I. Le polymorphisme génétique humain

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La génétique des populations et
l'étude du polymorphisme génétique humain
Genoveva Keyeux, (Colombie/Colombia)
Professeur associé de génétique/Associate Professor of Genetics
Instituto de Genética Humana, Pontificia Universidad Javieriana
I.
LE POLYMORPHISME GENETIQUE HUMAIN
1.
Avant de définir le champ d'action des recherches sur le polymorphisme du génome
humain, il conviendrait de rappeler ce qu'est, plus en général, la génétique des populations: ce
qui nous permettra de centrer nos discussions sur les implications bioéthiques de ces
recherches.
2.
La génétique des populations s'occupe des caractéristiques des gènes au sein de
populations plus ou moins grandes, par opposition à la description et à l'étude des
manifestations de ces gènes chez un individu en particulier. La génétique des populations
étudie donc la constitution génétique d'une population sous l'effet des forces évolutives et des
événements mutationnels, de dérive, de sélection et de fluctuations au hasard: effet, qui se
traduit en différence, entre populations, de la fréquence des diverses variantes génétiques
(connues sous le terme d'allèles).
3.
Les études classiques, qui se sont développées à partir des années 50, ont porté sur la
recherche des polymorphismes des enzymes et d'autres protéines sanguines - les groupes
sanguins portés par les globules rouges - et les protéines du complexe majeur de compatibilité
tissulaire, ou HLA, portées par les globules blancs et par d'autres cellules. Ces études ont été
menées sur un large nombre de populations dans le monde entier et sont à la base des données
épidémiologiques utilisées par l'OMS, l'OPS, la Croix Rouge internationale et par d'autres
organismes nationaux et internationaux.
4.
Aujourd'hui, les études moléculaires portent sur le polymorphisme de 1'ADN. Si les
études classiques recherchaient les variantes des protéines, donc sur les gènes exprimés, les
études moléculaires s'intéressent à la recherche du polymorphisme de l'ensemble de 1'ADN.
En effet, les gènes exprimés ne représentent qu'environ 10% du génome, le restant étant
constitué de régions non codantes, dont, à l'heure actuelle, nous ne connaissons pas, pour la
plupart, la fonction et qui semblent servir comme séquences de liaison ou de support entre
gènes et qui comprennent, aussi, les régions régulatrices de ceux-ci. De plus, seulement le
10% de la séquence d'un gène est transcrit en protéine. En d'autres termes, seulement 1% du
total de notre génome contient l'information qu'on retrouve dans les protéines.
5.
La génétique moléculaire est donc plus informative de la génétique classique, non
seulement du fait qu'elle a la possibilité d'explorer la totalité du génome, mais également
parce que, étant capable de détecter la modification d'un seul composant de l'ADN
(nucléotide), elle est en mesure de mettre en évidence toute la variabilité de l'ADN existante,
même celle qui ne se traduit pas en une modification de la structure d'une protéine. Ce qui
correspond, en importance, à explorer l'univers avec les plus puissantes sondes spatiales et
télescopes, au lieu de bonnes Jumelles.
Cette distinction est de grande importance lors que nous abordons les possibles
retombées des études sur le polymorphisme du génome humain, car, dans le cas de la
génétique classique, nous nous trouvons face à l'expression visible de ces polymorphismes les
variantes des protéines - qui bien souvent se traduisent par des traits physiques évidents
(phénotype). Dans le cas de la génétique moléculaire, par contre, une bonne partie du
polymorphisme étudié ne concerne aucune fonction biologique et, par conséquent, n'est pas
visible sous forme de différence de couleur, de métabolisme, de défense, etc.. Probablement
ce polymorphisme n'intéressera ni la médecine et l'industrie pharmaceutique, ni la sociologie,
l'économie, le droit et autres domaines de la pensée à caractère sociale. En revanche, ce
polymorphisme est de grand intérêt pour l'établissement d'une carte fine des marqueurs
génétiques, qui permettrait la liaison physique de ceux-ci avec des gènes non encore localisés,
ainsi que pour les études concernant l'évolution, comme l'anthropologie et d'autres disciplines
s'intéressant à l'origine de l'homme et à sa diversité biologique et culturelle.
6.
Il convient, enfin, de rappeler que les estimations les plus optimistes situent la
divergence de l'ADN de deux être humain autour de 1% de la totalité de sa séquence. Ce qui
revient à dire que, même si nous différons de notre voisin de quelques millions de nucléotides,
nous lui ressemblons quand même en 2.99 billions: ceci, autant au sein du même groupe
ethnique qu'entre groupes différents! Certaines différences (allèles) à un endroit précis du
génome sont plus fréquentes dans un groupe humain que dans un autre, mais nous ne trouvons
pas des variations qui sont uniques à un groupe humain. C'est pourquoi nous ne pouvons pas
parler de "races" ou "groupes ethniques", au sens d'une subdivision de l'espèce humaine, selon
des caractéristiques propres à chacun et non partagées par les autres.
Par contre, la diversité des fréquences alléliques observée dans différents groupes
humains, peut être quantifiée en termes de distance génétique: ce qui met en évidence la
séparation de ces groupes du tronc commun et la divergence des uns par rapport aux autres, de
la même manière qu'un linguiste situe la divergence ou la distance des langues modernes par
rapport aux langues ancestrales.
II.
L'OBJET D’ETUDE DE LA GENETIQUE DES POPULATIONS
7.
A l'origine, les études génétiques classiques des populations ont été menées sur un
échantillon assez grand d'individus pris au hasard à travers le monde, tant de groupes isolés
que de populations urbaines.
Actuellement, la génétique des populations est essentiellement centrée sur des
populations du Tiers Monde, car la majorité des groupes humains, d'intérêt pour les études du
polymorphisme génétique, se trouvent dans les pays en voie de développement. Il existe bien
entendu certaines populations isolées dans les pays industrialisés, qui revêtent également un
intérêt particulier pour ces études. De même, la collection d'ADN d'individus d'origine
caucasoide du CEPH, à Paris, a été un outil essentiel pour la description des premiers
polymorphismes humains. Néanmoins, la majorité des études montrent que la plus grande
diversité est à rechercher dans des groupes humains isolés.
8.
Dans le même ordre d'idées, il faut souligner que les populations isolées représentent
pour le généticien une véritable "bibliothèque vivante", dans la mesure où elles permettent
d'analyser directement les phénomènes de diversification, évolution, adaptation, expression de
mutations rares à l'état homozygote, que, souvent, nous ne pouvons plus mettre en évidence
chez les populations de pays où il y a eu un brassage humain important depuis plusieurs
générations. Cette considération d'ordre général est suffisante pour justifier pleinement ce
type de recherches, mais il faut bien entendu l'encadrer dans un modus operandi qui obéisse
au respect de l'être humain, dans le sens le plus large possible.
9.
Afin que les recherches en génétique des populations et, en particulier, sur le
polymorphisme du génome humain se déroulent dans un climat de respect des
"sujets-acteurs", il convient en premier lieu d'assumer, de façon claire et honnête,
l'importance, théorique et pratique, et les intérêts, à court et long terme, qui découlent des
résultats obtenus par ces recherches. Bien que souvent la science ait produit des résultats dont
les retombées n'étaient pas prévisibles au départ, les objectifs primordiaux sont connus et
peuvent, et doivent, être clairement exposés à tous les individus concernés: les sujets de la
recherche, les populations elles-mêmes, le grand public, la communauté scientifique et
académique, etc..
C'est un point très important, car souvent les populations sont considérées comme
étant incapables de comprendre de quoi il s'agit. Elles ne le sont ni plus ni moins que le grand
public d'un pays quelconque auquel on explique les grandes lignes d'un procédé scientifique
et ces Possibles retombées.
III.
COMMENT MENER LES ETUDES SUR LE POLYMORPHISME HUMAIN
10.
Jusqu'à présent, les recherches sur le polymorphisme du génome humain ont été
menées essentiellement par des laboratoires de recherche des pays industrialisés et par des
chercheurs pour la plupart européens ou nord-américains. Ceci s'explique du fait que le
développement de la recherche en biologie moléculaire a pris un grand retard dans les pays du
Tiers Monde de même que l'ont fait d'autres technologies de pointe dans le domaine de la
recherche fondamentale. Cependant, ces chercheurs ont souvent été obligés de repérer les
échantillons dans les pays du Sud, source de populations isolées. Dans certains cas, un contact
local - un médecin, un anthropologue ou un biologiste - représentait le relais pour
l'organisation logistique des déplacements et de la prise des échantillons. Encore une fois,
cette démarche n'est que le résultat historique du développement des sciences et, en
particulier, de la génétique moléculaire dans les pays du Tiers Monde. La grande lacune dans
cette démarche se trouve néanmoins dans le fait que, en général, ni la population étudiée ni la
communauté scientifique locale ni les sciences sociales affines ont été concernés, de façon
directe et participative, par les retombées bénéfiques des progrès des connaissances
scientifiques. Bien entendu, les résultats des recherches, une fois publiés, sont à la portée de la
communauté scientifique internationale tout entière, mais les pays concernés et ses
populations n'en ont retenu qu'un bien théorique, et encore.
11.
Toutes ces considérations nous amènent à une réflexion importante et à une prise de
position tant de la part de la communauté scientifique que du CIB lui-même: les recherches
dans le domaine de la diversité du génome humain doivent impérativement être conçues
comme des espaces de rencontre, de participation et de coopération multilatérale entre les
différents acteurs de celles-ci, à savoir la population étudiée elle-même, les chercheurs
étrangers concernés, les scientifiques locaux, les chercheurs des sciences humaines. La seule
possibilité pour améliorer les schémas actuels de participation au progrès de la science est
d'offrir aux pays du Sud les moyens de participer activement aux recherches, d'y faire
participer les populations, d'aborder cette diversité humaine dans le contexte des autres
disciplines de la connaissance - afin d'en tirer les résultats et les conclusions correctes - et,
enfin, de se retourner à la source, à savoir la population étudiée, pour que les applications
pratiques, qui découlent de ces recherches, comportent un développement et une prise en
charge par la communauté.
12.
Le document du CIB devrait donc envisager une réflexion profonde sur les trois
acteurs fondamentaux du projet sur la diversité du génome humain.
Les sujets-objets de la recherche: sont-ils sujets de leur propre source de connaissance
ou simples objets de manipulation? Le concept d' "îlot génétique" ou de "groupe humain pur",
au sens des mélanges génétiques, est-il perçu d'une manière positive, dans la perspective d'une
conservation de caractéristiques essentiellement culturelles, ou bien, est-il discriminatoire
vis-à-vis de certains groupes humains?
Les chercheurs: sommes-nous des intrus qui ne cherchent qu'à dévoiler les secrets de
la biologie et perturbent par cela la culture de ces populations? Devons-nous considérer et
"protéger" les ethnies comme des vestiges de musée vivantes ou, au contraire, accepter une
évolution naturelle des groupes humains, à travers leur interaction avec d'autres groupes, vers
de nouvelles formes d'organisation sociale et culturelle? Dans ce cas, il n'y a-t-il une façon
convenable de concilier recherche et interaction avec des populations isolées?
Les décideurs de la recherche: quelles sont les politiques scientifiques, technologiques
et de santé des pays concernés? Vont-elles toujours dans le même sens? Quel engagement de
la part des institutions chargées d'encourager la recherche? Bien que les chercheurs se
préoccupent d'obtenir un consentement par écrit des individus qui participent à la recherche,
les décideurs, responsables de la répartition du budget, se préoccupent rarement du sort
qu'auront les populations et, encore moins, s'il y aura un feed-back quelconque des résultats de
la recherche.
Ces acteurs ne devraient-ils pas entreprendre les recherches d'une manière concertée,
après s'être consultés mutuellement et avoir défini un accord de principe et de participation?
Enfin la société tout entière: quelles retombées auront les recherches sur l'ensemble de
la société et sur les individus eux-mêmes? Vont-elles servir à renforcer l'idée d'une seule
espèce et promouvoir le respect de l'autre, la tolérance et la mise en valeur de la différence ou,
au contraire, accentueront-elles la xénophobie et le racisme? Comment éduquer nos sociétés
dans la première direction?
13.
Le retour des connaissances et, là où il y en a, des retombées diagnostiques et
thérapeutiques issues de ces recherches vers les populations et les pays est un point crucial,
non seulement du point de vue du développement de ces communautés et pays et de la
promotion de la recherche, mais aussi du point de vue de l'auto-affirmation ou réaffirmation
culturelle, de la prise en charge et des décisions en matière de politique de santé, d'éducation
et d'autres de la part des populations.
La participation des communautés en tant qu'acteurs, et non seulement spectateurs,
peut, en grande partie, décourager l'utilisation discriminatoire des découvertes, ou simplement
des connaissances, sur la variabilité génétique des groupes humains, pour en faire une
justification de mesures conte l'égalité de tous les êtres humains et leur liberté.
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