Oser le savoir
Conférence du 24 juin 2000
La tempête, les inondations en France : quelles en sont les causes ? Peut-on
les prévoir et limiter leurs conséquences ?
Cité des Sciences et de l’Industrie 1
"Le climat sous surveillance" était le thème des conférences-débats "Oser le savoir" du mois
de juin 2000. C'est dans ce cadre que cette conférence a été réalisée sur le thème "La
tempête, les inondations en France : quelles en sont les causes ? Peut-on les prévoir et
limiter leurs conséquences ?", avec Philippe Bourgeault et Hervé Letreut.
Monsieur Philippe Bourgeault est ingénieur en chef en météorologie, responsable du Groupe
de météorologie moyenne échelle au Centre national de recherches en météorologie de
Météo France. Il est également spécialiste de modélisation numérique et d'organisation de
campagnes de mesures ; il dirige depuis peu la campagne de mesures MAP (Mesoscale
Alpin Program) en Autriche avec Franck Roux que nous avons accueilli ici à la Cité dans les
rencontres sur l'exposition. Il est enseignant à l'Ecole polytechnique et il a obtenu en 1997 la
médaille d'argent du CNRS.
Monsieur Hervé Letreut est Directeur de recherches au Laboratoire de météorologie
dynamique du CNRS, à l'Ecole Normale supérieure, à l'Ecole polytechnique et à Paris VI. Il
est également professeur chargé de cours à l'Ecole polytechnique. Il a reçu en 1990 la
médaille de bronze du CNRS, en 1992 le Prix Philippe Morris, en 1994 le Prix Becquerel de
l'Académie des Sciences, et en 1999 l'Academia European. Il a fait plusieurs séjours à
l'étranger, notamment à la NASA. Actuellement, il est adjoint au Directeur de laboratoire de
météorologie dynamique pour le site de Paris VI, il est également coordinateur du le de
modélisation de l'IPSL qui est une fédération de laboratoires en région parisienne. Il a écrit
dans de nombreuses publications internationales et il a également écrit plusieurs ouvrages
dont "Climate Sensivity, Physical Process and their validation", et également "Océans et
atmosphère".
Philippe Bourgeault
Nous allons essayer de parler d’événements météorologiques violents, et plus
particulièrement de ceux qui se sont produits l'année dernière. En forme d'entrée en matière,
il m'a semblé intéressant de rappeler un peu de combien d’événements nous parlons, de
faire une petite statistique, ce sont des chiffres assez intéressants et que j'ai pris sur le
Conférence du 24 juin 2000 La tempête, les inondations en France
Cité des Sciences et de l’Industrie
2
serveur Internet de Météo France. Si vous souhaitez trouver plus de précisions sur ces
chiffres, vous pouvez vous adresser à ce serveur Internet.
Lorsque nous parlons d’événements météorologiques violents, il n'est pas facile d'emblée de
savoir de quoi on parle. En effet, un événement météorologique qui va être considéré
comme violent dans une gion particulière, peut être considéré comme banal dans une
autre région, et même en France il y a des différences de climat relativement importantes, ce
qui fait que les seuils qui sont fixés par les autorités de la Sécurité civile pour déclencher une
alerte météorologique varient beaucoup entre le nord et le sud de la France. J'ai donc pen
qu'une manière objective de définir et de quantifier les événements météorologiques violents
était tout simplement de compter les messages d'alerte que Météo France envoie aux
autorités de Sécurité civile. Concernant la totalité de ces messages, il s'agit de chiffres qui
sont quand même relativement importants, qui varient de 99 en 1994 à 259 en 1999. Nous
avons le pourcentage du nombre de ces messages d'alerte qui sont jugés pertinents par les
autorités de la Sécurité civile, dont 19 % en 1999 représentent les fausses alertes. Nous
avons également le nombre d'absence d'alertes, les phénomènes dangereux qui n'ont pas
du tout été prévus, il est de 13 pour 1999 à comparer aux 259 qui ont été prévus pour cette
année-là, dont 80 % ont bien été prévus.
On peut faire un certain nombre de remarques sur ces chiffres. Tout d'abord, on constate
une assez grande variabilité d'une année à l'autre, ce qui est bien normal car c'est la
variabilité naturelle du climat. D'autre part, on a l'impression qu'il y a une petite tendance,
encore qu'il est très difficile de prévoir sur six ans, il est tout à fait possible qu'en 2000 ou en
2001 on retrouve des niveaux comparables à ceux de 1997 et de 1998. En moyenne à peu
près 80 % des alertes sont jugées pertinentes par la Sécurité civile, et un tout petit nombre
d'absences d'alertes. La répartition des messages d'alerte par type de phénomènes
météorologiques violents est également relativement intéressante, les fortes précipitations,
les orages qui combinent un certain nombre de facteurs de danger, les phénomènes de vent
violent, la neige et le verglas, les avalanches et le froids qui sont des événements beaucoup
moins nombreux. Nous aborderons plus particulièrement les fortes précipitations et les forts
vents.
Le plan de l'exposé s'articulera surtout autour d'études de cas, plus particulièrement deux
événements violents qui sont encore dans toutes les mémoires, la tempête sur le nord de la
France survenue le 26 décembre 1999, et la grande inondation de l'Aude du 13 novembre
1999. Tout d'abord, quelques repères historiques pour situer l'événement par rapport à la
climatologie, ensuite, quels sont les mécanismes de formation, pourquoi ce genre de
Conférence du 24 juin 2000 La tempête, les inondations en France
Cité des Sciences et de l’Industrie
3
phénomènes arrivent-ils ? Comment se forment-ils ? Quelles sont les performances de la
prévision telle qu'elle a été réalisée, qu'est-ce qui a été prévu, qu'est-ce qui ne l'a pas été et
pourquoi ? Nous terminerons sur les cherches en cours et les perspectives d'amélioration
des prévisions de ces événements.
Pour parler de la tempête de Noël 1999, il faut resituer le paysage météorologie de la
période du 21 au 28 décembre. L'Atlantique et l'Europe occidentale ont été intéressés par
cinq dépressions principales, il y a eu d'autres petites dépressions que nous oublierons pour
les commodités de l'exposé. La première que nous appelons la dépression A, a pris
naissance le 21 décembre à zéro heure quelque part sur le nord-est des Etats-Unis et s'est
déplacée pour traverser l'Atlantique, et à peu près au milieu de l'Atlantique au lieu de
prolonger sa direction vers la France, elle a obliqué vers le nord, ce qui correspond à un
comportement relativement normal pour une dépression météorologique. La seconde
dépression s'est formée le 24 décembre à zéro heure, et s'est formée en fait au milieu de
l'Atlantique. Elle a suivi également une trajectoire relativement classique passant sur le nord
de l'Angleterre et allant jusqu'à la Norvège et, l'événement intéressant c'est que le 24
décembre à 6 heures du matin s'est créé quelque part au sud de Terre-Neuve, très loin de
chez nous, une dépression qui a, elle, voyagé selon une trajectoire très, très, très au sud et
qui ne s'est pas incurvée vers le nord, ce qui fait que ça l'a amenée à traverser le nord du
pays le 26 décembre au matin.
Egalement le 25 décembre à 18 heures la deuxième tempête est née juste au milieu de
l'Atlantique, elle a suivi une trajectoire au sud de la précédente, et elle s'est également
développée, elle a traversé la France en provoquant des gâts sur la partie sud de la
France cette fois-ci, - Je ne parlerai pas de la seconde tempête, faute de temps, je ne
parlerai que de la première quoi que les deux événements sont assez comparables en
intensité - et nous avons eu également ce qu'on appelle une onde qui est une tempête
manquée qui s'est formée le lendemain de la deuxième tempête, pratiquement au même
endroit et qui elle, par contre, ne s'est pas développée. Donc, le travail du météorologiste
consiste vraiment à faire la part entre les événements qui vont aller jusqu'au bout et se
développer et ceux qui, au contraire, vont avorter en cours de route.
Durant cette tempête du 26 décembre, des vents ont été enregistrés sur le territoire, - je
vous rappelle que l'événement s'est produit aux premières heures de la matinée et que la
tempête a traversé le pays entre 5 heures et 10 heures du matin -, un nombre important de
régions ont été affectées pour lesquels les vents maximaux instantanés enregistrés ont été
supérieurs à 150 km/h. On distingue en météorologie deux mesures du vent, le vent maximal
Conférence du 24 juin 2000 La tempête, les inondations en France
Cité des Sciences et de l’Industrie
4
instantané qui correspond à un vent qui va se maintenir pendant quelques secondes au plus,
qui est évidemment beaucoup plus fort que le vent moyen qui, lui, est calculé sur une
moyenne de dix minutes, et qui va à cause de l'effet de moyenne être, en général, au moins
de 50 % plus faible. Celui qui était intéressant à prévoir pour les dégâts et pour la protection
des populations c'est le vent maximal instantané. Des valeurs supérieures à 150 km/h sur
une grande partie de la moitié nord du territoire, et des valeurs également importantes sur le
reste du pays.
Comment cet événement se compare-t-il à des événements récents ? Est-il vraiment aussi
rare que ça ? Si on recherche dans les archives sur une vingtaine d'années pour lesquelles
on a vraiment de très bonnes mesures du vent maximal instantané, des éléments qui
permettent de faire des comparaisons extrêmement fines, et uniquement sur la partie nord
de la France, on ne trouve en fait que trois événements qui approchent un peu en intensi
l'événement du 26 décembre. Il s'agit de la tempête du 15 octobre 1987 qui avait affecté
uniquement la Bretagne, de la tempête du 3 février 1990 qui a eu une trajectoire comparable
à celle du 26 décembre 1999, mais avec une intensité tout de même beaucoup moins forte,
et puis la tempête du 26 février 1990 qui avait, elle, uniquement affecté la Normandie et le
nord de la France.
Il est intéressant de noter que si on parle uniquement des vents maximaux, ces vents
maximaux observés durant la tempête du 15 octobre 1987 sont en fait supérieurs aux vents
maximaux enregistrés lors de la dernière tempête. Simplement, ces vents maximaux n'ont
intéressé qu'une petite partie de la France, la Bretagne et la Normandie, ce qui fait qu'elle
est restée peut-être un peu moins présent dans les mémoires, mais on voit bien que les
tempêtes très violentes, en fait, ne sont pas si rares que ça. En réalité, ce qui compte ce
n'est pas la violence de l'événement mais c'est il passe. Nous verrons par la suite
d'autres événements sur l'Atlantique où on voit qu'il y a des tempêtes extrêmement violentes,
beaucoup plus violentes que celles dont nous allons parler, mais simplement elles ne
passent pas sur la France, et on n'en parle pas. Ce qui rend l'événement exceptionnel ce
n'est pas sa force, c'est sa trajectoire. Au point de vue de la durée de retour, si on essaye de
calculer des retours, ce qui est assez compliqué vu le peu de données disponibles sur les
rafales, sur le vent maximal instantané, on est amené à donner un ordre de grandeur de plus
d'une centaine d'années, c'est donc un événement qui se passe extrêmement rarement sur
la France on le sait bien.
Pourquoi ces événements se forment-ils et de quelle manière se forment-ils ? Un acteur
essentiel de la météorologie de nos latitudes c'est ce qu'on appelle le courant jet qui est un
Conférence du 24 juin 2000 La tempête, les inondations en France
Cité des Sciences et de l’Industrie
5
tube de vent extrêmement fort, en général supérieur à 200 km/h, qui fait tout le tour de la
planète et qui est situé à une altitude d'environ 10 km, et qui existe quasiment en
permanence. C'est le moteur du système, le phénomène téorologique de base de la
météorologie de l'hémisphère nord. Qu'est-ce qui explique la formation du courant jet ? C'est
un phénomène mécanique extrêmement simple. Un principe de base, c'est la conservation
des moments cinétiques. Par exemple, un patineur qui fait du patinage artistique, lorsqu'il
veut tourner sur lui-même, il commence avec les bras relativement écartés, il prend de l'élan
et ensuite il repli ses bras vers lui-même, et cette action de replier ses bras sur lui-même a
tendance a entraîner, à mettre en rotation de plus en plus rapide son corps. C'est la
conséquence directe de la conservation des moments cinétiques, chaque fois qu'un corps
physique ramène la masse vers le centre de rotation, automatiquement la vitesse de rotation
s'accentue et le phénomène est tout à fait exponentiel, la vitesse de rotation s'accentue
extrêmement vite.
C'est ce phénomène qui est à la base de la création du courant jet. En raison des différences
de température entre l'équateur et le pôle, il est nécessaire que des particules d'air en
permanence se déplacent depuis l'équateur vers les pôles. Ce mouvement-là a pour effet de
contracter la masse de l'atmosphère vers l'axe des pôles qui est la bi-rotation, et de mettre
l'atmosphère en rotation de plus en plus forte. La vitesse de rotation initiale à l'équateur est
égale à la vitesse de rotation de la terre, et en raison de la concentration de la masse vers
l'axe des pôles, la vitesse de rotation s'accentue, ce qui fait que l'atmosphère prend un
mouvement qui est circulaire par rapport à la terre solide, par rapport à la planète, et tourne
de l'Ouest vers l'Est.
Si la terre était parfaitement plate, et s'il n'y avait pas de différence entre les continents et les
océans, on peut dire que le courant jet serait parfaitement circulaire, ce serait un phénomène
très, très simple à comprendre. Par contre, nous avons de grandes chaînes de montagne
comme l'Himalaya, les Rocheuses, et d'autres, et ces grandes chaînes de montagnes ont
pour influence de briser la symétrie du courant jet, et de faire osciller ce courant jet, ce qui
fait qu'il a des branches qui sont relativement complexes. Une des branches qui va nous
intéresser particulièrement c'est la branche Atlantique Nord qui, au lieu de suivre un cercle
de latitude, remonte depuis les grandes plaines des Etats-Unis en passant sur la côte Est, et
en direction de l'Europe, et puis s'incurve un peu vers l'Angleterre et la Norvège. C'est dans
cette branche du courant jet que vont prendre naissance les fameuses tempêtes qui
affectent notre pays.
1 / 26 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !