souffrant de troubles psychiques. Il s’agit de développer le potentiel sous-exploité des
personnes invalides. Ces révisions partent du principe que l’emploi est supérieur à la rente,
diagnostiquent que le système actuel engendre des incitations négatives à l’emploi et que
nombre de personnes, si elles reçoivent les bonnes mesures (vus comme de bons
investissements), pourront vivre de manière indépendante.
À partir de ces 4 exemples, le Prof. Tabin propose de réfléchir à la notion d’« indépendance »
et à celle d’« investissement ».
L’indépendance
Une des idées sous-jacentes est que la dépendance (de l’aide sociale ou de l’assurance) est
négative et qu’il s’agirait d’un état à la fois transitoire et dépassable. On trouve l’idée d’une
frontière entre personnes indépendantes et les autres. Or, l’indépendance est une fiction,
personne n’est indépendant. La dépendance est même éminemment positive car elle incarne la
profondeur des relations sociales. Nous dépendons les uns des autres dans une société
marquée par la division du travail, c’est ce qu’a montré déjà à la fin du XIXe siècle le
sociologue Émile Durkheim.
Aujourd’hui, tout se passe comme si la dépendance était synonyme d’exclusion. Autour de la
connotation négative de la dépendance, c’est la figure du salarié qui est valorisée comme
modèle de l’autonomie et de l’utilité sociale. Or, cette situation concerne en Suisse moins de
la moitié de la population. Les personnes âgées, les enfants, les jeunes en formation, les
personnes qui s’occupent à plein-temps de leur ménage, les invalides, les personnes au
chômage ne sont pas indépendantes financièrement. Et même parmi les salariés, et encore
davantage parmi les salariées, nombre de personnes n’ont pas un salaire suffisant pour
s’entretenir et doivent recourir à l’aide sociale.
Est-ce donc opportun de valoriser l’emploi quelle que soit sa qualité ou son sens ? N’importe
quel emploi n’est pas un bon emploi et l’univers des possibles ne se résume pas à l’emploi.
L’investissement
Les choix en matière de politiques sociales sont désormais guidés par l’idée de
l’investissement social. Qui dit investissement dit également retour sur investissement. Ce
discours sur l’investissement social se généralise depuis les années 2000, un de ses grands
inspirateurs est Tony Blair. Son idée est qu’il vaut mieux vaut donner de l’argent à quelqu’un
pour qu’il devienne indépendant que de le laisser dans une situation de dépendance. Ce
discours s’accompagne d’une critique des politiques sociales actuelles dont la fonction est
principalement d’assurer un droit de vivre à toutes les personnes appartenant à la société.
Aujourd’hui, c’est la logique économique qui est de mise. Cette logique envisage les
politiques sociales en termes financiers uniquement (le chômage, la vieillesse, l’invalidité, la
maladie… coûtent) et fait l’impasse sur les raisons sociales qui expliquent que l’on ait
aujourd’hui un État social. L’assurance chômage a été mise en place pour stabiliser les
salariés en cas de crise, l’assurance accident pour socialiser les conséquences des accidents du
travail, etc.
Les promoteurs de l’investissement social préconisent des dépenses dans l’enfance (pour
former les futurs salarié·e·s), dans les mères (pour leur permettre de concilier emploi et vie
familiale) et dans les familles (comme lieu de socialisation à l’emploi). Il s’agit également de
favoriser l’augmentation de la natalité, car le vieillissement de la population va générer des
problèmes de financement des retraites. On peut selon eux au contraire diminuer les dépenses
qui ne sont pas intéressantes du point de vue de l’investissement, par exemple on peut retarder
l’âge de la retraite, diminuer les allocations d’aide sociale pour rendre l’emploi plus attractif
(ou du moins l’emploi non attractif plus attractif), couper dans les budgets de la santé.