Naissance d’une problématique, p. 5
I.1. Naissance d’une problématique : de H à h.
L’épopée du quantum d’action tourne, dès ses débuts, et par deux fois, autour d’une
même lettre. Il faut en effet remonter à Boltzmann (1844-1906) et l’établissement de son
théorème H qui fonde le second principe de la thermodynamique, pour trouver les premières
traces d‘une idée selon laquelle la nature opérerait, dans certaines circonstances, par sauts
discontinus. Jusque-là, sous le patronage sans faille des succès réguliers de la mécanique
classique, escortée du puissant outil mathématique du calcul différentiel
, la nature obéissait au
principe énoncé depuis Aristote : natura non facit saltus, la nature ne fait pas de sauts. Tout en
elle opérait par mouvements continus, continûment différentiables, et aucun physicien de la fin
du XIXe siècle ne pouvait décemment en douter.
Boltzmann, pour sa part, s’intéressa assez tôt dans sa carrière à la théorie des gaz, qui
donnait pas mal de fil à retordre à la mécanique. Considérant dans une enceinte fermée la
répartition des molécules d’un gaz donné (maintenu à température constante en vertu du
premier principe de la thermodynamique
), il étudia la variation en fonction du temps des
positions et des vitesses de ces molécules abandonnées à elles-mêmes. Il en vint à produire en
1872 cette fonction H dont, précision cruciale, il put affirmer qu’elle ne pouvait que décroître
pour atteindre un minimum correspondant à l’équilibre statique. Autrement dit, quel que pût être
l’état d’agitation des molécules d’un gaz, ces molécules finissaient par se ranger dans un état
donné correspondant à un minimum (non nul) d’énergie. Le grand « second principe de la
thermodynamique » voyait avec Boltzmann son empire confirmé.
Cela restait d’une grande nouveauté car, dans la logique même de la mécanique
classique, si l’on connaissait l’état d’un système à l’instant t ainsi que sa loi d’évolution, on
pouvait aussi bien connaître son état au temps t + t qu’au temps t-t. C’est ainsi que Laplace,
en son « Système du Monde » qui avait établi quasi définitivement le succès de la mécanique
newtonienne, s’était cru permis de former l’hypothèse de la « nébuleuse primitive » dans la
mesure où la connaissance du système solaire et de ses lois mécaniques à l’instant présent
permettait de remonter vers un passé plus que lointain. Sans que cela émut beaucoup les
esprits, il allait de soi que la flèche du temps n’était pas orientée en physique, science du
. Voir à ce sujet le très complet ouvrage de Michel Blay, La naissance de la mécanique
analytique, La science du mouvement au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, PUF, Paris, 1992.
. Ce premier principe, découvert indépendamment par plusieurs savants au milieu du XIXe siècle,
affirmait la conservation de l’énergie : quelles que soit les transformations effectuées, le bilan énergétique
devait ne pas bouger, ce qui relégua d’emblée aux oubliettes scientifiques tous les projets mirifiques de
mouvement perpétuel. Deux ouvrages fondamentaux sur ces sujets : Yehuda Elkana, The Discovery of
the Conservation of Energy, London, Hutchinson Educational Ltd., 1974, et Arthur W.J.G. Ord-Hume,
Perpetual Motion, The History of an Obsession, London, George Allen & Unwin Ltd, 1977. Quant au
second principe, énoncé clairement par Clausius en 1865 (à la suite des travaux de Carnot sur la
machine à vapeur et la transformation de la chaleur en travail), il affirme que la flèche du temps est
orientée en thermodynamique, puisque l’entropie (le niveau de « désordre » d’un système) croit d’elle-
même de façon irréversible.