Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
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Madrid Barcelone, le choc des capitales
Nacima BARON YELLES
Professeur à l’Université Marne-la-Vallée
INTRODUCTION
Madrid, Barcelone : deux traditions urbaines
Madrid, Barcelone, déjà cinq siècles de concurrence. Madrid est une capitale tardivement inventée
pour regrouper les instruments du pouvoir royal, tandis que Barcelone, faite par les flux et pour les
échanges, est à la fois un port actif et le joyau architectural d’une bourgeoisie entreprenante. La
confrontation des deux styles de villes rejoue le vieux débat entre, d’un côté, une autorité
centralisatrice qui conçoit le développement urbain comme la poursuite d’une logique d’accumulation
aristocratique et, de l’autre côté, la dimension créative de l’urbanisme, l’inventivité dynamique d’une
ville faite pour le réseau. En 1992, les Jeux Olympiques marquent la consécration de cette deuxième
modalité de développement et installent la capitale catalane dans ses nouveaux habits métropolitains
(ex. : port olympique).
Partie 1
Madrid, Barcelone : deux « villes mondiales » ?
Depuis, l’Espagne a connu une quinzaine d’années de croissance forte et ininterrompue. Les deux
villes ont évolué et leur transformation spatiale et fonctionnelle présente un grand nombre de
parallélismes, sinon de convergences. La mondialisation en a fait deux villes globales, recherchant
avec ardeur à attirer le plus grand nombre de sièges financiers et d’activités productives à haute
valeur ajoutée. En même temps, de véritables chocs démographiques (l’explosion de l’immigration, le
vieillissement progressif des populations de centre-ville) et d’importantes mutations sociales
(l’élévation du niveau de formation, alliée à la précarité professionnelle croissante) accentuent la
dualisation sociale et la ségrégation spatiale. Les deux capitales ont alors suscité des analyses qui
mettaient l’accent sur leurs caractères évolutifs communs : changement de structure productive
(désindustrialisation et développement des services), changement d’échelle de l’aire urbaine
(étalement résidentiel, mobilités), transformations des logiques de la gouvernance (tensions entre les
pouvoirs municipaux et les pouvoirs de la communauté autonome), menaces environnementales et
enjeux d’une gestion durable des aires urbaines.
Partie 2
La transfiguration de Madrid, le « desapego » de Barcelone
Malgré les apparences, ce cycle de croissance n’a en rien gommé les profondes différences qui
opposent les deux villes et l’enrichissement général des deux classes supérieures urbaines n’a en rien
amélioré leurs relations de concurrence et d’hostilité. Dans les années 1990, alors qu’on croyait que
l’essor politique des communautés autonomes allait faire émerger des pôles économiques
secondaires dans tout le pays, c’est bien le contraire qui s’est produit. La globalisation a favorisé la
concentration des actifs économiques à Madrid, la positionnant comme hub européen articulé avec
les marchés sud-américains. L’équation politique n’a pas non plus joué en faveur de Barcelone. En
effet, quand la Moncloa (siège de l’exécutif central) est aux mains des libéraux (cas des deux
législatures Aznar), l’allié de Madrid est le Levante, notamment Valence. Quand le pouvoir central est
aux mains des socialistes (cas des deux législatures Zapatero), l’équilibre est plus complexe : la
région socialiste la plus peuplée étant l’Andalousie, elle reste le premier partenaire. De son côté, la
Generalitat (le gouvernement catalan) a basculé d’une droite libérale (Pujol) à un tripartisme (Maragall
puis Montilla) intégrant les partis socialiste, républicain et souverainiste. Ce contexte explique en
partie le sous-investissement relatif dont souffrent les grandes infrastructures de la capitale catalane :
réseaux de cercanias vétustes et inadaptés, réseaux énergétiques sous-alimentés, d’où le black-out
en 2007, crise d’approvisionnement hydrique en 2008… Les relations politiques difficiles entre Madrid
et Barcelone expliquent aussi qu’il ait fallu treize ans pour construire une ligne ferroviaire à grande
vitesse entre les deux capitales, ligne enfin inaugurée en 2007. Tout ceci renforce le constat selon
lequel Barcelone traverse une crise multiforme, crise interne du fait de ses divisions spatiales et
sociales exacerbées, crise dans sa relation à l’Espagne. Le terme en vogue est « desapego »
(indifférence, inappétence à l’égard des affaires espagnoles et madrilènes). À cela s’ajoute le bras de