UNE ENTREPRISE PUBLIQUE DANS LA GUERRE : LA SNCF, 1939-1945
Troisième partie : Les cheminots dans la guerre et l’occupation
© AHICF et auteurs, mai 2001
en particulier le réseau ferroviaire, les routes et les voies fluviales, en état. À la demande du commandement
en chef allemand, tous les travaux de reconstruction nécessaires devaient être également assurés. Le
gouvernement français devait en outre veiller à ce qu’il y ait dans la zone occupée les mêmes effectifs de
personnel spécialisé nécessaire, de matériel ferroviaire et autres moyens de communication qu’en temps de
paix13.
Dès le 18 juillet 1940, le ministre allemand des Transports, Julius Dorpmüller (1869-1945), se rendit à Paris et
prononça une allocution devant les cheminots militaires à la gare de l’Est 14. Au cours de ces semaines, outre
les transports de la Wehrmacht, l’approvisionnement des villes en denrées alimentaires et de l’industrie en
charbon jouèrent un rôle important. À partir du 1er août 1940, la SNCF reprit la direction de l’exploitation, ce
qui entraîna le retrait d’une grande partie du personnel ferroviaire allemand. À la mi-août, un trafic civil modeste
pouvait être de nouveau assuré15. Le 2 août 1940, l’Alsace et la Lorraine furent intégrées dans le Reich
allemand, leurs chemins de fer attribués à la direction des chemins de fer du Reich de Karlsruhe et de
Sarrebruck. Dans ces régions, “ il s’avérait indispensable de restructurer l’ensemble de l’administration selon
les principes allemands et d’occuper tous les postes à responsabilité par des fonctionnaires allemands ”16. À ce
propos, on peut se référer aux communications de Joël Forthoffer et d’Eugène Riedweg dans le présent
volume17.
LES CHEMINS DE FER FRANÇAIS SOUS CONTROLE ALLEMAND
Avec l’armistice, le commandement militaire en France devint une sorte de gouverneur régional chargé de
gouverner sans troupes particulières. L’ “ administration de surveillance ” placée sous l’autorité du commandant
militaire était censée assurer la continuité de l’ensemble des activités exercées par les autorités françaises
placées sous le contrôle des officiers d’occupation allemands. Cela supposait que le gouvernement français,
ses employés et la population soient prêts à une coopération forcée, ce qui, d’une certaine manière, était déjà
le cas depuis la défaite militaire18. Ainsi, pour Paris, environ 200 officiers allemands et fonctionnaires supérieurs
de l’administration militaire, et environ 1 000 dans la zone occupée, suffisaient pour gouverner le pays
conformément aux principes allemands. Parmi ces fonctionnaires se trouvaient environ 60 à 70 cadres
supérieurs de la Reichsbahn19.
Le contrôle politique sur les transports français fut assuré au sein de l’état-major administratif du
commandement militaire par le groupe 10 du “ département administratif ” sous la responsabilité du ministre de
l’Intérieur würtembourgeois Dr Jonathan Schmid (1888-1945)20. À propos de la mise en place effective d’un
organe de surveillance des chemins de fer en France, on peut lire, dans le rapport annuel de gestion des
chemins de fer allemands de 1940 : “ En Belgique et dans les régions françaises occupées, il s’avéra impératif,
pour des raisons militaires, de faire assurer la remise en marche et la surveillance des chemins de fer par la
Wehrmacht. Le haut commandement de l’armée (le chef des transports) décida de doter les directions des
transports de la Wehrmacht de Bruxelles et de Paris de plusieurs directions locales et de fonctionnaires des
chemins de fer. Des fonctionnaires de la Reichsbahn furent assignés à ces postes de la Wehrmacht21. ”
Le chef des transports au haut commandement de l’armée, le général breveté Rudolf Gercke (1884-1947),
séjourna personnellement à Paris de juillet à octobre 1940. Plus tard, le colonel Göritz, le général de corps
d’armée Kohl et le colonel Höpfner furent aussi actifs à Paris, à la tête des transports de la Wehrmacht, mais
les officiers de l’armée n’entrent pas dans le cadre de cette étude22. Le 15 juillet 1940, Gercke ordonna la mise
en place d’une direction des transports de la Wehrmacht, la Wehrmachtverkehrsdirektion (la WVD), à Paris et
réquisitionna à cet effet un certain nombre de fonctionnaires civils des chemins de fer allemands. Leur mission
consistait à assurer en priorité la bonne marche de tous les transports dans l’intérêt du Reich. Les chemins de
fer du nord de la France jusqu’à la Somme furent rattachés, avec les directions ferroviaires régionales de Lille
et de Nancy (Eisenbahnbetriebsdirektion, EBD), à la WVD (direction des transports de la Wehrmacht) de
Bruxelles23.
Entre juillet 1940 et septembre 1944, ce sont des cheminots professionnels allemands qui décidèrent du sort
du rail français. Le siège de la WVD à Paris se trouvait tout d’abord 36, avenue Kléber, ensuite 29, rue de Berri,
dans le 8e arrondissement, près des Champs-Élysées. C’est le vice-président de la direction de la Reichsbahn
régionale de Hanovre, Hans Münzer, qui fut nommé “ commandant suprême ” (Kommandeur) de cette autorité
de contrôle des chemins de fer français. Hans Münzer, né le 8 octobre 1881, était ingénieur du génie civil. Il
avait achevé sa formation auprès des Chemins de fer prussiens avant la Première Guerre mondiale. Après
avoir été mobilisé dans les années 1914-1918, il fut nommé en 1924 conseiller en chef au service d’urbanisme
du gouvernement (Oberregierungsbaurat) et, en 1925, promu au rang de directeur de la Reichsbahn. De 1925
à 1936, il travailla dans le service d’exploitation des chemins de fer de la Sarre. En 1935, il adhéra à
la NSDAP (numéro d’adhésion : 2682891). Après “ le retour de la Sarre ”, dès le 1er mars 1935, Münzer fut
encore directeur, plénipotentiaire des chemins de fer (Bahnbevollmächtigter) et vice-président de la
Reichsbahn régionale de Sarrebruck, avant d’être nommé au même poste à Hanovre. Münzer, âgé alors de
presque 59 ans, était l’un des plus vieux vice-présidents de la Reichsbahn. À ce titre, il était donc bien placé