Il y a manifestement, entre le collectif de juillet, le projet de loi de finances pour 2013 et ce
collectif, un problème de cohérence. On nous explique que le coût du travail, trop élevé dans
notre pays, serait la seule cause de perte de compétitivité de nos entreprises. C’est faux, et je
vais vous donner quelques chiffres. La part de la valeur ajoutée préemptée par les salaires et
les cotisations sociales est plus faible aujourd’hui qu’il y a trente ans. En 1982, salaires et
traitements bruts mobilisaient 55,5 % de la valeur ajoutée produite et les cotisations sociales
en retenaient 19,4 %. En 2000, la part des salaires est passée à 48,5 % de la valeur ajoutée et
celle des cotisations sociales à 16,5 %. En dix-huit ans, nous avons donc vu le bloc « salaires
et cotisations » passer de 75 % de la valeur ajoutée produite par le travail à 65 %. Regardons
maintenant les dividendes et revenus de la propriété : en 1982, les sociétés distribuaient 16,5
% de la valeur ajoutée en revenus du capital ; en 2000, ce taux atteignait près de 25 % ; en
2011, il s’est établi à 31,7 %. Le montant des dividendes et revenus distribués dépasse,
aujourd’hui, celui des cotisations sociales !
Il est rarement fait état de ces observations dans les analyses de la situation économique. Et
pourtant, il suffit de jeter un œil sur les chiffres publiés, la semaine dernière, par le cabinet
Proxinvest sur la rémunération des dirigeants des entreprises du CAC 40 pour prendre la
mesure de l’ampleur du problème et constater la concentration scandaleuse des richesses dans
les poches de quelques-uns. C’est ainsi que Maurice Lévy, patron de Publicis, a empoché l’an
passé, grâce au versement anticipé de ses bonus différés, 19,6 millions d’euros de
rémunération. Carlos Ghosn, le patron de Renault, qui tente d’arracher des accords
improprement dits de compétitivité dans ses usines pour baisser le coût du travail, a vu sa
rémunération croître de 38 % et atteindre 9,7 millions d’euros. Pour la première fois, en 2011,
le salaire fixe moyen des dirigeants du CAC 40 a franchi le million d’euros. Pourquoi ne pas
indexer le SMIC sur l’augmentation des salaires des patrons du CAC 40 ? Cela représente,
pour eux, 5 % de plus, cette année. Pourquoi ce qui est possible pour un grand patron ne
pourrait-il pas l’être pour un smicard ?
Ces chiffres méritent d’autant plus d’être rappelés que ces mêmes dirigeants du CAC 40 ont
adressé, il y a quelques semaines, dans les colonnes d’un hebdomadaire dominical, une lettre
ouverte au Président de la République, François Hollande, pour revendiquer une baisse du
coût du travail d’au moins 30 milliards d’euros en deux ans, le transfert de 15 milliards
d’euros de cotisations vers la TVA et une baisse drastique de 15 milliards d’euros des
dépenses publiques. Hélas, ils ont été entendus !
Vous comprendrez que nous ne croyions aucunement aux vertus du recours au crédit d’impôt
pour venir au secours des entreprises et les rendre plus compétitives. Ce qu’il faut, ce n’est
pas alléger le coût du travail, mais réduire le coût du capital. Contrairement à une idée reçue,
la dégradation de la situation de nos entreprises résulte, non pas d’un coût salarial trop élevé,
mais d’une multitude de facteurs, au premier rang desquels la financiarisation, la
surévaluation de l’euro à partir de 2002-2003 et les difficultés accrues d’accès au crédit
depuis le début de la crise. Si nos entreprises peinent à investir et à créer des emplois, ce n’est
pas non plus du fait de taux d’imposition trop élevés. En effet, les si nombreuses, trop
nombreuses, niches fiscales et sociales permettent aux grands groupes, notamment,
d’échapper à l’impôt. Jugeons-en : le montant des exonérations fiscales dont bénéficient les
entreprises s’élève, aujourd’hui, à 55,74 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter les 30
milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales, dont 22 milliards au titre des
exonérations Fillon.
En trente ans de politiques libérales, de baisse de l’impôt sur les sociétés, de baisse puis de
suppression de la taxe professionnelle, de gel puis de réduction des cotisations sociales, de
flexibilité et de précarité accrues du travail, quels ont été les effets sur la croissance, l’emploi,
l’investissement, l’innovation ? En dix années de ces politiques, les chiffres sont éloquents :