pour la définition d`un nouvel engagement des pouvoirs

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POUR LA DÉFINITION D’UN NOUVEL ENGAGEMENT DES POUVOIRS
PUBLICS AVEC LA SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION
M. Tomas de la Quadra Salcedo
I Espace public et espace privé dans le cyberespace
Pendant les premières années de ce qu’on appelle de nos jours le cyberespace, ont été
établies les bases pour une pratique et une conception de l’utilisation de cet espace libre
d’entraves publiques ou privées. Dans ce sens, l’Internet, instrument de plus en plus utilisé,
fondamental dans la société de l’information, doit faire face à une définition de son rôle dans
l’espace public.
En effet, de nos jours, la popularisation d’Internet et son usage généralisé mettent en
évidence l’existence de quelques problèmes, pour lesquels quelques uns proposent comme
solution l’intervention de l’Etat. Aujourd’hui on met aussi en question la nécessité de cette
intervention et on prône la convenance d’établir la liberté du cyberespace, de la même façon
qu’on proclamait autrefois la liberté des mers, lorsque la découverte de l’Amérique montra
l’importance des océans comme moyen de communication.
Cette demande de liberté, liberté face au pouvoir, doit être substantiellement,
soutenue. Cependant il est aussi nécessaire de rechercher ses origines et ses conséquences
pour trouver un équilibre entre la liberté et l’existence de politiques publiques. Tout en
respectant les droits fondamentaux de la communication des particuliers à travers le réseau,
celles-ci doivent garantir le droit de l’humanité entière à bénéficier de ses effets, sans
distinction possible entre ceux qui ont accès au réseau et ce qui ne l’ont pas. Ces différences
existent à l’intérieur de chaque pays et entre les différents pays.
1 La spontanéité de la société civile dans le cyberespace, mirage ou réalité?
Pendant les années émergentes du cyberespace, ce qui revient à dire, pendant la
période Internet, s’est finalement imposé un sentiment de liberté en ce qui concerne
l’utilisation du réseau, qui n’est pas sans fondement.
Cette impression a été approfondie par l’idée que, en réalité, la communication qui s’établit à
travers Internet, est une communication très semblable, sinon identique, à celle qui s’établit
entre personnes par téléphone ou à travers la poste. C’est en fait une sphère publique, et les
Etats n’ont rien à dire à ce sujet, puisqu’il s’agit du règne de la liberté et de la spontanéité de
la société civile. Spontanéité qui ne peut être limitée par l’introduction de disciplines
publiques qui conditionnent ou limitent la liberté des vrais protagonistes du cyberespace;
ceux qui en font usage.
Une conception proche au romanticisme, héritière des idées de Rousseau en ce qui
concerne les avantages de l’état nature, s’est apprivoisé des premiers usagers du cyberespace,
qui se constitue comme un espace libre et vide, sans règles ni normes sociales, l’histoire
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pouvait s’écrire dès le début, car en fait il s’agirait d’un monde tout à fait nouveau.
Cette sensation est sûrement comparable à celle des premiers habitants de cet espace virtuel,
occupants d’un territoire inconnu, sans règles, institutions ou tribunaux. Seulement lorsque ce
territoire a attiré des millions de personnes et lorsque sa valeur économique a été mise en
relief, on a commencé à parler de règles, institutions ou limitations.
Dans ces conditions, les premiers habitants de l’espace virtuel ou cyberespace
ressentent n’importe quelle intervention comme une imposition. Et ils ont d’ailleurs raison si
cette intervention constitue une intromission dans les communications inter personnelles,
pour lesquelles est demandée la plus grande autonomie.
Il serait convenant d’analyser si dans d’autres aspects cette réticence face à n’importe quelle
forme d’intervention des Etats est justifiée.
En tout cas, il est précis de rappeler que ce nouveau territoire, occupé par ces
nouveaux conquérants sans verser une seule goutte de sang, par la simple occupation de ce
qui était abandonné ou demeurait inconnu, peut être considéré comme le résultat d’une
intervention publique au plus haut niveau.
En effet, il faut rappeler qu’Internet est le résultat d’une solution de défense qui
prévoyait la possibilité d’une attaque nucléaire qui aurait laissé les U.S.A. sans
communication en détruisant ces réseaux principaux. Dans ce contexte, il était nécessaire
d'établir un réseau non hiérarchique en forme de maille pour canaliser toutes les
communications vers ces noeuds du réseau indemnes de cette attaque hypothétique. La forme
physique du réseau et le langage utilisé, qui transforme les contenus en paquets de bits, sont
le résultat d'une opération de défense dans laquelle les stratèges avaient besoin de la
spontanéité de la société.
Les débuts de l'Internet, les recherches qui l'ont fait possible, la technologie utilisée,
sont le résultat d'une décision qui provient du noyau dur de tout Etat, de sa fonction de
garantie de la sécurité et de la défense. Dans ce sens les premiers habitants de ce nouvel
espace virtuel peuvent être observés comme les cochons d'Inde d'un laboratoire expérimental
mis en place pour des raisons de défense, qui avait besoin de consolider un réseau de
préparation à la guerre pour usage civil, dont la raison d'être fondamentale chez ceux qui l'ont
conçu était la défense et le maintient des communications en cas de guerre.
Le fait de permettre l'usage de ce réseau aux universités était en fait un pas nécessaire
pour la consolidation d'une technologie à double usage -civil et militaire-, dont l'utilisation
généralisée de la population est indispensable et exige à la fois un contenu spécifique,
dépourvu du sens militaire et accentué dans son aspect civil, susceptible d'intéresser la
population.
Voilà l'apport fondamental des premiers habitants ou usagers du cyberespace: ils ont
doté le réseau d'une utilité précise, ciblée d'abord sur la satisfaction des nécessités de
communication de la communauté scientifique, puis sur le reste des usagers qui ont
successivement utilisé ce réseau.
Les origines d'Internet, sa raison d'être initiale, peuvent nous servir à éviter les faux
mirages en ce qui concerne la spontanéité de ces phénomènes. C'est à dire, pour nous
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détromper et ne pas construire un mythe en pensant à un espace virtuel crée par la spontanéité
d'une société civile libre des connexions avec les projets publics.
2 Rôle de l'initiative privée et rôle du secteur public
En tout cas, si la société de l’information mise en marche à travers un moyen
d'intercommunication aussi puissant et versatile comme Internet a un avenir, celui-ci repose
sur l'usage civil du cyberespace et l'exploitation de ses possibilités pour aider au
développement de la personne humaine et ses potentiels.
Sous cet aspect civil, il appartient à la société civile, à travers sa spontanéité, de donner sens à
l'usage de cet instrument extraordinaire. De la même façon qu'il est déjà arrivé dans l'histoire
avec beaucoup d'autres inventions, Internet est utile dans la mesure où l'homme a su, de façon
spontanée, lui donner un usage qui n'était peut-être pas dans la tête de ceux qui avaient mis en
marche la technique de la communication numérique. Et ça sera ainsi dans l’avenir.
D'autre part, le caractère apparemment inter personnel de ces communications favorise
un traitement de respect à l'intimité des personnes, en utilisant les mêmes techniques qu'on
utilisait dans le passé avec la poste ou le téléphone. On les considérait des espaces privés dans
lesquels les Etats n'avaient aucun rôle, sauf en ce qui concerne l'établissement et le maintient
des réseaux qui font possible la communication. Mais l'Etat ne pouvait rien faire quand au
contenu, avec la seule exception de l'intervention du juge s'il y avait commission d'un délit.
Ce même modèle de liberté devrait s'appliquer au développement du cyberespace.
Cependant, deux réflexions surgissent en ce qui concerne le rôle du secteur public, c'est à
dire, de la présence des Etats, face à Internet.
La première réflexion est en rapport avec ce qui est arrivé historiquement avec les
moyens de communication humaine: l'Etat ne peut pas se mettre à l'écart face à la poursuite
des délits et l'établissement des gles du jeu minimales qui assurent le règne de la loi et du
droit, par exemple dans l'accomplissement des obligations entre particuliers à travers le
cyberespace. L’intervention publique doit être limitée surtout lorsqu’il s’agit d’une matière
liée aux droits et libertés humaines.
La deuxième réflexion est en rapport avec la capacité de la société civile elle même et
avec le libre jeu des forces qui agissent dans son intérieur pour assurer l'égalité de chances
des individus et des nations à l'accès du cyberespace.
Un des plus grands risques de toute invention du génie humain repose sur le fait qu'elle ouvre
un horizon de possibilités pour la plus part du monde, mais constitue en me temps une
menace de discrimination. Elle risque de faire augmenter la différence entre ceux qui peuvent
avoir accès à la nouvelle invention et ceux qui n'ont pas la même possibilité d'accès, en
creusant un nouvel élément de différenciation.
Dans ce sens on peut craindre avec raison que le cyberespace, basé sur la spontanéité
des forces sociales, suivra la logique du marché, qui déterminera tout son fonctionnement.
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Il appartient aux Etats ou aux institutions publiques d'éviter ce risque en finissant leur
propre rôle dans ce cyberespace. Leur rôle ne peut pas être limité à celui de gardien de l'ordre
public ou persécuteur des délits; il doit garantir à tous de vraies possibilités d'accès aux
informations et communications d'intérêt pour la formation de la personne humaine,
indépendamment de l'endroit où elle se trouve.
Les risques liés à un abandon de l'espace de l'autorité publique dans la société de
l'information sont divers et on les analysera par la suite. Ce qui doit être souligné pour
l'instant c'est la nécessité de l'existence d'un rôle de l'autorité publique dans la société de
l'information. Autrement, la spontanéité des forces sociales ne pourra pas garantir la
propagation des bénéfices de la société de l'information dans des conditions d'égalité à
l'intérieur de chaque Etat et dans tous les continents de notre planète.
II Le rôle du secteur public dans la société de l'information
La construction de la société de l'information et de son instrument principal
-Internet ou les autres réseaux plus ou moins accessibles- n'est pas le résultat de la simple
spontanéité sociale. La société de l'information fait face à plusieurs dangers. Ceux-ci ont à
voir avec le désir de garantir l'accès vers tous les bénéfices de cette société de l'information et
le désir d'éviter que les différences entre classes sociales et entre ceux qui en ont accès et ceux
qui n'en ont pas, s'accroissent. En deuxième lieu il y a aussi des risques en ce qui concerne les
abus de la société de l'information et les délits qui peuvent se commettre à travers d'elle.
Ces derniers sont les dangers les plus cités. Lorsque l'on cherche des solutions, on
revient souvent à discuter le rôle qui appartient à l'Etat et l’on rentre souvent dans des débats
sans issue. Ces polémiques assombrissent la question principale, qui est celle de l'accès
garanti à la société de l'information pour toute l'humanité afin que tout le monde puisse jouir
de ses bénéfices. Mais on se limite souvent à mettre uniquement en question le rôle de l'Etat
comme garant de l'accomplissement de la loi.
1 Une société de l'information pour toute l'humanité
L'établissement d'un cyberespace pour toute l'humanité ne peut pas surgir du
simple jeu des forces sociales ou du marché. A l'intérieur des Etats on cherche le moyen de
garantir l'extension des communications dans tout le territoire, de façon qu'aucun citoyen soit
privé de ses possibilités de communication en fonction du territoire où il habite. La solution à
ce sujet doit passer par ce qu'on appelle aujourd'hui aux Etats-Unis, en Europe et dans de
nombreux pays de l'Amérique Latine, le service universel. C'est à dire, une garantie de la
diffusion des télécommunications dans tout le territoire et dans des conditions accessibles et
similaires pour tous les citoyens.
Puisque dans un contexte de libéralisation le marché n'assure pas de façon
bienfaisante et altruiste les conditions d'accès égalitaire à tous les services, on peut obtenir cet
effet par la création d'un fonds commun à travers lequel tout le monde participe aux frais du
service universel comme "obligation du service publique".
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Le besoin de garantir l'égalité de tous, indépendamment du lieu de résidence, se heurte
à plusieurs obstacles difficiles à résoudre au sein de chaque Etat et sans réponse au niveau
international.
Le service universel ne s'occupe pas des populations qui vivent en dehors de chaque
Etat. Il constitue peut-être la solution pour l'égalité à l'intérieur d'un pays mais il n'assure pas
l'universalité au niveau mondial. Il n'y a pas un mécanisme qui assure que la société de
l'information -qui devrait être mondiale- s'étendra dans toute la planète.
Voilà une première réflexion et un premier devoir pour les Etats et les organismes
internationaux: établir des mécanismes mondiaux de service universel pour faire possible une
société de l'information pour toute l’humanité. La raison de cette réflexion ne doit pas être
uniquement une conviction morale, mais doit aussi se baser sur le fait que pour construire une
société de l'information il faut utiliser des biens qui appartiennent à toute l'humanité, qui
impliquent donc l'obligation de bénéficier toute l'humanité.
C'est le cas de l'utilisation de l'espace intérieur pour placer des satellites géostationnaires ou
de basse cote; cette utilisation doit pouvoir bénéficier toute l'humanité. Dans ce sens, on
soutient que les satellites de basse cote permettront que l'extension du téléphone dans des
continents comme l'Afrique ne soit pas aussi coûteuse que l'installation des réseaux existants
dans d'autres pays.
En tout cas, il faudrait passer du service universel à l'intérieur de chaque pays au
service universel au sens propre du terme, c'est à dire celui qui permet que toute personne,
indépendamment de son lieu de résidence, ait accès aux biens de la société d'information.
Il s'agit d'un problème économique, politique et éthique, très convenant dans un forum
comme celui qu'encourage l'UNESCO sous le nom de "Infoética".
Rien de plus évident sous une perspective éthique que l'obligation d'établir dans la raison
collective que les biens de la nouvelle société soient à la portée de toute l'humanité.
Ceci doit constituer un vrai principe, qui ne naît pas de la simple spontanéité sociale ou du
marché, mais du compromis conscient des Etats et des organismes internationaux pour
obtenir sa reconnaissance.
Il s’agit, au début, d’obtenir une reconnaissance de ce principe. Plus tard, dans son
implantation, cette exigence pourra être modifiée en tenant compte des particularités de
chaque pays et sa capacité d'absorption et d'adaptation aux nouvelles technologies.
Les différences de revenu par habitant et de richesse entre les nations s'expliquent par des
origines complexes basées dans l'histoire et la culture, mais les technologies de l'information
sont si récentes qu'il convient de penser en termes humanitaires, dans la mesure il s'agit
de moyens de communication, de rapprochement entre ceux qui sont éloignés, comme
l'indique son étymologie. On ne peut donc pas oublier ceux qui sont éloignés par l'espace, le
temps, la culture ou la richesse. On doit donc proclamer le principe de service universel pour
toute l'humanité, indépendamment de son rythme d'implantation.
Quand aux difficultés de chaque Etat pour établir -autre que théoriquement-, le service
universel, la plus évidente se trouve dans la définition des services qui doivent s'inclure dans
ce service universel. Dans l'Union Européenne sont inclus le téléphone, le fax et les données
en bande vocale de capacité limitée. Ceci signifie que l'accès à tous les bénéfices de la société
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