Analyse de Rê et Isis

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Analyse de Rê et Isis
Analyse de la structure du récit
8
RÊ COMMUNIQUE SON
NOM À ISIS DANS UNE
SORTE DE CORPS A CORPS
1
RÊ QUI VINT A
L’EXISTENCE DE LUIMÊME, QUI A TOUT CREE
ET QUI CONNAÎT TOUT
2
ISIS, UNE FEMME PLEINE
DE DISCERNEMENT,
SOUHAITE EN SON CŒUR
CONNAÎTRE LE NOM DE
RÊ
7
RÊ SE PRÉSENTE COMME
LE CRÉATEUR DE TOUT
CE QUI EXISTE MAIS IL
OMET DE DONNER SON
NOM
9
RÊ VIT ET LE POISON EST
MORT
3
ISIS FACONNE UN
SERPENT AVEC DE LA
SALIVE DE RÊ ET DE LA
TERRE ; ELLE LE PLACE A
LA CROISÉE DES CHEMINS
OU RÊ A L’HABITUDE DE
PASSER
6
ISIS VIENT AVEC SON
POUVOIR ET SES
INCANTATIONS
MAGIQUES, MAIS
DEMANDE A RÊ DE LUI
RÉVÉLER SON NOM POUR
POUVOIR LE GUÉRIR
5
RÊ QUI APPELLE LES
DIEUX CREES PAR LUI
POUR LE GUÉRIR : IL NE
CONNAÎT PAS LA CHOSE
QUI L’A MORDU
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LE SERPENT MORD RÊ
MAIS RÊ TRÈS ÉPROUVÉ
NE SAIT PAS CE QUI SE
PASSE
Analyse des images
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LE NOM REVELE
- Dans un corps à corps
- Dans le creux de
l’oreille
- Nom qui doit être révélé
à Horus sous le serment
du secret
1
RÊ, UN DIEU TOUTPUISSANT
- Il est venu à l’existence
de lui-même
- Il a tout créé
- Il connaît tout
2
ISIS, UNE FEMME PLEINE
DE DISCERNEMENT, QUI
VEUT ACCROÎTRE SON
POUVOIR
- C’est pourquoi elle
souhaite connaître le
nom de Rê
7
LE SECRET GARDE SUR LE
NOM
- Rê se présente comme
créateur
- Mais il ne dit rien sur
son nom
- Le poison ne peut être
arrêté dans sa course
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LA GUÉRISON DE RÊ
- Le poison sort de Rê
- Le poison meurt et Rê
vit
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UN SERPENT IMMOBILE
FAÇONNÉ COMME UN
TRAIT AVEC DE LA TERRE
ET LA SALIVE DE RÊ
- Il est placé à la croisée
des chemins où passe
Rê
- Il reste immobile
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ISIS QUI DEMANDE À RÊ
DE LUI RÉVÉLER SON
NOM
- Elle pourra ainsi le
guérir
5
UNE FAILLE DANS LE
POUVOIR ET LA
CONNAISSANCE DE RÊ
- Un être qu’il n’a pas
créé (le serpent)
- Il ne connaît pas son
nom
- Il n’a pas pouvoir sur
lui
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LA MORSURE DU SERPENT
- Le serpent sacré mord
le Dieu
- Le feu de la vie sort de
lui
- Le serpent se cache
- La question
2
Analyse du sens
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RË SORT DE LA TOUTEPUISSANCE ET ENTRE
DANS UNE RELATION
D’AMOUR PARTICULIÈRE
EN Y INTRODUISANT LA
PAROLE ET LE SECRET
(SACRE)
1
RÊ, UN DIEU TOUTPUISSANT QUI A LA
CONNAISSANCE
2
LE DÉSIR D’ISIS DE
CONNAÎTRE LE NOM DE
RÊ EST UN DÉSIR
D’AMOUR : CETTE
CONNAISSANCE DOIT
DONNER LA
PARTICIPATION AU
POUVOIR DE RÊ
7
ISIS HESITE A
TRANSMETTRE SON NOM
POUR RÉPONDRE AU
MANQUE D’ISIS
9
EN INTRODUISANT LA
PAROLE ET LE SECRET
(SACRE) DANS
L’AMOUR, RÊ PEUT
ÊTRE APPELÉ PAR SON
NOM TRANSFORMÉ
DANS LE RESPECT DE
SON ALTÉRITÉ
- Il sort du poison du
désir et de la souffrance
- Il intègre la mort en la
dépassant
3
ISIS FACONNE UN
SERPENT QUI A LA
FORME D’UNE ÉCRITURE :
CETTE ÉCRITURE EST
FAITE POUR INSCRIRE LE
MANQUE LA OU A LIEU LA
RENCONTRE
6
POUR ÉLIMINER LE
POISON CREE PAR LE
DÉSIR, RÊ DOIT
ACCEPTER DE DONNER
SON NOM, C’EST-À-DIRE
ENTRER DANS UNE
RELATION D’AMOUR
- Isis pourra l’appeler par son
nom et le faire revivre
5
UNE FAILLE CREEE DANS
LA CONNAISSANCE DE RÊ,
QUI EMPÊCHE
L’ÉLIMINATION DU
POISON DU DÉSIR ET QUI
CREE LA SOUFFRANCE
4
L’INSCRIPTION
D’UN
MANQUE CHEZ RÊ
- L’inscription
d’un
manque par la morsure
- Ce manque suscite le
désir, qui introduit la
mort (poison) dans la
vie et pose question
3
L’invention d’un amour qui ne détruit pas
1. Rê est isolé dans sa toute-puissance
2. Il est incapable de partager la connaissance que lui confère son Nom
3. Isis est éprise d’amour pour Rê
4. Elle désire partager la connaissance que lui confère son Nom
5. Elle imagine de créer un manque de connaissance chez lui, là où la rencontre est
possible
6. Créer un manque de connaissance, c’est d’une certaine façon introduire la mort chez
l’autre
7. Pour cela, on peut dire qu’elle invente l’écriture en façonnant un serpent intérieur
8. Ce serpent intérieur ou l’écriture introduit le manque chez l’autre
9. La parole aura pour rôle de dire l’écriture c’est-à-dire le manque : son propre manque
et le manque de l’autre
10. Au-delà de l’écriture, la parole engage dans une relation, c’est-à-dire un échange de
manque
11. En mordant Rê, le serpent inscrit en lui le manque d’Isis
12. Ce manque suscite le désir
13. En même temps, il introduit dans le désir un poison, qui renvoie à la mort et suscite la
confusion et la souffrance
14. Tout le problème est de sortir d’un tel danger
15. Pour éliminer la confusion et la souffrance, il convient que chacun entre dans la parole
en donnant son nom
16. L’individu pourra revivre en étant appelé par son nom
17. Ce qui constitue le poison, c’est que le manque de l’autre s’enferme sur lui-même ;
c’est donc aussi que l’écriture s’enferme sur elle-même
18. Pour sortir d’elle-même, l’écriture doit se transformer en parole : autrement dit la
parole doit dire ce qui manque à l’autre
19. Cela revient à entrer dans un don réciproque de soi, mais dans une relation d’amour
particulière, qui implique non seulement la parole mais aussi le secret : il faut dire son
nom et, en même temps, révéler ce que ce nom a d’indicible et de sacré
4
20. La parole qui dit le nom permet d’appeler l’autre par son nom et donc de le recréer
dans son individualité intime et secrète
21. En provoquant la distance, la parole restitue au manque sa place, qui est de faire vivre
le désir pour susciter l’amour
22. Dans l’un et l’autre cas, la parole qui appelle au respect du mystère de l’autre et à la
reconnaissance de son altérité irréductible, contribue à détruire le poison inscrit dans le
désir avec le risque de confusion et de perte de repères ; en même temps, elle permet de
sortir de la souffrance
23. Ainsi en introduisant la parole et le secret (sacré) dans l’amour, on construit un
amour qui ne détruit pas
24. Cet amour permet d’intégrer la mort en la dépassant
25. Rê, à ce niveau, est définitivement sorti de la toute-puissance
26. Son nom et donc son identité ont été transformés
27. Isis l’a recréé en inscrivant le manque dans son nom
28. Il a atteint ainsi la perfection divine qui lui manquait
5
Café du 17 février 2007 sur Rê et Isis
Notes prises par Charles Lallemand
Le mythe porte sur Rê, l'Être par excellence, le dieu qui non seulement a crée le ciel et la terre
mais qui est à l'origine de sa propre existence. Ce mythe porte tout autant sur Isis et ce qui va
se passer entre eux deux.
Rê, c'est "Atoum" qui, en arabe, signifie le feu, le foyer sur lequel on chauffe et cuit les
aliments.
"Parole du dieu", en arabe Dieu est la Parole. Ici ce qui va être dit, ce sont des paroles divines,
non pas au sens religieux mais au sens du mythe qui lui est antérieur, des paroles fondatrices.
Le mythe exprime des fondamentaux, ce qu'on n'a pas compris jusqu'au XXième siècle parce
qu'on mettait les faits bout à bout et qu'on allait y chercher des éléments historiques,
sociologiques.
Ces paroles s'adressent à des gens qui y croient. Ce sont comme des prières, des incantations
dont la synthèse est donnée par le personnage principal présenté là, Rê. La personne qui dit le
mythe : ne me demandez pas d'explication, c'est comme ça. Au delà de la croyance et de la
non croyance. Interrogation par rapport à un fait brut. Vision poétique qui n'est pas une
explication scientifique comme le dieu horloger de Voltaire ou celui des disputes entre
créationnistes et évolutionnistes. Jusqu'à Akhenaton qui vers 1350 introduit le monothéisme
avec le culte unique d'Aton, dieu solaire figuré par un disque d'or lumineux, nous sommes
dans le pur symbolisme: les égyptiens "adorent" le soleil au sens étymologique de ad-orare
"s'adresser à, se tourner vers"; ce n'est pas le soleil qu'ils adorent mais Rê représenté dans le
soleil. Ce dieu est venu à l'existence de lui-même, il est sa propre cause, causa sui, la
définition même de la liberté dont nous, les humains, nous ne sommes pourvus qu'en partie;
car contrairement à ce que laisse entendre la paranoïa de l'individualisme actuel, "nul n'est à
l'origine de soi"; les lois, les limites, les institutions, c'est avec elles que nous construisons
notre autonomie, nous les recevons avant de nous les approprier, nul ne peut se croire "autoréférentiel" (Olivier Rey Le fantasme de l'homme auto-construit). Quant au dieu, il a aussi ses
limites mais au delà de ce que le temps et l'espace nous aident à concevoir; ce sera le
paradoxe de Zénon : quand Achille a fait un pas pour rejoindre la tortue, celle-ci en a fait un
aussi, certes de plus en plus petit mais qui n'arrivera jamais à la limite, pas plus qu'Achille
n'arrivera à la rejoindre, il ne peut que la dépasser, il ne la rejoint que dans l'infinitude. C'est
ainsi que se définit un nombre, quel qu'il soit, s'il est réel: un nombre a une limite, et c'est
dans cette mesure qu'il est infini.
La venue à l'existence de ce dieu Rê-Atoum, c'est un passage de la puissance à l'acte par le
désir. À la différence du Nouou qui est indifférencié, un être des possibles qui n'a pas de
corps, Atoum a un corps et ...la parole.
D'abord il n'est pas nommé: "Paroles du dieu"; nous apprenons ensuite qu'il possède beaucoup
de noms. Dans le Coran de même, Dieu possède 99 noms, attributs, "les Noms les plus beaux
lui appartiennent"(sourate LIX,24) dont le Nom: "Il est Dieu! Il n'y a de Dieu que lui. Lâ ilâha
ilâ Allah", Nom qui demeure secret, "Il ne montre à personne le secret de son
mystère"(sourate LXXII,26) sauf à ceux qui y croient ; pourquoi? Parce que "connaître le
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nom" ce peut être la transmission d'un pouvoir, un"dynamisme"δύναμις et la nomination une
domination ; ainsi Adam continue la création : il est nommé, et il impose leur nom aux
animaux "Dieu les amena à l'homme pour voir comment celui-ci les appellerait: chacun devait
porter le nom que l'homme lui aurait donné."(Gn2,19-20)
Ici Rê est nommé quand apparaît Isis, à l'égal de Rê quant à la connaissance du ciel et de la
terre mais sans pour autant connaître son nom, elle n'est donc pas au sommet de l'Ennéade,
elle n'a pas le pouvoir. Or il apparaît que son désir à elle de connaître le Nom n'est pas un
désir de domination, "le Calife à la place du Calife", mais une démarche d'amour, "elle
souhaitait en son coeur..." qui lui fait percevoir que Rê bien que le créateur, n'est pas tout
puissant ; d'un grand âge, il est à la croisée des chemins, vulnérable à la mort. La recherche du
Nom n'apparaît donc pas ici comme une recherche d'identité, une recherche de l'Être mais un
désir de relation ; Iris est amoureuse de Rê ; c'est le sens dans la Bible de (Joël 3,5)
"Quiconque invoquera le Nom YHWH sera sauvé", un désir d'amour.
Pour elle, le nom ce peut être aussi, comme l'écrit Pierre Legendre "une manière de se
débarrasser du regard, nous ne sommes plus sous la fascination. La ligne, en généalogie, se
traduit par un nom et cela déjà la situe dans la perspective de l'institution de l'image et de
l'imaginaire, du côté de tout ce qui en principe est là pour endiguer le trop de narcissisme"
(L'inestimable objet de la transmission p.58). C'est ainsi qu'Iris entre dans la généalogie de
Rê-Atoum, dans la grande Ennéade. Aujourd'hui des associations comme "Nés sous X"
revendiquent le droit de connaître le nom de leur géniteur alors que la loi jusqu'à présent
maintient l'anonymat, peut-être pour éviter des différends entre le mari de l'épouse et le
géniteur sur la présomption de paternité. Mais comme le faisait remarquer un membre de cette
association, ce qui est grave ce n'est pas que l'un ou l'autre ne puisse pas contester, c'est que
cela se passe dans le secret et finalement dans le non-dit. Que chacun souhaite connaître son
géniteur, quoi de plus normal, mais cette question du géniteur reste secondaire ; la loi biotique
de 1994 se fonde sur le dogme "un père, une mère, pas un de plus, pas un de moins" mais ce
n'est pas l'essentiel ; comme l'observe encore Pierre Legendre p.134 , "le concept de
génération doit être distingué de la notion de création réservée à Dieu...L'engendrement
humain, l'institution de la multiplication, se place en seconde ligne : la reproduction sexuelle
est une procréation, non pas une création : Deus creat, non parentes, mot-à-mot Dieu crée, non
les parents. En terme de structure, cela veut dire que l'espèce prime les géniteurs: ceux-ci sont
délégués, la reproduction est au compte de l'espèce." Cela signifie aussi que la paternité ce
n'est pas un état mais une fonction et en ce sens une représentation, l'institution de l'image du
père "sur le registre non pas de la réciprocité contractuelle entre le père et le fils mais sur celui
de la permutation symbolique du fait de la dissymétrie entre deux places (qui mobilisent par
ailleurs trois personnes, père de mon fils et fils de mon père)...qui met tous les pères au même
rang de fiction. Négliger ce mécanisme, cette machine sociale à fabriquer de la paternité, c'est
réduire la problématique père-fils à une problématique purement familiale, et la paternité à la
propriété des familles, voire des pères qui seraient alors eux-mêmes des souverains" (p.304).
La filiation n'est pas un monopole familial, elle assujettit la famille à l'espèce et situe l'enjeu
incestueux au niveau du gouvernement de l'espèce (p.106). Car la filiation n'est pas un fait
brut, elle ne se situe pas au niveau de la vérité biologique mais de la vérité juridique,
théologique ou politique, elle est une construction de discours, un phénomène de pensée.
"Qu'est-ce qui peut fonder, dans l'absolu ? Ce ne sont pas des parents, qui fondent une famille,
rien de plus. Qui peut se dire père, dans l'absolu ? Aucun père, dans aucun système, n'aurait
statut de père, s'il ne tenait sa qualité d'un enchaînement de références juridiques, tombant
finalement en impasse. L'impasse, voilà la réponse. Mais nous savons que cette impasse a un
sens logique, nous savons qui ferme l'impasse: c'est le répondant absolu, un signifiant: la
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République, Dieu, le Peuple, des noms du Père absolu. C'est cette articulation qui a été et
demeure mythologique. Aucune société ne peut faire l'économie d'une mythologie quand il
s'agit de fonder, non pas une règle particulière dans l'ordre du système, mais de fonder ce qui
fonde le système, selon une perspective d'absolu" (p.172). D'où la fonction du mythe pour
entrer dans "l'ordre symbolique" de la filiation et ouvrir à la parole : non pas "un homme, une
femme ensemble", mais soumis à la parole vivante.
Le serpent sacré. Dans les religions monothéistes, nous avons collé le "sacré" à la parole ; le
sacré renvoie à l'origine; mystère du secret, de ce qui est caché, à la différence du profane
hors du temple. Quant au serpent, c'est celui qui introduit la mort ; ici sous la forme d'un "trait
prêt à s'élancer" : c'est l'écriture. L'écriture est mentale avant d'être écrite et elle n'est faite que
pour être lue ; quand il n'y a pas de lecture, il n'y a pas d'écriture. Le mythe c'est aussi cela,
μϋθος : tout ce qui est dit par la bouche et qui vient au langage, ce dont il est question. Ếcrire:
γράφειν, graben en allemand = creuser, graver, introduire le manque et la parole, la lecture qui
va dire le manque. L'écriture introduit le manque parce qu'elle introduit à l'ordre symbolique.
Comment notre corps est engagé dans l'écriture ? (cf. Jean Berges). Quand l'enfant en fin de
maternelle apprend à lire, écrire, c'est sur le corps de sa mère ; ces lettres sont des traces, des
dessins, il écrit des boucles, un serpent, langage érotisé : "tu fais une jambe, une bosse ; c'est
mon stylo qui écrit mal, prolongement du corps". À un moment, il abandonne le dessin de la
lettre, il va sortir de l'image pour que la lettre apparaisse ; le "S"ce n'est plus le serpent, c'est
ce qui est lu quand j'oublie l'image et il y a des "s" que je dois accepter de perdre parce qu'ils
ne se prononcent pas. Faire apprendre les syllabes, les lettres, les mots par des images, c'est
arrêter le processus du rapport au symbolique ; on vient suturer, adapter, guérir alors que ce
n'est pas de suture qu'il s'agit mais de coupure.
"La croisée des chemins": on va croiser la vie et la mort. Atoum est entièrement dans la vie et
de ce fait il est vulnérable à la mort, elle a pouvoir sur lui. Le feu et la vie sortent de lui. Il a
été mordu par le serpent dont le venin pénètre sa chair. Le venin agit tel le désir : venes-nom
"philtre d'amour" (venes→Venus). Sa première parole, c'est un cri, "l'effroyable cri", celui
d'abord du nouveau-né! Ensuite c'est le questionnement de son Ennéade pour l'aider à parler, à
dire non pas la mort, il ne la connaît pas, mais sa souffrance qui lui révèle qu'il a peut-être tout
crée -sauf le serpent- mais qu'il ne voit pas tout ; il n'a pas vu le serpent parti se cacher dans
les roseaux de son inconscient et qui lui échappe. C'est heureux qu'il ne voie pas tout : "Si
mon père voyait tout, ce serait une sorte d'ogre."
Horus et Atoum : non pas plusieurs personnes mais plusieurs attributs du même dieu. Il sort
pour voir ce qu'il a crée " comme on dirait de deux amoureux "ils sortent ensemble, ces deux
là". Il se raconte comme dans une sorte de dédoublement, comme l'enfant devant le miroir qui
prend peu à peu conscience de lui-même, de son "domicile subjectif", qui le crée.
Iris possède le souffle de vie et c'est elle aussi qui place le serpent à la croisée des chemins de
la vie et de la mort, tel le φάρμακον qui peut être aussi bien poison que médicament. Elle
amène Rê à sortir de son bavardage, à faire silence pour arriver enfin à se dire lui-même dans
une véritable opération de transfert où la parole est transmise de façon très corporelle, orale,
de bouche à oreille, tel le mythe, comme nous l'avons vu, tout ce qui est dit par la bouche et
dont il est question. Et c'est cette transmission de la parole qui va faire que l'amour d'Iris pour
Rê, son philtre d'amour de magicienne, ne sera pas un poison ; car à l'inverse, l'amour devient
un poison s'il n'y a pas de parole dans l'amour.
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Cette transmission se fait dans le creux de l'oreille, dans le secret. Pourquoi le secret ? En
arabe, ce que je n'arrive pas à te dire tellement c'est "incommunicable", je te le transmets dans
le mystère, ce qui va te ménager un espace, ton espace, l'espace de l'Autre et ...réaliser ainsi la
communication.
Ce secret ici ce serait la mort. Le terme de "mort" n'apparaît à aucun moment dans le texte
mais il se cache comme un rébus dans la "morsure". La mort est secret et sacrée au sens où
c'est la mort qui opère la séparation entre les choses et les êtres: ton nom n'est pas mon nom.
Dans l'Égypte ancienne, la mort faisait de leur roi leur dieu.
La mort, c'est un corps qui bascule dans une di-mension que je ressens, physique, une autre
dimension, quelque chose d'énergique, un partenaire de la vie. En service de réanimation le
visage se transforme, se détend, une tension disparaît.
On meurt, c'est un fait biologique. Freud disait qu'il est impossible de se représenter sa propre
mort. Avec les nouvelles technologies on n'accepte plus de mourir. Parler de nos morts,
reconnaître leur place; antecessores "ancêtres", ils nous précèdent. Être partenaires et non
ennemis. Lâcher prise: reconnaître la mort, c'est accepter de ne pas tout maîtriser.
Atoum, il renonce à son autosuffisance, à lui-même en divulguant son nom, il découvre
l'altérité et du coup sa vie devient autre.
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Réflexions à partir de « Rê et Isis »
Le mythe de Rê et Isis est d’une richesse si extraordinaire qu’il paraît utile de revenir sur les
points les plus importants que l’analyse a fait ressortir. Nous assistons à une genèse de la
pensée, en ses premiers moments. Il y a là une contraction extrême, qui laisse entrevoir de
multiples pistes pour la compréhension du monde et de l’homme. Nous en avons retenu
quelques-unes pour alimenter la réflexion des uns ou des autres.
De la toute-puissance à l’amour
Rê est le dieu, qui a créé le ciel et la terre et tous les êtres vivants. Il est même à l’origine de
sa propre existence, ce qui rappelle la désignation du Dieu de la Bible : « Je suis celui qui
suis ». Autrement dit, il est l’Être par excellence. Et pourtant, Isis décèle une faille dans cette
toute-puissance : il manque l’Amour. Il n’y a pas encore, chez Rê, équivalence entre Être et
Aimer. En dépit des apparences, le plus grand des dieux est, en même temps, dans la
connaissance suprême et dans une extrême solitude. Et l’on voit déjà poindre la plus grande
tentation de l’homme aspirant à la connaissance. Isis aspire aussi à la connaissance, mais pour
elle le mot « connaissance » a déjà changé de sens : il s’agit de la connaissance qu’engendrent
la relation à l’autre et l’amour.
La mort comme force créatrice
A première vue, la déesse paraît sombrer dans la folie. Elle veut recréer le dieu suprême, le
faire accéder à un niveau supérieur, en l’amenant à sortir de sa toute-puissance. Et comment
va-t-elle s’y prendre ? Elle imagine d’introduire la mort dans son existence sans faille. Une
telle idée est insensée. En réalité, elle sait déjà que la mort est aussi une force créatrice
capable de promouvoir la vie jusqu’à son point décisif. Elle est comme Ève, face à l’arbre de
la connaissance. Par son geste qui transgresse un interdit, Ève introduit la mort dans la
création. Mais en agissant ainsi, elle permet à l’homme en devenir de passer de l’animalité à
l’humanité. Peut-être la compréhension du mythe de Rê et Isis peut-elle nous amener à
approfondir l’interprétation habituelle du mythe de la chute, qui ne s’est pas dégagée des
apparences du récit.
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Le serpent, la mort, le manque et le désir
Comme dans la Bible encore, c’est le serpent qui introduit la mort dans la création. Son
poison est mortel, au moins en apparence. Rê est surpris. Il croyait sa connaissance parfaite et
le voilà surpris par l’inconnaissable ; il ne peut connaître la mort qu’il n’a pas créée. Son cœur
brûle, son corps tremble et transpire, son regard se disperse, sa vue se brouille et son esprit
lui-même entre dans la confusion. Chez le maître de l’univers pourtant, la vie ne peut être
totalement détruite. Alors la mort s’inscrit en lui sous la forme du manque. Il entre dans la
question, s’interroge et interroge son entourage. Subitement, sous l’effet du manque, le désir
fait son apparition. Il désire connaître ce qu’il ne connaît pas et trouver la guérison du mal qui
l’accable. Toute la figure du serpent, qui parcourt les grands Livres de l’Univers, se décline
ici dans toute sa richesse. Le mot venin vient lui-même d’un terme sanscrit qui signifie
désirer. Il a donné naissance à Vénus, la femme la plus désirable du monde. Dans les temps
les plus anciens, les hommes savaient déjà que le désir est associé à la mort.
La souffrance et la limite de l’homme
A travers le manque, le désir engendre la souffrance. Selon l’étymologie, la souffrance est une
offrande, une forme de sacrifice, qui souligne l’impuissance de l’homme lorsque la vie fait
défaut. Rê se croyait tout-puissant. Maintenant, dans la perception de la limite que porte la
mort, il fait une chute et dégringole de sa toute-puissance. Il avoue sa fragilité, sa faiblesse.
Les interprètes parlent de la chute de l’homme dans la Bible. Ils semblent avoir arrêté leur
interprétation en pleine découverte. Ce n’est pas simplement l’homme qui chute, c’est Yahvé
lui-même qui perd sa toute-puissance, dès le début du Livre Saint. D’emblée, il se présente
comme un être vulnérable car il lie son sort à celui de l’humanité.
La naissance de l’altérité
La souffrance, sous sa forme la plus épurée, est celle d’un accouchement. Elle semble être
faite pour accoucher de l’autre. L’être tout-puissant se suffit à lui-même. Lorsque la
souffrance est là, il perd de sa superbe et fait sa place à l’autre. Rê appelle au secours ses
propres enfants, des dieux comme lui. Il inscrit sa vulnérabilité dans sa filiation. Comme
Abraham, en sacrifiant sa toute-puissance au cœur de sa souffrance, il trace un avenir original
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et irremplaçable pour chacun d’entre eux. Mais il semble aller plus loin encore. Le sens
s’inverse. Il appelle au secours. Il n’est pas fini. Il a besoin d’être recréé par l’autre car
jusqu’ici, il lui manquait le manque et le désir, il lui manquait la mort. Plus simplement c’est
l’Autre qui lui faisait défaut.
L’inscription de la mort dans l’écriture
Le serpent est façonné comme un trait, un trait d’écriture. Sous sa forme la plus fondamentale,
l’écriture creuse l’homme (le mord) pour y inscrire la mort. Chacun aura compris qu’elle
laisse sa marque en l’homme avant de s’étaler sur le papier ou le parchemin. Elle est
précisément le signe et le rappel symbolique que la force de mort est une force créatrice qui
doit nous faire vivre au-delà de nous-mêmes. Rê porte maintenant en lui l’écriture de la mort,
comme une semence, et cela jusqu’à la fin des temps. A travers le manque et le désir,
l’écriture offre une place à l’inconnu. Son trait est fait pour relier à l’autre et plus amplement
encore pour relier l’origine et la fin. Il ne saurait y avoir de fin en dehors de l’Autre. La
Parole, à son tour, va établir un lien avec la mort, comme la plante tirant sa vie d’une graine
féconde, car elle s’enracine dans l’écriture qui lui donne naissance. Toute l’écriture se résume
en une formule simple : la mort est une force créatrice de vie car elle est là pour creuser la
place de l’Autre.
La parole et la transmission du nom
Dans le mythe de Rê et Isis, la parole née de l’écriture est d’abord appel au secours puis elle
se présente sous la forme d’une transmission et d’un échange de noms. Autre manière de dire
qu’elle est liée à la filiation et à toutes les relations qui vont en découler. Elle prend naissance
dans un corps à corps pour bien souligner le lien essentiel qui la relie à l’écriture. Comme le
serpent, l’écriture commence par se cacher non pas dans les roseaux mais dans le corps luimême. Elle est là pour faire surgir la parole et c’est à ce surgissement que nous assistons dans
le mythe. Le passage se fait par les oreilles : « Prête-moi tes oreilles de telle sorte que mon
nom passe de ton corps dans mon corps ». Et le but de cette transmission qui fonde la
Parole est une recréation ou la continuation de la création elle-même car « l’homme revit
lorsqu’il est appelé par son nom ». En appelant Rê par son nom, Isis le fait accéder à un
niveau supérieur. Le nom inscrit dans le corps de Rê possédait des virtualités qui étaient en
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attente parce qu’elles n’avaient pas encore été actualisées par un autre. Il fallait l’appel de
l’Autre pour qu’elles déploient toute leur richesse à travers la parole.
Le secret marqué par le sacré et l’absolu du sujet
Le nom ici est enveloppé de secret et donc de sacré car les deux mots ont une origine assez
proche, qui exprime la séparation radicale entre les êtres : non seulement entre les hommes et
Dieu mais aussi entre les hommes eux-mêmes. S’il est transmis à Horus, le nom doit
continuer à rester caché sous le sceau d’un serment. L’alliance passe par l’engagement à
respecter le nom de l’autre, c’est-à-dire à respecter son identité profonde. Il y a chez tout
homme un sacré incommunicable qui définit son altérité radicale et ce sacré permet la relation
de parole. De manière plus décisive encore, c’est lui qui fonde l’absolu du sujet.
La genèse d’un Dieu d’amour impliquée dans la mort de l’homme
Dans le mythe de Rê et Isis, il est évident que, pour Rê, la relation de parole avec les autres
implique la sortie de la toute-puissance et donc le passage par la mort, même si cette mort est
impuissante à détruire la vie elle-même. On assiste là au passage d’un dieu tout-puissant à un
dieu d’amour. L’Être, au sens fort du terme, ne signifie plus seulement la capacité de se
donner l’existence : il signifie aussi et essentiellement « Aimer dans le respect de l’altérité
radicale de l’autre ».
Or, si Dieu, dans la Bible, est Amour, et s’il décide d’associer l’homme à cet Amour, il
s’engage dans une nouvelle genèse assez semblable à celle de Rê. La mort de l’homme, même
dans ses égarements extrêmes, l’affecte très intimement. Il est amené à faire sienne une telle
mort pour maintenir sa relation d’Amour. Il est engagé dans une genèse nouvelle
constamment marquée par les déploiements variés de la mort dans l’histoire de l’humanité.
D’impassible selon la philosophie grecque, le Dieu de la Bible est devenu un Dieu qui souffre
avec les hommes.
Toutes les intuitions exprimées ici nous viennent directement d’un seul mythe, vieux sans
doute de quatre millénaires.
13
L’invention de l’amour ou le réengendrement de dieu
à travers l’expérience de la mort
Reprise synthétique de l’interprétation de Rê et d’Isis
8
RÊ APPELÉ PAR SON NOM
ET LE POISON S’EN VA
1
ISIS VEUT ENTRER DANS
UNE RELATION D’AMOUR
AVEC RÊ TROP ENFERME
DANS SA TOUTEPUISSANCE
- Pour cela, elle veut
connaître son nom
2
RÊ N’A PAS INTEGRE LA
FORCE DE MORT : ISIS
VEUT PROVOQUER CHEZ
LUI L’EXPÉRIENCE DE LA
MORT POUR LE
RÉENGENDRER
7
RÊ DOIT DONNER SON
NOM POUR QU’ISIS PUISSE
CHASSER LE POISON
- Elle veut redonner le primat à
la vie sur la mort car chacun
revit lorsqu’on l’appelle par son
nom
9
INVENTION DE L’AMOUR
COMME RECRÉATION
RÉCIPROQUE
- Chacun peut appeler
l’autre par son nom et
le réengendrer
3
LA MORSURE VACCIN DU
SERPENT
6
NAISSANCE CHEZ RÊ DU
BESOIN ET DÉSIR DE
L’AUTRE
5
CRÉATION D’UN MANQUE
CHEZ LE DIEU TOUTPUISSANT
4
DANGER DE MORT,
QUESTION, APPEL AU
SECOURS
14
L’invention de l’amour ou le réengendrement de dieu à travers
l’expérience de la mort
Rê est le dieu par excellence. Il est venu à l’existence par lui-même, contrairement à tous les
autres dieux, qui ont été créés par lui. La scène présentée dans le texte se passe donc entre ce
dieu tout-puissant et Isis, qui a reçu son existence de lui. Or ce qui se passe entre les dieux est
le modèle de ce qui se passe entre les hommes. Rê et Isis sont un peu la figure du couple
humain, même si le véritable mari d’Isis est Osiris.
Chez Isis, le désir de connaître le nom de Rê
Isis est un être parfait : elle connaît tout, à tel point que l’on pourrait dire qu’elle est la
connaissance de Rê. Pourtant, il y a une chose qu’elle ne connaît pas, c’est le nom même de
Rê, c’est-à-dire la Parole grâce à laquelle il a été engendré. Connaître le nom d’un autre
permet d’avoir pouvoir sur lui. L’ensemble du texte va montrer qu’il n’y a pas dans ce désir
une perfidie cachée. Pour le moment, nous pouvons simplement supposer qu’elle veut entrer
dans une relation d’amour avec cet être tout-puissant un peu enfermé en lui-même. Il est
apparemment incapable d’aimer dans un amour réciproque.
La confection du serpent de la mort et de la vie
Rê ne connaît pas la mort et pourtant il commence à baver comme un vieillard. En fait Isis
évoque la rosée du matin avec l’idée qu’il s’agit du sperme du Dieu tout-puissant. Il y a donc,
dans ce sperme, la puissance créatrice divine. La déesse l’utilise pour confectionner un
serpent. Le serpent évoque Apophis, sorte de puissance de mort, qui voudrait entraîner le
soleil dans le non-être. Jusqu’ici Rê a pu lui résister, mais il reste constamment sous sa
menace. D’après les éléments du texte, Isis veut que Rê fasse l’expérience de la mort non pas
pour le faire mourir définitivement mais pour le faire revivre avec plus de perfection après
avoir intégré la force de mort elle-même. En effet, le serpent évoque le sexe ou le phallus qui
sert normalement à engendrer. Autrement dit, à travers l’expérience de la mort, c’est à une
sorte de réengendrement du dieu qu’on assiste. Par ailleurs la bave a rapport à la bouche du
dieu et donc, d’une certaine façon, à sa parole. Or le serpent sacré a été confectionné « tel un
trait prêt à s’élancer », le trait étant la base même de l’écriture. Ainsi un lien peut être effectué
entre l’écriture, considérée comme une blessure qui dit le manque (de l’autre), et la parole
créatrice qui va impliquer un dialogue : le texte suggère ainsi que l’écriture est appelée à
engendrer la parole, comme la mort engendre la vie.
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Le serpent, par sa morsure, introduit le poison dans le corps de Rê pour le
vacciner contre la mort elle-même
Après la morsure du dieu, l’animal se cache dans les roseaux comme le sexe qui se replie
après son travail. Un nouveau clin d’œil pour nous rappeler que nous sommes bien dans un
engendrement. Et pourtant le feu de la vie sort du dieu Rê, comme le sperme s’épanche du
sexe humain. Les images ainsi se conjuguent pour montrer une fois encore que la force de
mort est ici créatrice de vie. En tout cas, Isis n’a pas voulu la mort de son créateur : elle lui a
ménagé un passage par la mort pour l’aider à triompher de la mort elle-même. C’est
l’intuition du vaccin ou du poison, qui est présentée ici comme moyen de guérir d’une
maladie et d’éviter le passage à trépas.
La perception du danger de mort, la question et le non-être
Manifestement le dieu Rê a peur. Le poison a pris possession de son corps, ses membres sont
secoués et son cœur tremble. Il est surpris par quelque chose qu’il ne connait pas, il découvre
le manque de connaissance. C’est ainsi que surgit la question : « Qu’est-ce donc ? Quoi
donc ? » La question se répand alors comme une traînée de poudre dans l’assemblée des
dieux. « Une chose me mordit que je ne connais point. Ce n’est pas le feu, ce n’est pas l’eau,
mais mon cœur brûle, mon corps tremble et mes membres ont froid. » A travers le serpent, il
se heurte au non être et le non être n’a jamais été pour lui objet de connaissance. Jusqu’ici, il a
toujours été dans la plénitude de l’être et dans la toute-puissance de la connaissance. Il lui faut
donc faire un pas de plus dans l’existence : accorder une place au non-être. C’est l’acceptation
d’une part de non être qui va permettre le dépassement de la mort et des limites de la
connaissance. Il s’agit en effet de pousser Rê au-delà de lui-même pour lui permettre d’être
vraiment soi-même.
L’entrée dans le besoin et le désir de l’autre
La toute-puissance de Rê est remise en cause. Avec le non être qui s’introduit en lui, le
manque fait son apparition. Il manque de l’autre et semble ne pouvoir subsister sans son
appui. « Que mes enfants, les dieux, me soient amenés, avec des paroles bénéfiques – les
dieux qui savent les formules magiques et dont la connaissance atteint le ciel. » Entre le
besoin et le désir il n’y a qu’un pas, car le manque est là pour faire vivre le désir. Isis qui
manque connaît déjà le désir et c’est ce désir qu’elle veut faire naître chez le Grand Rê.
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Possédant le souffle de la vie, elle vient « avec son pouvoir et ses incantations magiques…
pour repousser la maladie, avec ses paroles pour rendre la vie à une bouche qui étouffe ».
Dis-moi ton nom, mon divin père ! Car un homme revit lorsqu’il est appelé
par son nom
Isis revient à son désir premier : elle veut connaître le nom de Rê pour entrer avec lui dans
une relation d’amour. C’est apparemment la condition pour éliminer le poison de la mort et
donner toute sa force au désir. Il existe une parenté d’étymologie entre venin et Vénus, entre
le poison guérisseur du serpent et l’amour féminin. Celui-là serait porteur de la mort, d’une
mort nécessaire, pour amener l’homme et Rê lui-même au dépassement de l’amour
Si Isis veut connaître le nom de Rê, c’est parce que le nom est la Parole fondamentale qui le
fait exister. En le prononçant, elle pourra d’une certaine façon réengendrer le dieu qui se
croyait tout-puissant et le ramener à la plénitude de la vie. Il faut un autre, qui appelle à la
vie, pour redonner au Verbe créateur toute sa puissance d’engendrement. La femme est l’autre
de l’homme, qui, en prononçant son nom, le ramène à lui-même pour son propre
accomplissement. Il y a là, en même temps, une intuition théologique fondamentale : Dieu,
qu’il soit Rê ou un Autre, doit faire sortir de Lui le Verbe créateur, pour exister vraiment dans
l’Amour.
Prête-moi tes oreilles de telle sorte que mon nom passe de mon corps dans ton
corps
Rê engendre son Nom ou le Verbe par excellence dans un corps à corps avec Isis qui est son
Autre féminin. Autrement dit la transmission du Nom est inséparable d’un nouvel
engendrement de ce Nom, qui a besoin d’un autre pour s’incarner. Nous sommes ici au creux
du mystère. La transmission du Nom ne peut se faire que dans l’amour et elle est en même
temps la condition de l’amour. Nous sommes dès lors amenés à nous poser la question
fondamentale : qu’est-ce donc que l’amour ?
La révélation de ce qu’est l’amour
Dans le texte mythique nous assistons à une véritable invention de l’amour et nous prenons
alors conscience qu’il ne peut exister sans être constamment réinventé. Dans l’intimité de
l’amour, le nom qui porte le mystère de chaque individu n’est pas simplement transmis à
l’autre, il est réengendré dans la relation réciproque. Et en appelant l’autre par son nom
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réengendré chacun le fait exister en le recréant. L’amour, dans la relation réciproque, est ainsi
constitué par un double mouvement : la réinvention (réengendrement) de son propre nom,
porteur du mystère personnel
et la recréation de l’autre en l’appelant par son nom
« réinventé ». En faisant passer l’homme par une forme de mort, la femme permet de le faire
accéder au mystère d’un amour, qui est toujours à réinventer.
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