5. La génétique moléculaire est donc plus informative de la génétique classique, non
seulement du fait qu'elle a la possibilité d'explorer la totalité du génome, mais également
parce que, étant capable de détecter la modification d'un seul composant de l'ADN
(nucléotide), elle est en mesure de mettre en évidence toute la variabilité de l'ADN existante,
même celle qui ne se traduit pas en une modification de la structure d'une protéine. Ce qui
correspond, en importance, à explorer l'univers avec les plus puissantes sondes spatiales et
télescopes, au lieu de bonnes Jumelles.
Cette distinction est de grande importance lors que nous abordons les possibles
retombées des études sur le polymorphisme du génome humain, car, dans le cas de la
génétique classique, nous nous trouvons face à l'expression visible de ces polymorphismes les
variantes des protéines - qui bien souvent se traduisent par des traits physiques évidents
(phénotype). Dans le cas de la génétique moléculaire, par contre, une bonne partie du
polymorphisme étudié ne concerne aucune fonction biologique et, par conséquent, n'est pas
visible sous forme de différence de couleur, de métabolisme, de défense, etc.. Probablement
ce polymorphisme n'intéressera ni la médecine et l'industrie pharmaceutique, ni la sociologie,
l'économie, le droit et autres domaines de la pensée à caractère sociale. En revanche, ce
polymorphisme est de grand intérêt pour l'établissement d'une carte fine des marqueurs
génétiques, qui permettrait la liaison physique de ceux-ci avec des gènes non encore localisés,
ainsi que pour les études concernant l'évolution, comme l'anthropologie et d'autres disciplines
s'intéressant à l'origine de l'homme et à sa diversité biologique et culturelle.
6. Il convient, enfin, de rappeler que les estimations les plus optimistes situent la
divergence de l'ADN de deux être humain autour de 1% de la totalité de sa séquence. Ce qui
revient à dire que, même si nous différons de notre voisin de quelques millions de nucléotides,
nous lui ressemblons quand même en 2.99 billions: ceci, autant au sein du même groupe
ethnique qu'entre groupes différents! Certaines différences (allèles) à un endroit précis du
génome sont plus fréquentes dans un groupe humain que dans un autre, mais nous ne trouvons
pas des variations qui sont uniques à un groupe humain. C'est pourquoi nous ne pouvons pas
parler de "races" ou "groupes ethniques", au sens d'une subdivision de l'espèce humaine, selon
des caractéristiques propres à chacun et non partagées par les autres.
Par contre, la diversité des fréquences alléliques observée dans différents groupes
humains, peut être quantifiée en termes de distance génétique: ce qui met en évidence la
séparation de ces groupes du tronc commun et la divergence des uns par rapport aux autres, de
la même manière qu'un linguiste situe la divergence ou la distance des langues modernes par
rapport aux langues ancestrales.
II. L'OBJET D’ETUDE DE LA GENETIQUE DES POPULATIONS
7. A l'origine, les études génétiques classiques des populations ont été menées sur un
échantillon assez grand d'individus pris au hasard à travers le monde, tant de groupes isolés
que de populations urbaines.
Actuellement, la génétique des populations est essentiellement centrée sur des
populations du Tiers Monde, car la majorité des groupes humains, d'intérêt pour les études du
polymorphisme génétique, se trouvent dans les pays en voie de développement. Il existe bien
entendu certaines populations isolées dans les pays industrialisés, qui revêtent également un
intérêt particulier pour ces études. De même, la collection d'ADN d'individus d'origine
caucasoide du CEPH, à Paris, a été un outil essentiel pour la description des premiers
polymorphismes humains. Néanmoins, la majorité des études montrent que la plus grande
diversité est à rechercher dans des groupes humains isolés.
8. Dans le même ordre d'idées, il faut souligner que les populations isolées représentent
pour le généticien une véritable "bibliothèque vivante", dans la mesure où elles permettent
d'analyser directement les phénomènes de diversification, évolution, adaptation, expression de
mutations rares à l'état homozygote, que, souvent, nous ne pouvons plus mettre en évidence
chez les populations de pays où il y a eu un brassage humain important depuis plusieurs
générations. Cette considération d'ordre général est suffisante pour justifier pleinement ce
type de recherches, mais il faut bien entendu l'encadrer dans un modus operandi qui obéisse
au respect de l'être humain, dans le sens le plus large possible.