
Conférence, FIG 2010 3
de rail : tous les espaces forestiers de la plaine côtière étaient touchés par
la coupe du bois. Les machines à vapeur tractaient des wagonnets
chargés de grumes jusqu’aux points de mise à l’eau, principalement le
fleuve Ogooué qui charriait ses radeaux de bois jusqu’à Port-Gentil, le
grand port à bois du Gabon colonial. Après la Seconde Guerre mondiale
des progrès techniques décisifs vont ouvrir l’espace de production : le
Caterpillar permet de « débusquer » des arbres dans des sites difficiles
d’accès ; le camion grumier et la route autorisent les chantiers forestiers à
s’éloigner des voies d’eau. Ainsi, le « Gabon utile », longtemps confiné à
la plaine côtière va-t-il prendre son essor en investissant une « deuxième
zone » ouverte à l’exploitation forestière dans un vaste hinterland.
3/ Exploitation forestière et identité nationale
Au début du cycle de l’okoumé, l’exploitation forestière différait peu de la
cueillette. Les « coupeurs de bois », tous Africains, livraient leur
production aux négociants européens. Mais avec le développement du
marché, ceux-ci prirent une part directe dans la production : le chantier
forestier devint le pivot de l’activité économique, et un lieu de vie où se
frottèrent une poignée d’Européens à la main-d’œuvre africaine. Quelques
récits en retracent l’aventure
. Des mois d’isolement dans la forêt
forgeaient le caractère, contribuaient à construire l’image des forestiers,
qui, arrivés à Port-Gentil quelques fois l’an se rendaient célèbres par leurs
« dégagements » qui alimentent encore la légende de ces temps
héroïques d’où sont issus quelques métis. La crise de 1930 fit ses victimes
dans ce monde de petits exploitants vaguement aventuriers. Elle jeta
aussi sur les rivages du Gabon des coolies, parmi eux le père de Jean
Ping, qui fut plus tard ministre du président Bongo et occupe actuellement
les fonctions de président de la Commission de l’Union africaine.
D’étonnants destins ont ainsi transité par la forêt. Aujourd’hui, la légende
de ces forestiers dont certains, il est vrai, sombrèrent dans l’alcool,
s’estompe dans l’oubli ; restent encore quelques « fermiers » qui opèrent
pour le compte de Gabonais détenteurs de permis d’exploitation. Mais les
conditions techniques et sociales de l’exploitation ont changé : les
chantiers forestiers d’aujourd’hui ne diffèrent plus beaucoup de n’importe
quelle base-vie minière ou pétrolière.
La période coloniale des chantiers forestiers a exercé une influence
décisive sur la formation de l’identité gabonaise. La plaine côtière était
très peu peuplée au début du XXe siècle, le contact colonial y avait eu des
effets démographiquement destructeurs. L’explorateur Paul Du Chaillu
s’était interrogé dans les années 1860 sur ce « mal mystérieux » qui
frappait les populations de la côte. Épidémies, alcool, désarroi moral, quoi
. Brouillet Jean-Claude, L’avion du blanc, Laffont, 1972 ; Dedet Christian, La mémoire
du fleuve, Phoebus, 1984.
. Du Chaillu Paul, Voyages et aventures dans l’Afrique équatoriale, Michel Lévy Frères,
1863, réed. Sépia, 1996.