1).
Celui qui a soif n'est pas différent du vainqueur dont le verset 7 va bientôt parler. Comme les
finales des Lettres aux Eglises, notre texte s'adresse donc à des chrétiens qui, témoins du Christ
mort et ressuscité, peuvent être appelés à une fidélité qui coûte. Ce que développera le verset 8.
L'héritage
Ecartons l'acception moderne du mot : elle entraînerait ici un grave contresens. L'Ancien
Testament parle souvent d'héritage en insistant exclusivement sur le caractère immérité du don. Le
type parfait de l'héritage, c'est la terre promise. Chez les premiers chrétiens, l’image renvoie au
salut, à la vie éternelle, au Royaume... Paul précise bien, comme notre texte ne va pas tarder à le
faire, que seuls ceux qui sont des créatures nouvelles peuvent hériter du Royaume (1 Corinthiens
15/50).
Fils de Dieu
Dans l'Ancien Testament, c'est le peuple élu qui est dit fils d'un Dieu qui est son père. Seul
parmi les individus, le roi peut parfois s'entendre promettre par Dieu d'avoir avec lui les relations
d'un fils avec son père (2 Samuel 7/14). A basse époque, l'affirmation se personnalise : Seigneur,
père et maître de ma vie ! prie le Siracide (23/1). De même dans les écrits rabbiniques. Le
christianisme s'inscrit dans cette évolution. Mais notre texte a cette particularité d'insister sur la
relation Dieu-fils (et non père-fils), rejoignant ainsi l'évangile de Jean dans lequel Dieu n'est appelé
père que comme père de Jésus : pour les hommes, ce n'est pas une paternité naturelle.
On n'achoppera pas sur le futur employé dans ce verset 7. Il marque l'ouverture promise à
cette bénédiction dont la réalité présente est certaine. On comparera Romains 8/15-17 (l'Esprit
atteste que nous sommes enfants de Dieu) et Romains 8/23 (pourtant nous attendons l'adoption !).
Ainsi l'épouse dans l'Apocalypse : les noces sont arrivées, la présence de Dieu et de l'agneau est
assurée dans la ville sainte, et pourtant elle prie : Viens, Seigneur Jésus ! (Apocalypse 22/17 & 20).
Une liste menaçante
Le lâche, c'est celui qui refuse de choisir son camp quoiqu'il en coûte (cf. 2 Timothée 1/7),
c'est le tiède d'Apocalypse 3/15-16.
La traduction « dépravé » a le tort de trop insister sur le côté moral.
Dans l'Ancien Testament, comme ici sans doute, la dépravation suprême, c'est l'idole et le
culte qu'on lui rend.
De même, l'impudicité ou prostitution renvoie-t-elle régulièrement à l'idolâtrie dans
l'Apocalypse, et la magie peut désigner l’étonnante et coupable séduction exercée par le monde
idolâtre. Les menteurs sont d'abord les ennemis de la Vérité (cf. Jean 8/44s). C’est dire que, dans la
plupart des cas, cette liste condamne des attitudes contre lesquelles l'Apocalypse ne cesse de mettre
les chrétiens en garde.
Le monde nouveau éclot déjà : la vie des chrétiens doit nécessairement montrer les signes
évidents de cette régénération. C'est dans leur vie présente que s'amorce le jugement par lequel
Dieu refuse et condamne ce que la communion au Christ exclut nécessairement. Voilà pourquoi les
exigences présentes de l'obéissance chrétienne peuvent être comprises comme préfiguration du
jugement dernier qui prononce la mort définitive de ce qui ne vit pas en Christ. Cette dimension
dramatique a sa place dans l'évangile : le Royaume n'est pas simple oubli du mal. Celui-ci est bien
réel et virulent, loin d'être une simple absence de bien. Il faut donc qu'il y ait combat, sanction,
jugement. Sinon l'évangile ne serait plus qu'une utopie optimiste, l'invention suave d'un monde
irréel figé dans le sourire sempiternel et l'obéissance programmée de robots irresponsables.
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