Cette remarque m’invite à évoquer les quelques insuffisances du texte et les initiatives qui
peuvent être prises dans le cadre législatif. Dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales,
de nombreuses avancées doivent aujourd’hui s’inscrire dans le cadre européen et
international. La capacité de coopération internationale se heurte toutefois à d’importants
obstacles, dès lors que l’on franchit le stade des déclarations d’intention. D’une part, en effet,
les multinationales et les acteurs financiers les plus puissants font pression sur les
gouvernements afin de leur arracher des régimes fiscaux dérogatoires. D’autre part, la
coopération internationale se heurte aux divergences entre les systèmes fiscaux nationaux qui
sont la traduction de la concurrence fiscale, de sorte que l’on ne voit quelle issue nous
pourrions trouver en dehors d’une harmonisation exigeante des normes fiscales européennes.
L’OCDE plaide de son côté pour une mise en œuvre d’ici deux ans d’un plan d’action
s’articulant autour de quinze mesures techniques. Elles visent, de l’aveu de son secrétaire
général, Angel Gurria, à remédier aux lacunes d’un système de règles internationales qui,
pour beaucoup, datent de près d’un siècle et qui, à l’instar des règles relatives à la prohibition
de la double imposition, permettent aujourd’hui de fait à certaines entreprises de bénéficier
d’une double exonération. Les ministres des Finances du G20 se sont engagés « à lutter contre
l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices » et à promouvoir « un modèle
vraiment mondial d’échanges automatiques d’informations multilatéraux et bilatéraux ».
Aucun calendrier n’a toutefois été fixé : cela pourrait nous conduire à douter de la volonté
réelle des instances internationales, enferrées dans leurs dogmes néolibéraux.
La France doit donc continuer à peser de tout son poids dans les négociations internationales
et auprès de ses partenaires européens pour obtenir des avancées concrètes. Mais elle peut
encore améliorer, comme je l’indiquais, sa propre législation et faire preuve de davantage
d’audace.
C’est pourquoi nous souhaitons, comme d’autres, que le présent projet de loi offre plus de
souplesse au plan procédural. Le monopole du ministre du Budget sur les poursuites
consécutives à des signalements en matière de fraude fiscale n’est pas satisfaisant dans la
situation que nous connaissons, où la dérive de la finance s’est considérablement accélérée et
complexifiée.
Si nous comprenons les raisons qui motivent la volonté légitime de l’administration fiscale de
récupérer les sommes à travers des transactions, nous ne devons pas oublier que
l’administration fiscale peut être tentée de reculer devant les gros contentieux, au profit de
transactions, comme cela a été dit en commission des finances. Une telle démarche n’est pas
satisfaisante au regard du discours de fermeté qui doit être le nôtre aujourd’hui.
Permettez-moi également de pointer une contradiction : la mise en œuvre du texte ne
s’accompagne d’aucun moyen nouveau en termes de personnels et, compte tenu du rôle joué
par la technologie, de peu de moyens matériels. On ne peut prétendre lutter toujours plus
efficacement contre la fraude et se féliciter par ailleurs du recul des crédits du ministère des
Finances, lequel a déjà perdu plus de 15 % de ses effectifs en dix ans. Oui, c’est vraiment une
faiblesse, au regard de la volonté affichée.
Mes chers collègues, la fraude et l’évasion fiscales sont des sujets évidemment essentiels.
Comme je l’indiquais en première lecture, ils ne sont pas le produit d’une déviance de certains
particuliers ou de certaines entreprises, c’est le cœur même du système capitaliste financier
actuel.
Toutes les multinationales, toutes les banques ou presque ont recours aux centres offshore
pour échapper à l’impôt ou proposer aux plus fortunés de le faire.