1 CHIANTARETTO : cours n°9 du 11.12.01 Troisième partie du cours qui portera sur la question de la méthode analytique en tant que l’on ne peut pas rendre compte de la singularité en jeu dans le cas, au sens de Freud, sans se poser la question de la spécificité de la méthode analytique. Voilà de quoi je vais parler pendant 4 cours. Cela revient à prendre au sérieux ce que j’ai exposé en filigrane dans mon commentaire de l’Homme aux loups, à savoir ce que j’appellerais la dimension testimoniale en jeu lorsque le psychologue clinicien quand il se réfère à une psychanalyse c’est-à-dire quand il réfère sa pratique à la psychanalyse, quand le psychologue clinicien essaie de présenter sa pratique. C’est le propos introductif. Un postulat de départ : je me réfère à D. Lagache sur un point à savoir que le psychologue clinicien, - vous avez remarqué que je parle de psychologue clinicien donc, le psychologue clinicien, si ce terme a un sens, il ne peut se définir que par un mode d’approche du sujet où le sujet est considéré dans son unicité et dans la singularité et la totalité de son fonctionnement psychique. Je redis à ma manière ce que D. Lagache a posé en 1940. Et que ce mode d’approche du sujet suppose la psychanalyse, c’est-à-dire suppose le modèle freudien d’articulation entre méthode thérapeutique, méthode d’investigation et métapsychologie. Donc la question : de quoi témoigne le clinicien quand il témoigne dans l’écriture ou en dehors de l’écriture de sa pratique ? Cela suppose d’interroger ce modèle freudien d’articulation, c’est-à-dire ce que l’on appelle la méthode analytique. Donc vous interroger sur la mise en œuvre de ce modèle freudien dans votre pratique de psychologue clinicien. Une mise en œuvre que je propose de penser non pas en termes de transposition mais plutôt en termes d’implication au sens que Freud donnait à ce terme, c’est-à-dire une application de la méthode analytique à des situations cliniques autres que la cure, sous réserve que le clinicien ait une expérience personnelle de l’analyse et sous réserve qu’il ait une familiarité suffisante avec les concepts et la méthode analytique, ce qui bien sûr comme vous le savez ne pose pas de problème ! ! ! ! ! ! (sacré farceur ! ! ! ! !) Alors de quoi témoigne le clinicien quand il rend compte de sa pratique par l’écriture ou autrement, il témoigne de son fonctionnement psychique en situation clinique, en témoignant du fonctionnement psychique de son patient ou de ses patients. Le rendre compte du psychologue clinicien quand il se réfère à la psychanalyse, ce rendre compte correspond à quelque chose qu’il faut définir comme un besoin interne, au-delà de 2 toute obligation professionnelle. Le besoin d’un espace psychique tiers extérieur à l’espace clinique pour penser, c’est-à-dire pour traiter psychiquement l’ensemble des pensées et des émotions en situation. C’est-à-dire besoin interne pour se voir fonctionner en situation. On l’a vu avec le modèle freudien du cas. Freud illustre ce que je viens de dire dans l’écriture de cas qui est supposée mettre en scène le travail psychique de l’analyste en séance. Comme il s’agit de Freud, le créateur de la psychanalyse, non seulement elle est supposée mettre en scène le travail psychique de l’analyste, mais elle est supposée montrer littéralement comment ce travail psychique mental de l’analyste donne lieu à la méthode analytique et à la théorie analytique. Ça, c’est ce que nous n’avons plus à faire. Quand Freud témoigne de sa pratique clinique, il y a une fonction de légitimation de la psychanalyse, c’est-à-dire de sa création, qui évidemment ne nous incombe plus : c’est-à-dire l’ensemble de ceux qui se réfèrent à la psychanalyse, psychanalystes compris et grandes figures de la psychanalyse y compris. Même si nous ne sommes pas Freud, il reste que nous avons à témoigner quand nous rendons compte de notre pratique clinique, d’un nouage entre l’expérience forcément singulière et unique de l’inconscient menée avec un patient et la puissance heuristique au moins potentielle des concepts psychanalytiques. Tout ça c’est toujours des propos introductifs. Quand je parle de la dimension testimoniale, quand j’en ai parlé avec l’Homme aux loups, il ne s’agissait pas d’une métaphore, c’est-à-dire que je me réfère à une définition extra analytique du témoignage, c’est-à-dire à une définition du témoignage simplement élargie, prenant acte de la manière dont le témoignage doit être défini aujourd’hui, c’est-à-dire au-delà du paradigme oculaire. Au-delà de ce qu’on a appelé longtemps le témoin oculaire. On continue à l’appeler le témoin oculaire, mais la notion de témoin oculaire désignait la figure première du témoin dans un registre principalement judiciaire, secondairement historien. Principalement judiciaire depuis l’Antiquité pour trancher dans des litiges entre individus. C’est très rapide ce que je dis là, mais je pose simplement un parti pris. Les catastrophes humaines qui ont marqué le XXe siècle ont imposé, à mon sens et au sens de quelques autres, de prendre acte d’une redéfinition du témoignage, c’est-à-dire d’un déplacement de ce primat de l’oculaire, du visuel, à savoir qu’il ne s’agit plus comme dans le témoignage oculaire, comme dans son modèle judiciaire, il ne s’agit plus de témoigner de ce qu’on a vu en utilisant ce qu’on a vécu mais au contraire de témoigner, de mettre l’accent sur ce qu’on a vécu, c’est-à-dire de mettre l’accent sur l’implication subjective du témoin DANS ce dont il témoigne, par ce dont il témoigne. Ce qui suppose de prendre au sérieux que le témoignage est un ACTE à deux temps, un acte qui ne se résume absolument pas à être le 3 spectateur de quelque chose, mais un acte qui consiste à rendre compte de ce qu’on a vu à partir de son implication subjective et de décider de rendre compte de ce dont on témoigne auprès d’autres. Implication subjective dans ce dont on témoigne, implication subjective dans l’acte consistant à témoigner auprès d’autres. La définition élargie du témoignage sur laquelle je m’appuie on pourrait la résumer comme ça : Le témoignage c’est un acte de certification personnelle par un sujet qui vient témoigner non seulement de ce qu’il a vu mais de ce qu’il a vécu. Le témoignage ainsi entendu constitue un acte qui implique la subjectivité du témoin affectée par ce dont il témoigne et donc il s’agit de témoigner de cette subjectivité affectée dans une démarche publique qui requiert des tiers. Donc cela suppose de préciser ce que j’ai entendu par singularité dans toute la deuxième partie du cours, c’est-à-dire à partir du moment où j’ai présenté le modèle freudien du cas. Cela suppose de poser cette notion, vous vous rappelez le modèle freudien : c’est l’étayage de la théorie sur la singularité non pas d’un patient, non pas de l’aspect psychopathologique, mais la singularité d’une cure, c’est-à-dire d’une expérience de l’inconscient menée à deux, c’est là tout le problème. Donc comment cette notion de singularité s’articule avec la méthode analytique ? C’est ce que je développerai, le problème étant que la méthode analytique ne se transmet pas au titre d’un savoir, ni même d’un savoir faire mais qu’elle suppose l’expérience non seulement de l’analyse, mais l’expérience de l’articulation entre théorie et pratique. C’est-à-dire que sans être Freud tout clinicien qui travaille avec la psychanalyse est censé tester, prenons un terme grossier, tester, je le choisis puisque c’est en rapport étymologiquement avec témoin, testimonial, il s’agit de tester ou de rendre vérifiable pour le clinicien sa disposition psychique à rendre vérifiable l’usage singulier qu’il fait de la méthode analytique. Sur la notion de publier, de publication au sens de rendre publique, vous vous rappelez ce que j’ai dit autour du conflit entre exigence scientifique et exigence thérapeutique chez Freud, un conflit entre la responsabilité vis-à-vis d’un patient et la responsabilité vis-à-vis de l’ensemble des patients potentiels de la psychanalyse. C’est comme ça que Freud posait le problème. Il posait le problème en terme éthique. Tout clinicien qui se réfère à la psychanalyse me semble dans cette perspective dans l’obligation d’affronter une tension entre d’un côté le secret nécessaire à la possibilité même de l’espace clinique qui se pose très différemment selon le cadre considéré. Tension entre ce 4 secret d’une part, et de l’autre la nécessité d’une publication de la pensée du clinicien, publication au sens de rendre compte. C’est-à-dire besoin interne de témoigner en deçà de tout processus de formation, besoin psychique de témoigner au sens où, pour penser la clinique il est nécessaire au clinicien qui se réfère à la psychanalyse de penser ses adresses transférentielles, de penser ce que Pierra Aulagnier appelle la théorisation flottante, c’est-à-dire l’usage flottant des concepts en séance, de penser ses différents registres de pensées qui définissent son activité psychique en séance. Voilà l’introduction Donc, la méthode analytique. L’affirmation de Freud selon laquelle quand il définit la psychanalyse, méthode d’investigation, méthode thérapeutique et métapsychologie sont indissociables est à prendre au sérieux. Ça veut dire quoi ? ça veut dire que ce qui définit la psychanalyse c’est d’abord sa méthode. C’est d’abord la méthode et non pas d’abord un corpus conceptuel. Ça c’est le premier point. Cette méthode, elle pose problème et c’est rarement abordé comme tel par les analystes parce que ça pose tout de suite le problème dont on n’a de plus en plus de mal à se sortir c’est-à-dire de l’impossibilité à vérifier la méthode analytique avec les mêmes outils et la même méthodologie que les méthodes scientifiques ou expérimentales telles qu’elles existent dans le champ des Sciences Humaines. Les conditions de vérification d’une méthode de type expérimental supposent des notions comme celle de reproductibilité, de caractère prédictible alors que la méthode analytique est une méthode de transformation qui ne marche qu’au cas par cas, qui n’est donc vérifiable qu’au cas par cas, qui n’est JAMAIS vérifiable dans le temps même où elle se déploie, c’est toujours dans l’après-coup. Donc, c’est un premier problème. Deuxième problème qui est lié, c’est que cette méthode a pour spécificité par rapport aux autres outils des Sciences Humaines, d’être une méthode littéralement de mise en pensée. Une méthode de mise en pensée qui ne s’apprend pas, qui se transmet, bien sûr dans l’expérience personnelle de l’analyse mais aussi et surtout, dans un second temps en tout cas, 5 par quelque chose que l’on pourrait appeler identification à la fonction analysante. Donc valider expérimentalement le niveau de transmission de cette méthode, ou le niveau de mise en œuvre de cette méthode ou le degré d’efficacité entre guillemets de cette méthode selon des critères expérimentalistes est absolument impossible. La méthode analytique n’est pas une méthode objectivante. C’est une méthode, en utilisant le vocabulaire de Bion, une méthode transformationnelle, une méthode de transformation au sens de transformation psychique. Quand je dis transformation, je ne veux pas dire transformation d’un sujet, je veux dire transformation au sens de psychisation. S’il y a transformation du sujet dans l’expérience analytique c’est par psychisation d’éléments plus ou moins mal psychisés. Je me réfère pour l’usage que je fais de ces mots à Bion. Ce transformationnel est en jeu pour l’analysant et pour l’analyste, c’est un travail de transformation des pensées. C’est-à-dire que la méthode est UNE indépendamment du cadre, mais la méthode est UNE en situation au sens où elle associe et l’analyste, et l’analysant. Je reprendrais volontiers une formulation de Nathalie Zaltzman qui se réfère à Pierra Aulagnier pour dire, je cite : C’est une formule qui est intéressante parce qu’elle est presque consensuelle. Je cite : “ L’opération qui se déroule entre eux, analyste et analysant, ce sont les variantes d’un seul et même processus, celui de l’activité psychique en quête de sens ”. Alors posons tout de suite que c’est une gageure en 4 cours d’1 heure de parler de la méthode psychanalytique. Je vais le faire parce que ça m’intéresse de vous en parler mais chaque chose que je dis engage de lourds débats posant toujours des questions de l’ordre de l’appartenance, est-ce qu’on se réfère à un tel ou un tel etc… Par exemple ce que je viens de dire supposerait s’interroger sur ce que certains auteurs appellent “ co-penser ” comme Pierra Aulagnier pour désigner ce travail psychique, UN, qui associe deux sujets. Le problème, c’est que l’on parle ou non de “ co-penser ”, il faut rendre compte à la fois de l’unité de ce processus, et à la fois du fait que il y a une dissymétrie entre l’analyste et l’analysant, je parle au niveau du fonctionnement psychique, à savoir qu’il est souhaitable qu’au moins à un certain moment l’analyste ait un tout petit pas d’avance sur l’analysant. Tout ce que je viens de dire suppose que la méthode analytique ne soit donc pas réductible, définissable par le cadre. La méthode analytique est susceptible d’être mise en œuvre en dehors de la cure type. C’est-à-dire que la méthode analytique est donc à penser toujours, même dans le cadre de la cure type, sur le modèle de l’application. La méthode analytique suppose indissociablement bien sûr un cadre, ça veut dire pas forcément un seul cadre, il y a plusieurs cadres possibles 6 outre le modèle de la cure, mais la caractéristique commune de ces cadres, c’est de pouvoir êtres pensés qu’avec la psychanalyse. C’est-à-dire de ne pouvoir être pensé qu’au travers de la mise en œuvre d’une méthode visant un seul type d’expérience psychique. Donc, il y une méthode analytique, un cadre modèle, la cure, qui n’exclut pas la possibilité sur ce modèle d’autres cadres. Il y a donc l’idée de plusieurs applications possibles de la méthode analytique qui elle est UNE. Question : Quelle serait la relation de ce que je dis avec la notion lacanienne de désir de l’analyste ? J’ai pris un parti pris méthodologique pour parler de questions aussi délicates, méthodologique c’est un peu de l’ironie si vous voulez mais pas tout à fait par rapport à mon propos sur la méthode analytique, c’est-à-dire de ne pas précisément situer ce que je dis d’une manière qui poserait tout de suite la question de l’appartenance. Pour une raison de fond, c’est que toutes les scissions, toutes les discordes, qui ont marqué l’histoire de la psychanalyse et qui marquent encore l’histoire de la psychanalyse, tournent autour de la question de la formation. Si on réfléchit à ce que ça veut dire concrètement, le problème c’est qu’on s’aperçoit, qu’à une ou deux exceptions notables quelles que soient les sociétés, se répète quelque chose depuis Freud qui est l’absence de toute théorie de la formation. Des pratiques, il y en a, des efforts de conceptualisation aussi, mais toujours pris dans une logique d’appartenance, c’est-à-dire au fond ce que nous proposons c’est la meilleure manière de traduire Freud. La gageure que je vous impose de parler de la méthode analytique en 3 ou 4 fois c’est justement pour essayer de se dégager de ces impasses, c’est-à-dire de reposer le problème en termes de nécessité de la méthode analytique en tant qu’elle marque la nécessité de ce nouage entre théorie et pratique pour qu’il y ait une situation qui se réfère à la psychanalyse. C’est une manière de vous dire que je ne me situerai pas sur des questions qui supposeraient inéluctablement de se situer sur des modalités de formation. Merci.