La connaissance matérialiste, ou, si vous voulez la jouissance des êtres et des choses,
manque, au départ de la perspicacité spirituelle qui permet d'évaluer les moindres petits
évènements avec la plénitude de leur qualité, de vérité et de bonté, qui fait qu'ils sont
d'avance consacrés pour nous améliorer, pour nous élever, pour être un exemple, pour être
prédicateur de la vie.
Nous avons complètement dételé du sens mystérieux et immédiat de la réalité des choses;
c'est pourquoi nous sommes toujours dans l'insatisfaction. Je suis frappé de voir que nous
avons des plénitudes matérielles en abondance, nous avons des facilités matérielles comme
jamais nos ancêtres n'en ont eues; eux, ils chantaient, nous nous grognons... C'est un de
mes souvenirs d'enfance, en 1910, un matin de printemps, un Samedi Saint, au milieu des
pommiers fleuris de la Manche, j'entendais sonner tous les clochers des environs qui
tintaient des gloria à toute volée, eh bien ! j'entends encore les ouvriers qui partaient
travailler et qui chantaient avec les clochers... Nous ne savons plus chanter... Nous ne
savons plus voir le réel comme Dieu le regarde. Pourquoi ? Mais parce que notre esprit en
est arrivé à une espèce d'asservissement aux autoritarismes, aux mots d'ordre, aux
respectabilités. Il y a surtout dans la mentalité moderne, un esprit critique développé;
développé d'ailleurs par la presse, par la télévision, développé aussi par les rivalités et par
les passions. Il faut pourtant faire une distinction : il y a deux sortes de critiques; il y a la
critique qui est le besoin d'apaiser, c'est la critique qui supporte difficilement que le voisin
pense différemment de vous; c'est la critique peccamineuse, c'est l'orgueil. Mais il y a une
critique qui émane d'une souffrance, d'un gémissement intérieur de ne pas se rencontrer
avec le mieux qu'on espérait, avec le charme qu'on attendait, avec la bonté sur laquelle on
comptait; il y a la critique du gémissement qui rejoint la plainte de Jésus : «Serai-Je donc
encore longtemps avec vous ?» Comme si Jésus avait dit : c'est tellement pesant de ne pas
pouvoir se faire comprendre... Cette critique-là n'est pas peccamineuse, elle est
l'expression d'un amour qui cherche au-dehors un écho qu'il ne trouve pas, amour qui ne
trouve au-dehors que la prodigieuse ignorance des spiritualités modernes, la prodigieuse
ignorance du clinquant : «cymbalum sonans», dit Saint Paul; les spiritualités "boum-
boum"... On est vu, on est apprécié, on est salué officiellement, ça fait bien ! La comédie
humaine, elle est immense, et elle est partout. Mais ce ne sont pas ces spiritualités-là qui
vont nous tirer d'affaire, ce sont des ignorants qui en sont arrivés à ne pas du tout
comprendre le problème du catholicisme et qui sont arrivés à accepter d'être des "copies-
conformes"... Ce que nous sommes avilis, ce que nous sommes prisonniers avec des airs
de liberté, ce que nous sommes complètement limés, ratissés, avec des mots
d'indépendance, ce que nous sommes devenus ce que Saint Thomas appelle, comme étant
le mot le plus méprisant : la "massa peccati"... la masse de péché dont Saint Augustin parle
aussi ... La société est noble quand elle est un peuple, elle est avilie quand elle est une
masse. Aucun catholique n'a plus cette qualité d'être libre de tout ce qui n'est ni vérité ni
bonté. Alors vous comprenez pourquoi vous n'avez pas envie de réagir, vous saisissez
pourquoi vous confiez toujours au voisin le soin d'aller protester... Vous n'osez pas...
Copie conforme !
Découvrir la qualité secrète des choses et savoir bénir !... L'art de bénir, mais de bénir ce
qui contrarie, comme on bénit la pluie, comme on bénit les frimas, qui contrarient le repos