Paul T annery: Sur le sym bole de soustraction chez les Grecs.
S u r le sy m b o le d e so u str a c tio n ch ez le s G-recs.
Par P a u l Tannery à Pantin.
Dans la précieuse édition princeps qullELiMANX S c h ö n e nous a
donnée des Metqikù de H É k o n d’Alexandriex), on lit, page 156, 1. 8 et 10,
13 1®
pour un nombre qui doit certainement être 73 ^ la forme grecque oy iy,
tandis que l’apparat critique donne, comme leçon du manuscrit unique,
oôtî'ô', et ajoute: correxi dubitanter, fortasse f.i(ovâdojv) rcaaa^sOKai-
ôeuârov deovoâiv, cest à dire que cette leçon signifierait 74 i -
Que cette signification soit exacte, il ne peut y avoir le moindre
doute. Le symbole qui, dans le manuscrit, pare le nombre d’unités et
la fraction, est bien, en effet, le y> tronqué et renversé qui équivaut pour
Diophante, à notre signe de soustraction. La présence de ce symbole
dans un manuscrit de Héron est dautant plus intéressante quelle semble
attester son usage deux siècles environ avant Diophante. A la vérité,
comme on ne le rencontre que dans ce passage, la preuve nest pas
rigoureusement acquise, car il pourrait n’y avoir qu’une abréviation
byzantine; cependant cette dernre hypothèse nest guère vraisemblable.
Le manuscrit des Metrica est en effet antérieur lui même de plus de
deux siècles au plus ancien manuscrit de Diophante que lon possède; il
parait représenter fidèlement un prototype au moins aussi ancien que celui
auquel remonte notre texte des AQiêfxtjTiMâ; enfin ce dernier ouvrage
a é très peu étud chez les Byzantins jusquà la fin du XIIIe siècle,
et les procédés et symboles quon y rencontre ont é trop peu vulgarisés
pour quon puisse facilement croire à un emprunt dans le cas dont il
s’agit. Dautre part, il nest pas inutile de remarquer que le texte des
Metrica est actuellement le plus ancien connu où lon trouve lexpression
technique de ôvva/xéva^ig (voir Y Index verborum), employée par
Diophante pour désigner la quatrième puissance de linconnue.
1) Her oni8 Alexandrini opéra quce supersunt omnia. Yol. III (Leipzig,
Teubner 1908).
6Paul T annery.
Mais sur renonciation en langue grecque de lexpression numérique
symbolisée dans le manuscrit de Héron, la conjecture de léditeur ne me
paraît point satisfaisante. A la vérité, il aurait eu, en tous cas, raison
décarter la tradition relative à Diophante, daps laquelle il faudrait dire:
uovààoov oô Aehpei teôôaQeOKouôe'Hârov ^unités 74 par manque de
Quoique j’aie moi-même respecté cette tradition dans mon édition de
Diophante1), je suis, depuis assez longtemps déjà, convaincu qu’elle est
fausse. Avant tout, la locution (Aeltpei suivi du génitif) est étrangère au
grec classique, et même en admettant quelle se soit introduite dans le
langage technique dèê l’époque de Diophante, on nest pas par là même
autorisé à l’attribuer à Héron. Pour Diophante lui-même, comme jai
cru (peuttre à tort) que le symbole de soustraction a é originairement
une forme archaïque du sampi grec, plutôt qu’un monogramme se rattachant
à la racine de Aeîxpig, j ’ai depuis huit ans cherché dans le même sens que
H. Schöne, en supposant toutefois, pour respecter lordre des signes, des
formes comme serait la suivante fiovàôeg oô ôsô/uevai TeööaQSöKaiösuäTOV.
Mais il s’agissait aussi pour moi de reconnaître si chez des auteurs assez
voisins de l’époque de Diophante, il n’y avait pas des locutions d’un
caractère technique et nouveau; or Pappus, qui reste fidèle aux habitudes
du langage géométrique classique, noffrant aucune ressource à cet égard,
mes recherches ne pouvaient guère aboutir à une conclusion suffisamment
fondée.
Le passage précité des Metrica de Héron ayant attiré mon attention,
je suis remonté jusquà Ptolémée, auteur assez rapproché du mécanicien
d’Alexandrie. Or j’ai trouvé dans la Syntaxe (éd. Heiberg, vol. II) des
textes qui me conduisent à rattacher, pour cette époque, le symbole de
soustraction à la racine de Aetipig ou, plus exactement, du verbe Aeiiteiv
(laisser).
P. 312, 14: to âitô tîjg Z F Aetyjav to âito Tfjg r A, (cest à dire
Z F 2 ayant laissé T Ä 2, ou Z F 2 F I 2).
P. 319,15: tïjv vjro A Z B ycoviav Ariixoav rijV vità A B K , (cest
à dire langle A Z B laissant langle A B K ou <T A Z B <i: A. B K).
Ainsi le symbole représente un participe actif (présent ou aoriste) du verbe
laisser, qui doit être suivi de laccusatif. Mais il est à remarquer que
Ptolémée, pour Z T 2 F A 2, dit aussi fréquemment to ânà tîjg F A
Aei(p§èv in o tov àjtô Tfjg Z F (c’est à dire r A 2 laissé par Z r 2).
On serait par là suffisamment justifié à énoncer lexpression héronienne:
1) Diot-u a n t i Alexandrini opéra omnia, cum graeeis commentariis. Vol. I, II
(Leipzig, Teubner 1893, 1895).
Sur le symbole de soustraction chez les Grecs. 7
fiovààes oô AsiydévTOg TsOOaocaraudeKàrov, à prendre en un mot le
symbole comme représentant un participe passif au génitif absolu, s’accor
dant avec le terme à soustraire.
Or cette possibilité dénoncer la partie négative d’une expression de
deux façons passablement différentes, quoique aussi régulières l’une que
lautre, est peut-être la seule qui permette dexpliquer les anomalies que
présente le texte du ms. A de Diophante, le symbole (résolu ou non)
est suivi, tantôt de laccusatif, tantôt du génitif; ainsi dans un même pro
bme (II, 21), nous trouvons Aelipei to v Aoijtov (p. 114, 25) et Âeiyiei
ro v uelgova (p. 116, 3). Au lieu de vouloir ramener ces deux expressions
à une me forme grammaticale, il est plus rationnel de penser que le
symbole a é mal résolu d’une seule façon et qu’il faut restituer Aeicp-
évTog to v Aom ov et Âtdymg to v fxei^ova.
Je ne voudrais pas prolonger ici cette discussion avec la minutie qui
ne pourrait être de mise que dans un recueil consacré à la philologie;
mais je crois au moins devoir rappeler les conclusions auxquelles je métais
arrêté dans mon édition de Diophante, et exposer celles que je voudrais
leur substituer.
Tout en conservant en principe, dans mon édition, la forme Aelyjei
suivie du génitif, j’ai fait remarquer, dans les prolégomènes du second
volume (p. XXXV-XXX VI), que le symbole de soustraction servait dans les
mss. pour diverses formes du verbe Aelneiv, et que dans le cas les
mss. A et Bi s’accordent pour écrire Aelyjei suivi de laccusatif, il fallait
nécessairement, comme je l’ai fait au reste, rétablir le participe aoriste.
J’ai fait ressortir également que dans les équations le manuscrit A
donne assez souvent de première main (en fait presqu’exactement dans la
moitié des cas) la résolution au nominatif Asftpig (suivi du génitif)1) au
lieu de la résolution Aelipei au datif.
C’est Maxime Planude qui a fait définitivement triompher cette
dernière forme, tandis que Pachymère (Diophante II, p. 122) conserve
Aettpig. Ces deux formes remontent probablement au prototype perdu
qui a été copié au VIIIe ou IX e siècle; à cette époque, la tradition était
absolument perdue, le mot Astipig a été adopté parce que Diophante
lui-même l’avait don comme symbolisé par le signe à soudre ; la forme
Aeiipei s’est introduite comme plus grammaticale, mais l’une et lautre sont
à laisser au compte des Byzantins.
Or des deux formes entraînaient forcément le génitif pour les mots
suivants; il ne semble pas cependant que le texte ait été corrigé, au
1) Trois ou quatre fois, on trouve aussi dans les équations le datif: Xsïipig àçi9-
¡ioïg. Ici il faut supposer soit une fausse lecture du copiste, soit une assimilation
erronée avec l’usage pour le verbe vnêzeiv.
8Pau i. T ann ery: Sur le sym bole de soustraction chez les Grecs.
moins systématiquement; par suite, en dehors des cas où le mot suivant
le symbole ou le terme Aelxpei ne provient pas lui-même d’une résolution,
comme il arrive pour les équations, il est prudent de conserver la forme
(à laccusatif ou au génitif) du ms. A, en la faisant précéder du participe
actif ou du participe passif suivant le cas.
Dans les équations, il faut de préférence supposer le participe actif
suivi de l’accusatif, conformément aux exemples cités de Ptolémée. Ce
participe actif, qui s’accorde avec le terme à diminuer, doit plutôt être à
laoriste, par analogie avec l’usage de Diophante pour le participe qui in
dique au contraire laddition (TtQooActftoiv et non au présent jrQOGÂa/u^âvcov)
Quant aux deux formes Aelipag et Aijiow , pour le participe aoriste de
Aelneiv, le choix entre elles semble permis; cependant il est probable que
la seconde a été surtout introduite par les Byzantins.
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