distinguent pas entre les modifications des substances et les substances elles-mêmes, et ne
savent pas comment s'opère la production des êtres. Et c'est pourquoi, voyant que les
choses de la nature commencent d'exister ils s'imaginent qu'il en est de même pour les
substances. Quand on ignore en effet les véritables causes des Etres, on confond tout ; on
fait parler indifféremment des arbres et des hommes, sans la moindre difficulté ; que ce
soient des pierres ou de la semence qui servent à engendrer des hommes, peu importe, et
l'on s'imagine qu'une forme quelle qu'elle soit se peut changer en une autre forme
quelconque. C'est encore ainsi que, confondant ensemble la nature divine et la nature
humaine, on attribue à Dieu les passions de l'humanité, surtout quand on ne sait pas
encore comment se forment dans l'âme les passions.
Si les hommes étaient attentifs à la nature de la substance, ils ne douteraient en aucune
façon de la vérité de la Propos. 7 ; bien plus, elle serait pour tous un axiome, et on la
compterait parmi les notions communes de la raison. Par substance, en effet, on entendrait
ce qui est en soi et est conçu par soi, c'est-à-dire ce dont l'idée n'a besoin de l'idée
d'aucune autre chose ; par modification, au contraire, ce qui est dans une autre chose, et
dont le concept se forme par le concept de cette chose. Et de là vient que nous pouvons
nous former des idées vraies de certaines modifications qui n'existent pas ; car, bien
qu'elles n'aient pas d'existence actuelle hors de l'entendement, leur essence est contenue
dans une autre nature de telle façon qu'on les peut concevoir par elle. Au lieu que la
substance, étant conçue par soi, n'a, hors de l'entendement, de vérité qu'en soi.
Si donc quelqu'un venait nous dire qu'il a une idée claire et distincte, et partant une idée
vraie d'une certaine substance, et toutefois qu'il doute de l'existence de cette substance, ce
serait en vérité (un peu d'attention rendra ceci évident) comme s'il disait qu'il a une idée
vraie, et toutefois qu'il ne sait si elle est vraie. Ou bien, si l'on soutient qu'une substance
est créée, on soutient par la même raison qu'une idée fausse est devenue une idée vraie, ce
qui est le comble de l'absurdité. Et par conséquent il faut nécessairement avouer que
l'existence d'une substance est, comme son essence, une vérité éternelle.
Nous pouvons tirer de là une preuve nouvelle de l'impossibilité de deux substances de
même nature, et c'est un point qu'il est bon d'établir ici ; mais, pour le faire avec ordre, il y
a quatre remarques à faire : 1° La vraie définition d'une chose quelconque n'enveloppe ni
n'exprime rien de plus que la nature de la chose définie. 2° Il suit de là qu'aucune
définition n'enveloppe ni n'exprime un nombre déterminé d'individus, puisqu'elle
n'exprime rien de plus que la nature de la chose définie. Par exemple, la définition du
triangle n'exprime rien de plus que la simple nature du triangle ; elle n'exprime pas un
certain nombre déterminé de triangles. 3° L'existence d'un objet quelconque étant donnée,
il y a toujours une certaine cause déterminée par laquelle cet objet existe. 4° Ou bien cette
cause, par laquelle un certain objet existe, doit être contenue dans la nature même et la
définition de l'objet existant (parce qu'alors l'existence appartient à sa nature) ; ou bien
elle doit être donnée hors de cet objet. Cela posé, il s'ensuit que, s'il existe dans la nature
des choses un certain nombre d'individus, il faut que l'on puisse assigner une cause de
l'existence de ces individus en tel nombre, ni plus ni moins. Par exemple, s'il existe Vingt
hommes dans la nature des choses (nous supposerons, pour plus de clarté, qu'ils existent
simultanément et non les uns avant les autres), il ne suffira pas, pour rendre raison de
l'existence de ces vingt hommes, de montrer en général la cause de la nature humaine ;