Cela faisait une bonne heure qu`Yves bidouillait son antenne

publicité
Yves
Tonio
Cela faisait une bonne heure qu’Yves
s’acharnait sur son antenne
télescopique en poussant de grands jurons qui se répercutaient jusque sur la
montagne d’en face. Quelques ânes au loin lui donnaient la réplique. Yves était un
type brillant qui voulait avant tout briller. Yves nous emmerdait.
En préparant ce soir-là le méchoui, chacun rêvait de voir Yves pendu au
crochet à la place du tendre animal qui, quelques minutes auparavant, en s’éloignant
du campement en compagnie du muletier, nous avait adressé un regard si lourd de
reproches.
Yves était un drôle de phénomène. Voilà pourquoi je ne me risquerais pas à
une sentence trop définitive. Bien sûr, il nous irritait, gravement, mais chacun
sentait que cet individu ne se limitait pas à la nuisance qu’il nous infligeait. Yves était
en fait assez complexe. Cependant, la complexité du bonhomme ne nous intéressait
pas outre mesure, et nous aurions bien volontiers payé un supplément pour nous
débarrasser de lui, à défaut de pouvoir le faire taire (ce qui avait déjà été tenté).
C’était la seule ombre à ce séjour lumineux aux confins du Pamir. Nous nous
étions engagés dans une équipée censée allier la splendeur de l’Orient et la beauté
désuète de l’URSS : un concept attirant sur le papier mais assez difficile à
matérialiser. Le site Internet du Quai d’Orsay avait été particulièrement clair à ce
sujet : séjour au Tadjikistan fortement déconseillé : guerre civile, prises d’otages, vols, climat
d’insécurité, etc.... Mais entre nous, il n’y a pas plus excitant que de randonner dans
le risque et de braver les avis de l’Etat. L’agence n’avait d’ailleurs eu aucun mal à
réunir quatorze énergumènes autour de cet argument. D’ici à ce que cela devienne
prochainement une formule à la mode....
La première partie du voyage n’avait posé aucun problème particulier. Nous
marchions d’un bon pas dans un massif verdoyant qui n’était pas sans rappeler nos
Pyrénées. Les Monts Fanskje offrent au randonneur français un cadeau qu’il a appris
à savourer à sa juste valeur : un magnifique ciel sans nuage de l’aube jusqu’au
crépuscule. L’altitude modérée permet, tout en échappant à la fournaise de la
steppe toute proche, de profiter d’une certaine fraîcheur bien vivifiante. Bref, un
magnifique parcours hors des sentiers battus.
Au bout d’une dizaine de jours, une certaine lassitude physique s’installe, et la
capacité à socialiser se réduit de façon drastique. Ce théorème est bien connu des
randonneurs, qui affrontent alors avec angoisse les interminables veillées sous la
tente mess. Généralement, c’est à cette période que des groupes se forment de
manière plus marquée qu’auparavant, et que chacun sélectionne sa ou ses têtes de
turc.
Dans notre cas, il n’y avait qu’une bête noire, partagée par tous et qui montait,
montait de jour en jour. Yves semblait un jeune chiot malgré ses soixante ans. Dans
ses allers-retours incessants d’un bout à l’autre de la file indienne pour s’assurer que
tout le monde l’écoutait, il avalait au moins le double de la distance normale, sans
montrer pour autant le moindre signe de fatigue. Et pendant les pauses les plus
méritées, celles où le regard se perd sur l’horizon au terme d’une escalade épuisante,
il redoublait de vigueur et semblait entrer en scène pour déverser l’inépuisable
torrent de ses remarques, souvenirs, analyses, blagues, chroniques, récits, et autres
poèmes. Même pour un maître zen chevronné, ce comportement serait accueilli
avec tiédeur. Alors dans un groupe d’ours misanthropes comme le nôtre...
Il lui arrivait de prendre de l’avance jusqu'à disparaître de notre vue, pour
ensuite se cacher derrière un rocher, nous laisser passer, et réapparaître derrière nous
à la stupeur générale. Une autre fois, nous le retrouvâmes ligoté à un arbre dans
une attitude christique (il avait payé un muletier pour l’attacher !) en nous soutenant
avoir été capturé par des brigands. Bref, de petites plaisanteries qui auraient été
drôles si elles n’avaient donné lieu par la suite à d’interminable récits du making of de
chacune .
Ce soir-là, il avait donc entrepris de doter le campement d’un équipement de
réception radio afin de nous permettre de capter le bulletin d’informations de Radio
France International. Je précise bien qu’il avait interprété très librement notre besoin justifié - d’informations récentes sur la situation géopolitique de la région en un
besoin irrépressible d’écouter la radio. Devant nos mine réprobatrices (mais sans
doute résignées) il avait transformé un pauvre transistor en une puissante station de
réception grâce à un procédé “ top secret ” supposé accélérer la conductivité du signal.
Inutile de dire que personne n’avait osé mettre en doute son explication.
Se désintéressant totalement du méchoui, il s’escrima toute la nuit sur son
dispositif alors que nous nous vengions en prenant bien soin de dévorer la part de
repas que le guide lui avait mise de côté dans un élan de professionnalisme
franchement déplacé. Nous échangions entre nous des regards de chacals, repus de
notre forfait, certes minable, mais qui nous soulageait un peu. Yves ne s’en aperçut
même pas. Il oublia tout simplement de manger, ce qui nous rendit pensifs.
Le soir, après le repas, quand les passions exacerbées par la faim se sont
calmées, j’aime me promener seul aux alentours du campement. Je respire enfin dans
un univers plus ouvert où, libéré du groupe, je cesse de me placer au centre de la
terre pour me fondre dans ces paysages d’ombres et de lumières qui m’ont
accompagné discrètement toute l’après-midi. Je marche, je respire profondément,
j’enlace le tronc d’un arbre, je murmure un mot amical à son endroit. Il me gratifie
d’un frémissement de feuilles et le vent se fait soudain chaud et enveloppant. Cette
communion est d’ordinaire fugace, faite d’étincelles, d’images, et de sensations
fulgurantes. C’est un espace de lucidité qui s’instaure entre la nature et le
promeneur. C’est la récompense d’une journée d’efforts où l’on a cru voir en un
panorama radieux un certain couronnement ; mais c’est dans l’intimité de la soirée,
au plus près des éléments, que se récoltent les véritables lauriers. Je demeure
immergé dans ma forêt de thuyas sans voir passer les minutes.
Soudain, le vent se chargea d’une rumeur confuse qui me fit tendre l’oreille. Je
n’aurais su dire au juste ce dont il s’agissait. On aurait dit la clameur d’un stade
lointain. Ce bruit me perturba. Il ne se rapportait à rien de connu et paraissait de
surcroît fortement incongru au milieu d’une nature si sauvage. Je regardai les feuilles
alentours, qui semblaient vibrer comme sous le souffle d’une subite bourrasque, et
ces dizaines de voix se répondaient d’une roche à l’autre, d’une combe à l’autre,
s’engouffrant en tourbillonnant dans le vide de la vallée.
Je retournai prestement au camp, et y découvris mes camarades dans un état
de très forte agitation. Eux aussi avaient perçu cette anomalie. Ils étaient debout, le
corps tendu vers l’espace, dans un mélange de concentration et d’excitation,
grommelant des “ chut ! ” et des “ écoutez ! ” tout à fait désordonnés. Yves était le
seul à ne pas broncher. Il était toujours plongé dans son enchevêtrement de fils et
de tiges de métal. En vérité, je crois qu’il avait non seulement remarqué ce qui était
en train de se passer, mais qu’il l’avait peut-être perçu bien avant nous, et c’est la
raison pour laquelle il semblait si peu attentif à nos questions pourtant insistantes.
D’emblée se forma au sein du groupe, une école de tendance “ rationnelle ”
qui réfutait toute inquiétude inutile et se mettait aussitôt à balayer les différentes
explications de haussements de sourcils et de soupirs prononcés. “ Meuuunon... ”
était le cri se ralliement de cette congrégation.
Un autre parti se manifesta ; il regroupait ceux que le mystère excitait, et qui
seraient capables d’en parler la nuit entière.
Un dernier groupuscule se signala par défaut : c’était ceux qui étaient déjà
allés se coucher, souffrants, ronchons et asociaux de service.
Pendant le reste de la soirée, il ne se passera plus rien de notable, hormis les
querelles d’écoles ; celles des deux premières, surtout, mais aussi la dernière qui
finira par se lever en grognant pour demander un peu de silence “ à la fin ”.
La surprise passée, je parvins peu à peu à me calmer. Je me remémorai
certains contes sud-américains particulièrement absurdes où les vaches volaient et les
trains disparaissaient dans les tunnels. Bref, des situations bien plus insolites qu’un
simple chant de supporters sur les contreforts du Pamir. De toutes façons, dans un
certain état de fatigue physique, la frontière entre réalité et fiction n’est-elle pas des
plus imprécises ? En relisant mes notes d’alors, je m’étonne aujourd’hui de ma
légèreté, mais dans le contexte, le “ phénomène ” fut bel et bien une donnée que je
finis par accepter . Cette nuit-là, je dormis d’un sommeil particulièrement profond.
Le lendemain à l’aube, j’ouvris les yeux sur le spectacle familier des muletiers
s’affairant autour de leurs montures, et l’odeur du lait en poudre éveilla en moi le
désir de vivre intensément une journée qui s ‘annonçait de la sorte.
Des tentes, émergeaient les êtres poussifs qu’étaient mes compagnons de
route, à grand renforts de bâillements et d’étirements interminables. En promenant
encore davantage mon regard sur ce champêtre décor, j’aperçus la silhouette
improbable de l’ami Yves, juché sur un mamelon à une centaine de mètres du camp.
Il semblait avoir érigé une sorte d’antenne encore plus imposante que la précédente,
au moyen de matériaux que je ne parvenais pas encore à distinguer. En me frottant
vigoureusement les yeux, je crus distinguer des armatures de tentes, mais je n’aurais
pu le jurer. Négligeant l’appel du petit noir, les camarades qui s’étaient rendu
compte de l’érection nocturne, commençaient à converger lentement vers la
proéminence.
Yves, transpirant déjà malgré l’heure fraîche, poussait de petits cris de fouine
en serrant écrous et boulons (dénichés on ne sait où, et au prix de quelle transaction)
et redressant sans cesse les arceaux de tentes, naturellement incurvés, qui n’avaient
nullement été conçus à des fins de réception hertzienne. Nous lui demandâmes
immédiatement ce qu’il comptait faire de cette amas de ferraille, sans pouvoir
réprimer une certaine ironie. Rompant diamétralement avec ses habitudes, celui-ci
nous expliqua très sérieusement que les rumeurs entendues la veille (et paraît-il
également la nuit) étaient de véritables cris de véritables gens, situés bien au delà du
périmètre habituel de notre pouvoir auditif, mais dont les sons avaient été portés par
une conjonction de facteurs physiques et climatiques. Il s’agissait désormais de bien
se tenir attentif au moindre message hertzien afin d’en avoir le cœur net.
Cette explication ne convainquit que partiellement ceux qui avaient reconnu
dans l’antenne improvisée des morceaux de leur propre tente, mais plus
généralement, le groupe délaissa ce Professeur Tournesol pour se consacrer au rituel
plus maîtrisable du petit déjeuner.
Il faut bien reconnaître que la soudaine passion d’Yves pour la radio avait
entraîné sa disparition de la vie de groupe ; et même si elle ne datait que de la veille,
chacun la saluait comme un soulagement et une bonne affaire.
Il fut bientôt l’heure de se mettre en route pour l’étape du jour, qui devait
nous amener jusqu’aux fameux lacs de Koulikalon, dont la couleur verte ornait les
prospectus de l’agence de trekking. Yves réussit à convaincre le guide et les
muletiers de transporter son appareillage sans le démonter, en réalisant une espèce
d’attelage : plusieurs mules attachées entre elles devaient ainsi cheminer de front
avec la structure métallique posée sur le dos à la manière d’un bât. Cette initiative
provoqua un certain émoi dans le groupe. Quelques noms d’oiseaux furent même
formulés à l’encontre du Ben Hur de circonstance. Chacun reprit la route avec la
certitude d’avoir affaire à l’être le plus capricieux de l’histoire de la randonnée
pédestre, et j’en vis même certains noter la chose sur leur carnet de route pour être
bien sûr de s’en souvenir. Pour ma part, je pris plusieurs photos de l’attelage avec la
certitude de tenir là un sujet moquerie inépuisable.
La journée avançait et la caravane aussi, malgré son chargement insolite. On
finit par oublier l’incident pour se reporter sur l’exceptionnel caractère de cette
chaîne de montagnes superbe et si peu fréquentée qui nous faisait prendre
conscience de la surpopulation de nos Alpes. Mais vers le début de l’après midi, alors
que le groupe était plongé dans une belle sieste, la “ chose ” se fit entendre de
nouveau.
Cette fois-ci, il ne s’agissait plus du tout d’une rumeur confuse mais d’une
véritable clameur qui déchira brusquement l’air torride. Nous sursautâmes tous. Les
muletiers avaient perdu de leur mimique espiègle et même les animaux
s’interrogeaient entre eux du regard. A l’intérieur de ce bruit, on pouvait maintenant
clairement distinguer des voix humaines. Plutôt féminines, d’ailleurs. Je songeai
immédiatement à un téléfilm passé voilà une quinzaine d’années - la bête de guerre où un char soviétique était traqué dans d’inextricables gorges par un commando de
résistants afghans. A la fin, les femmes des moudjaïdines, ivres de sang, arrachaient à
mains nues le cœur des tankistes de l’armée rouge en poussant des hurlements
épouvantables.
Ce souvenir me rappela brusquement la réalité du pays que nous étions en
train de traverser en touristes. Le Tadjikistan était en guerre. Une guerre quasiment
inconnue de nous, dont nous ne pouvions même pas énoncer les motifs, et encore
moins les forces en présence. Tout juste nous avait-on dit que la zone de notre trek
n’était pas concernée par les combats. Nous l’avions tellement cru que dans les tous
premiers jours, en entendant au loin des coups de feu, nous avions bien volontiers
identifié des armes de chasseurs, sans nous poser davantage de questions.
La situation m’apparaissait désormais plus clairement : après quelques
intimidations lointaines qui n’avaient pas porté leurs fruits, on tentait de nous faire
comprendre un message : étranger, passe ton chemin…
Nos accompagnateurs, quant à eux, étaient sceptiques. Il se lancèrent dans
un épais conciliabule qui reflétait la diversité de leurs analyses. Disons qu’ils n’en
savaient pas plus que nous. Après un interrogatoire serré, le guide nous avoua qu’il
craignait une initiative intempestive d’individus de triste réputation ou d’adversaires
politiques du régime en place. Si le guide nourrissait ce genre de doutes, nous
pouvions être certains que notre sécurité était en réalité fortement remise en
question, et tout le monde dans le groupe sut apprécier à leur juste valeur les
euphémismes et autres ellipses du leader.
Il n’y eu bientôt que deux personnes pour remettre en cause l’opportunité de
tourner bride immédiatement. Il s’agissait de l’aide-cuisinier - qui était devenu le
chouchou de ces dames et des quelques uns, grâce à sa prévenance et son physique
d’éphèbe - et.... d’Yves, bien entendu.
Le fait qu’Yves se pose en rupture du groupe allait de soi. L’attitude isolée du
jeune garçon était plus surprenante. Plus que la réalité du phénomène qui nous
préoccupait, nous pensâmes que l’objet de préoccupation de notre cuistot devait
davantage se situer du côté d’une remise en question de l’ordre médiéval qui
caractérisait ces expéditions.
Toujours est-il que l’aide-cuisinier (dont je n’ai malheureusement pas réussi à
retenir le nom) accompagna Yves dans l’ascension du col suivant, alors que le reste
du groupe prenait le chemin du retour. Les demandes, suppliques, génuflexions et
roulades-par-terre de notre guide ne réussirent pas à détourner notre hurluberlu de
son projet. Un groupe qui désormais l’insultait copieusement au nom d‘une angoisse
provoquée autant par la peur du risque que par la peur du vide . Le vide provoqué
par l’absence de cet être incompréhensible mais indispensable.
Indispensable, nous comprîmes qu’il l’était quand nous commençâmes à nous
disputer à son sujet. Quand il était là, au moins, il fédérait les ressentiments et tous
retrouvaient une sorte de cohésion à l’heure de blâmer cet insupportable
compagnon. Sans lui, que faire ? L’absence d’Yves perturba beaucoup plus le groupe
que sa présence, déjà dévastatrice.
Sa femme ( !), qui était restée avec nous, s’était murée dans le plus absolu des
mutismes. Elle semblait avoir quitté ce monde. Jamais elle ne consentit à nous aider
dans notre exégèse. De toute évidence, elle ne le comprenait pas plus que nous et ne
souhaitait pas mettre en lumière ce constat.
Ainsi, Yves s’en était allé. Nous avions vu son attelage hétéroclite disparaître
aux premiers tournants du chemin qui devait nous mener jusqu’aux contreforts du
Pamir. Ses mèches blanches hirsutes et sa forêt de tubulures s’étaient fondues dans
l’air du soir. Ce fut un soir de doute. Plus nous doutions et moins nous comprenions.
Sans comprendre, nous fantasmions ; et notre aventure prenait des proportions
irrationnelles. Ce fut un soir de tension et une nuit sans sommeil.
Notre retour fut mouvementé. Outre les disputes à l’intérieur du groupe, nous
eûmes à faire face à une épidémie de diarrhée, sans doute provoquée par l’extrême
sécheresse et le bas niveau des cours d’eau. Sans doute aussi par un moral au plus
bas. Entre ceux qui estimaient avoir gâché leurs vacances et ceux, plus pudiques, qui
tentaient de réconforter l’épouse d’Yves, l’ambiance n’était pas à la fête.
Arrivé enfin à Samarcande, le groupe s’était séparé sans joie. La dernière
partie - splendeur de l’empire de Tamerlan - avait été purement et simplement annulée
par l’agence. Le guide avait disparu sans laisser de trace et les organisateurs
commençaient à redouter l’offensive des compagnies d’assurance. Personne n’eut
toutefois le culot de se plaindre de l’itinéraire tronqué, notamment en présence de la
femme d’Yves. Nous fîmes une croix sur l’Asie centrale et voilà tout.
Quelques semaines plus tard, en surfant sur internet, je tombai sur une
dépêche inattendue : Un héros français sur le Pamir. Une équipe de sauveteurs a réussi à
localiser et secourir Yves D., citoyen français de soixante ans qui avait disparu lors d’une
expédition en Asie centrale, ainsi qu’une quarantaine de personnes, de nationalité Tadjique,
dans une région particulièrement reculée du massif Fanskje. Les sauveteurs avaient été
alertés par les signaux radios qu’Yves D. était parvenu à transmettre au moyen d’un
transistor et d’un ingénieux assemblage de piquets de tentes. Plusieurs jours auparavant,
Yves D. avait réussi à repérer les quarante survivants du crash du tupolev B 450 de la
TadjikLine survenu le 15 juillet, mais n’avait pu rejoindre son groupe de randonnée, qui était
parti trop prestement dans une direction opposée. Monsieur Yves D. a été célébré par une
foule immense sur la place centrale de l’hôtel de ville de Douchanbé et décoré de l’ordre du
Tamerlan par sa majesté le Prince Héréditaire Fayzolo. Du côté de l’Elysée, on a fait savoir
que Monsieur Yves D. serait reçu à déjeuner par le chef de L’Etat et décoré selon les usages de
la République.
Depuis cet épisode, j’ai abandonné les randonnées en groupe. Je voyage seul
de par le monde. Je cherche les gens de relief qui me distrairont d’une certaine
monotonie. Je cherche les situations extrêmes. Les gens extrêmes. Et je ne manque
jamais de lever les yeux vers le ciel, histoire de voir si un avion ne battrait pas de
l’aile.
Paris, mai-juillet 2001
Téléchargement