Pentecôte 2010 – Famille Missionnaire de Notre-Dame La dictature du relativisme éthique Nous le savons, Benoît XVI met pleinement en œuvre sa puissance intellectuelle pour nous aider à affronter l’une des plaies de la postmodernité, la dictature du relativisme éthique, selon l’expression qu’il a employée à de multiples reprises depuis son élection comme successeur de Pierre. Les discours traitant de cette thématique sont innombrables. Ainsi lorsqu’il s’est adressé en octobre 2006 à l’Eglise d’Italie dans un discours qui avait marqué ses auditeurs : « [De] cette culture qui prédomine en Occident et qui voudrait se présenter comme autosuffisante (…), il en dérive une nouvelle vague d’idéologie rationaliste et de laïcisme pour laquelle ne serait rationnellement valable que ce qui peut être expérimenté et calculable, alors que sur le plan de la pratique, la liberté individuelle est érigée comme valeur fondamentale à laquelle toutes les autres devraient se soumettre. (…) L’éthique est ramenée entre les limites du relativisme et de l’utilitarisme en excluant tout principe moral qui soit valable et contraignant en lui-même. Il n’est pas difficile de voir que ce type de culture représente une rupture radicale et profonde avec le christianisme 1» avait-il dit. Ce constat, il l’avait formulé en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi dans l’un des documents les plus importants de ces dernières années pour soutenir et guider la conscience des laïcs catholiques engagés dans la vie publique : « La société civile se trouve aujourd’hui dans un processus culturel complexe qui signale la fin d’une époque et l’incertitude pour les temps nouveaux qui pointent à l’horizon (…) On constate aujourd’hui un certain relativisme culturel qui se révèle dans sa nature comme un système et une défense d’un pluralisme éthique favorable à la décadence et à la dissolution de la raison et des principes de la loi morale naturelle 2». Système dominant et monopolistique, le relativisme éthique postule que toutes les conceptions du bien, tous les choix moraux concernant la vie de l’homme, se valent et sont soumis à des orientations variables et transitoires. L’éthique est absolument autonome, émancipée de toute catégorie morale fondamentale et de tout invariant anthropologique. C’est donc une crise du fondement, une crise de l’universalité aussi, puisqu’aucune valeur commune ne peut rassembler les hommes ultimement. La vérité « se heurte à une conscience contraire de la société qui possède pour ainsi dire une sorte d’antimoralité qui s’appuie sur une conception de la liberté considérée comme la faculté de choisir de façon autonome sans orientations prédéfinies, et donc comme une approbation de tout type de possibilités, se présentant ainsi de façon autonome comme éthiquement correcte », avait analysé sans concession le Saint-Père lors d’une rencontre avec les évêques suisses3. Seule la science a gardé une certaine autorité, seule la science peut être l’objet d’une attestation et d’une approbation dans l’espace public alors que, comme le note le philosophe Pierre Manent, nous n’avons plus de « science de ce qui est bon pour nous, bon pour l’homme. Ce qui est bon pour nous, individuellement et collectivement, nous l’inventons par nous-mêmes et pour nous-mêmes, à chaque instant et en toute liberté. Ce qui est bon pour nous n’appartient pas au domaine de la science mais à celui des valeurs, et ces valeurs nous les choisissons, (…) nous les créons, librement ». La dissociation entre la connaissance 1 Benoît XVI, Discours au Congrès ecclésial italien de Vérone, 19 octobre 2006. Congrégation pour la doctrine de la foi, Joseph Ratzinger, Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 24 novembre 2002, n. 2. 3 Benoît XVI, Discours en conclusion lors de la rencontre avec les Evêques de Suisse, 9 novembre 2006. 2 1 scientifique dans laquelle l’éthique n’a pas de place et le monde des valeurs où règne le relativisme est aujourd’hui consommée. A ce positivisme moral correspond un positivisme juridique qui détache la loi de tout fondement éthique et rationnel ou dans le meilleur des cas réduit la raison à un rôle purement instrumental ou procédural pour déterminer les normes éthiques, juridiques et législatives. L’unité entre le droit et la morale elle aussi a volé en éclat. Le plus éminent tenant de ce positivisme juridique est bien sûr Hans Kelsen (1881-1973), auteur de la célèbre Théorie pure du droit. Le cardinal Ratzinger le cite dans l’une de ses conférences en partant de la question de Pilate : « qu’est-ce que la vérité ? » (Jn, 18, 38). « La question de Pilate est pour Kelsen l’expression du nécessaire scepticisme du politicien. La question contient en quelque sorte : la vérité est inatteignable. Pilate le comprend ainsi : on s’en rend compte à ce qu’il n’attend même pas de réponse mais se tourne immédiatement vers la foule. D’après Kelsen, il a donc soumis la décision de ce cas difficile au vote du peuple. Kelsen pense que Pilate a agi ici en parfait démocrate. Comme il ne sait pas ce qui est juste, il laisse la majorité décider. Pilate devient (…) la figure emblématique de la démocratie relativiste et sceptique, qui ne s’appuie pas sur des valeurs ni sur la vérité, mais sur des procédures 4». Que devient la conscience ? La conscience, également, est libre de déterminer les normes de son agir moral et refuse toute vérité qui viendrait la remettre en cause ou surplomberait ses choix. Elle est « le manteau protecteur de la subjectivité sous lequel l’homme peut s’abriter et se cacher 5», elle est le rempart d’une liberté qui se veut absolue face aux exigences de la vérité et qui ne saurait se soumettre aux limitations susceptibles d’être imposées par cette vérité. L’anthropologie libérale arrache la personne à l’empire du logos en l’instituant monade souveraine capable de décider par soi-même les cadres moraux de son séjour terrestre. Le relativisme engendre ainsi un subjectivisme radical qui n’aurait de compte à rendre à quelque autorité que ce soit. La conscience subjective ne peut donc produire qu’une vérité subjective valable pour l’individu et le groupe auquel il appartient, incapable de faire le partage du bien et du mal. Le relativisme enchaîne l’homme à ses propres options. Il n’y a plus de place pour l’obligation de rechercher la vérité qui est l’un des grands préceptes de la loi morale naturelle. Vous savez que le document de la commission théologique internationale A la recherche d’une éthique universelle fait de ce désir de chercher la vérité l’un des grands dynamismes naturels de la personne humaine6. Oui, mais voilà, cette inclination spécifique de l’être humain comme être rationnel et spirituel s’éteint. Le besoin de nouer avec ses semblables des relations de coopération intense pour rechercher la vérité est étouffé. L’indétermination éthique à laquelle est réduit le sujet contemporain peut alors conduire la société aux pires démesures. Nous abandonnons tout travail de la conscience. Benoît XVI va jusqu’à évoquer une apathie et un dégoût de l’intelligence : « Dans la phase actuelle de la sécularisation appelée post-moderne (…), non seulement le refus de la tradition chrétienne grandit, mais l’on se méfie également de la capacité de la raison à percevoir la 4 Joseph Ratzinger, Die Bedeutung religiöser und sittlicher Werte in der pluralistischen Gesellschaft, Communio allemand, 21/VI, 1992,500 in Joseph Ratzinger, Discerner et agir, Parole et Silence, 2009, p. 168. 5 Joseph Ratzinger, Der Aufrag des Bischofs und des Theologen angesichts der Probleme der Moral in unserer Zeit, Communio allemand, 13/VI, 1984, 524 in Joseph Ratzinger, Discerner et agir, Parole et Silence, 2009, p. 190. 6 Commission théologique internationale, A la recherche d’une éthique universelle. Nouveau regard sur la loi naturelle. Cerf, 2009, pp. 70-74. 2 vérité, on s’éloigne du goût de la réflexion 7». Le relativisme atteint le cœur et l’intelligence, sa plus grande victoire est que la conscience réfute jusqu’à l’existence d’une vérité morale fondant la distinction du bien et du mal, du juste et de l’injuste. « La conscience, qui est un acte de la raison visant à la vérité des choses, cesse d’être une lumière et devient une simple toile de fond sur laquelle la société des médias projette les images et les impulsions les plus contradictoires », ajoute le Pape. La conscience est prisonnière de la caverne magistralement mise en scène par Platon au livre VII de La République, jouet des illusions et des ombres des opinions (doxa) les plus diverses. D’où le rôle primordial accordé au lobbying, aux sondages, à l’orchestration d’affaires jouant sur les passions et les sentiments,… afin de travailler et manipuler de manière incessante l’opinion publique Toutes les options se valent, vous êtes libres de penser comme vous le souhaitez, aucune autorité n’exercera sur vous une coercition, nous dit l’idéologie relativiste qui se présente sous las atours de la tolérance. Mais parce qu’il faut tout de même une base minimale pour organiser la vie commune, une sorte de voie minimale entre les diverses opinions va devoir être dégagée pour finalement s’imposer à tous. Comment la déterminer ? Il ne reste plus que le consensus de la majorité. Dans cette magnifique homélie improvisée le 15 avril dernier en la chapelle Pauline, Benoît XVI a montré que ce consensus de la majorité est l’instance suprême à laquelle l’homme moderne obéit alors même que ce consensus peut être, dit-il, « un consensus dans le mal 8». Une espèce de pensée unique, « éthiquement correcte » qui régente les consciences en résulte. D’où le terme de dictature du relativisme choisi par Benoît XVI : « Aujourd’hui (…) il existe des formes subtiles de dictature : un conformisme qui rend obligatoire de penser comme tout le monde, d’agir comme tout le monde ; les agressions subtiles contre l’Eglise, ou parfois moins subtiles, montrent que ce conformisme peut vraiment être une véritable dictature » (Ibid.). Tout se passe comme si la propension de notre culture à marteler que tout se vaut marginalisait quiconque penserait autrement et intimidait ceux qui estiment que tous les choix, tous les actes, justement, ne se valent pas. Alexis de Tocqueville n’a-t-il pas annoncé dans une page fameuse la disqualification de ceux qui s’élèveraient contre ce conformisme de la majorité : « La majorité trace un cercle formidable autour de la pensée. Au-dedans de ces limites, l’écrivain est libre ; mais malheur à lui s’il ose en sortir. Ce n’est pas qu’il ait à craindre un autodafé, mais il est en butte à des dégoûts de tous genres et à des persécutions de tous les jours. La carrière politique lui est fermée : il a offensé la seule puissance qui ait la faculté de l’ouvrir. On lui refuse tout, jusqu’à la gloire. Avant de publier ses opinions, il croyait avoir des partisans ; il lui semble qu’il n’en a plus, maintenant qu’il s’est découvert à tous ; car ceux qui le blâment s’expriment hautement, et ceux qui pensent comme lui, sans avoir son courage, se taisent et s’éloignent. Il cède, il plie enfin sous l’effort de chaque jour, et rentre dans le silence, comme s’il éprouvait des remords d’avoir dit vrai. Des chaînes et des bourreaux, ce sont là les instruments grossiers qu’employait jadis la tyrannie ; mais de nos jours la civilisation a perfectionné jusqu’au despotisme lui-même (…). Le despotisme, pour arriver à l’âme, frappait grossièrement le corps ; et l’âme, échappant à ces coups, s’élevait glorieuse au-dessus de lui ; mais dans les républiques démocratiques, ce n’est point ainsi que procède la tyrannie ; elle laisse le corps et va droit à l’âme. Le maître ne dit plus : vous penserez comme moi ou vous mourrez ; il dit : vous êtes libres de ne point penser ainsi que moi ; votre vie, vos biens, tout vous reste ; mais de ce jour vous êtes un étranger parmi nous ». Benoît XVI, Discours à l’Assemblée générale de l’Académie pontificale pour la Vie, 24 février 2007. Benoît XVI, Résister à la dictature du relativisme, Homélie lors de la messe avec les membres de la Commission pontificale biblique, 15 avril 2010. 7 8 3 Bien sûr, nous troquons la vérité contre le consensus du plus grand nombre en toute confiance. Car ce régime établit le pouvoir politique dans une posture de neutralité et de tolérance éthique qui rassure nos désirs de liberté : mais ce n’est qu’une illusion trompeuse. Le principe de tolérance du relativisme est dogmatique : si vous osez proférer sur la place publique une réflexion intellectuelle et morale qui irait contre la doxa dominante, vous pécheriez par manque de tolérance. Rappelez-vous la déclaration symptomatique du professeur Didier Sicard, alors président du Comité consultatif national d’éthique, lors d’un entretien accordé à un grand journal français en pleine controverse du Téléthon : « L’intervention de l’Eglise catholique me paraît, dans ce domaine, à la fois malencontreuse et extraordinairement malvenue. Elle a le droit de porter un jugement. Pour autant, elle n’a pas vocation à l’imposer dans l’espace public, ce qu’elle fait aujourd’hui. Elle a pleinement le droit, tout à fait respectable, de considérer l’embryon humain comme sacré. Mais elle n’a pas le droit d’en faire une manifestation publique 9». L’idéologie relativiste, pour être efficace, fonctionne donc comme une énorme machine à trier les jugements autorisés et les jugements non autorisés derrière une apparence de tolérance. Dans une remarquable conférence donnée à l’occasion de la 13e assemblée générale de l’Académie pontificale pour la Vie, Mgr Laffitte ne disait pas autre chose à propos de ce qu’il appelle la tolérance idéologique. Celle-ci revendique le droit de juger les parties en présence en se situant du côté des positions les plus conformistes et les moins dérangeantes pour l’équilibre consensuel qu’elle veut à tout prix maintenir. Aussi, pour Mgr Laffitte, cet instrument idéologique de nos démocraties ne tolère pas l’idée qu’il y ait une vérité à chercher, elle ne tolère pas qu’une telle vérité puisse avoir un caractère universel, elle transforme un débat qui devrait se situer sur le fond en un échange d’idées relatives, car elle ne supporte pas les implications éthiques des idées de fond10. Que faire ? La sagesse pratique de l’Eglise nous donne à nouveau des pistes de réflexion essentielles. Au n.95 de l’Encyclique Evangelium vitae, Jean-Paul II avait ouvert la voie en demandant aux chrétiens de « construire tous ensemble une nouvelle culture de vie : nouvelle, parce qu’elle sera en mesure d’aborder et de résoudre les problèmes inédits posés aujourd’hui au sujet de la vie de l’homme ; nouvelle, parce qu’elle sera adoptée avec une conviction forte et active par tous les chrétiens ; nouvelle, parce qu’elle sera capable de susciter un débat culturel sérieux et courageux avec tous ». 1. L’urgence de la formation Si l’on ne sait pas de quoi l’on parle, si l’on ne saisit pas les problématiques bioéthiques actuelles, il n’est pas possible d’éveiller les consciences de ceux que nous côtoyons. Il est à la portée de tous et de chacun d’exercer ce devoir de veille éthique et de formation personnelle qui nous permettra de rendre compte des raisons qui fondent et soutiennent notre annonce du respect de la vie. Ainsi serons-nous en mesure d’aborder et de résoudre les problèmes inédits posés aujourd’hui au sujet de la vie de l’homme. Didier Sicard, L’intervention de l’Eglise dans le Téléthon est malvenue, Le Monde, 30 novembre 2006. Elio Sgreccia et Jean Laffitte (sous la dir.), La conscience chrétienne au service du droit à la vie, Actes de la 13e assemblée générale de l’APV, Edifa-Mame, 2008, pp. 112-113. 9 10 4 Benoît XVI nous y invite avec force, notamment dans un discours essentiel qu’il a donné devant l’Académie pontificale pour la Vie : « Sans une formation continue et adaptée, il devient très difficile d’être capable de porter un jugement dans les questions posées par la biomédecine en matière de sexualité, de vie naissante, de procréation, comme dans la manière de traiter et de soigner les patients 11». A ce propos, soyons des apôtres de l’unité entre tous les acteurs pro-vie de nos pays respectifs et faisons en sorte de créer un dialogue entre notre Evêque et toutes les forces pour la vie et la famille qui se trouvent dans chacun de nos diocèses. Pour rester attentifs à ce que nous demande l’Eglise, lisons et étudions le Magistère sans se lasser. C’est encore ce que nous demande Benoît XVI dans ce magnifique passage : « Le Concile exhorte les laïcs croyants à accueillir « ce que les Pasteurs, représentants du Christ, auront décidé en tant que docteurs et chefs de l’Eglise » et d’autre part, précise que « les Pasteurs doivent reconnaître et promouvoir la dignité et la responsabilité des laïcs dans l’Eglise, utiliser volontiers leurs avis prudents » et conclut que « de ces rapports familiers entre laïcs et Pasteurs, on doit attendre pour l’Eglise de nombreux et heureux résultats » (Lumen gentium, 37). Lorsque la valeur de la vie humaine est en jeu, cette harmonie entre fonction magistérielle et engagement des laïcs devient extrêmement importante (…) De l’accomplissement de cette tâche dépend l’avenir de l’humanité 12». Cette formation vous concerne particulièrement, vous les jeunes, pour lesquels Benoît XVI a une prédilection. Vous devez armer votre conscience. Le Saint-Père l’a encore rappelé dans discours pour le 40e anniversaire de la publication d’Humanæ vitæ : « L’urgence de la formation, à laquelle je fais souvent référence, voit dans le thème de la vie l’un de ses thèmes privilégiés. Je souhaite vraiment que l’on réserve notamment aux jeunes une attention particulière, (…) sans se laisser distraire par des messages éphémères qui empêchent d’atteindre l’essence de la vérité qui est en jeu ». 2. L’urgence de l’objection de conscience : faire prévaloir la conscience sur le consensus général Citons ce passage essentiel de l’encyclique Evangelium vitae de Jean-Paul II : « Les chrétiens, de même que tous les hommes de bonne volonté, sont appelés, en vertu d’un grave devoir de conscience, à ne pas apporter leur collaboration formelle aux pratiques qui (…) sont en opposition avec la Loi de Dieu. En effet, d’un point de vue moral, il n’est jamais licite de coopérer formellement au mal 13». Que faire alors ? Benoît XVI a été très clair : « pour nous, voici ce qui compte : il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (…) jusqu’au martyre si nécessaire. D’ailleurs, le fait d’avoir placé la Note doctrinale sur l’engagement des catholiques dans la cité sous le patronage de saint Thomas More nous donne une idée de ce que l’Eglise attend de nous. Parce que les problématiques contemporaines « sont sans commune mesure avec les thématiques des siècles passés », rappelle la Note au n. 2, « les catholiques ont le devoir d’intervenir dans ce déferlement, pour rappeler au sens le plus profond de la vie et à la responsabilité qui incombe à tous en la matière ». Le texte poursuit : « Le chrétien est appelé à s’opposer à une Benoît XVI, Discours à l’Assemblée générale de l’Académie pontificale pour la Vie, 24 février 2007. Benoît XVI, Discours à l’Assemblée générale de l’Académie pontificale pour la Vie, 24 février 2007. 13 Jean-Paul II, Evangile de la Vie, n. 74. 11 12 5 conception du pluralisme adaptée au relativisme moral nocive à la vie démocratique ellemême. La vie démocratique a besoin de (…) principes éthiques que leur nature et leur rôle de fondement de la vie sociale rendent non négociables (…). Sur ce principe, l’engagement des catholiques ne peut céder à aucun compromis » (n. 3). La conscience des catholiques ne saurait se dérober à la confrontation avec la loi civile lorsque celle-ci bafoue « des principes moraux qui n’admettent pas de dérogation, d’exception, ni aucun compromis », « des exigences éthiques fondamentales auxquelles ont ne peut renoncer » (n. 4). C’est justement parce que le relativisme contemporain s’insurge contre toute intrusion de la vérité, jusqu’à l’idée même de vérité, vécue comme une agression étrangère intolérable, qu’il convient de multiplier les témoignages d’objection de conscience (droit primordial à la vie, protection de la famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme, droit inaliénable des parents à la liberté d’éducation mais aussi promotion d’une économie au service de la personne, respect du principe de solidarité et des droits des personnes immigrées,… attention de ne pas diviser artificiellement le respect de la dignité de toute personne : quand l’Eglise défend le droit à la nourriture et à l’eau de populations qui en sont privées ou quand elle défend l’administration de l’alimentation et de l’hydratation médicalement assistées aux malades en état végétatif persistant, c’est tout un). Mais parce que nos sociétés relativistes idéologiquement tolérantes ne peuvent tolérer l’objection de conscience qui s’exerce en leur sein, car celle-ci échappe par quelque manière à leur empire (cf. Mgr Laffitte), il faut s’attendre à ce que l’objecteur, qu’il soit une personne, une institution, voire un pays, subisse ses foudres14. J’ai essayé de montrer dans plusieurs articles concernant le champ de la santé et de la biomédecine comment les autorités publiques, parce qu’elles ne sont plus capables d’accepter et d’honorer en leur sein les valeurs supérieures du respect de la vie humaine qui remettent en cause frontalement la culture de mort actuelle, censurent de plus en plus le droit à l’objection de conscience. En matière d’IVG par exemple, le droit à la liberté de conscience dans notre pays est incontestablement écorné depuis plusieurs années au point que son exercice public marginalise celle ou celui qui le fait valoir, l’exposant à des pressions psychologiques15. La législation française épouse d’ailleurs l’esprit de la production juridique provenant des institutions européennes que cela soit le fait du Parlement européen (adoption le 10 février dernier en séance plénière du rapport Tarabella sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’UE – gender equality in the UE – dont un chapitre vise explicitement le droit à l’accès à l’avortement dans les pays de l’UE) ou du Conseil de l’Europe (Résolution 1607 du 16 avril 2008 consacrant un droit à l’avortement). Inquiets de la montée en puissance de cette pratique sur le continent, des propositions sont déposées régulièrement à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour réglementer le recours à l’objection de conscience16. Le projet inhérent à ces textes est de maintenir seulement sur un plan théorique le droit d’un individu à l’objection de conscience tout en réduisant drastiquement sa portée pratique. Comment cela ? En opposant au refus d’un professionnel de santé d’assurer tel acte que sa conscience réprouve le droit des femmes à la santé reproductive défini comme un droit à la N’est-ce pas pour les prémunir d’un tel danger que Benoît XVI a encouragé avec insistance les Maltais à protéger leurs valeurs ? « Vous devriez être fiers que votre pays, seul parmi les Etats de l’Union européenne, à la fois défende l’enfant qui n’est pas encore né et encourage la stabilité de la vie de famille en disant non à l’avortement et au divorce. Je vous exhorte à maintenir ce courageux témoignage… », a-t-il dit aux jeunes le 18 avril 2010. 15 Pierre-Olivier Arduin, IVG : une clause de conscience très théorique, Liberté politique, 13 novembre 2009. 16 Cf. proposition de résolution présentée par le député Carina Hägg, Accès des femmes à des soins médicaux légaux : problème du recours non réglementé à l’objection de conscience, Council of Europe, 14 octobre 2008. 14 6 reconnaissance totale de leur autonomie morale, physique et sexuelle. Parce que les Européennes doivent avoir un contrôle absolu de leurs droits sexuels et reproductifs, les Etats membres du Conseil de l’Europe ou de l’Union européenne sont dorénavant invités à encadrer strictement le droit à l’objection de conscience en l’excluant d’un cadre institutionnel, ce qui revient à l’interdire à l’ensemble des cliniques et hôpitaux publics dans un premier temps, mais également au niveau de structures sanitaires privées, en particulier catholiques. Quant au praticien, il pourrait se voir refuser l’embauche à certains postes de travail selon les besoins de l’établissement et devrait quoi qu’il en soit, s’il exerce en libéral, orienter rigoureusement les femmes ou les couples vers des professionnels compétents prêts à exécuter les actes demandés. De manière générale, les autorités politiques européennes, sur le fondement de la libre disposition du corps des femmes et de leur droit à la santé reproductive, veulent faire de la contraception, de l’avortement, de l’assistance médicale à la procréation,… de véritables droits subjectifs, c’est-à-dire une série de nouvelles prérogatives en vertu desquelles les femmes ont le droit absolu de réclamer de la société les services de santé génésique correspondants. L’autorisation de ces différents « services » repose sur la seule demande de la femme qui appelle dès lors l’exigence d’une mise en œuvre effective. Le mouvement qui s’opère aujourd’hui est une invitation pressante des Etats pour qu’ils cessent de contrôler les motivations des personnes à bénéficier de ces services (IVG, FIV,…). Seule l’autorité de la volonté de la femme ou du couple dans le cadre du projet parental par exemple justifie les décisions des individus qui ne sauraient être évaluées par la société. Il me semble qu’on assiste aujourd’hui à une lente distillation de ce volontarisme juridique dans les esprits (CEDH, 20 mars 2007, Tysiac c/ Pologne et Résolution 1607 du Conseil de l’Europe du 16 avril 2008). On retrouve Kelsen pour lequel la volonté institue à elle seule la validité de la norme : « Pour une théorie scientifique des valeurs, seules entrent en ligne de compte des normes posées par des actes de volonté et des valeurs fondées par elle (…) les normes ne sont ni vraies ni fausses ; elles sont seulement valables ou non valables 17». Dans ce contexte, vous comprenez que la « liberté de conscience » des professionnels de santé pèse de moins en moins lourd dans la balance. Il ne suffit pas de connaître la vérité sur le respect de la vie humaine mais d’agir en conséquence. Sans convictions fortes et actives, c’est-à-dire qui nous placent sur le terrain de l’action et du témoignage, il n’y aura pas d’impact pour renouveler la culture de vie au cœur des médias. Nous devons avoir le courage de mettre en pratique nos convictions. Au devoir de connaître la vérité correspond le devoir d’en témoigner là où règne l’erreur. Ce devoir impérieux s’impose sans échappatoire possible. Si nous nous résignions, ce serait le sel de la terre qui s’affadirait et qui ne serait plus bon à rien. Encore une fois, la mise en exergue – dans la Note citée précédemment – de l’exemple donné par saint Thomas More18 n’est pas anodine dans un document doctrinal. Ce choix d’un martyr, proclamé patron des gouvernants et des responsables politiques, qui a témoigné jusqu’à la mort de la « dignité inaliénable de la conscience 19» nous éclaire sur le niveau auquel il convient de se placer. Un catholique ne peut pas l’être a moitié en abdiquant ce que sa conscience bien formée et droite lui dicte d’accomplir. On accuse souvent les catholiques d’être négatifs et de proférer une liste d’interdits. Devant la multiplication des menaces pesant sur la famille et la vie, il se pourrait bien que l’objection de conscience soit au contraire un des comportements les plus positifs qui 17 Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Paris, Ed. LGDJ, pp. 26-27. Je dirai en deux mots pourquoi Thomas More a payé de sa vie son objection de conscience. 19 Jean-Paul II, Lettre apostolique, Motu proprio pour la proclamation de S. Thomas More Patron des Gouvernants et Politiciens, novembre 2001. 18 7 soient. Comme l’a dit avec beaucoup de justesse Mgr Sgreccia le 20 février 2007, l’ancien président de l’Académie pontificale pour la Vie, il ne s’agit absolument pas « d’une fuite des responsabilités mais d’un témoignage constructif accompagné de l’amour de la vérité 20». L’objection de conscience n’est jamais et avant tout que l’obéissance à une loi supérieure, la lex naturalis, la fuite du mal pour embrasser le Bien. Elle ne se limite pas à un non mais porte en soi une dynamique considérable d’édification du Bien. L’objection de conscience permet, à partir de la justice que nous reconnaissons comme intérieure à nous de répandre la justice à l’extérieur de nous. C’est d’ailleurs bien parce que la société relativiste qui est la nôtre « ne peut tolérer que s’exerce en son sein un droit d’objection de conscience, car elle n’est plus en mesure d’accepter en les honorant les valeurs supérieures qui s’y expriment 21», qu’il faut multiplier ces manifestations de témoignages susceptibles de donner naissance à un mouvement de résistance bien plus étendu que nous pouvons le supposer. C’est répondre à ce qu’écrivait avec force le théologien Romano Guardini : « Le salut spirituel, la liberté, l’honneur, la dignité d’une époque ou d’une société dépendent en dernière analyse du fait qu’il existe des hommes passionnés par les valeurs et capables de placer la réalisation de celles-ci au-dessus de tout ». Ce courage moral permet bien souvent d’ouvrir une brèche dans les médias en suscitant un débat inespéré. 3. L’urgence du dialogue Le débat doit s’engager avec tous, nous dit Jean-Paul II dans Evangelium vitae au n. 95. Les prises de position de l’Eglise à propos du respect inconditionnel de l’être humain dès le début de sa vie et de la famille fondée sur le mariage indissoluble entre un homme et une femme ne sont pas avant tout de nature confessionnelle mais de nature rationnelle. Jean-Paul II avait bien souligné que le devoir de s’engager pour le respect de la vie de tout être humain ne consistait pas à « imposer aux non-croyants une perspective de foi mais à interpréter et à défendre les valeurs fondées sur la nature même de l’être humain22 23. » « Concernant ces exigences éthiques fondamentales pour le bien commun de la société, il ne s’agit pas de «valeurs confessionnelles», car de telles exigences éthiques sont enracinées dans l’être humain et appartiennent à la loi morale naturelle. Elles n’exigent pas de ceux qui les défendent la profession de la foi chrétienne, même si la doctrine de l’Église les confirme et les protège toujours et partout comme un service désintéressé de la vérité sur l’homme et sur le bien commun de la société civile ».24 S’il y a une certaine autonomie entre la sphère civile et la sphère proprement religieuse, il ne doit pas y en avoir avec la sphère morale ainsi que le rappelle magistralement la Note doctrinale du cardinal Ratzinger. « Le fait que certaines de ces vérités soient aussi enseignées par l’Église ne réduit en rien la légitimité civile ni la «laïcité» (…). En effet, la «laïcité» désigne en premier lieu l’attitude de qui respecte les vérités procédant de la connaissance naturelle sur l’homme qui vit en société, même si ces 20 Zenit, 20 février 2007. Ibid. 22 Jean-Paul II, Lettre apostolique Au début du nouveau millénaire, n.51, 6 janvier 2001. 23 Jean-Paul II, Evangelium vitae, n. 101 : « L’Evangile de la Vie n’est pas exclusivement réservé aux croyants, il est pour tous. La question de la vie, de sa défense et de sa promotion, n’est pas la prérogative des seuls chrétiens. (…) Il y a assurément dans la vie une valeur sacrée et religieuse, mais en aucune manière on ne peut dire que cela n’interpelle que les croyants : en effet, il s’agit d’une valeur que tout être humain peut saisir à la lumière de la raison et qui concerne nécessairement tout le monde ». 24 J. Cardinal Ratzinger, Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 24 novembre 2002, n.5 21 8 vérités sont enseignées aussi par une religion particulière, car la vérité est une 25», précise l’ancien Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ce qui explique la qualité du débat qui a pu émergé à l’occasion l’affaire du Téléthon en France, c’est que l’éthique mise en lumière par le Magistère de l’Eglise repose sur la loi morale universelle qui peut être connue par la raison humaine. Il y a là un enseignement d’une importance fondamentale pour nous aujourd’hui et qui explique également la portée de la voix des catholiques lorsqu’ils s’en donnent la peine. « Le chrétien est continuellement appelé à se mobiliser pour faire face aux multiples attaques auxquelles est exposé le droit à la vie. Il sait pouvoir compter sur des motivations profondément enracinées dans la loi naturelle et pouvant donc être partagées par toute personne possédant une conscience droite 26», nous dit Benoît XVI. Voilà pourquoi il est possible d’être apôtre de la culture de vie : le cœur de ce message est profondément humain et rationnel, digne d’être annoncé à tous car universel. Il s’agit d’un axe essentiel de la nouvelle évangélisation qui peut d’ailleurs préparer la route à l’annonce explicite de Dieu comme nous l’a demandé Benoît XVI dans son magnifique voyage apostolique au Portugal. La loi morale n’est pas une charte de club à usage interne mais une plateforme partageable, proposée à tous, chrétiens et non chrétiens. L’Eglise compte sur chacun de nous, le Seigneur nous appelle chacun de nous, personnellement. Il nous faut là où nous sommes nous mettre fidèlement au service du Christ et de l’Eglise. Benoît XVI nous appelle également à être ses collaborateurs courageux et intrépides : « Chers amis, je sais combien il est difficile pour les chrétiens de défendre inlassablement cette vérité de l’homme. Mais ne vous lassez pas et ne vous découragez pas ! Vous savez que vous avez le devoir de contribuer à édifier, avec l’aide de Dieu, une nouvelle Europe, réaliste, riche d’idéaux et libre de toute illusion, inspirée par la vérité éternelle et vivifiante de l’Evangile. Pour cela, soyez présents de façon active dans le débat public européen, (…) et unissez à cet engagement une action culturelle efficace. Ne vous pliez pas à la logique du pouvoir pour lui-même ! Que l’avertissement du Christ soit pour vous un encouragement et un soutien constant : si le sel vient à s’affadir, il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens. Que le Seigneur rende fécond chacun de vos efforts et qu’il vous aide à reconnaître et à valoriser les éléments positifs présents dans la civilisation actuelle, en dénonçant toutefois avec courage tout ce qui est contraire à la dignité de l’homme. Je suis certain que Dieu ne manquera pas de bénir votre effort généreux 27». Allons-nous le laisser seul ? 25 Ibid., n.6. Benoît XVI, Discours aux participants du congrès international sur la loi morale naturelle organisé par l’Université pontificale du Latran, 12 février 2007. 27 Benoît XVI, Audience aux participants du congrès international promu par la Comece pour les 50 ans du Traité de Rome, 24 mars 2007, Osservatore romano de langue française n. 13 (2007). 26 9