Roland POURTIER

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Un siècle d’exploitation forestière au
Gabon :
de l’okoumé-roi à l’exploitation sous
aménagement durable
Roland POURTIER
Le Gabon (267 000 km2 et environ 1,5 million d’hab.)1, est couvert à plus
de 80 % par la forêt équatoriale, extrémité occidentale du massif forestier
congolais qui s’étend sur 1,5 million de km2. La forêt gabonaise est riche à
la fois de sa biodiversité et de la présence d’une espèce emblématique,
l’okoumé présent sur les trois quarts du territoire. Son aire ne déborde
qu’assez peu au-delà des frontières, celle de la Guinée Équatoriale au
nord, du Congo Brazzaville au sud, si bien que le Gabon s’est longtemps
confondu avec le pays de l’okoumé. Il a représenté la richesse principale
de la colonie, avant de s’effacer au tournant de l’indépendance devant le
pétrole et les minerais (manganèse, uranium). Ressource renouvelable, la
forêt reste et restera toutefois un des socles durables de l’économie
gabonaise lorsque les puits de pétrole seront taris. La forêt constitue le
milieu de vie, au sens fort du terme, pour les populations qui résident
hors des villes : quelques milliers de Pygmées vivant de prélèvements
discrets sur la biomasse forestière, et population Bantou pratiquant une
agriculture itinérante sur brûlis complétée par la cueillette, la chasse, la
pêche. Les peuples de la forêt ont acquis une connaissance intime de
celle-ci et des innombrables espèces végétales et animales dont un très
grand nombre est utilisé2 dans la vie quotidienne (alimentation,
construction de la maison, pharmacopée, etc.). L’okoumé, grâce à sa
faible densité, sert à la fabrication des pirogues monostyles ; il fournit
aussi une résine utilisée pour la confection de torches. Outre ses usages
matériels, la forêt remplit l’imaginaire et participe à l’élaboration des
cultures des peuples du Gabon. Mais le contact avec les Européens puis la
colonisation française ont conféré à la forêt d’autres valeurs,
économiques, en la faisant entrer dans la mondialisation des échanges.
Aujourd’hui, elle est au cœur de nouveaux enjeux depuis qu’a été reconnu
le rôle des forêts tropicales dans les équilibres écologiques planétaires.
. Pourtier Roland (dir.), Atlas du Gabon, Éditions Jeune Afrique, 2004.
. Raponda-Walker André et Sillans Roger, Les plantes utiles du Gabon, Auguste
Lechevalier 1959, rééd. Sépia 1995.
1
2
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1
I. L’okoumé roi des temps coloniaux
1/ Du cycle de la cueillette au cycle de l’okoumé3
De leur découverte par des navigateurs portugais dans les années 15701580 jusqu’à l’implantation de la France à partir de 1839, les côtes de
l’actuel Gabon ont été fréquentées par des marins et des commerçants
européens (portugais, anglais, français, hollandais…) ou brésiliens
impliqués dans la traite des esclaves ou le commerce de l’ivoire. Avec la
fin progressive de la traite esclavagiste au cours du XIXe siècle, le
commerce licite remplace le commerce illicite, les bois tropicaux (ébène,
bois rouges destinés à l’ébénisterie) se substituent au « bois d’ébène »,
ainsi qu’on désignait souvent les esclaves noirs. La traite porte désormais
sur des produits de la forêt, bois, ivoire, palmistes et à la fin du siècle
caoutchouc provenant de plusieurs espèces de plantes à latex. La création
des Compagnies concessionnaires en 1899 inaugure une période
d’exploitation des ressources de la forêt fondée sur l’obligation pour les
populations colonisées de collecter le caoutchouc ou d’autres produits leur
permettant de s‘acquitter de l’impôt. Mais bientôt tous les regards vont se
tourner vers l’okoumé dont les Européens découvrent les qualités. En
1892, le consul d’Allemagne à Libreville expédie des billes de bois à
Hambourg pour les expertiser : l’okoumé se révèle idéal pour le déroulage
et le placage. Dès le début du XXe siècle le marché s’organise, l’industrie
du meuble, l’aéronautique (fabrication des ailes des avions) assurent des
débouchés à ce bois dont la faible densité (0,6) permet le flottage par voie
d’eau depuis les lieux de coupe jusqu’aux ports d’exportation. En quelques
années l’exploitation de l’okoumé devient une mono-activité, et, après
1918, un quasi-monopole des sociétés françaises.
2/ La construction de l’espace Gabon
L’okoumé-roi4 va régner jusqu’à l’indépendance : il représente 95 % de la
production forestière et de 80 à 90 % de la valeur des exportations du
Gabon. La zone de production est alors strictement circonscrite à la plaine
côtière : les rapides entrecoupant les cours d’eau lorsqu’ils franchissent
les escarpements bordant les reliefs de l’intérieur du pays interdisent le
flottage du bois. Celui-ci est ainsi circonscrit aux cours inférieurs des
fleuves, aux lacs et lagunes nombreux dans cette plaine qui fut le berceau
de l’exploitation forestière. Au début, les billes de bois étaient roulées à la
main jusqu’aux points de mise à l’eau, ce qui limitait l’extension des zones
d’abattage. Introduit en 1913, le chemin de fer Decauville permit à
l’exploitation de s’éloigner des cours d’eau. En 1935 on comptait 675 km
3
. Pourtier Roland, Le Gabon, t. 1 : Espace, Histoire, Société, t. 2 ; État et Développement,
L’harmattan, 1989.
4
. Lasserre Guy, « Okoumé et chantiers forestiers du Gabon », Cahiers d’Outre-Mer, oct-déc.
1955, p. 119-160.
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de rail : tous les espaces forestiers de la plaine côtière étaient touchés par
la coupe du bois. Les machines à vapeur tractaient des wagonnets
chargés de grumes jusqu’aux points de mise à l’eau, principalement le
fleuve Ogooué qui charriait ses radeaux de bois jusqu’à Port-Gentil, le
grand port à bois du Gabon colonial. Après la Seconde Guerre mondiale
des progrès techniques décisifs vont ouvrir l’espace de production : le
Caterpillar permet de « débusquer » des arbres dans des sites difficiles
d’accès ; le camion grumier et la route autorisent les chantiers forestiers à
s’éloigner des voies d’eau. Ainsi, le « Gabon utile », longtemps confiné à
la plaine côtière va-t-il prendre son essor en investissant une « deuxième
zone » ouverte à l’exploitation forestière dans un vaste hinterland.
3/ Exploitation forestière et identité nationale
Au début du cycle de l’okoumé, l’exploitation forestière différait peu de la
cueillette. Les « coupeurs de bois », tous Africains, livraient leur
production aux négociants européens. Mais avec le développement du
marché, ceux-ci prirent une part directe dans la production : le chantier
forestier devint le pivot de l’activité économique, et un lieu de vie où se
frottèrent une poignée d’Européens à la main-d’œuvre africaine. Quelques
récits en retracent l’aventure5. Des mois d’isolement dans la forêt
forgeaient le caractère, contribuaient à construire l’image des forestiers,
qui, arrivés à Port-Gentil quelques fois l’an se rendaient célèbres par leurs
« dégagements » qui alimentent encore la légende de ces temps
héroïques d’où sont issus quelques métis. La crise de 1930 fit ses victimes
dans ce monde de petits exploitants vaguement aventuriers. Elle jeta
aussi sur les rivages du Gabon des coolies, parmi eux le père de Jean
Ping, qui fut plus tard ministre du président Bongo et occupe actuellement
les fonctions de président de la Commission de l’Union africaine.
D’étonnants destins ont ainsi transité par la forêt. Aujourd’hui, la légende
de ces forestiers dont certains, il est vrai, sombrèrent dans l’alcool,
s’estompe dans l’oubli ; restent encore quelques « fermiers » qui opèrent
pour le compte de Gabonais détenteurs de permis d’exploitation. Mais les
conditions techniques et sociales de l’exploitation ont changé : les
chantiers forestiers d’aujourd’hui ne diffèrent plus beaucoup de n’importe
quelle base-vie minière ou pétrolière.
La période coloniale des chantiers forestiers a exercé une influence
décisive sur la formation de l’identité gabonaise. La plaine côtière était
très peu peuplée au début du XXe siècle, le contact colonial y avait eu des
effets démographiquement destructeurs. L’explorateur Paul Du Chaillu 6
s’était interrogé dans les années 1860 sur ce « mal mystérieux » qui
frappait les populations de la côte. Épidémies, alcool, désarroi moral, quoi
. Brouillet Jean-Claude, L’avion du blanc, Laffont, 1972 ; Dedet Christian, La mémoire
du fleuve, Phoebus, 1984.
6
. Du Chaillu Paul, Voyages et aventures dans l’Afrique équatoriale, Michel Lévy Frères,
1863, réed. Sépia, 1996.
5
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3
qu’il en soit les maigres populations de la plaine côtière ne pouvaient faire
face aux besoins de l’exploitation forestière. Celle-ci fit donc appel à la
main-d’œuvre des régions « réservoirs » de l’intérieur. La plaine côtière
devint ainsi un creuset où se rencontrèrent des populations de l’ensemble
du Gabon, populations qui s’ignoraient où se combattaient auparavant. Le
coût humain de ces migrations de travail a été lourd dans un premier
temps : le changement de milieu faisant perdre l’immunisation face au
paludisme, une nourriture à base de « rations » appauvries provoquant le
béri-béri entraînèrent des surmortalités. C’est seulement à la fin des
années 1930 que les politiques de protection de l’Indigène commencèrent
à porter leurs fruits. Mais, de toute façon, eu égard à la faiblesse du
peuplement du Gabon (environ 400 000 hab. en 1960), la ponction au
profit des chantiers forestiers a été considérable. En 1941, Le gouverneur
de l’Afrique équatoriale française (AEF) Félix Éboué pouvait écrire à juste
titre : « L’okoumé, richesse du Gabon a pompé le Gabon. »
Conséquence majeure de ces migrations de travail, la plaine côtière, le
« Bas Gabon » a constitué une sorte de « delta humain », un espace de
brassage, de melting pot où a commencé à se forger une conscience
gabonaise. Les chantiers forestiers ont joué un rôle essentiel dans les
processus de nation bulding7. C’est ici qu’est née l’identité gabonaise, fruit
conjoint des forestiers français et des élites gabonaises qui commençaient
à émerger et à entrer dans la modernité. À partir des années 1930 la
revendication identitaire se précise avec l’image du Gabon « vache à lait »
de l’AEF. Le Gabon, grâce aux ressources de sa forêt, était en effet la
colonie « riche » de la fédération, mais une richesse qui ne lui profitait pas
car elle approvisionnait le budget fédéral. La « ristourne » concédée à
Libreville était dérisoire, de sorte qu’on pouvait considérer que l’argent de
l’okoumé bénéficiait au Congo bien plus qu’au Gabon. De fait, en 1960,
après trois quarts de siècle d’exploitation de l’okoumé, le Gabon était
terriblement sous-équipé. On comprend dans ce contexte la violence des
diatribes de Léon Mba en 1958, avant qu’il devienne président de la
République gabonaise, envers une fédération d’AEF qui avait
essentiellement bénéficié à Brazzaville.
Ce « nationalisme » gabonais se comprenait d’autant plus que le Gabon
était en passe de devenir une puissance pétrolière et minière et qu’il était
hors de question que cette nouvelle richesse – bien plus importante que
celle que la forêt avait offerte – pût être détournée au profit d’un pouvoir
fédéral.
4/ Bilan environnemental de l’exploitation coloniale
Quelles ont été les conséquences de l’exploitation forestière coloniale sur
l’environnement ? La question est pertinente. Les éléments de réponse
sont incertains. La compilation des statistiques commerciales indique que
. Weinstein Brian, Gabon: Nation-Building on the Ogooué, The MIT Press, 1966.
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4
de 1900 à 1960 17 millions de m3 d’okoumé ont été exportés, contre
28 millions de m3 entre 1960 et 1984. La production actuelle est, de
beaucoup, supérieure à ce qu’elle fut avant 1960.
Peut-on parler de déforestation ? Globalement non. Les prélèvements sur
la forêt ont été sélectifs : okoumé principalement, ozigo dont les qualités
technologiques sont comparables, quelques « bois divers » pour
l’ébénisterie, soit entre 1 et 2 pieds à l’hectare dans une forêt caractérisée
par la grande hétérogénéité des espèces. Certes l’abattage et le
débardage provoquent des dégâts, mais ceux-ci sont limités en
comparaison de la vitalité de la forêt à se reconstituer. L’exemple de
l’okoumé est éloquent. Cette essence héliophile présente une capacité de
repousse exceptionnelle : une jachère abandonnée, une ouverture de
route, aussitôt les okoumés s’installent. En limite de savane, seuls les
feux ralentissent la progression de la forêt en éliminant les espèces
pionnières comme l’okoumé. Aubréville, pourtant forestier et ayant tiré le
signal d’alarme sur la déforestation en Afrique, déclarait que « l’okoumé
est fils du manioc » : il faut défricher pour que l’okoumé s’installe. La
symbiose homme-forêt est essentielle. La crainte aujourd’hui, paradoxale,
est qu’il n’y ait plus suffisamment de brûlis forestiers, suite à l’exode
rural, pour créer les conditions favorables à l’okoumé.
L’administration coloniale des Eaux et Forêts s’était préoccupée –
plusieurs décennies avant la mode anxiogène relative à la
« déforestation » – des risques possibles de l’exploitation forestière. De là
des actions de reboisement. En 1935 une parcelle expérimentale de
plantation d’okoumés a été installée non loin de Libreville. Après
l’indépendance, la STFO, Société technique de la forêt d’okoumé, a
entrepris un programme d’envergure de plantation d’okoumés : le total
atteignait 27 000 ha en 1983. Le programme a été arrêté parce qu’il
coûtait trop cher, et parce qu’on s’est rendu compte qu’il n’était pas
économique à terme. Considérant les capacités de régénération spontanée
de l’okoumé, la Banque mondiale a fini par privilégier les actions moins
onéreuses et davantage conformes aux dynamiques de l’environnement
forestier en finançant des programmes d’aménagement des forêts
naturelles.
5/ La valorisation économique du bois
Durant la période coloniale, l’exportation de billes d’okoumé vers les ports
européens spécialisés dans le commerce des bois tropicaux, Hambourg et
Le Havre en particulier, représentait l’essentiel des débouchés de
l’exploitation forestière. Dans l’entre-deux-guerres, une usine de
production de traverses de chemin de fer, installée à Foulenzem, au sud
de l’estuaire du Como, par un consortium des Chemins de fer français,
alimenta les réseaux ferroviaires de la métropole. L’usine cessa ses
activités en 1972, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, au moment
où commençait la construction du chemin de fer transgabonais. Après la
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5
Seconde Guerre mondiale, la CFG, Compagnie française du Gabon, créée
par les pouvoirs publics français et l’américain Plywood & Cie°, construisit
à Port-Gentil une usine de contreplaqué – à l’époque la plus importante au
monde. L’okoumé entrait enfin dans un cycle industriel, mais la
transformation locale du bois ne concerna qu’un pourcentage assez faible
d’une production qui continua à être massivement exportée à l’état brut.
2. L’exploitation forestière depuis l’indépendance
Le tournant des années 1960 s’est accompagné de
techniques, économiques et politiques notables.
changements
1/ De la voie d’eau à la route et au rail
Après la Seconde Guerre mondiale, trois innovations majeures allaient
transformer en profondeur l’exploitation forestière : la tronçonneuse, le
Caterpillar et le camion grumier. Avec la tronçonneuse, l’abattage d’un
arbre ne prend que quelques minutes, contre un jour ou deux à la hache.
Le tracteur à chenille permet de « débusquer » des arbres dans des sites
au relief chahuté autrefois inaccessibles. La route et le grumier rendent
possible l’exploitation à de grandes distances des voies d’eau.
Anticipant ces changements, l’administration des Eaux et Forêts définit en
1956 deux zones d’exploitation. La première zone, correspondant à la
plaine côtière accessible par voie d’eau ; la deuxième zone, représentant
une réserve forestière qui ne sera exploitable qu’avec l’ouverture
d’infrastructures routières. L’indépendance précipita l’évolution : la
première zone fut réservée aux « nationaux », la deuxième fut ouverte
aux compagnies possédant les moyens financiers et techniques d’exploiter
des permis couvrant des dizaines voire des centaines de milliers
d’hectares. Les petits exploitants gabonais de la côte (en réalité des
Français exploitant sous contrat de fermage les permis attribués à des
nationaux) ne représentent qu’une faible part de la production qui est
aujourd’hui entre les mains d’une dizaine de sociétés.
La concentration dans le secteur forestier est allée de pair avec les
changements dans les transports. Dans un premier, temps la route a
permis la pénétration des zones d’exploitation loin des ports d’exportation,
Port-Gentil, Libreville, Mayumba. Vint ensuite le chemin de fer
transgabonais, conçu pour exporter d’une part le manganèse du HautOgooué (mine de Moanda, proche de Franceville), d’autre part le bois
extrait d’une zone d’attraction du chemin de fer (ZACF). Le Transgabonais
a été achevé en 1987. Il a permis l’extension des zones d’exploitation
forestière, et une diversification des productions. Longtemps, en effet, une
des limites de l’exploitation résidait dans le caractère flottable des bois
pour réduire les coûts de transports. Avec le chemin de fer, le transport se
libère de la contrainte de la densité : le coût d’acheminement d’un bois
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6
lourd se rapproche de celui d’un bois léger. Le Transgabonais a ainsi
entraîné une extension considérable des permis forestiers et
l’augmentation de la part des « bois divers » dans la production, même si
l’okoumé vient toujours en tête.
L’extension des surfaces attribuées en permis d’exploitation a suivi la
diversification des modes de transport, de la voie d’eau à la route et au
chemin de fer.
Superficie des permis forestiers (millions d’ha)
1930
1,54
1960
3
2008
13,4
2/ La place du bois dans une économie gabonaise dominée
par le pétrole
En 1960, le bois, pour l’essentiel l’okoumé, représentait 90 % de la valeur
des exportations du Gabon. Ce pourcentage est tombé à environ 10 %, du
fait de l’entrée du Gabon dans le cycle pétrolier, secondairement minier,
au tournant des indépendances : le pétrole compte pour plus de 80 % des
exportations d’un pays aujourd’hui très dépendant de la rente pétrolière.
Pourtant, « l’émirat équatorial »8 n’a pas délaissé l’économie forestière,
essentielle dans la perspective de « l’après-pétrole ». Elle continue à être
le premier secteur d’emploi après l’État (28 000 salariés). Bien que la part
du bois dans les recettes d’exportation ait beaucoup baissé par
comparaison avec l’époque coloniale, la production a augmenté : elle se
situait autour de 2 millions de tonnes en 1970 et 2,4 millions de tonnes en
2007. Elle se partageait entre l’okoumé et l’ozigo à raison de 1,4 million
de m3, et l’ensemble des bois divers totalisant 1 million de m3. La
diversification des productions, pour importante qu’elle fût, n’a pas
détrôné l’okoumé qui reste l’essence reine de l’exploitation forestière du
Gabon.
3/ Une transformation accrue du bois
Après son indépendance le Gabon a longtemps continué à exporter des
bois bruts : les grumes d’okoumé flottant dans la baie de Port-Gentil ou
accumulées dans le parc à bois du port d’Owendo (Libreville) en sont une
illustration de carte postale. La transformation du bois s’est développée
avec lenteur et plus tardivement que dans d’autres pays forestiers de la
région (Cameroun, Congo). Elle représentait 60 % de la production en
2002, 70 % en 2007, l’essentiel revenant au sciage, loin devant le
déroulage et le contreplaqué. Afin d’accroître la valeur ajoutée de la filière
. Decraene Philippe dans un article du Monde, 1973.
8
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7
bois, l’obligation vient d’être faite aux sociétés forestières de transformer,
à partir du 1er janvier 2010, 100 % de leur production avant exportation.
Il ne s’agit toutefois que d’une première transformation, l’industrie du
meuble n’étant pas à l’ordre du jour.
3. Nouvelle législation forestière, nouveaux acteurs
1/ L’évolution des conditions juridiques d’exploitation
Depuis les débuts de l’exploitation forestière, l’administration des Eaux et
Forêts, sous des noms variables, a produit un arsenal de textes, lois et
règlements directement inspirés de la législation française. Un nouveau
code forestier élaboré en 2001 a dépoussiéré le code « colonial » qui était
toujours plus ou moins en vigueur.
Depuis 1961, le souci de « gaboniser » l’économie a conduit à réserver la
première zone aux nationaux : le réseau flottable réduit les coûts de
transport. Bien que les forêts de la plaine côtière soient exploitées depuis
la fin du XIXe siècle, le potentiel forestier reste important. La coupe étant
limitée aux arbres d’un diamètre supérieur à 60 cm et les espèces comme
l’okoumé ayant une remarquable capacité de régénération, les chantiers
peuvent se réinstaller sur des sites déjà exploités après deux ou trois
décennies. L’attribution de la première zone aux Gabonais devait faciliter
l’émergence d’une classe d’entrepreneurs. En réalité bien peu de
nationaux se sont lancés dans l’exploitation : la plupart des attributaires
de permis les ont affermés à des exploitants européens. L’esprit rentier l’a
emporté sur l’esprit d’entreprise. L’attribution des permis et droits de
coupe s’est en outre effectuée de façon opaque, et, par le jeu de prêtenoms, les familles bien placées dans la pyramide des pouvoirs politiques,
président de la République en tête, se sont partagé une part substantielle
de la rente forestière – certes moins lucrative que la rente pétrolière mais
pouvant toucher un plus grand nombre de bénéficiaires.
La deuxième zone est de fait réservée aux seules sociétés en mesure de
réaliser les lourds investissements que nécessite l’implantation d’un
chantier situé à grande distance (100, 200 km, voire plus) d’un point de
mise à l’eau ou d’une gare du Transgabonais. Jusqu’à ces dernières
années, trois types de permis coexistaient : permis temporaires
d’exploitation – PTE (500-15 000 ha) ; lots en zone d’attraction du chemin
de fer – ZACF (plus de 100 000 ha) ; permis industriels – PI (15 000 à
200 000 ha). Depuis les années 1980, la pression des écologistes,
notamment allemands, les menaces de boycott des bois tropicaux qui
proviendraient de forêts menacées par l’exploitation, ont conduit à
modifier les conditions juridiques et techniques de l’exploitation pour
répondre aux préoccupations environnementales et aujourd’hui à celles du
« développement durable ».
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8
Le code forestier de 2001 a intégré ces nouvelles exigences, de façon à
concilier l’exploitation du bois avec l’objectif global d’aménagement
durable des forêts. Aux anciens permis appelés à disparaître au terme
d’une période de transition se substituent les concessions forestières sous
aménagement durable (CFAD). Ces concessions couvrent de 50 000 à
200 000 ha, un titulaire ne pouvant en principe détenir plus de
600 000 ha. En réalité, quatre opérateurs dépassent ce plafond, dont
Rimbunan Hijau (plus de 900 000 ha) et Rougier (plus de 850 000 ha). Au
total, en 2008, les concessions engagées dans l’aménagement couvraient
une superficie arrondie de 10 300 000 ha contre 3 160 000 ha pour les
autres types de permis9. À côté des forêts productives, les espaces
protégés, réorganisés en 2002 sous la forme de 13 parcs nationaux,
couvrent un peu plus de 3 millions d’ha.
Les concessions sous aménagement durable sont soumises à un cahier
des charges rigoureux, notamment un plan d’aménagement sur une
rotation d’au moins vingt ans, de façon à permettre la régénération de la
forêt et à limiter les pertes provoquées par l’abattage et le débardage des
arbres. Quelques sociétés implantées de longue date et respectueuses de
la forêt ont mis leur expérience au service de cette exploitation forestière
cherchant à concilier économie et écologie, une préoccupation que n’ont
pas toujours les nouveaux acteurs de l’exploitation forestière. Label vert,
éco-certification : les pratiques forestières s’adaptent à un marché
écologiquement exigeant. Plysorel (groupe Leroy) estampillait son
contreplaqué éco-certifié « Eurokoumé »…
2/ La mondialisation de l’exploitation
Longtemps dominée par des sociétés françaises, l’exploitation forestière
s’est mondialisée : les Asiatiques font désormais jeu égal avec les
Français. En 2008, les superficies concédées se répartissaient ainsi :
France 40 %, Malaisie 21 %, Chine 16 %, Inde 2 % (soit un total de 39 %
pour l’Asie). Le Malaisien Rimbunan Hijau, arrivé en 1995 au Gabon, est
désormais le premier exploitant, devant Rougier.
L’histoire de la société Leroy, crée en 1907 à Livarot et qui fut un des
grands acteurs « historiques » de l’économie forestière au Gabon comme
de l’industrie du contreplaqué en France est exemplaire de la
mondialisation de la filière bois. Suite à des difficultés financières Leroy,
sous l’appellation Plysorol est passé sous contrôle de la société portugaise
Sonae en 2000. Avec ses usines de Lisieux, Fontenay-le-Comte et
Épernay, Plysorol a été leader européen du contreplaqué. Mais en 2008 la
. Atlas forestier interactif du Gabon, World Resources Institut, en collaboration avec le
ministère de l’Économie forestière, des Eaux, de la Pêche et de l’Aquaculture du Gabon,
2009.
9
Conférence, FIG 2010
9
société était mise en liquidation judicaire. Un repreneur chinois Guohua
Zhang, dirigeant de la société Shandong Longsheng (importateur de bois
en Chine) et de Honest Timber (exploitation de bois au Gabon) s’est porté
acquéreur de Plysorol en 2009, sans toutefois parvenir à sortir le groupe
de l’impasse financière ; les conditions peu claires de son acquisition lui
valurent d’ailleurs des démêlés avec la justice gabonaise. À nouveau en
redressement judiciaire, Plysorol a finalement été repris tout récemment
(octobre 2010) par le Libanais Ghassan Bitar, lequel possède, entre autre,
une exploitation forestière au Ghana. Les méandres de la mondialisation
sont infinis…
3/ Une anthropologie renouvelée
L’époque héroïque des chantiers forestiers rapportée par des témoins dont
la plupart ont disparu est définitivement révolue. L’arrivée des nouveaux
acteurs crée toutefois des situations et des relations humaines
inattendues comme on peut l’observer chez Rimbunan Hijau. Les cadres
dirigeants de cette société de Malaisie sont des Chinois ethniques, de
nationalité malaisienne certes, mais de culture chinoise. Ils
n’entretiennent avec la main-d’œuvre gabonaise que des rapports distants
de patron à salarié. En revanche, les « Malais » qui occupent des positions
intermédiaires dans l’organisation du travail, notamment des Ibans
originaires de Sarawak, familiers des milieux forestiers tropicaux, se
retrouvent dans les pratiques des Gabonais et, comme eux, meublent
leurs loisirs par la pêche et la chasse10.
Depuis plus d’un siècle, l’exploitation de la forêt gabonaise a ainsi
présenté des visages successifs très différents. Ils constituent une entrée
féconde pour l’étude de l’évolution globale du Gabon. Quand cet « émirat
équatorial » aura perdu jusqu’au souvenir du pétrole, il lui restera encore
la forêt et l’odeur entêtante de la résine d’okoumé.
. Thèse en cours d’Emeric Billard.
10
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