Dualité du régime juridique des paysages

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Université Paris II (Panthéon – Assas)
D.E.A. de Droit de l'Environnement
Année Académique 1997-1998
DUALITE DU REGIME JURIDIQUE DES PAYSAGES
par Monsieur François RIBARD
sous la direction du professeur J. de MALAFOSSE
Introduction
Introduction
"La vue est le sens prioritaire de la perception du beau."1
Les philosophes de l'esthétique, depuis Platon, la placent au sommet de la hiérarchie des sens.
Elle est le médiat le moins corrompu entre les choses du réel et la subjectivité de l'homme.
Dans notre monde moderne, la vue tient également un rôle prépondérant.
"Nous sommes dans la société du visuel" affirmait Jacques Seguéla2.
Il est par conséquent tout naturel que la notion de Paysage soit devenue depuis deux siècles
une préoccupation sociale de premier ordre.
On ne compte désormais plus un jour sans que les plus grands médias comme les plus
insignifiants ne traitent de paysages, que ce soit pour nous en vanter la qualité, pour nous les
faire découvrir ou pour dénoncer leurs atteintes permanentes.
Mais qu'est-ce que le paysage ?
L'appréhender apparaît loin d'être une tâche aisée, le mot connaissant plusieurs acceptions qui
en changent le sens. Les lexicologues ne nous simplifient pas les choses.
Les uns donnent une définition purement objective :
- Larousse : "étendue de pays qui présente une vue d'ensemble" ;
- Hachette : "étendue de pays qui s'offre à la vue" ;
- Robert : "partie d'un pays que la nature présente à un observateur".
D'autres insistent sur le caractère subjectif du paysage :
- Encyclopedia Universalis : "relation qui s'établit en un lieu et à un moment donnés entre un
observateur et l'espace qu'il parcourt du regard" ;
- R. Debray : "écoumène médiatisé par des mots, des images interprétés par des archétypes
culturels, des échosymboles comme le bocage, l'alpage ou le rivage marin" ;
- J.R. Pitte : "le paysage est essentiellement changeant et ne peut être appréhendé que dans sa
dynamique, c'est-à-dire dans le cadre de l'histoire qui lui restitue la quatrième dimension" ;
1
2
M SERRE, Les cinq sens, Grasset, 1985.
J. SEGUELA, Fils de pub,
François RIBARD, Dualité du régime juridique des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
Introduction
- A. Berque : "médiation entre le monde des choses et la subjectivité humaine" ;
- Baudelaire : "le paysage ne vaut que par celui qui le regarde".
Il est sans doute possible de synthétiser ce qui vient d'être puisé dans la littérature en retenant
les caractères du paysage, qui expliquent pourquoi un groupe humain est si viscéralement
attaché à son aspect :
- caractère personnel et subjectif : on ne connaît pas de critères collectifs du beau ni même de
l'harmonieux ;
- caractère relatif : tel paysage sera admiré dans certaines conditions de lumière ou
météorologiques ;
- caractère protéiforme : l'émotion ressentie par l'observateur peut être soit purement
esthétique, soit mnémonique (si elle fait renaître en lui des souvenirs, des sensations, des
émotions), soit encore culturelle (et dans ce cas, elle prend une dimension sociale).
Il apparaît ainsi que le paysage qui peut être naturel, urbain, périurbain ou rural, constitue un
lien étroit, physique, sentimental et intellectuel entre l'homme et son environnement, ce qui
explique sans doute le poids pris progressivement par ce dernier dans les préoccupations
sociales.
Depuis l'antiquité jusqu'au début du siècle dernier, le paysage ne se manifeste qu'en tant que
"fait du prince". Les "puissants" cherchent à imprimer leur marque sur le territoire, en
modelant le paysage à leur goût ou à leur besoin. On rase une colline, on déplace une rivière...
Au XIXème comme au début du XXème siècle, les élites artistiques puis sociales prennent
conscience de la beauté des paysages.
La littérature du siècle "paysagiste"3 laisse de nombreuses évocations de paysages, dont on ne
saurait raisonnablement donner une liste exhaustive. Il serait toutefois impensable de ne pas
citer, au moins, Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Maupassant, Hugo, Verlaine, Rimbeaud,
Zola, et pour le début de notre siècle Pagnol et Giono.
Les Arts graphiques du XIXème siècle sont riches en oeuvres paysagères. Le mouvement
impressionniste, en particulier, en offre un superbe catalogue.
La Bourgeoisie dispose du temps et des moyens d'apprécier la prise de conscience artistique
des paysages, mais également de profiter directement de la beauté de ces derniers.
3
Le XIXème siècle.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
3 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
Introduction
Le XXème siècle est celui de la démocratisation des paysages.
La photographie puis le cinéma -ou son avatar télévisuel- ne restent pas étrangers à la beauté
des paysages, y puisant à l'occasion une dimension sémiologique renforçant le récit.
La population dispose désormais du temps (les congés payés permettent enfin de prendre des
vacances) et des moyens matériels (financiers comme de transport) de prendre conscience de
la beauté des paysages mais également des graves atteintes qui leurs ont été portées.
Depuis la révolution industrielle, on a recherché en effet les implantations les plus
"rationnelles" en ignorant généralement les dégradations du paysage qu'elles entraînaient.
Par son impact tantôt bénéfique et tantôt désespérant sur le cadre de vie, le paysage est ainsi
devenu un véritable fait social, et, comme tel, entre directement et immédiatement dans le
cadre des préoccupations du Droit4
Mais comment soumettre le Paysage au Droit ? Ses caractères relatif, subjectif et protéiforme,
sa sensibilité l'opposent à la logique, au rationalisme du Droit.
L'absence totale de définition juridique du Paysage exprime clairement le malaise ressenti par
les juristes. Comment établir un régime juridique pour une notion que l'on n'appréhende pas ?
Le législateur qui lui a consacré une loi5, la jurisprudence comme la doctrine sont pourtant
dans l'incapacité de lui donner un sens précis6.
Pris entre la volonté sociale et la réticence que lui inspire une notion qu'il ne cerne pas, le
Droit se contente dans les premiers temps d'une prise en compte implicite et indirecte de la
donnée paysagère. La mise en oeuvre de régimes juridiques aux finalités voisines, telles la
protection des sites ou bien celle des monuments historiques prend en considération les
préoccupations paysagères et rapidement, cette prise en compte devient explicite : les
dispositions de soumission au respect des paysages se multiplient.
Par la suite, elle affirme son caractère direct. Des mesures de protection des paysages sont
prises et une loi "Paysage" est votée.
4
Dès 1901, une Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France parvient à obtenir le
sauvetage de la cascade du Lizon dans le Doubs qu'un industriel voulait canaliser.
5
Loi n° 93-24 du 8 janvier 1993 relative à la protection et la mise en valeur du paysage et modifiant certaines
dispositions législatives en matière d'enquêtes publiques, JORF 9 janvier 1993.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
4 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
Introduction
La prolifération de ces stipulations de protection, de sauvegarde, de mise en valeur manifeste
l'existence d'un véritable régime juridique pour les paysages. Les déclarations de principes,
ultime étape, viennent d'ailleurs consacrer l'émergence d'un Droit des paysages :
- La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature proclame en son article premier
que la protection des paysages est d'intérêt général.
-L'article premier de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture énonce que "le respect des
paysages naturels ou urbains" est d'intérêt public.
- Enfin, la loi du 2 février 1995 déclare dans un nouvel article L200-1 du code rural les
paysages "patrimoine commun de la nation".
Force est donc de constater que, confronté à une préoccupation sociale moderne, le Droit est
parvenu à développer un Droit des paysages sans avoir déterminé les contours de la notion.
Il s'agit d'un Droit public. La terminologie ne trompe pas : intérêt public, intérêt général,
patrimoine commun de la nation... Toutes les dispositions ainsi prises visent à préserver les
paysages qui en sont le plus dignes au regard de l'intérêt général.
Ceux-ci sont le patrimoine de la nation, insusceptibles d'appropriation. Le législateur adopte
ainsi la conception de Victor HUGO, qui distinguait l'usage et la beauté des paysages, l'usage
appartenant aux divers propriétaires du sol, et la beauté à tout le monde7.
Une telle acception modifie profondément la notion de Paysage. Le Paysage n'est pas à tout le
monde mais à chacun. Chacun peut en apprécier la beauté personnellement, en fonction de sa
propre subjectivité.
La démarche publiciste est indispensable. La sauvegarde des paysages les plus unanimement
appréciés apparaît impérative, dans un souci d'intérêt général8. Elle ne couvre cependant que
partiellement la notion de Paysage, ce qui nous amène à considérer qu'il s'agit non d'un Droit
du Paysage, mais d'un Droit des paysages, des paysages remarquables.
Un tel Droit ne satisfait qu'en partie l'intérêt que portent aux paysages les individus qui
composent la société.
6
Les débats parlementaires qui précédent l'adoption de la loi "paysage" présentent une définition dont les
valeurs juridique comme sémantique sont toutes relatives. Le paysage serait "un ensemble naturel ou urbain
harmonieux"... (J.O. du 9 janvier 1993)
7
V. HUGO, "Guerre aux démolisseurs", Revue des deux mondes de 1832.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
5 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
Introduction
Ces derniers sont attachés aux grands paysages naturels ou urbains. Ils sont désireux de
pouvoir les admirer et peut-être simplement de savoir qu'ils existent et qu'ils vont perdurer.
Mais ils se soucient également de leur environnement proche, de ces paysages de leur vie de
tous les jours, qui ne correspondent pas aux critères du remarquable, mais qui les touchent
directement.
Si l'approche publiciste ne prend pas en compte de telles aspirations, le Droit nous démontre à
nouveau sa fascinante faculté d'adaptation à la société. Par l'utilisation de sa source la plus
souple, la jurisprudence, et dans le domaine adapté, le Droit civil, il établit de façon
totalement autonome, un régime juridique propre à satisfaire les attentes des justiciables.
Ces vingt dernières années ont en effet vu le développement d'une jurisprudence qui semble
affirmer l'existence d'un véritable droit au paysage.
Cette construction repose sur la théorie des inconvénients anormaux de voisinage, création
déjà purement prétorienne et régime de responsabilité de droit commun.
L'interprétation des décisions de justice laisse apparaître un droit à ne pas être troublé
visuellement dans le cadre des rapports de voisinage. La ressemblance avec un droit à la
qualité du paysage est évidente. S'il convient cependant d'en relativiser la portée (nous verrons
en effet qu'il s'agit d'un droit fortement limité), il semble bien que ce droit soit en création.
Certains auteurs9 lui trouvent même un fondement dans le cadre du droit à un environnement
sain tel qu'il est affirmé au nouvel article L200-2 du code rural. Si elle est admissible, une telle
référence met en évidence une importante contradiction dans le régime juridique de la notion
de Paysage.
Le Droit, soucieux d'intégrer le Paysage, lui a procuré un régime juridique double. Il est même
possible d'affirmer qu'il a établi deux régimes, compte tenu de leur caractère profondément
autonome.
Cette construction permet sans doute d'englober les principaux aspects de la notion, mais
comment le Droit des paysages et le droit au paysage s'articulent-ils ?
Fonder le dernier sur le droit à un environnement sain tel qu'il est énoncé dans la déclaration
des principes du Droit de l'environnement de la loi du 2 février 1995 révèle un paradoxe au
8
9
Mais qui est à même de les déterminer ?
Voir M. PRIEUR, "Droit de l'environnement", 3ème éd., Précis Dalloz, 1996, p. 797
François RIBARD, Dualité du régime juridique
6 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
Introduction
sein de ce texte mais surtout met en exergue le caractère difficilement conciliable de ces deux
droits.
Le Droit des paysages affirme que ces derniers sont le patrimoine commun de la nation, donc
insusceptibles d'appropriation, tandis que le droit au paysage est par nature un droit subjectif
dont chacun disposerait sur son paysage de proximité.
Pour l'instant la jurisprudence n'a pas présenté d'opposition entre l'intérêt général paysager et
un intérêt particulier paysager. Il faut dire que le droit au paysage est pour l'instant en
formation.
Le paradoxe de ces deux constructions qui constituent le Droit du Paysage semble toutefois
justifier une étude synthétique de la dualité du régime juridique des paysages.
Dans un souci de clarté, l'étude de cette dualité distinguera les deux éléments qui la
composent. La réalité historique, comme sans doute l'importance que la doctrine y attache,
dicte d'analyser prioritairement l'approche publiciste.
La première partie traitera donc des paysages, patrimoine commun de la nation.
La seconde partie permettra de s'interroger sur l'existence réelle d'un droit subjectif au
paysage.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
7 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1ère Partie-. Les paysages, patrimoine commun de la nation
1ère Partie-. Les paysages, patrimoine commun de la nation
Le premier alinéa du nouvel article L200-1 du code rural, issu de la loi du 2 février 1995
énonce : "Les espaces, [...] les sites et paysages [...] font partie du patrimoine commun de la
nation".
Le principe n'a qu'une faible portée juridique, les conséquences d'une affectation à la notion de
patrimoine commun de la nation étant restreintes et imprécises. Il tient plus du principe
mobilisateur. Les paysages, comme les espèces animales et végétales ou les équilibres
biologiques sont une préoccupation pour l'ensemble de la nation.
Mais une telle affirmation manifeste également la volonté du législateur et plus généralement
des pouvoirs publics de voir le Droit public accaparer le Droit du Paysage. Le second alinéa
du même article vient d'ailleurs corroborer cette interprétation, déclarant que "leur protection,
leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d'intérêt général
[...]". Les paysages sont l'affaire de la nation, de la collectivité et donc la charge des
institutions qui la gouvernent.
Il est légitime de contester cette aspiration à un monolithisme juridique du Droit du Paysage.
Nous verrons d'ailleurs dans la seconde partie que l'on assiste actuellement à l'émergence d'un
Droit privé du Paysage. Il n'en reste pas moins que l'approche publiciste demeure le principal
de ce Droit.
Historiquement tout d'abord, le Droit public fut le premier à prendre en considération les
Paysages. Dès 1906, une loi énonce que les distributions d'énergie devront satisfaire à des
conditions "au point de vue de la protection des paysages"10. La même année, une loi tente de
protéger les sites et monuments naturels, notions au caractère paysager certain11. Depuis, des
dispositions paysagères sont régulièrement mises en place. L'ancienneté de ce Droit public lui
donne de l'importance vis-à-vis d'un Droit privé du Paysage encore en création.
Médiatiquement, l'approche publiciste se révèle la plus mise en valeur. Les paysages "d'intérêt
général", ceux dont la qualité est la plus unanimement reconnue et qui constituent le domaine
de son régime, demeurent les seuls auxquels s'attachent les médias.
D'un point de vue "quantitatif" enfin et surtout, le Droit public des paysages est celui qui
présente le plus de normes et de réglementations. L'opposition avec le Droit privé au paysage,
création prétorienne encore en gestation met en exergue une telle observation, mais force est
de constater la véritable profusion de réglementations, de dispositions à caractère direct ou
indirect afférentes aux paysages. Il s'agit d'ailleurs de l'approche la plus commentée par la
doctrine.
La composante publiciste apparaît donc formellement comme la plus importante du Droit du
Paysage. Elle se manifeste également comme la plus complexe. La débauche de textes et de
prises en compte des paysages, traduction autant de l'intérêt des juristes pour le Paysage que
de leur incapacité à le définir, rend ce Droit extrêmement difficile à appréhender.
Les dispositions paysagères se multiplient à un point tel qu'il ne serait pas excessif de parler
de chaos du Paysage. Les prises en considération du Paysage se retrouvent dans la plupart des
10
Art. 19 de la loi du 15 juin 1906 relative à la distribution d'énergie, D.P. 1907.4.64.
Loi du 21 juin 1906 qui ne sera jamais véritablement appliquée et sera remplacée par la loi du 2 mai 1930.
Voir infra.
11
François RIBARD, Dualité du régime juridique des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1ère Partie-. Les paysages, patrimoine commun de la nation
domaines du Droit public. Les nombreux régimes qu'elles établissent se recoupent
fréquemment et même se superposent. Les compétences sont éclatées entre les différentes
personnes publiques, et même entre leurs différents organes. Au niveau ministériel par
exemple, si la compétence de principe relève du ministère de l'Environnement, les ministères
de la Culture 12 , de l'Equipement 13 , de l'Agriculture 14 peuvent se révéler fréquemment
compétents.
Une présentation exhaustive de ce régime juridique serait ainsi particulièrement fastidieuse et
peu synthétique. Dans un souci de clarté, nous étudierons donc les principales évolutions de ce
Droit public du Paysage bientôt centenaire.
Deux mouvements dominants peuvent être constatés. D'une part, l'appréhension publique des
paysages se généralise : nous sommes passés d'un certain élitisme à un vaste domaine, ce dont
nous traiterons dans un premier chapitre. Le régime de la prise en compte paysagère semble
d'autre part évoluer de la protection vers la gestion, ce qui fera l'objet d'un second chapitre.
12
La valeur artistique des paysages est évidente, mais si le ministère de la Culture s'est mis à porter un intérêt
particulier aux paysages en général, organisant un mission du patrimoine ethnologique dans laquelle 15 équipes
de chercheurs ont consacré leur travail à l'étude paysagère (voir P. LAMAISON,Y. RENAUDIN, "De nouveaux
paysages au ministère de la Culture", Le Débat, mai-août 1991), sa compétence juridique paysagère principale
reste le régime des monuments historiques.
13
Le régime des sites classés, principal outil pendant longtemps de la protection paysagère, relevait à l'origine
du ministère de l'équipement. Son transfert au ministère de l'environnement en 1996, obtenu de haute lutte, laisse
cependant certaine compétence paysagère à l'Equipement, principalement en matière de grands ouvrages publics
comme la distribution d'énergie ou les autoroutiers.
14
La compétence paysagère principale du ministère de l'Agriculture se trouve dans le domaine forestier.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
9 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste
domaine
Le Droit public du Paysage ne considère pas le Paysage mais certains paysages. Seuls ceux qui
sont dignes d'intérêt selon les goûts des acteurs de ce Droit, ceux hors du "commun", font
l'objet d'un régime juridique.
Mais de quels paysages s'agit-il ? Quel est le domaine de ce Droit ? Le caractère pléthorique
des législations et des réglementations en la matière ne facilite pas la détermination d'un
champ d'application. Reflétant la subjectivité de la notion de Paysage, elles présentent en effet
chacune des priorités divergentes, et considèrent donc des paysages différents. De plus, bien
souvent, elles se contentent d'y faire simplement référence, usant de formules sibyllines telles
que "au regard de la protection des paysages" ou "doit tenir compte des paysages" ou bien
encore n'y font pas du tout référence puisqu'il s'agit d'un usage détourné de régimes juridiques
aux autres finalités.
L'établissement d'une typologie de la prise en compte paysagère s'impose donc comme une
première étape dans la détermination de ce domaine. Le tracé de ses grandes lignes permet de
faire ressortir les principaux critères définissant les paysages susceptibles d'être sauvegardés,
critères auxquels nous nous attacherons dans une seconde section.
Section 1-. Une typologie de la prise en compte paysagère
Nous l'avons vu précédemment15, les modes de prise en compte paysagère sont divers et ont
évolué au fur et à mesure que les juristes s'habituaient à utiliser cette notion qu'ils ne peuvent
définir.
Deux grands courants peuvent cependant être dégagés, courants qui ne se succèdent pas
historiquement. La prise en compte indirecte, si elle fut la première à émerger puisqu'elle
permettait de ne pas faire référence au Paysage a en effet perduré dans la seconde partie de ce
siècle. Il ne s'agit plus véritablement de l'expression d'un malaise mais d'un simple constat :
certains instruments du droit administratif de l'Environnement, conçus avec d'autres objectifs
15
Voir supra, introduction.
François RIBARD, Dualité du régime juridique des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
permettent également la préservation de certains paysages. La sauvegarde directe constitue
cependant l'approche la plus récente, ce qui justifie son étude dans un second paragraphe.
§1-. La prise en compte indirecte
Il s'agit de l'ensemble des dispositions prises avec d'autres objectifs mais qui se préoccupent
accessoirement de la donnée paysagère ou bien qui sont utilisées dans un souci paysager.
La prise en compte peut-être explicite, le texte de la disposition y faisant référence, comme
implicite, la considération paysagère étant constatée dans les pratiques administrative et
jurisprudentielle.
Les simples références explicites à une préoccupation paysagère, comme celle figurant à
l'article 19 de la loi du 15 juin 1906 relative à la distribution d'énergie16, de même que les
manifestations pratiques d'une telle volonté sont légion. En dresser la liste serait sans grand
intérêt, l'affirmation de leur caractère prolifique suffit à en évoquer l'importance.
Nous nous attacherons donc, dans le cadre de ce paragraphe, à l'étude des quatre principaux
régimes de la prise en compte indirecte des paysages, dans l'ordre chronologique de leur
apparition.
A-. Les monuments historiques
Le régime de protection des monuments historiques est issu d'une loi du 31 décembre 1913. Si
la préoccupation paysagère résulte pour l'essentiel de sa modification à diverses reprises par
d'autres lois (principalement la loi 66.1042 du 30 décembre 1966), il n'en reste pas moins qu'il
s'agit du texte le plus ancien fondant une sauvegarde paysagère17.
La finalité originale et principale de ce texte était la préservation du patrimoine historique. Le
souci paysager s'est progressivement manifesté.
16
Voir supra, note 1.
La loi du 21 avril 1906 visant à protéger les sites et monuments naturels, plus ancienne, ne sera jamais
appliquée en raison de son régime trop sévère et de son abrogation par la loi du 2 mai 1930.
17
François RIBARD, Dualité du régime juridique
11 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
La loi permet de classer ou d'inscrire comme monuments historiques, par décision
administrative, "... les immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l'histoire
ou de l'art, un intérêt public". Cette définition est largement entendue.
Déjà, un intérêt national n'est plus exigé, alors qu'il l'était dans une ancienne loi du 30 mars
1887. D'autre part, le classement peut s'étendre aux immeubles nécessaires "... pour isoler,
dégager ou assainir un immeuble classé ou proposé pour le classement..." et surtout, d'une
façon plus générale, aux immeubles nus ou bâtis situés dans le champ de visibilité du
monument18. Ce champ de visibilité se limite en principe à un périmètre de 500 mètres mais
peut être étendu si nécessaire19.
La priorité reste la protection et la mise en valeur des monuments historiques, mais de très
vastes groupes d'immeubles sans intérêt historique propre, et même de véritables quartiers (la
zone de protection fait 1 kilomètre de diamètre voire plus !) peuvent en bénéficier.
Du reste, la référence à un champ de visibilité, d'une vision d'ensemble ne trompe pas. Nous
sommes bien en présence d'un régime permettant la protection de paysages, les paysages de
proximité des monuments historiques, et qui sera fréquemment utilisé à cette fin : en 1989, on
comptait un peu plus de 33000 périmètres de cette nature en France20.
Le régime de protection repose sur le principe de l'autorisation préalable, courant en la
matière.
Les travaux les plus importants, entraînant une réelle modification visuelle sont soumis à
autorisation préfectorale après avis favorable de l'Architecte des Bâtiments de France. Les
autres ne réclament qu'un avis simple.
L'Architecte des Bâtiments de France s'affirme donc comme le "Monsieur Veto", le "Monsieur
Bon-Goût", qui reste le seul capable, sous le contrôle du juge administratif, de fixer
l'évolution matérielle d'un paysage articulé autour d'un monument historique.
B-. Les sites et monuments naturels
Le régime de protection des sites et monuments naturels repose sur la loi du 2 mai 1930. Elle
abroge la loi du 21 avril 1906 (voir note 11). Les nombreuses modifications législatives et les
18
Cette disposition figurant au 3° du second alinéa de la loi, résulte de la modification réalisée par la loi du 21
juillet 1962.
19
Par décret en Conseil d'Etat, après avis de la commission supérieure des monuments historiques.
20
Voir P.-L. FRIER, La mise en valeur du patrimoine architectural, Editions du Moniteur, 1979.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
12 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
multiples compléments réglementaires n'altèrent pas le fait que cette loi permettait dès son
entrée en vigueur et même s'il ne s'agissait pas de son objectif prioritaire, une sauvegarde de
certains paysages. Encore actuellement, elle constitue un des instruments principaux de la
prise en compte paysagère.
La loi du 2 mai 1930 permet de classer ou d'inscrire par décision administrative les sites dont
"la conservation ou la préservation présente au point de vue artistique, historique, scientifique,
légendaire ou pittoresque, un intérêt général"21.
Dans l'esprit du législateur, la notion de site se voulait très restrictive du point de vue de la
surface. Seuls devaient être considérés les espaces de taille réduite, voire les éléments
individualisés comme un rocher, un arbre,... Mais rapidement, en dépit de la lourdeur de la
procédure de classement comme du régime de protection, l'Administration, suivie par le Juge
administratif va étendre son interprétation22.
La terminologie de la loi a permis une telle évolution. Les caractères artistique et légendaire,
évoquent le Paysage esthétique et culturel tandis que l'usage du terme pittoresque (de l'italien
"pittoresco", qui signifie susceptible d'être peint) rappelle le Paysage en général. C'est
d'ailleurs lui qui justifiera le classement d'espaces paysagers naturels ou urbains étendus. De
surcroît, aucune disposition de la loi n'impose un caractère réduit de la surface d'un site.
Le régime de la protection des sites servit ainsi indirectement et pour une large part, en
l'absence d'une construction spécifique, d'instrument essentiel de la sauvegarde des paysages,
s'inscrivant tout d'abord dans la proximité d'un élément de décors, puis sans même cette
référence par la suite.
Le nombre de 7500 sites protégés en 1994, dont 2500 classés ne traduit pas l'importance
paysagère de cet outil. Une grande quantité se compose d'éléments réduits tel un arbre,
d'autres se chevauchent ou s'incluent, mais surtout l'utilisation paysagère porte sur des sites de
grande taille.
Le régime de protection des sites se rapproche de celui des monuments historiques tout en se
révélant plus complet.
Les propriétaires particuliers des immeubles, personnes privées ou publiques, le restent.
Le classement ou l'inscription se fait par décret en Conseil d'Etat, après avis de l'Architecte
des Bâtiments de France et de la commission départementale des sites.
21
22
Article 4 de la loi (modifiée) du 2 mai 1930.
Voir infra, section 2, §2
François RIBARD, Dualité du régime juridique
13 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
Toute modification apparente est soumise à autorisation après avis de l'Architecte, simple
pour l'inscription ou conforme pour le classement.
Les servitudes conventionnelles sont interdites, de même que la publicité et le camping.
Des zones de protection peuvent également être instituées autour du site.
La soumission de paysages à ce régime strict permet de les sauvegarder mais semble établir un
"conservatoire sans avenir"23.
C-. Les secteurs sauvegardés
La loi du 4 août 1962 (ou loi MALRAUX) institue le régime des secteurs sauvegardés dans un
souci "d'adapter le centre ancien des villes à sa fonction moderne sans en altérer le
caractère"24.
Une décision administrative peut créer un secteur sauvegardé s'il présente "... un caractère
historique, esthétique, ou de nature à justifier la conservation, la restauration et la mise en
valeur de tout ou partie d'un ensemble d'immeubles" (article L313.1 du code de l'Urbanisme).
Ce régime a donc pour objet la sauvegarde non plus de groupes d'immeubles, mais de
quartiers entiers intéressants par leur aspect général. La préoccupation paysage n'est pas
dominante, mais elle constitue bien l'un des objectifs de cette législation. Du reste, le terme
"esthétique" pour qualifier l'intérêt porté à certains de ces secteurs confirme l'importance de la
donnée paysagère, de même que la référence dans le régime à un "cône de visibilité".
Le régime des secteurs sauvegardés permet donc accessoirement la préservation de certains
paysages urbains à caractère culturel.
Les secteurs sauvegardés se caractérisent également par un régime original. Il ne s'agit plus
d'instituer une protection faite d'interdictions et de défenses mais "d'organiser la
modernisation du quartier et de fournir aux propriétaires les moyens de la réaliser"25. Cette loi
préfère pour la première fois la gestion à la protection, gestion qui intègre l'aspect paysager.
A cette fin, un plan de sauvegarde et de mise en valeur est institué par décret en Conseil
d'Etat. Il détermine les bâtiments à conserver, à restaurer, les prescriptions d'esthétiques,...
23
Voir R. ROMI, Droit administratif de l'environnement, Montchrestien, 1996, page 447.
A. BACQUET, "Le cadre de vie et la conservation des centres anciens", Urbanisme, n° 136, page 54.
25
R. SAVY, "Construction et protection de l'esthétique, règles de Droit public", Droit et Ville, n°2, page 43 et
suivantes.
24
François RIBARD, Dualité du régime juridique
14 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
Les constructions devront être compatibles avec ses dispositions pour être autorisées.
La loi se préoccupe également des moyens pour réaliser les opérations groupées de ce plan :
apports des propriétaires qui sont impliqués dans la démarche, subvention de l'Etat et prêts à
des conditions favorables du Crédit Foncier de France.
La réalisation de ces opérations est généralement confiée à des sociétés d'économie mixte.
La mise en oeuvre de ce régime n'est cependant pas à la hauteur de ses ambitions. En 1976,
seule une cinquantaine de secteurs étaient créés et quatre plans approuvés, le financement se
limitant à une vingtaine "d’îlots opérationnels".
Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un instrument intéressant, en raison de ses finalités de mise
en valeur, de prise en compte de paysages urbains de centre ville26.
D-. Les espaces naturels
Les espaces naturels, qui s'opposent aux espaces urbains disposent d'un régime juridique
dense. De très nombreuses dispositions visent à le sauvegarder à l'aide d'instruments divers.
Pour certaines, la propriété de ces espaces est dévolue à une personne publique propre, pour
d'autres, elle demeure aux propriétaires particuliers, personnes privées ou publiques.
Certaines établissent de véritables protections à l'aide d'interdictions, de défenses, de
soumissions à autorisations,... D'autres se contentent de planifier les espaces naturels.
Il serait fastidieux d'examiner chacune d'elles distinctement. Nous nous contenterons donc de
citer les principales : parcs nationaux, parcs naturels régionaux, le Conservatoire du Littoral,
les réserves naturelles, les forêts domaniales, les arrêtés de biotopes ou encore les zones
naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF)...
Pour l'ensemble de ces mesures, le Paysage ne constitue pas la priorité. Elles ont vocation à
préserver les équilibres biologiques sensibles ou bien directement certaines espèces
floristiques ou faunistiques. Les protections, les planifications qu'elles mettent en oeuvre ont
pourtant comme effet direct la préservation de paysages naturels particulièrement
26
Il ne s'agit pas d'une disposition du régime des secteurs sauvegardés, mais il convient d'évoquer en matière de
paysages urbains et dans un souci d'exhaustivité les Zones de Protection du Patrimoine Architectural et Urbain
(ZPPAU), devenues paysagères (ZPPAUP) par la loi du 7 janvier 1983. Le régime se rapproche de celui des
secteurs sauvegardés, mais la compétence est répartie entre les collectivités locales et le représentant de l'Etat.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
15 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
remarquables, puisqu'il est très délicat pour ne pas dire impossible d'exercer une activité qui
serait néfaste d'un point de vue paysager27.
L'importance du champ d'application de ces diverses dispositions, et le caractère
spécifiquement naturel des paysages qu'elles englobent nous oblige donc à les évoquer dans le
cadre d'une étude de la prise en compte indirecte des paysages en Droit public.
§2-. La sauvegarde directe
La prise en compte indirecte manifestait la réticence des juristes à faire usage de la notion de
Paysage opposée à la volonté de l'intégrer au Droit public, puis exprimait le maintien de la
préoccupation paysagère dans le cadre de dispositions aux finalités autres.
En cette fin de siècle, les juristes se sont habitués à utiliser cette notion. Le souci paysager
demeurant vivace, ils ont créé ces dernières décennies un ensemble de dispositions ayant pour
objectif avoué la préservation des paysages, ou à tout le moins de certains paysages.
L'examen de ces mesures se décomposera en études des quatre principales catégories.
A-. Les enseignes et publicités
Les publicités peuvent être belles, décoratives ou parfois même utiles. Mais pour quelquesunes unes réussies, combien choquent, agacent ou enlaidissent !
Leur régime juridique actuel a été institué par la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979, qui
remplace les multiples législations antérieures (lois de 1902, 1910, 1913, 1930, 1935, et 1943)
trop limitées dans leur champ d'application et peu adaptées aux conditions actuelles.
Ce régime a pour objectif la protection de l'esthétique du cadre de vie28, notion très proche de
celle de paysage. Ses mesures permettent en effet de préserver, directement, les paysages. Il se
révèle également d'un intérêt particulier du fait du caractère général de son champ
27
La Cour administrative d'Appel de NANTES, dans un arrêt Société Carrières NOES en date du 30 mai 1996,
laisse cependant sous entendre que la Charte d'un parc naturel régional et le classement en ZNIEFF n’excluraient
pas, dans son principe, l'exploitation d'une carrière. Voir M. CHAMARD, "Une carrière peut-elle être autorisée
dans un parc naturel régional et une ZNIEFF", BDEI mars 1996, page 20 et s.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
16 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
d'application. Le régime de droit commun s'applique en effet aux paysages dans leur
ensemble, qu'ils soient remarquables ou "ordinaires" au regard de l'intérêt général, avec une
nuance entre les espaces ruraux et les agglomérations.
Le principe est l'interdiction de la publicité hors des agglomérations et l'admission, sous
réserve du respect de certaines prescriptions, en leur sein. Les espaces bénéficiant d'une
protection spécifique (sites, monuments historiques, parcs nationaux...) relèvent d'une stricte
interdiction.
Des zones spéciales de publicité peuvent être créées afin de restreindre ou de rendre plus
sévère l'application de ces principes. La compétence est communale en la matière après avis
de la commission départementale des sites. La délimitation des zones et la détermination de
leur régime sont effectuées par un groupe de travail regroupant l'ensemble des acteurs de ce
domaine. L'institution de tels périmètres doit être justifiée sous peine de nullité.
Le régime des enseignes et publicités permet donc la sauvegarde de l'esthétique du Paysage. Il
revêt une importance toute particulière du fait qu'il manifeste pour une fois la primauté de
l'intérêt paysager sur l'exercice de libertés publiques consacrées que sont la liberté
d'expression et celle du commerce et de l'industrie.
B-. Dans le cadre du Règlement National d'Urbanisme et des documents
d'urbanisme
Les instruments de planification de l'Urbanisme que sont les Plans d'Occupation des Sols
(POS), les Schémas Directeurs (SD) permettent une prise en compte locale de la donnée
paysagère. De nombreuses collectivités locales en ont usé pour mettre en valeur les paysages
pas nécessairement remarquables mais auxquels ils étaient attachés.
Le régime juridique de ces documents d'urbanisme comme le Règlement National
d’Urbanisme (RNU) qui supplée leur absence, instituent cependant un minimum de prise en
compte paysagère.
28
D'autres objectifs peuvent être invoqués, comme la sécurité routière (dans le cadre du décret du 11 février
1976 relatif à la publicité et aux enseignes visibles des voies ouvertes à la circulation publique), mais ils
demeurent accessoires au regard de la préoccupation paysagère du texte de loi.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
17 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
L'article L123-1 alinéa 2 du code de l'Urbanisme, issu de la loi "Paysage" impose aux POS de
"prendre en compte la préservation de la qualité des paysages et la maîtrise de leur évolution".
Cette obligation, que l'on trouvait en des termes similaires dès 1976, si elle se révèle notable
tant en raison de son domaine général que de l'accent qui est mis sur la dynamique paysagère,
ne dispose que d'une portée juridique relative. Ses termes sont trop généraux, et aucune
sanction n'est prévue. Il s'agit donc plus d'une déclaration d'intention.
Le même article stipule également que les POS devront "identifier et délimiter... les sites, les
éléments de paysage... à protéger ou à mettre en valeur pour des motifs d'ordre esthétique,
historique...". La terminologie est plus explicite, mais les paysages bénéficiant de l'obligation
se limitent encore une fois à ceux au caractère remarquable avéré.
A cette fin, les collectivités locales disposent d'une palette d'instruments dont les principaux
sont les zones ND, les espaces boisés et les ZPPAUP.
Les mêmes dispositions se retrouvent pour les SD.
Les deux dispositions "paysagères" du RNU se caractérisent par la généralité de leur champ
d'application. Les paysages ordinaires autant que ceux remarquables peuvent être ainsi
préservés29.
L'article R111-14-1 du code de l'Urbanisme énonce qu'un permis de construire peut être refusé
"s'il est de nature à favoriser une urbanisation dispersée". Il s'agit d'une disposition anti"mitage", tendance de l'urbanisation néfaste à l'harmonie du Paysage.
L'article R111-21 précise également qu'un permis de construire peut être refusé, mais "s'il est
de nature à porter atteinte... aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des
perspectives monumentales".
La portée paysagère de ces dispositions est à relativiser. Le RNU reste un régime supplétif, les
communes ne disposant pas d'un POS ou document en tenant lieu devenant rares, et se
limitant pour la plupart au milieu rural.
Le RNU comme les documents d'urbanisme concourent cependant directement à la
préservation des paysages.
29
Même si la jurisprudence administrative a depuis restreint l'interprétation de la notion de paysage, dans le
cadre de l'article R111-21, aux paysages remarquables, estimant cependant qu'il n'était pas nécessaire que les
lieux aient fait l'objet d'une procédure de protection spécifique (C.E.,6 mai 1970, S.C.I. Résidence Reine
Mathilde, Rec., p. 308), la terminologie utilisée ne sous entendait pas une telle limitation.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
18 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
C-. L'émergence de la Montagne et du Littoral
Les milieux montagnard et littoral se caractérisent par la profusion de paysages appréciés par
la grande majorité des individus, ce qui les rend propices à la préservation paysagère.
Les lois n° 85-30 du 9 janvier 1985 (pour la Montagne) et n° 86-2 du 3 janvier 1986 (pour le
Littoral) qui leur sont consacrées manifestent d'ailleurs une préoccupation paysagère
importante.
L'article L145-3 du code de l'Urbanisme assigne à la loi Montagne comme objectif la
"protection des espaces, paysages, milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel
campagnard". La même disposition se retrouve pour le Littoral dans l'article L146-6 du code.
Là encore, les paysages ordinaires ne font pas l'objet de l'attention du législateur. Ce sont les
paysages remarquables qui sont dignes d'être sauvegarder.
Les deux textes proposent un ensemble d'instruments pour remplir ces objectifs. Les deux
principaux sont le principe d'urbanisation en continuité énoncé aux articles L145-3-III et
L146-4-II du code et qui tient lieu de mesure de lutte contre le "mitage" pour ces espaces
propices, et la notion d’espaces sensibles définie par l'article L146-6 mais pour le Littoral
uniquement30.
La Montagne et le Littoral présentent ainsi un régime juridique où la sauvegarde des paysages
d'intérêt général tient une place prépondérante.
D-. La loi "Paysage" et la loi "BARNIER"
La loi n° 93-24 du 8 janvier 1993, dite loi "Paysage", consacre l'importance prise par la
préoccupation paysagère dans le Droit public comme dans notre société moderne. Le simple
fait de consacrer un texte législatif à la notion l'exprime parfaitement.
Elle se révèle remarquable également par la volonté qu'elle manifeste de donner la priorité à
une certaine "gestion paysagère"31 sur la simple protection des paysages qui dominait jusqu'à
présent ce Droit public. Les trois séries de mesures qu'elle énonce, institution de directives
30
Certains auteurs (voir R. ROMI, op. cit., p. 457) interprètent également les droits d'accès des piétons au
Littoral et celui de leur libre cheminement, affirmés par la loi de 1986, comme un certain "droit au paysage".
François RIBARD, Dualité du régime juridique
19 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
paysagères, modifications de règles en matière d'aménagement foncier, et extension de
certaines procédures d'Urbanisme avec principalement l'instauration d'un volet paysager au
permis de construire32, traduisent parfaitement un tel souci.
La conception de l'objet paysage reste cependant élitiste, les nouvelles dispositions, mis à part
le volet paysager du permis de construire, ne s'appliquent qu'à "des territoires remarquables
par leur intérêt paysager". Les paysages "ordinaires" sont ignorés même si les paysages dits
remarquables sont bien plus nombreux au sens de ce texte que dans les régimes juridiques
précédents.
La loi n° 95-101 du 2 février 1995, dite loi "BARNIER", relative au renforcement de la
protection de l'Environnement, comporte un grand nombre de dispositions aux objectifs
divers.
La préoccupation paysagère transparaît principalement dans les principes affirmés aux
nouveaux articles L200-1 et L200-2 du code rural. Mais là encore, comme nous l'avons vu
précédemment33, il ne s'agit pas du Paysage mais de certains paysages remarquables, d'intérêt
général.
Il convient également d'évoquer ici une autre disposition de cette loi qui modifie l'article
L111-1-4 du code de l'Urbanisme. Elle vise à résoudre le problème des entrées de villes et de
leur inesthétisme de façon originale. Ce régime ne considère qu'une catégorie restreinte de
paysages : les paysages périurbains à l'entrée des agglomérations.
Section 2-. Les modalités de la détermination des paysages à
sauvegarder
Au regard de la typologie des modes de prise en compte des paysages par le Droit public,
force est de constater que cette approche du Droit du Paysage est pour l'essentiel relativement
restrictive.
Mis à part le régime des enseignes et publicités34, et une disposition du RNU à la portée
limitée puisqu'elle n'est pas d'Ordre Public, l'approche publiciste ne s'attache qu'aux paysages
31
Voir J. FROMAGEAU, "Loi Paysage : protection et reconquête", Etudes foncières septembre 1993, p. 22 et s.
Voir infra, Chapitre Deux, Section 2.
33
Voir supra, Introduction.
34
Et encore, ce dernier prévoit un régime spécifique pour les paysages protégés par d'autres modalités du Droit
public.
32
François RIBARD, Dualité du régime juridique
20 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
présentant certaines caractéristiques, paysages qui traduisent un intérêt général paysager du
fait qu'ils sont appréciés par le plus grand nombre.
Les caractéristiques requises ont évolué au fur et à mesure que les juristes s'habituaient à
utiliser la notion de Paysage. Mais le législateur s'est contenté de recourir à l'usage de simples
adjectifs pour caractériser les paysages susceptibles d'être appréhendés par le Droit public.
Seule l'analyse de l'interprétation de ces termes imprécis par l'Administration et la
jurisprudence nous permettra d'apprécier l'évolution des critères de l'approche paysagère du
Droit public.
Mais dans un premier temps, il convient de déterminer les acteurs de cette détermination.
Les adjectifs utilisés par le législateur sont en effet aussi subjectifs que la notion de Paysage
elle-même : pittoresque, espaces à l'intérêt paysager, remarquables. Dresser la liste de ces
acteurs nous permettra d'apprécier les sensibilités qui choisissent les paysages à sauvegarder.
§1-. Les acteurs de la détermination
Pendant très longtemps, le choix des paysages à préserver s'affirmait comme une prérogative
de l'Etat. Ces derniers temps, sans doute en raison de la pression sociale, une certaine
"démocratisation" de cette détermination est constatée. Il ne s'agit pas d'une démocratisation
réelle, au sens strict du terme puisque la liberté de choix ne revient pas au peuple directement.
L'apparition d'une certaine décentralisation et l'existence d'une concertation ont cependant
multiplié les acteurs de la détermination, quand bien même les services de l'Etat restent
prédominants.
Le Juge administratif, par son contrôle des décisions administratives, joue également un rôle
important.
A-. L'omniprésence des services de l'Etat : un élitisme technocratique ?
Historiquement, les plus hautes instances de l'Etat se sont arrogé dans les premiers temps la
compétence pour déterminer les paysages à protéger.
C'est le législateur tout d'abord qui fixait les critères, même particulièrement imprécis, de la
sauvegarde des paysages.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
21 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
Les grands régimes utilisés alors pour les préserver (protection des sites et des monuments
historiques) confiaient le pouvoir décisoire au gouvernement : le classement et l'inscription
sont fixés par décret en Conseil d'Etat ou par décret simple. Les procédures se révélaient
longues et lourdes, mettant en jeu d'autres acteurs, mais le choix appartenait aux ministres.
Un tel régime manifestait d'une appréhension encore élitiste des paysages au début du siècle.
Depuis, on constate une certaine déconcentration sectorielle et spatiale, parallèle à la
décentralisation dont a aussi fait l'objet le Paysage.
Désormais, les ministres suivent quasiment systématiquement les avis des organes impliqués
dans ces procédures. Le pouvoir de choix semble être passé de fait aux services de l'Etat dont
le représentant le plus manifeste reste l'Architecte des Bâtiments de France, le "Monsieur BonGoût" en matière paysagère.
Les nouveaux régimes de préoccupation paysagère présentent également souvent une
compétence préfectorale par son contrôle des décisions locales comme à l'occasion de
décisions propres.
Les directives paysagères instituées par la loi "Paysage" de 1993, dont l'entrée en vigueur est
subordonnée à un décret en Conseil d’Etat, expriment cependant un certain retour à une
compétence étatique pour le choix des paysages à sauvegarder.
A l'origine, une telle omniprésence se comprenait. La préoccupation paysagère du début du
siècle restait l'apanage d'une élite artistique et ne s'était pas encore popularisée.
Mais depuis, un tel centralisme se justifie-t-il ?
On peut avancer le professionnalisme des services de l'Etat, à même de déterminer les beaux
paysages et ceux d'intérêt général, ainsi que la nécessité d'un certain recul en la matière dans
un souci de gestion, mais aussi que bien souvent les paysages s'étendent sur plusieurs
collectivités locales.
Mais l'éloignement ainsi produit ne favorise ni une bonne appréhension du caractère culturel
local de certains paysages, ni une gestion paysagère adaptée.
Il n'en reste pas moins que l'Etat demeure encore, au travers de ses organes et services l'acteur
principal et omniprésent du choix des paysages à sauvegarder.
B-. Une certaine décentralisation
François RIBARD, Dualité du régime juridique
22 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
La prise en compte paysagère a fait l'objet, comme beaucoup d'autres domaines, de la vague
de décentralisation du début des années 80.
Désormais, les organes, communaux pour l'essentiel, des collectivités territoriales peuvent
déterminer les paysages d'intérêt général ou à tout le moins local.
Ils disposent à cette fin des instruments de planification tels les POS et SD pour délimiter, à
l'aide d'un zonage (zones ND, espaces boisés, ZPPAUP pour le POS), les espaces à préserver
au regard de leur intérêt paysager.
Leur compétence (essentiellement celle du maire) en matière d'autorisations individuelles leur
permet également d'exprimer leur souci paysager35.
La décentralisation constatée en Droit public du Paysage lui permet d'appréhender de
nouveaux paysages, du fait de la multiplication des acteurs du choix. Elle rapproche
également le régime des paysages des justiciables et permet peut-être une gestion plus fine.
Mais du fait de la liberté relative laissée à ces acteurs, elle risque de faire disparaître certains
paysages d'un intérêt local, et de créer des déséquilibres, d'autant plus que les collectivités
locales recourent rarement à des professionnels.
C-. L'existence d'une concertation
Le fait que plusieurs types d'acteurs se réunissent pour choisir les paysages à sauvegarder peut
permettre à l'approche publiciste du Paysage de tendre vers la notion, les paysages intéressants
ainsi pris en compte se rapprochant des paysages appréciés par chaque individu.
La volonté de voir s'exprimer le plus d'avis en la matière se manifeste de deux façons :
- Dans le cadre des multiples commissions et groupes de travail qui sont institués afin de
donner leur avis à l'occasion de certaines procédures, et qui disposent souvent de l'initiative et
de la compétence pour rédiger le régime, tout d'abord36.
35
Un permis de construire, un permis de lotir peuvent être refusés en raison de l'intérêt paysager des lieux
avoisinants, d'autant plus depuis l'instauration du volet paysager du permis de construire.
36
Citons dans le désordre les commissions départementales des sites, la commission supérieure des sites, les
commissions régionales du patrimoine historique, architectural et ethnologique (COREPHAE), les groupes de
travail pour les zones spéciales de publicité ou encore pour les directives paysagères.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
23 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
Tout au long de ce siècle, ces institutions se sont peu à peu ouvertes aux différents acteurs de
la société. A l'origine composées de fonctionnaires de l'Etat, elles comportent désormais des
représentants des collectivités locales, des associations à but environnemental et des
professionnels (notamment pour la publicité)37
Ces organes, même si le pouvoir de décision ne leur appartient pas, jouent un rôle d'autant
plus important dans la détermination des paysages que les institutions étatiques se plient la
plupart du temps à leur avis.
- La concertation se manifeste d'autre part dans le cadre de la circulaire n° 95-23 du 15 mars
1995. Ce texte cherche à établir un politique paysagère concertée à l'aide de trois instruments :
des plans de paysages, des contrats de paysages, et une labellisation des paysages agricoles38.
Nous le verrons plus tard, les résultats sont peu satisfaisants.
Il n'en reste pas moins qu'une concertation entre ces différents acteurs existe pour la
détermination des paysages soumis au Droit public.
D-. Le rôle de la jurisprudence administrative
Le Juge administratif intervient de façon particulièrement significative dans le choix des
paysages à sauvegarder pour le Droit public.
Il contrôle la légalité et parfois l'opportunité des décisions administratives comme le sont les
décisions de classement ou d'inscription, les autorisations d'Urbanisme (permis de construire,
de lotir, de démolir...) ou les documents d'Urbanisme (POS, SD, ZPPAUP, ZNIEFF...)
Toutes les mesures traduisant un caractère paysager sont ainsi susceptibles de subir son
examen, et il prend particulièrement à cœur d'apprécier si un paysage mérite que le Droit
public le prenne en compte39.
Ce rôle d'acteur dans la détermination aurait pu être limité. Dans la très grande majorité des
cas, il s'agit d'un contrôle normal du juge administratif. Le recours à la notion d'erreur
37
Les dernières mesures d'ouverture de ce type sont issues des loi "Paysage" et "BARNIER".
Voir J.M. PONTHIER, "Les collectivités territoriales et le paysage", R. adm. 1995, p. 521 et s.
39
Le juge n'hésite pas à se rendre sur les lieux pour apprécier l’intérêt d'un paysage selon sa sensibilité (voir
C.E., 17 novembre 1976, LEMARCHAND, Rec. p. 1011).
38
François RIBARD, Dualité du régime juridique
24 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
manifeste lui permet cependant, ce dont il ne se prive pas, de soumettre les paysages à
préserver au contrôle de sa sensibilité.
On pourrait craindre une dérive jurisprudentielle.
Le juge statuant sur l'ensemble des mesures à vocation paysagère aurait pu imposer une
détermination jurisprudentielle des paysages du Droit public, ce qui ne correspondrait pas à la
notion de Paysage.
La jurisprudence en la matière se révèle cependant relativement fine. Elle ne conteste que
rarement l'opportunité des décisions de classement 40 , d'inscription ou de zonage, mais se
révèle très stricte sur la délimitation matérielle des espaces en cause.
De surcroît, le juge administratif est intervenu lorsque c'était nécessaire, en l'absence de prise
en compte législative spécifique, pour étendre progressivement le champ d'application du
régime de préservation des paysages intéressants et le rendre plus conforme aux
préoccupations sociales.
§2-. Les critères déterminants
Les multiples régimes de Droit public intègrent à ce dernier des paysages de plus en plus
nombreux, même s'il ne s'agit pas du Paysage en général. La diversification des acteurs de la
détermination de ces paysages entraîne également la diversification des sensibilités.
Il n'en reste pas moins que des critères généraux du choix de ces paysages peuvent être
dégagés autant dans les textes, que dans la pratique administrative et dans la jurisprudence.
Leur évolution se décompose en deux mouvements croisés : nous sommes passés d'une
considération des sites et monuments à celle des paysages, et d'une prise en compte du
pittoresque, à celle du remarquable.
A-. Des sites et monuments aux paysages
40
C.E., 26 juillet 1985, Dame MALGAL, inédit : "La décision de classement d'un site pittoresque ne peut être
considérée comme une décision administrative individuelle ... et n'a donc pas à être motivée". Il reste cependant
le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
25 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
Au commencement du Droit public des paysages, les juristes, éprouvant un malaise à l'égard
d'une notion qu'il ne cerne pas, ont fait usage de régimes juridiques aux finalités voisines que
sont la protection des sites et monuments naturels et celle des monuments historiques pour
préserver les paysages auxquels ils s'intéressaient.
Un tel recours, s'il permettait une sauvegarde paysagère, entraînait une certaine dérive.
Dans les premiers temps, seuls des espaces réduits, dans la proximité immédiate de l'objet
principal de la protection (le site, le monument) étaient pris en compte41.
Pratiquement, il s'agissait d'éléments de paysage de taille plus ou moins réduite mais non de
véritables paysages. Une première étape était pourtant nécessaire.
La jurisprudence administrative confirme dans les années 70 l'évolution de la pratique à
utiliser ces régimes de protection pour des espaces beaucoup plus étendus.
Le Conseil d'Etat juge que le massif de la CLAPE mérite une mesure de protection (celle des
sites classés) parce qu'il présente un caractère pittoresque compte tenu de l'unité de paysage42.
Ledit massif recouvre une superficie de plus de 8000 hectares.
Dans l'arrêt S.C.I. MARTELLY43, en date du 29 novembre 1978, la juridiction suprême admet
le classement de l'ensemble de bois et de prés de la Haute Vallée de l'EURE, considéré, ce qui
est d'ailleurs intéressant comme un paysage "traditionnel", un "héritage culturel".
Il y a bien développement d'une perception d'ensemble, d'autant plus notable qu'il n'est plus
nécessaire que le paysage à préserver s'articule autour d'un élément objet direct des régimes de
protection (un site ou un monument).
C'est l'unité paysagère qui caractérise le pittoresque ou le culturel des espaces bénéficiant des
régimes de protection.
Enfin, ces dernières décennies, les juristes, ayant pris confiance, instituent des régimes de
sauvegarde paysagère en leur donnant explicitement comme objet les paysages intéressants,
quelle que soit leur dimension44.
La pratique administrative et la jurisprudence emboîtent le pas du législateur et considèrent les
paysages en tant qu'unité, que véritable panorama.
41
C.E., 13 mars 1935, Epoux MORANVILLE ; C.E., 21 juillet 1937, Dame Veuve DUVAL ; C.E., 29 juin 1955,
Société des usines RENAULT par exemple.
42
C.E., 2 mai 1975, Dame EBRI et Union syndicale de défense des propriétaires du massif de la CLAPE, AJDA
1975, concl. GUILLAUME, p. 311.
43
Op. cit., AJDA, 1975, p. 311.
44
Voir la typologie de la prise en compte des paysages, supra, section 1, §2.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
26 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
B-. Du pittoresque au remarquable
Nous avons vu précédemment45 que la notion de Paysage pouvait revêtir plusieurs aspect. On
parle du Paysage esthétique, du Paysage culturel ou du Paysage "mémoriel". Le même
caractère protéiforme se retrouve dans la notion d'intérêt général paysager puisqu'il évoque,
théoriquement en principe, les goûts les plus unanimement partagés.
Dans un premier temps, les juristes ont décomposé les différents aspects des paysages. Le
recours à la protection de ceux-ci devait se justifier au regard de l'un de ces aspects.
La notion de pittoresque, comme on la retrouve dans la loi du 2 mai 1930 (article premier),
permet d'englober Paysage esthétique et Paysage culturel. C'est donc elle qui sera utilisée pour
préserver certains paysages. Mais elle ne tient pas compte des autres aspects des paysages ce
qui limite le champ d'application du Droit public du Paysage.
Afin de faire coïncider le plus possible l'intérêt général paysager avec la notion même de
paysage, les acteurs de la détermination des paysages à sauvegarder ont eu recours à la notion
de "remarquable".
Les paysages pris en compte par le Droit public sont les paysages "remarquables". L'usage de
ce terme, s'il permet d'englober les différents aspects du Paysage, laisse malgré tout sceptique.
Il est tout aussi difficile à définir que celui de Paysage.
L'article premier du décret du 11 avril 1994 46 , décret d'application de la loi "Paysage",
exprime de façon manifeste cette difficulté. Les paysages remarquables sont ceux "dont
l'intérêt est établi soit par leur unité et leur cohérence, soit par leur richesse particulière en
matière de patrimoine ou comme témoins de modes de vie et d'habitat ou d'activités et de
traditions industrielles, artisanales, agricoles et forestières". La lourdeur de la formule traduit
bien les difficultés rencontrées.
La notion de remarquable permet d'englober les différents aspects du Paysage, mais elle ne
nous indique pas à partir de quel degré dans les intérêts un paysage est susceptible d'être pris
en compte par le Droit public.
45
Voir supra, Introduction.
Voir la circulaire n° 94-88 du 21 novembre 1994, prise pour l'application de ce décret, Droit de
l'Environnement, février-mars 1995, p. 16 et s.
46
François RIBARD, Dualité du régime juridique
27 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine
L'intérêt général paysager dépend donc de la sensibilité des acteurs de la détermination de ces
paysages remarquables. Leur grand nombre ainsi que la profusion de régimes juridiques à
vocation paysagère avouée ou implicite invitent à penser que la prise en compte paysagère
publiciste pourrait être la plus complète possible. Mais elle repose sur une idée d'unanimité
d'appréciation des paysages. Elle ne peut donc l'être.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
28 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la
gestion
Le Droit public des paysages présente un champ d'application restreint, ne considérant que les
paysages remarquables, ceux qui traduisent un intérêt public.
Mais de quel régime font-ils l'objet ?
Pendant longtemps, les pouvoirs publics se sont contentés de régimes de protection, constitués
d'interdictions, de défenses et d'autorisations.
L'exemple le plus manifeste est le régime de protection des sites et monuments naturels tel
qu'il est institué par la loi du 2 mai 1930 47 . Dans les espaces classés, les opérations
bouleversant leur aspect visuel sont interdites, tandis que les autres (mis à part les plus
insignifiantes) sont soumises à autorisation. Le régime des sites inscrits connaît une plus
grande souplesse.
Mais en cette seconde partie de siècle, il est rapidement apparu nécessaire de changer
d'orientation. La volonté d'introduire une certaine idée de gestion du paysage c’est imposé.
La "gestion paysagère"48 se décompose en deux aspects.
Il s'agit d'une part d'intégrer la préoccupation paysagère dans les procédures de décision des
autres domaines du Droit public, ce qui permet d'anticiper les atteintes aux paysages sans pour
autant stériliser des territoires.
Il convient d'autre part d'envisager les paysages dans leur continuité, d'imaginer leurs
évolutions possibles. Les paysages ne doivent pas devenir un musée. Ils ont aussi un usage
pour les hommes. L'idée de gestion s'exprime ainsi dans la recherche d'un équilibre entre
préservation, mise en valeur des paysages et utilisation des territoires.
Cet aspect de la gestion paysagère se manifeste matériellement par l'instauration d'instruments
de planification spécifiques. Elle suppose également un certain changement des mentalités.
Nous examinerons donc dans un premier temps les raisons de cette évolution nécessaire avant
de nous attacher à l'analyse des manifestations de la gestion des paysages.
47
Voir supra, Chapitre un, Section 1, §1, B.
François RIBARD, Dualité du régime juridique des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
Section 1-. Une évolution nécessaire
S'il existe de rares manifestations d'une gestion paysagère à l'apparition d'un Droit public des
paysages, il s'agit d'une préoccupation qui s'est manifestée véritablement ces vingt dernières
années.
Pourquoi une évolution des modalités de prise en compte paysagère est-elle apparue ainsi
comme nécessaire ?
Trois raisons peuvent être invoquées : les priorités en matière de paysages ont évolué ; il
existe un risque de stérilisation par la protection ; l'importance d'une vision globale des
paysages s'est manifestée.
Nous examinerons donc successivement chacun de ces motifs.
§1-. Un changement de priorités
La préoccupation paysagère a évolué tout au long de ce siècle d'un élitisme artistique et social
(seuls les individus les plus aisés disposaient du temps et des moyens de s'intéresser aux
paysages) vers une popularisation avérée.
Les priorités de la préservation des paysages ont connu une évolution similaire : il était
impératif dans un premier temps de sauver les paysages en péril, il importe désormais de
mettre en valeur les paysages les plus remarquables de notre pays.
A-. L'urgence d'un sauvetage
Comme nous l'avons vu précédemment49, la première manifestation d'une considération des
paysages par le Droit fut le sauvetage réclamé par une association d'une cascade contre une
opération de canalisation en 1901.
48
Voir à ce sujet les observations du député G. DE ROBIN à l'Assemblée nationale et à l'occasion du vote de la
loi "Paysage", J.O. du 4 décembre 1992, p. 6502.
49
Voir supra, Introduction.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
30 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
Cette première approche traduit parfaitement les priorités en matière de paysages dans la
première partie de ce siècle.
La Révolution industrielle de la fin du XIXème siècle a suscité une effervescence industrielle
et par voie de conséquence urbanistique dans notre pays.
Les usines et les bâtiments d'habitation se sont développés avec comme unique préoccupation
de satisfaire la demande. La construction était sauvage50, sans véritable souci d'esthétique.
Un grand nombre de panoramas, de paysages naturels se sont donc rapidement retrouvés
menacés face à cette urbanisation galopante.
Sauver, au sens premier du terme, ces "chefs d’œuvre en péril" de la Nature constituait donc la
priorité de l'époque. L'interdiction de toutes constructions sur ces espaces, ou à tout le moins
leur soumission à autorisation est apparue dans l'urgence comme la solution la plus évidente
pour les juristes.
Le recours à un régime de protection s'explique également par la non-appréhension de la
notion de Paysage par le Droit.
Toujours pressés par l'urgence et avec leur réticence à utiliser cette notion, les juristes se sont
tournés vers les régimes juridiques aux finalités voisines que sont la protection des sites et
monuments naturels et celle des monuments historiques.
Ces régimes s'appliquaient à des espaces réduits ce qui autorisait un régime d'interdiction et
d'autorisation mais c'est également pour cette raison, sans doute à un degré moindre, que la
protection est apparue comme le régime adapté pour sauvegarder ces paysages
particulièrement remarquables.
Il n'en reste pas moins que l'urgence était de sauver.
B-. La nécessité d'une mise en valeur
De nos jours, après plus d'un demi-siècle d'utilisation de régimes de protection, il est possible
d'affirmer que l'ensemble des paysages qui présentaient des risques de dégradation voire de
mutilation ont été sauvés. Envisagés dans un premier temps pour le milieu naturel, ils ont
même également permis de préserver des paysages urbains.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
31 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
Les chiffres sont éloquents : 33000 périmètres de protection des monuments historiques en
1976 et 7500 sites et monuments protégés dans le cadre de la loi du 2 mai 1930 en 1994.
Désormais, de nouveaux paysages manifestant un intérêt général paysager ne peuvent que très
difficilement être trouvés. Du reste, les procédures de classement sont passées d'une
cinquantaine par an dans les années 70 à moins d'une vingtaine par an de nos jours51, et le
Juge administratif contrôle désormais scrupuleusement la délimitation des nouveaux sites,
souhaitant limiter le recours à ce régime à l'acception première de la notion de site.
Les pouvoirs publics se retrouvent face à un vaste patchwork de territoires protégés par un
grand nombre de dispositions paysagères diverses.
La priorité actuelle en matière paysagère apparaît donc être la mise en valeur de ce grand
domaine, de permettre malgré tout qu'une activité se développe sans pour autant gravement
porter atteinte à ces paysages remarquables comme d'entretenir ces espaces qui risquent d'être
stérilisés.
§2-. Une stérilisation par la protection
Les régimes de protection tels qu'ils furent utilisés pendant longtemps reposent sur des
interdictions et des autorisations pour toutes les opérations qui pourraient porter atteinte à
l'aspect des paysages préservés.
Les constructions de bâtiments comme les travaux de grande échelle sont soit interdits, soit
soumis à une procédure longue et incertaine en raison de la possibilité de veto dont disposent
certains professionnels, comme l'Architecte des Bâtiments de France en matière de sites ou de
monuments historiques, à la sensibilité difficilement perceptible.
Ces dispositions de protection aboutissent à une véritable stérilisation de terrains, qui, s'ils
disposent d'une qualité paysagère n'en gardent pas moins une utilité. Il ne paraît pas possible
de transformer ces vastes espaces en conservatoires du paysage, des musées de la nature
pouvant déjà être trouvés avec les parcs nationaux qui recouvrent d'importants territoires.
50
Peu de règles d'urbanisme existaient alors.
Voir le rapport du ministère de l'Environnement à l'occasion du vote du Budget 1996 par l'Assemblée
nationale.
51
François RIBARD, Dualité du régime juridique
32 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
Cette stérilisation potentielle a deux conséquences principales : un mécontentement des
propriétaires et un risque de dépréciation des terrains.
A-. Un mécontentement des propriétaires
Les propriétaires de terrains inclus dans des espaces protégés pour motif paysager voient leur
droit de propriété grevé de servitudes et leurs libertés de façon plus générale relativement
limitées.
Il y a là d'importants motifs d'insatisfaction, d'autant plus que l'Administration peut se passer
de leur consentement même pour inscrire par exemple un site52, en recourant à un décret en
Conseil d'Etat53. Certes en un tel cas le propriétaire peut-il être indemnisé, mais le préjudice
doit être direct, matériel, et certain, trois conditions dont la conjonction est assez difficile à
trouver.
A l'époque où les préoccupations paysagères du Droit public se limitaient pour l'essentiel au
milieu naturel, de telles sujétions demeuraient supportables, les propriétaires ayant rarement
des velléités de construction et encore moins de travaux.
Mais la prise en compte des paysages urbains et périurbains dans le cadre de ces régimes
protecteurs accroît l'insatisfaction des propriétaires souvent nombreux dans de telles zones.
Enfin, la prolifération des mises en application des protections paysagères accroît de façon
alarmante le "capital mécontentement" des intéressés.
On ne peut pas aller jusqu'à dire que la révolte gronde, mais les pouvoirs publics ne pouvaient
continuer à ignorer de telles aspirations à une modification du régime juridique.
B-. Un risque de dépréciation
52
53
C.E., 13 mars 1935, Epoux MORANVILLE.
Article 8 de la loi du 2 mai 1930.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
33 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
Le Paysage est un lien entre un individu et des choses54. Mais ces choses, l'élément matériel
de la notion, sont en très grande majorité composées de terres, de terrains.
De tels espaces présentent un usage et le recours à des régimes de protection très sévères
comme le sont ceux des sites et des monuments historiques empêche pour un grande part
l'exploitation de ces terres.
Dans les espaces purement naturels, les conséquences sont limitées. Les coupes et abattages
qui sont bien évidemment réglementés constituent le principal des désavantages.
En milieu rural, elles peuvent être jugées importantes. Une région de bocages voit par
exemple ses agriculteurs privés de la possibilité d'entreprendre une exploitation extensive et
on risque, dans le contexte économique actuel, d'assister à l'abandon de ces terres.
Au sein des agglomérations enfin, où l'on connaît l'importance d'une activité économique
florissante, si l'existence de paysages remarquables peut favoriser le développement du
tourisme, les limitations qu'entraînent les régimes paysagers de protection peuvent amener les
quartiers ou même le centre ville à être littéralement désertés par les autres secteurs
professionnels.
Tous ces espaces protégés doivent également être pour la plupart entretenus pour que leur
qualité paysagère ne se déprécie pas. Or les régimes de protection ne prévoient pas les
compétences en la matière.
Le caractère pléthorique de ces espaces laisse de plus les administrations centrales comme
locales dans l'impossibilité matérielle d'entreprendre un tel entretien.
Le recours abusif et exclusif à des régimes de protection paysagère très stricts entraînait donc
en l'absence d'alternative, une certaine stérilisation des espaces de laquelle découlait un
mécontentement des propriétaires et la dépréciation des terres.
Il convenait d'y remédier en élaborant de nouvelles modalités, plus adaptées, de sauvegarde
des paysages.
§3-. La nécessité d’une vision d’ensemble
54
Voir supra, Introduction.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
34 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
La gestion paysagère s'envisage ici dans son acception la plus étendue. Il ne s'agit pas de la
gestion pratique des terrains qui composent les paysages, mais de la gestion d'un paysage, et
même plus de la gestion du paysage.
La nécessité de prendre du recul pour appréhender le Paysage découle du changement de
priorité : puisque désormais les paysages à sauver l'ont été, il convient de s'interroger sur le
devenir de tels espaces. Il constitue cependant également une justification à part entière de
l'évolution des modalités de la sauvegarde paysagère.
Deux degrés doivent être distingués au sein de cette prise de recul.
Dans un premier temps, il convient d'appréhender chaque paysage dans son ensemble, son
unité afin d'optimiser son harmonisation.
Dans un second, la vision d'ensemble se porte sur le Paysage, et l'on constate que le besoin
d'une politique paysagère se manifeste de nos jours.
A-. Dans un souci d'harmonisation de chaque paysage
L'élément matériel d'un paysage se compose d'une vaste étendue de terrains55. C'est leur unité
qu'englobe la notion de paysage.
Chacun de ces espaces ne présente pas le même attrait paysager.
Certains éléments de ce décor doivent être préservés en l'état en tant qu'ils constituent les
"points d'ancrage" du paysage. Il peut s'agir d'un élément naturel comme un pic, un rocher ou
un arbre remarquable, ou d'une construction à la valeur culturelle, historique et/ou esthétique
importante.
Le reste des territoires peut faire l'objet d'une utilisation plus ou moins importante tant qu'elle
ne rompt pas l'harmonie de l'ensemble.
Le recours systématique, dans les premiers temps, à des régimes de protection soit ne
préservait que certains éléments du paysage, soit stérilisait une grande superficie de terrains.
Il apparaît maintenant comme nécessaire d'affiner le régime juridique de ces paysages, de
trouver l'équilibre entre la protection et la mise en valeur pour chaque élément qui participe à
l'harmonie du paysage.
55
La dimension d'un paysage dépend certes du champ de visibilité, mais un paysage naturel se compose au
minimum d'une vallée ou d'un cirque et un paysage urbain au minimum d'un quartier. Les ensembles de taille plus
réduite ne peuvent s'analyser qu'en tant qu'éléments d'un paysage.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
35 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
Pour cela, l'adoption d'une vision d'ensemble de chaque paysage s'impose, et c'est précisément
ce que l'on entend par gestion paysagère au sens large.
B-. A la recherche d'une politique des paysages
Le Droit public ne considère pas le Paysage comme une notion globale. Seuls les paysages
remarquables attirent son attention. Il ne peut donc y avoir de politique paysagère telle que
l'invoquent les gouvernants56, mais une politique des paysages.
Les caractères pléthorique et chaotique du régime juridique public des paysages ne peuvent
continuer à perdurer. Les protections comme les nouveaux régimes de mises en valeur se
superposent, s'incluent sans aucune cohérence.
Il apparaît donc indispensable de prendre également un certain recul à ce niveau afin
d'harmoniser ce Droit public des paysages.
Cette idée correspond bien à la notion de gestion au sens large. Il reste cependant que, pour
l'instant, la mise en oeuvre d'une telle politique connaît de réelles difficultés.
La loi du 8 janvier 1993 qui tient de cette volonté n'apporte en fait que de nouveaux
instruments d'une gestion des paysages au sens strict.
L'absence de moyens des services de l'Etat qui ont la charge d'une telle politique traduit
également la difficulté à établir une telle politique.
Si la nécessité d'une vision globale, à l'échelon national, des paysages apparaît évidente, force
est de constater qu'il n'existe pas encore de politique des paysages, et l'on est à même de
s'interroger sur les possibilités actuelles d'en établir une.
Section 2-. Les manifestations de l’émergence d’une gestion des
paysages
56
Voir J. FROMAGEAU, op. cit., p. 23.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
36 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
Nous venons de le voir, la notion de gestion revêt différents aspects : gestion matérielle et
pratique, intégration de l'objet de la gestion aux d'autres domaines, ou encore politique,
gestion globale.
L'usage du terme est à la mode et c'est tout naturellement que l'on en vient à parler de gestion
des paysages. Mais ce fait ne tient pas uniquement de l'effet de mode.
La nécessité de voir chacun de ces aspects intégrer le Droit public des paysages a été
particulièrement ressentie ces dernières années.
Mis à part l'instauration d'une politique des paysages qui semble impossible à l'heure actuelle,
l'ensemble des autres types de gestion s'est manifesté de façon confuse en droit positif.
Il est en effet très difficile de limiter à l'un de ces aspects chacune des mesures prises. Elles
apportent des solutions qui s'inscrivent autant à l'un qu'à un autre et la commodité dicte
d'énoncer qu'elles ont été prises "dans un souci de gestion".
Pour une présentation aussi synthétique que possible, nous examinerons donc les catégories
les plus représentatives de cette évolution dans les modalités de la sauvegarde des paysages.
Quatre catégories de manifestations peuvent ainsi être distinguées :
- dans le cadre de la pratique administrative
- au moyen des directives paysagères
- par le partenariat
- par l'incitation
§1-. Dans le cadre de la pratique administrative
Dans le cadre d'un Droit public des paysages, les services administratifs sont amenés à jouer
un rôle prépondérant.
La volonté de substituer une gestion des paysages aux simples protections jusqu'alors en
vigueur s'exprime donc tout naturellement dans le cadre de la pratique administrative.
Mais l'Administration ne peut agir que dans le cadre des lois et règlements en vigueur. Si les
seuls régimes existants en matière paysagère ne prennent en considération que la protection, la
marge de manœuvre est considérablement réduite.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
37 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
L'émergence d'une gestion paysagère parvient cependant à ressortir de la pratique
administrative.
Pour l'essentiel, elle résulte d'une plus grande souplesse dans l'application de ces régimes de
protection. Le fait que la jurisprudence ne se soit pas opposée à une telle pratique manifeste
d'ailleurs qu'elle devait aller dans le bon sens.
Un exemple original peut toutefois être trouvé avec la tentative de mise en oeuvre de cahiers
de gestion pour les sites classés.
A-. Plus de souplesse dans l'application des régimes de protection
Les régimes de protection interdisent certaines opérations et en soumettent d'autres à
autorisation. La lourdeur de ces prescriptions peut varier d'une espèce à l'autre puisqu'une
certaine latitude est laissée à l'administration dans le cadre de la décision de classement ou
d'inscription.
C'est dans l'utilisation de cette marge d'appréciation que se manifeste la souplesse de la
pratique administrative en matière paysagère.
Les prescriptions se révèlent de nos jours plus permissives, ou à tout le moins favorisent les
autorisations plutôt que les interdictions strictes. Les propriétaires disposent ainsi d'une liberté
plus grande, restant cependant sous le contrôle de l'Administration.
Ceci facilite l'usage des terrains protégés, ce qui invite les propriétaires à les entretenir et évite
donc une certaine dépréciation des lieux.
Les autorisations réclamées évoluent d'autre part d'un régime binaire autorisation-refus vers
une plus grande souplesse en introduisant les autorisations conditionnées.
Dans les premiers temps, les travaux étaient soit autorisés, soit refusés. Désormais, de plus en
plus57, ils sont autorisés sous réserves du respect de certaines prescriptions58.
L'usage des terrains protégés apparaît ainsi plus étendu, ce qui permet aux paysages de "vivre"
sans être altérés puisque l'Administration veille.
57
Voir par exemple C.E., 30 novembre 1992, Féd. française de tennis, J.C.P. 1993, Ed. G, IV, 216, obs. M.-C.
ROUAULT.
58
A l'heure actuelle, en matière de sites classés, 20% des autorisations sont refusées,20-30% sont accordées
simplement, et plus de 50% sous soumises à condition (statistiques du Ministère de l'Environnement).
François RIBARD, Dualité du régime juridique
38 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
B-. L'exemple des cahiers de gestion des sites classés
Les sites classés relèvent d'un constat : pour ceux de faibles dimensions, l'entretien ne soulève
pas de difficultés, pour les grands espaces donc les paysages, il se révèle impossible.
La nécessité d'une gestion matérielle des paysages s'est imposée à l'Administration.
Aucun texte n'en traite, et la jurisprudence s'oppose même à voir annexer à la décision de
classement un cahier des charges.
L'Administration recourt donc à un instrument de pratique : les cahiers de gestion.
Leur rédaction s'effectue en concertation entre les services de l'Etat, les collectivités locales
concernées et les représentants professionnels (comme ceux de l'Agriculture). Ces acteurs du
Droit public prennent ainsi par la même occasion conscience de la donnée paysagère.
L'entrée en vigueur dépend d’une décision du ministre de l'Environnement.
Ces cahiers permettent une gestion matérielle évidente des paysages, et amènent à adopter une
vision globale à leur égard.
Leur mise en oeuvre connaît pourtant d'importantes difficultés : marge de liberté réduite,
difficulté à concilier les acteurs et manque de moyens.
Du reste, sur plus de cent projets, trois seulement ont été institués, et un seul fonctionne
véritablement59.
Cette manifestation d'une gestion paysagère existe donc bien, mais sa portée est à relativiser.
§2-. Les directives paysagères
Les directives paysagères, instrument de planification des paysages, ont été instituées par la
loi du 8 janvier 1993. Le décret d'application n'a été promulgué que le 11 avril 1994, et la
circulaire qui l'interprète n'a été prise que le 21 novembre 199460.
Ses objectifs sont d'adopter une vision globale à l'égard des paysages qui revêtent souvent un
caractère intercommunal voire interdépartemental (ce qui rend difficile leur appréhension par
59
Celui des Côtes de BEAUNE, qui reste très typé (milieu vinicole et problèmes de carrières) et donc
difficilement transposable.
60
Voir Droit de l'Environnement, février-mars 1995, p. 16 et s.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
39 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
les documents d'Urbanisme classiques) mais aussi d'envisager pour eux une certaine gestion
matérielle.
Il convient d'en examiner sommairement le contenu en matière de gestion des paysages afin
de s'interroger sur leur portée.
A-. Le contenu des directives paysagères
Leur élaboration appartient à un groupe de travail ad hoc dont les membres sont désignés
librement par le préfet.
Les acteurs sont consultés : collectivités territoriales, commissions départementales des sites,
commissions départementales de l'aménagement foncier, organisations professionnelles,
associations de défense de l'Environnement, et même le public si le préfet l'estime nécessaire.
L'idée d'une vision la plus globale et la plus partagée se manifeste dans cette concertation.
L'approbation revient au ministre de l'Environnement ce qui conforte le léger mouvement
centripète actuel en matière de paysages.
Les directives se composent d'un rapport de présentation qui expose les objectifs et justifie le
périmètre, de documents graphiques qui délimitent les territoires concernés par le paysage,
d'un cahier de recommandations sans valeur normative et d'un ensemble d'orientations et de
principes fondamentaux.
C'est dans le cadre de ce dernier que se présentent les véritables dispositions de la directive.
La circulaire de 1994 précise bien la possibilité de graduer les protections, et de prévoir des
aménagements dans un but de mise en valeur.
B-. La portée des directives paysagères
L'opposabilité des directives paysagères se révèle assez importante.
Les documents d'urbanisme y sont liés par une obligation de conformité.
Les autorisations d'urbanisme connaissent la même obligation en l'absence de POS.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
40 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
Un problème se pose alors en présence d'un POS qui n'est pas compatible avec la directive. La
mise en conformité du document d'urbanisme peut être délicate61.
Toujours est-il que les directives permettent ainsi d'intégrer une certaine gestion paysagère
plus adaptée que les prescriptions générales du code au Droit de l'Urbanisme62.
La portée réelle, constatée sur le terrain de cet instrument de planification paysagère est plus
difficile à établir.
La circulaire interprétative du décret d'application n'a été promulguée qu'à la fin de l'année
1994. Nous ne disposons pas pour l'instant de données statistiques sur les directives entrées en
vigueur ou bien même en projet.
Les directives paysagères devraient pourtant permettre à la fois d'intégrer une préoccupation
paysagère au Droit de l'Urbanisme, de développer une gestion matérielle relative des paysages
concernés, et d'adopter une vision plus globale de ceux-ci.
§3-. Par le partenariat63
La concertation en Droit public des paysages se limite pour l'essentiel (dans les directives
paysagères par exemple) à élaboration des régimes quand elle ne se trouve pas restreinte à la
simple expression d'avis. L'Administration décide seule au final.
Le partenariat procède d'une toute autre logique. La décision se prend conjointement par les
coauteurs.
En matière paysagère, il est envisagé par la circulaire du 15 mars 1995 et constitue donc un
instrument récent.
Le partenariat envisagé se limite aux rapports entre l'Etat et les collectivités locales. Il dénote
cependant une volonté de faire collaborer plusieurs acteurs à la prise en compte paysagère,
que plusieurs avis se manifestent dans la détermination des paysages à préserver64.
Mais surtout, il porte sur la gestion des paysages au sens large.
61
Voir l'article L123-7-1 du code de l'Urbanisme.
Article L123-1 alinéa 2 du code de l'Urbanisme pour les POS par exemple.
63
Voir J.M. PONTHIER, "Les collectivités locales et le Paysage", Revue administrative, 1995, p. 521 et s.
64
La circulaire manifestait de bonnes intentions puisqu'elle se proposait de considérer les paysages, qu'ils soient
remarquables ou non. Son absence d'effet juridique constatée nous a amené à l'écarter de la typologie de la prise
en compte paysagère du Droit public.
62
François RIBARD, Dualité du régime juridique
41 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
Trois instruments sont proposés : les contrats de paysages, les plans de paysages et une
labellisation des paysages du terroir.
Compte tenu du peu de résultats de cette technique, qui tient plus de la déclaration de volonté
que du régime juridique effectif, nous étudierons rapidement chacun de ces outils.
A-. Les plans de paysage
Ils ont pour ambition de "maîtriser l'évolution des paysages sans cantonner la réflexion dans le
seul cadre juridique et administratif, ni sur les seuls espaces remarquables". De belles
aspirations en vérité, mais sans aucune portée juridique !
Le projet doit se traduire par des opérations concrètes d'aménagement et de sensibilisation
mais sans que rien ne soit défini précisément.
B-. Les contrats de paysage
Là encore, la circulaire reste dans le flou.
Elle stipule simplement que lesdits contrats sont passés entre l'Etat représenté par le préfet et
les collectivités locales, que les services de l'Etat (sans les nommer) sont invités à y participer
et qu'un certain suivi du contrat doit s'appuyer sur un "comité de pilotage" et un "chef de
projet".
Le reste (dont l'objet et le contenu !) est à déterminer au cas par cas...
C-. La labellisation des paysages du terroir
La circulaire relève, à juste titre, que "les modes de production agricole et les produits euxmêmes induisent un certain type de paysage". Et oui, il existe bien un paysage rural !
Un comité de labellisation doit être mis en place afin de définir les critères à partir desquels la
qualité d'un paysage sera susceptible d'ouvrir droit à un label.
La portée juridique effective est encore une fois toute relative.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
42 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
§4-. Par l’incitation
Si la politique publique des paysages doit s'apprécier au niveau national, la nécessité d'une
vision globale propre à chacun de ceux-ci s'entend essentiellement au niveau local.
L'incitation, qui sollicite la prise en compte locale de la donnée paysagère, se présente comme
un instrument susceptible de satisfaire cet aspect de la notion de gestion tant désirée
actuellement en matière de paysages.
De nos jours, elle se manifeste à deux degrés.
Les pouvoirs publics tentent d'une part de favoriser une certaine gestion des paysages ou à tout
le moins une prise en compte paysagère de la part des collectivités locales.
L'instauration par la loi "Paysage" d'un volet paysager au permis de construire présuppose
d'autre part une considération pour les paysages dès l'origine des atteintes potentielles à ceuxci. Une telle anticipation correspond bien à la notion de gestion.
A-. Des collectivités locales
La décentralisation du début des années 80 a également touché le Droit public des paysages.
Dans la droite ligne de ce courant, la loi" Paysage" modifie l'article L123-1 du code de
l'Urbanisme et énonce dans le deuxième alinéa de celui-ci que les collectivités locales doivent
prendre "en compte la préservation de la qualité des paysages et la maîtrise de leur évolution".
Cette déclaration de principe se retrouve en matière de POS dans l'article L121-10 du même
code en sa rédaction issue de la loi du 13 juillet 1991 : "les documents d'urbanisme
déterminent les conditions permettant ... de protéger les espaces forestiers, les sites et
paysages naturels ou urbains".
Les mêmes considérations se retrouvent en matière de SD.
Les documents d'urbanisme, instruments de planification sont par nature des modalités
juridiques qui permettent d'adopter une vision globale des paysages.
Les prescriptions affirmées légalement incitent donc de façon évidente les collectivités locales
à adopter une certaine gestion des paysages.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
43 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
Un autre exemple révélateur d’une telle incitation peut être trouvé dans le nouvel article L1111-4 du code de l'Urbanisme issu de la loi du 2 février 199565.
Le régime juridique ainsi institué révèle un caractère particulièrement incitatif : les
constructions ou installations sont interdites, hors des espaces urbanisés, dans une bande de
cent mètres de part et d'autre des grands axes routiers, mis à part certaines exceptions très
limitées, à moins que le POS ou le document d'urbanisme en tenant lieu ne prenne en compte
le problème.
En fait cet article vise principalement les entrées de ville, et plus précisément leur caractère
profondément inesthétique.
L'incitation présente un aspect impératif : soit les collectivités considèrent le problème, soit
c'est l'interdiction pure et simple. De plus, l'inesthétisme et donc la donnée paysagère n'est pas
la seule prise en compte.
Les collectivités doivent également prendre en considération "les nuisances, la sécurité, ..., la
qualité de l'urbanisme,...".
L'obligation de prise en compte paysagère et de son intégration, avec d'autres facteurs, à un
problème urbanistique, dans des espaces spécifiques du milieu périurbain, relève bien de la
gestion des paysages.
B-. Des administrés : le volet paysager du permis de construire
La construction constitue l'opération qui porte principalement atteinte aux paysages.
Imposer la prise en compte paysagère dès le permis de construire permet d'éviter, d'anticiper
les éventuels dommages que les paysages pourraient subir.
En ce sens le volet paysager du permis de construire institué par la loi du 8 janvier 199366
s'inscrit parfaitement dans la notion de gestion des paysages.
La disposition apparaît d'autre part d'autant plus remarquable qu'elle ne se limite pas aux seuls
paysages d'intérêt général, mais s'applique au Paysage en général, fait notable en ce domaine
du Droit public.
Le texte introduit, dans le cadre du permis de construire, une obligation de préciser l'insertion
dans le paysage de la construction.
65
66
Voir V LE COQ, "La question des "entrées de villes"", Gazette du Palais, 26-27 mars 1997, p. 6 et s.
Nouvel article L421-2 du code de l'Urbanisme.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
44 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
La construction juridique est intéressante mais manque de précisions ce qui a entraîné une
certaine réticence des juridictions à l'appliquer67.
Mais surtout de nos jours le Juge l'interprète avec une telle latitude qu'elle est pratiquement
dépourvue de toute portée. Seules les évidences sont sanctionnées, comme l'implantation d'un
immeuble de 10 étages en plein milieu naturel. Une simple manifestation matérielle de la prise
en compte des paysages, telle un croquis et une justification-type, suffit à satisfaire le Juge
administratif.
Il est regrettable qu'une telle mesure, qui traduit une certaine gestion des paysages et dispose
pour une fois d'un vaste champ d'application, se révèle sans véritables effets.
Le Droit, en déclarant les paysages "patrimoine commun de la nation" tente de limiter
l'appréhension de la notion de paysage à une approche publiciste.
Tenant compte de l’évolution des préoccupations sociales comme des nécessités matérielles, il
a également développé dans le cadre des modalités de la prise en compte paysagère une
certaine gestion des paysages dans les différentes acceptions du terme.
Mais ce Droit public des paysages, à de rares exceptions sans réelle portée, se refuse à prendre
en compte le Paysage en général.
Seuls les paysages les plus remarquables, ceux qui correspondraient à un intérêt général
paysager traduisant l'unanimité la plus parfaite possible dans leur appréciation, entrent dans
son champ d'application.
Le système est d'autant plus imparfait que la détermination de cet intérêt général relève de fait
de la compétence individuelle de quelques rares acteurs de ce Droit, qui par la force des
choses apprécient les paysages en fonction de leur sensibilité.
Il convient enfin de constater que l'intérêt général paysager ne dispose que d'un faible poids
lorsqu'il s'oppose à d'autres intérêts généraux68.
Mais le Droit ne satisfait ainsi la préoccupation sociale paysagère que de façon incomplète. Si
les administrés sont soucieux de voir ces "grands paysages" sauvegardés et mis en valeur, ils
voudraient également pouvoir préserver les paysages ordinaires de leur vie courante.
Le Droit public n'a pu ou n'a pas voulu répondre à cette attente plus privée.
67
Voir R. ROMI, "Environnement : l'épreuve de l'alternance", R.D.P. 1994, p.1209
Voir C.A.A. BORDEAUX, 11 janvier 1996, Electricité de France, C.J.E.G., mars 1996, p. 122 et s. : en
l’espèce, la distribution de l’électricité prime sur l'intérêt général paysager.
68
François RIBARD, Dualité du régime juridique
45 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
1 Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion
Nous allons voir que le Droit privé et plus particulièrement civil tente actuellement de
combler cette lacune par une construction juridique qui nous amène à nous interroger sur
l'existence d'un certain droit au paysage.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
46 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2ème Partie-. Un droit au paysage
2ème Partie-. Un droit au paysage
De nos jours, le paysage est un fait social. Il a acquis une qualité que l'on pourrait dire
patrimoniale.
Collectivement, les individus qui composent la société aspirent à voir préservés les "grands
paysages" nationaux, les paysages d'une qualité sortant de l'ordinaire.
Personnellement, ils se préoccupent de la qualité des paysages de leur vie courante. Ces
derniers apparaissent ordinaires aux autres mais manifestent un intérêt particulier paysager
propre à chacun.
Nous l'avons vu dans la première partie, le Droit public s'est naturellement attaché à prendre
en compte la première préoccupation qui tient de l'intérêt général paysager. Son action, bien
que relativement chaotique peut être considérée comme satisfaisante.
Mais la seconde préoccupation, qui relève du Droit privé et plus précisément du Droit civil,
n'avait jusqu'à ces dernières années pas été satisfaite.
La notion de Paysage ne peut que très difficilement s'intégrer au Droit civil.
Comment reconnaître à chaque justiciable un droit sur le même paysage ?
Un tel droit se heurterait d'autre part au sacro-saint droit de propriété puisqu'il pourrait
s'opposer à la libre disposition d'un immeuble69.
Du reste, le code civil ne considère que négativement la donnée visuelle. Les seuls articles qui
s'y attachent, les articles 675 à 680, relatifs aux servitudes de vues et de jours, limitent
techniquement les possibilités de vues d'un immeuble dans un souci de protection de la vie
privée.
Les solutions consistant à considérer que les paysages appartiennent à la collectivité comme le
laisse à penser le nouvel article L200-1 du code rural70 ou qu'ils constituent un res nullius ne
peuvent pas satisfaire les aspirations individualistes de la société moderne qui considère qu'un
préjudice peut être subi par une personne qui voit son cadre de vie profondément altéré par
une atteinte au paysage.
La jurisprudence, source la plus souple du Droit, et donc la plus adaptée à cette situation,
semble ces vingt dernières années apporter une solution à ce problème.
De l'analyse des décisions de justice, on peut en effet faire ressortir l'émergence d'un certain
droit personnel au paysage.
Un tel droit ne peut pas par nature être absolu. Il entraînerait de plus une stérilisation
potentielle de la construction. Ce doit même être un droit fortement limité71.
Le faire reposer, comme s'y attelle la jurisprudence, sur la théorie des inconvénients anormaux
de voisinage, construction déjà abondamment utilisée en Droit de l'Environnement72, permet
justement une telle restriction.
69
Le droit au paysage d'une personne empêcherait la construction d'un bâtiment qui y porterait atteinte.
Nous avons vu que cet article, qui déclare les paysages patrimoine commun de la nation devait voir sont
interprétation limitée. Ce sont les paysages d'intérêt général qui sont le patrimoine commun de la nation.
71
Au point que l'on est à même de se demander s'il s'agit effectivement d'un véritable droit au paysage.
70
François RIBARD, Dualité du régime juridique des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2ème Partie-. Un droit au paysage
La théorie peut s'énoncer ainsi : "lorsque, dans l'exercice de ses activités licites et normales,
une personne cause à son voisin ou à son environnement un dommage qui excède la mesure
des inconvénients normaux de voisinage, elle engage sa responsabilité à l'égard des victimes
du trouble qu'elle cause"73.
Le fait qu'un comportement, le trouble, soit sanctionné en tant qu'il porte atteinte visuellement
à une personne, le voisin, peut s'analyser comme l'affirmation d'un droit au paysage propre à
cette personne.
Cette création prétorienne, qui est venu combler une lacune entre la responsabilité délictuelle
et la théorie de l'abus de droit, permet une action en responsabilité dans des conditions très
spécifiques.
Nous verrons donc, dans un premier temps, que le droit au paysage se trouve limité par le
régime de la théorie des troubles de voisinage.
Le jeu de l'action pour inconvénient anormal de voisinage est d'autre part subordonné à
l'appréciation par le juge de l'anormalité du trouble.
Nous constaterons ainsi, dans un second temps, que l'appréciation restreinte de la notion
d'atteinte au paysage réduit considérablement la portée d'un droit au paysage.
L'abondance de ces limitations nous incitera à nous interroger en conclusion sur l'existence
réelle d'un droit patrimonial au paysage.
72
Certains auteurs trouvaient dans la théorie des troubles de voisinage l'affirmation d'un droit à l'Environnement
(voir BORYZEWICZ, "La qualité de la vie, une finalité nouvelle de la règle de droit", Mélanges JAUFFRET,
1974, p. 126). Depuis la consécration législative de ce droit dans le cadre du nouvel article L200-2 du code rural,
la situation est inversée : certains auteurs voient dans cette disposition une consécration législative de la théorie
des troubles de voisinage.
73
Voir G. CORNU, Droit civil : introduction, les biens les personnes, Précis DOMAT, p. 369.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
48 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour
troubles de voisinage
L'existence d'un droit personnel au paysage reposerait dans le cadre du Droit civil sur une
certaine application de la théorie des inconvénients anormaux de voisinage.
Un tel droit, nous l'avons vu ne peut être entendu que de façon particulièrement restrictive, et
le recours à cette théorie, en plein essor dans notre société moderne, permet d'en limiter
considérablement la portée.
C'est tout d'abord le régime de la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage qui
fournit un nombre important de limitations.
Cette création prétorienne, qui est venue satisfaire les attentes des justiciables face à un vide
juridique en matière de responsabilité, dispose en effet d'un régime juridique bien spécifique
qui découle des caractéristiques inhérentes à la théorie elle-même.
Il convient donc, dans un souci de clarté, de s'attacher à l'analyse des caractéristiques
principales de la théorie des troubles de voisinage afin d'étudier les limites du droit au paysage
qui découlent de son régime de responsabilité.
Section 1-. Les caractéristiques de la théorie des troubles de voisinage
La théorie des inconvénients anormaux de voisinage fut créée par la jurisprudence afin de
pallier une lacune du droit de la responsabilité civile.
La société moderne a vu se modifier considérablement les rapports de voisinage en raison des
profondes transformations du milieu économique. Les dommages causés dans leur cadre sont
devenus nombreux et inévitables.
Les responsabilités délictuelle, quasi-délictuelle, du fait des choses comme la théorie de l'abus
de droit ne permettaient pas de prendre en compte tous ces dommages. Il eût été injuste de les
laisser à la charge des victimes.
La jurisprudence a donc fait oeuvre de création en instaurant la théorie des troubles de
voisinage dans ce domaine bien spécifique.
François RIBARD, Dualité du régime juridique des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
Cette dernière se caractérise par son autonomie toute prétorienne mais également par le
régime de responsabilité objective qu'elle institue.
§1-. Une création prétorienne autonome
L'apparition de la théorie des troubles anormaux de voisinage remonte à un arrêt de la Cour de
cassation de 184474.
Création originale de la jurisprudence, elle ne s'appuie sur aucun texte législatif puisqu'ils ne
proposaient pas de solutions propres à résoudre tous les problèmes en matière de voisinage.
La doctrine a pendant très longtemps cherché à la rattacher à un autre principe général, mais la
jurisprudence s'y est toujours opposée, préférant lui laisser la souplesse que lui permet une
telle autonomie.
A-. La recherche d'un fondement
L'étude de ces fondements invoqués par la doctrine restera sommaire, puisque ne se rattachant
qu'indirectement au sujet.
Certains auteurs ont tout d'abord invoqué la notion de quasi-contrat de voisinage en se fondant
sur les articles 651 et 1370 du code civil75. Un engagement se formerait entre les voisins, sans
aucune convention.
D'autres tentent de la rattacher à la théorie de l'abus de droit. Ils en déduisent l'existence d'une
faute dans l'abus d'un droit ce qui permet de retrouver la responsabilité délictuelle de l'article
1382 du code civil. Mais cette théorie impose un caractère abusif dans l'exercice d'un droit, et
l'intention de nuire, ce qui ne se retrouve pas toujours dans les situations que souhaite régir la
théorie des troubles de voisinage.
74
Cass. Civ., 27 novembre 1844, S., 1844, I, p. 211, relatif à une pollution industrielle (il s'agissait déjà d'une
préoccupation environnementale !).
75
Voir POTHIER, Ed. BUGNET, t. IV, De la société, n° 235.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
50 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
Certains encore voudraient fonder la théorie sur la notion d'immissio. Dès lors que
"l’empiétement" excède la mesure des obligations ordinaires de voisinage, il y aurait faute de
la part du voisin, ce qui pourrait permettre l'application de la responsabilité délictuelle de droit
commun76.
D'autres pour finir ont voulu la rattacher à la responsabilité du fait des choses de l'article 1384
alinéa 1 du code civil 77 . La responsabilité se déduirait de la garde de la chose qui est
génératrice du trouble anormal de voisinage.
Il est nécessaire de constater la volonté des auteurs de voir la théorie des troubles de voisinage
encadrée par un régime législatif bien défini, ce qui permettrait d'en discerner les contours, de
dégager des principes d'application clairs.
La jurisprudence n'a pas entendu ainsi limiter le régime de cette théorie.
B-. Une affirmation jurisprudentielle de l'autonomie de la théorie
La jurisprudence se refuse à voir sa création rattachée à une responsabilité civile reposant sur
une disposition législative.
Dans une décision de principe 78 , elle affirme l'autonomie de la théorie des inconvénients
anormaux de voisinage, énonçant :
"Le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage
prohibé par les règlements, est limité par l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui
aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage."
Le juge est soucieux de voir cette théorie garder toute sa souplesse jurisprudentielle qui
permet son adaptation à la variété des situations survenant dans le cadre des rapports de
voisinage.
Dans de nombreux cas, il n'y a pas de faute, pas d'intention de nuire, ni de violations de lois
ou de règlements, et pourtant un dommage est occasionné.
76
Voir F. TERRE, P. SIMLER, Droit civil : les biens, DALLOZ, 1992, 4ème éd., n° 315, p. 201 et 202.
Voir DURRY, Obs. Rev. trim. dr. civ. 1971, p. 856.
78
Civ. 3ème, 4 février 1971 (deux arrêts), J.C.P. 1971, II, 16781, note LINDON (arrêts cassant des décisions
ayant subordonné la réparation du dommage à la preuve d'une faute). Voir également Civ 2ème 20 juin 1990,
Bull. civ., II, n° 140 : "l'article 1384 al. 1 du code civil est étranger à la réparation des troubles de voisinage.
77
François RIBARD, Dualité du régime juridique
51 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
L'autonomie de ce régime de responsabilité, et son caractère purement prétorien permettent de
prendre en considération de telles situations de fait, et donc de répondre aux aspirations de la
société moderne79.
§2-. Une responsabilité objective
Les rapports de voisinage, dans la variété des situations qu'ils présentent sont à même d'être
une source de préjudices particulièrement variés. Il s’en manifeste de nouveaux régulièrement,
comme dans le cas présent le dommage au paysage.
Si certains de ces dommages peuvent être réparés en ayant recours aux régimes classiques de
responsabilité (responsabilité délictuelle, quasi-délictuelle, du fait des choses...), la plupart
n'entrent pas dans leur champ d'application.
La jurisprudence, en développant la théorie des inconvénients anormaux de voisinage, a
cherché à établir un régime de responsabilité qui prenne en considération l'ensemble de ces
situations de fait.
Seule une responsabilité objective pouvait permettre une telle prise en compte étendue.
Dans un premier temps, nous mettrons en évidence ce caractère objectif en écartant les
éléments qui ne sont pas nécessaires à la mise en oeuvre de cette responsabilité.
Ceci nous permettra de déterminer, dans un second temps, les éléments exigés et d'avoir ainsi
une approche sommaire du régime de cette responsabilité.
A-. Les éléments indifférents
La faute tout d'abord n'a pas à être recherchée.
La jurisprudence l'a affirmé à l'occasion des arrêts précités qui consacraient l'autonomie de la
théorie. Dans le cadre des rapports de voisinages, en effet, une grande part des dommages
occasionnés ne relève pas d'un comportement fautif, mais normal de la part d'un voisin.
79
Le caractère prétorien s'exprime de façon encore plus manifeste dans la détermination de l'atteinte susceptible
d'engager la responsabilité du voisin, ce que nous verrons plus loin (voir Chapitre deux), n'est pas sans engendrer
une certaine incertitude juridique.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
52 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
De même, à de rares exceptions près, en matière de droit au paysage, le voisin qui construit un
bâtiment dont les dimensions ou l'esthétique portent atteinte au paysage, qui plante un arbre
pour agrémenter son jardin ne commet pas de faute.
Dans le même ordre d'idée, l'intention de nuire est indifférente, à l'inverse de la théorie de
l'abus de droit.
De même, un comportement illicite n'est pas exigé.
La jurisprudence l'a affirmé autant positivement80 que négativement81.
Du reste, en matière de paysages, les troubles visuels anormaux résultent la plupart du temps
d'un comportement licite. Le propriétaire respecte les réglementations d'urbanisme, obtient un
permis de construire (ce qui sous-entend qu'il a pris en compte l'intégration de la construction
dans son environnement avec le volet paysager du permis), et se tient rigoureusement au
prescriptions. Ceci ne l'empêche pas pour autant de porter atteinte au paysage dont son voisin
disposait antérieurement.
Enfin, il n'est pas nécessaire que le trouble lèse viole un droit.
La théorie des inconvénients anormaux de voisinage ne s'en soucie pas. Du moment qu'un
dommage résultant d'un trouble anormal est constaté, la responsabilité de son auteur est
engagée.
Il convient ici de faire attention.
Nous essayons de démontrer dans la présente partie qu'un certain droit subjectif au paysage se
déduit de la sanction par la jurisprudence des atteintes au paysage dans le cadre de la théorie
des troubles de voisinage.
Il ne s'agit pas d'un droit consacré, invoqué pour obtenir réparation en cas d'atteinte.
Cette responsabilité n'exige ni faute, ni intention de nuire, ni comportement illicite, ni même
de droit lésé.
L'examen des éléments déterminants va nous permettre de mettre en évidence son caractère
objectif.
80
Voir Civ 3ème, 24 octobre 1990, Bull. civ., III, n° 205 : "Du principe que nul ne doit causer à autrui un
trouble anormal de voisinage, il résulte que les juges du fond doivent rechercher si les nuisances, même en
l'absence de toute infraction aux règlements, n'excèdent pas les inconvénients normaux de voisinage.".
81
Voir Civ 2ème, 17 février 1993, Bull. civ., II, n° 68 : "Les juges du fond ne peuvent déduire l'existence de
troubles de la seule infraction à une disposition administrative, sans rechercher s'ils avaient excédé les troubles
normaux de voisinage.".
François RIBARD, Dualité du régime juridique
53 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
B-. Les éléments exigés
Le jeu de l'action en responsabilité pour inconvénient anormal de voisinage nécessite un
dommage, un trouble anormal de voisinage, un lien de causalité entre les deux.
- Un dommage : nous verrons ultérieurement qu'établir le dommage ne présente pas de
grandes difficultés, notamment en matière d'atteinte au paysage (la perte ou la détérioration
d'un paysage est facile à constater), mais que par contre l'évaluer reste plus délicat82.
- Un trouble anormal de voisinage : c'est ici que se situe le cœur de la théorie. Le jeu de la
responsabilité va dépendre de la stricte appréciation des faits par le juge. Il détermine le
caractère normal ou anormal du trouble au regard de la situation de fait précise.
Toute la souplesse et sans doute aussi toute l'incertitude juridique de la théorie repose sur cette
appréciation.
- Un lien de causalité : La preuve de ce dernier ne soulève pas de grandes difficultés puisque
dans la plupart des cas, les deux sont imbriqués à un point tel que l'on peut penser que le
trouble constitue un aspect du dommage (en matière de bruit par exemple).
Le régime de la responsabilité objective pour trouble de voisinage se résume donc ainsi : une
obligation de réparer le dommage causé par un trouble de voisinage que le juge estime
anormal.
Les caractéristiques de la théorie des inconvénients anormaux de voisinage se résument de la
façon suivante : il s'agit d'une construction prétorienne, autonome et souple, instituée dans un
souci d'établir une responsabilité objective, dans le cadre des rapports de voisinage qui,
jusqu'alors n'étaient pas pris en considération par le Droit.
La mise en oeuvre spécifique d'une telle théorie, de laquelle on peut déduire l'émergence d'un
certain droit subjectif au paysage en limite également considérablement la portée.
82
Voir infra, Section 2, §2, B.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
54 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
Section 2-. Les limitations découlant de son régime
La théorie des troubles de voisinage institue donc une responsabilité objective conçue par la
jurisprudence pour satisfaire les aspirations de la société dans un domaine où le droit positif
n'apportait aucune solution satisfaisante : les troubles de voisinage.
Malgré une extension progressive de son champ d'application, elle est donc, par principe,
strictement limitée aux rapports de voisinage.
Fonder un droit individuel au paysage sur un tel régime de responsabilité civile en relativise
considérablement la portée.
D'une part, l'action en responsabilité que pourrait fonder une atteinte à ce droit se trouve
limitée aux rapports de voisinage ce qui, de surcroît, la met à la merci d'une cause
d'exonération fort discutable.
D'autre part, les modalités de la réparation du dommage pour un trouble anormal de voisinage
se révèlent particulièrement inadaptées en matière de droit au paysage.
§1-. Quant à l’action
Les possibilités d'action que suscite une atteinte à un droit permettent, entre autres, d'en
apprécier la vigueur. Sur ce point, force est de constater la portée toute relative du droit au
paysage.
Reposant sur la théorie des troubles de voisinage, il ne peut fort logiquement fonder une
action que dans le cadre des rapports de voisinage.
De ce fait il convient également de déduire que l'action pour atteinte au droit au paysage se
trouve soumise à une cause d'exonération discutable mais qui s'inscrit pourtant dans le droit
positif : la préoccupation individuelle.
A-. Une action limitée aux rapports de voisinage
François RIBARD, Dualité du régime juridique
55 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
Ceci signifie dans un premier temps qu'il se rattache directement à un immeuble.
Il s'agit de rapports de voisinage. Le paysage n'ouvre droit à une personne qu'en tant que vue
offerte à partir d'un bâtiment ou d'un terrain auquel est lié juridiquement cet individu.
Certes, la patrimonialisation induite par l'affirmation d'un droit au paysage ne peut
rationnellement s'envisager qu'avec cette fixation. Mais dés lors, le promeneur, le touriste ne
saurait faire valoir un tel droit en constatant ce qu'il considère comme une défiguration d'un
paysage, même ordinaire, auquel il était attaché personnellement. Ce préjudice subi ne sera
pas pris en compte par le Droit civil.
Seules les atteintes de proximité au paysage sont, d'autre part, susceptibles d'ouvrir droit à
réparation.
Il n'y a pas de définition juridique du voisinage ou du voisin. Tout est question d'appréciation
jurisprudentielle, mais étymologiquement, le terme vient du latin vicinus qui signifie qui
demeure auprès, qui habite la place la plus proche.
Le trouble de voisinage, qu'il soit visuel ou autre ne peut s'entendre qu'avec un minimum de
proximité.
Dès lors, les atteintes au paysage lointain, au panorama, ne sauraient être prises en
considération dans le cadre de cette théorie, alors qu'elles produisent souvent de véritables
défigurations83.
Le droit au paysage se trouve à nouveau restreint dans sa mise en oeuvre.
Mais que faut-il entendre matériellement par rapport de voisinage ?
Pour répondre aux aspirations sociales, le Juge civil interprète de plus en plus largement la
qualité de voisin des différents acteurs de ces rapports, ce qui redonne un peu de vigueur au
droit au paysage.
- Pour le "fauteur"84 de trouble :
La jurisprudence générale en matière de trouble de voisinage considère que la victime dispose
d'une double action en réparation.
83
Il est surprenant de constater que la jurisprudence rejette les atteintes au paysage lointain en se fondant non sur
l'absence de rapport de voisinage, même pour une construction se situant de l'autre côté d'une baie, mais sur la
normalité du trouble visuel provoqué, qui ne provoque qu'une simple perte d'avantage. Voir Civ. 2ème, 14
octobre 1965, Bull. Civ., II, n° 498, p. 329.
84
Il s'agit de l'expression consacrée...
François RIBARD, Dualité du régime juridique
56 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
Elle peut agir directement contre l'auteur du trouble, qu'il soit propriétaire85, locataire86, ou
même contre un entrepreneur en cas de dommages causés aux voisins par des travaux87.
Elle peut également agir contre le propriétaire, qui à défaut d'être cause de trouble, est source
du risque et doit donc répondre des nuisances émanant de ses occupants ou cocontractants88.
En matière paysagère, il reste très peu probable que le trouble visuel émane d'un locataire.
Mais la double possibilité d'action à l'égard du propriétaire ou de l'entrepreneur paraît par
contre intéressante.
- Pour la victime du trouble :
La qualité de voisin est reconnue à l'occupant de l'immeuble. Qu'il soit propriétaire, locataire,
ou simple détenteur de l'immeuble, il peut agir dans le cadre de la théorie des inconvénients
anormaux de voisinage.
Le propriétaire occupant occasionnel, comme c'est le cas pour les nombreuses résidences
secondaires est assimilé au voisin résidant et dispose ainsi de l'action fondée sur cette
théorie89.
Enfin, le propriétaire, même s'il n'occupe pas sur le fonds, est recevable à agir sur ce
fondement, "puisqu'il peut être bailleur et à ce titre, tenu de garantir à son locataire une
jouissance paisible"90.
Par sa soumission à ce régime de responsabilité issu de la jurisprudence, le droit au paysage se
retrouve limité dans son champ d'application au paysage de proximité, même si les personnes
ayant intérêt à agir se révèlent assez nombreuses, du moment qu'elles ont un lien juridique
avec un immeuble qui va cristalliser le paysage.
85
Voir, entres autres, Civ. 3ème, 27 juin 1973, J.C.P. 1975, II, 18014, note JAUBERT (la hauteur d'une
construction fait obstacle au fonctionnement d'une cheminée) ; Civ. 2ème, 3 janvier 1969, D. 1969, p. 323 (bruits
d'aspirateurs, de radio, etc.).
86
Voir, entre autres, Civ. 1ère, 18 juillet 1961, J.C.P. 1961, II, 12301, note P. ESMEIN.
87
Voir Civ 3ème, 4 novembre 1971, J.C.P. 1972, II, 17070, note B. BOUBLI.
88
Voir Civ. 3ème, 17 avril 1996, J.C.P. 1996, éd. G, IV, 1381 : la victime d'un trouble (nuisances acoustiques)
"trouvant son origine dans l'immeuble donné en location, peut en demander réparation au propriétaire".
89
Voir Civ 2ème, 29 novembre 1995, R.J.E. juin 1997, p. 229, note C. GIRAUDEL. Cet arrêt porte directement
sur une trouble visuel de voisinage.
90
Note de D. GUIHAL sous l'arrêt Civ. 2ème, 28 juin 1995, R.J.E. décembre 1995-janvier 1996, n° 34, p. 128.
L'arrêt énonce justement le principe de la possibilité d'une action pour trouble de voisinage du propriétaire non
occupant.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
57 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
B-. La préoccupation individuelle : une cause d'exonération ?
La notion de préoccupation individuelle constitue une cause d'exonération avec un régime
distinct en Droit public et en Droit privé.
- Le Droit public applique en effet la théorie des troubles de voisinage et prend en
considération les troubles visuels, les atteintes au paysage91.
L'arrêt de principe en matière paysagère remonte même à 197792.
Le régime de ce droit est particulièrement strict, et nous l'étudierons sommairement
ultérieurement. Mais dès maintenant, on peut retenir qu'il connaît également la préoccupation
individuelle en tant que cause d'exonération.
L'ouvrage public antérieurement implanté bénéficie d'un véritable "droit de nuire"93 puisqu'il
ne peut en ce cas se faire actionner en réparation pour les troubles qu'il cause.
- L'exonération civile en cas de préoccupation individuelle, de fondement législatif, est encore
plus discutable.
Si elle est issue d'une loi sur l'urbanisme du 31 décembre 1976, sa rédaction actuelle résulte
d'une loi du 4 juillet 1980 qui a encore élargi son domaine94, et la place dans un article L11216 du code de la construction et de l'habitation.
Cette disposition énonce qu'en cas de postériorité de l'occupation d'un bâtiment par rapport à
l'exercice d'activités industrielles, agricoles, commerciales ou artisanales dans le respect des
lois et règlements et dans les mêmes conditions, les dommages causés par des nuisances dues
à ces activités "n'entraînent pas droit à réparation".
Les activités les plus productrices de nuisances disposent ainsi d'une exonération totale, en cas
de préoccupation, pour les troubles de voisinages qu'ils occasionnent.
Le principe de cette exonération est vivement contesté par la doctrine qui l'estime à juste titre
inconstitutionnel95.
91
Compte tenu de la rigueur du régime de ce droit public au paysage, de la taille réduite de son contentieux, et à
l'inverse de l'importance du Droit public des paysages, cette constatation ne remet pas en cause la dichotomie
réalisée entre Droit public des paysages et Droit privé au paysage.
92
C.E., 22 juillet 1977, Synd. intercommunal de l'agglomération caennaise, Droit administratif 1977, n° 320 : la
présence d'une usine d'incinération d'ordures ménagères à 150 mètres d'un pavillon constitue un trouble anormal
de voisinage, même en l'absence de bruit ou de fumée, en raison de son volume, de son aspect, et de sa
destination.
93
Voir J.-P. THERON, "Responsabilité pour trouble anormal de voisinage en Droit public et en Droit privé",
J.C.P. 1976, I, 2802.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
58 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
Cette cause d'exonération rend en grande partie inefficace la théorie des troubles anormaux de
voisinage en général, d'autant plus qu'elle concerne les plus gros auteurs de ces inconvénients
anormaux de voisinage.
Pour un droit au paysage reposant sur ce régime, la portée de cette cause d'exonération est plus
relative.
Les atteintes visuelles au voisinage qui fondent ce droit sont pour l'essentiel constituées par
des constructions.
Même si le principe jurisprudentiel civil, en dehors de cette disposition légale, s'oppose à
toute exonération pour motif d'antériorité des nuisances 96 , on voit mal une application en
matière paysagère.
Et puis, à propos de l'article L112-16 précité, il ne considère que l'antériorité des activités
génératrices de nuisances, or pour un droit au paysage, c'est le bâtiment qui va porter atteinte
et non les activités qui s'y déroulent.
Le principe de préoccupation ne serait donc susceptible de s'appliquer que dans de rares cas
comme l'exploitation de carrière, où, là, c'est bien l'activité qui porte atteinte au paysage97.
L'existence d'une certaine préoccupation individuelle, cause d'exonération dans le cadre de la
théorie des troubles de voisinage, sur laquelle repose un droit au paysage, limite finalement ce
dernier relativement peu.
§2-. Quant à la réparation du dommage
Lorsque le trouble anormal de voisinage, en l'occurrence l'atteinte paysagère, est avéré, le
dommage occasionné doit être réparé de la façon la plus adéquate.
94
Une proposition de loi fut même proposée en 1982 pour étendre encore le champ d'application de cet article,
mais ne fut finalement pas votée (voir M. PRIEUR, op. cit., p. 861.)
95
Voir M. PRIEUR, "Le Parlement contre l'Environnement", R.J.E., 1977, p. 131.
96
Voir arrêt de principe Cour de cassation du 10 février 1907, D.P. 1907, I, 385, note RIPERT
97
Voir à ce sujet l'arrêt Civ 2ème, 29 novembre 1995, R.J.E. juin 1997, note C. GIRAUDEL : la Cour écarte
l'application de l'article L112-16 C.C.H. en considérant que si l'existence de la carrière était antérieure à
l'occupation par les voisins, le commencement des activités est postérieur..
François RIBARD, Dualité du régime juridique
59 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
L'inadaptation des solutions apportées par la théorie des inconvénients de voisinage en la
matière vient encore restreindre la portée d'un éventuel droit individuel au paysage.
Les modalités de réparation du dommage ne permettent pas, en effet, de véritablement le
corriger.
Ceci s'explique sans doute par la difficulté à évaluer le dommage paysager causé à une
personne.
A-. Les modalités de la réparation
La théorie de la réparation adéquate commande le choix du mode le plus approprié, sous
l'appréciation souveraine des juges du fond98.
Pour la théorie générale des troubles de voisinage, si techniquement un dispositif permet de
neutraliser le trouble sans faire cesser l'activité qui le produit, ce mode de réparation en nature
est le plus adéquat99.
Parfois, la réparation adéquate exige que l'installation génératrice du trouble soit supprimée100.
Mais en matière de trouble paysager, le générateur du trouble n'est pas une activité, un
dispositif, mais une construction dans son ensemble.
Quel dispositif pourrait permettre de faire techniquement cesser l'atteinte ? La seule réparation
adéquate serait de supprimer la cause du trouble, autrement dit de détruire la construction.
Quand on connaît les difficultés que rencontre le juge pénal à faire procéder à la remise en
l'état en matière d'Urbanisme, on voit mal le juge civil, dans le souci de satisfaire un intérêt
paysager particulier, ordonner la destruction d'un immeuble entier dont la construction a
pourtant été réalisée dans le respect des lois et règlements.
Un arrêt a jugé adéquate la destruction, non d'un immeuble entier, mais de la partie de celui-ci
qui cause le trouble anormal101. Toutefois, le plus souvent dans le cadre de la théorie générale
des troubles de voisinage, et dans presque l'unanimité des cas pour les atteintes paysagères, la
réparation ne peut avoir lieu en nature.
98
Civ 3ème, 4 janvier 1990, Gaz. Pal. 1990, I, Pan., p. 76 pour l'abattage d'un arbre.
Voir Civ 2ème, 3 décembre 1964, Gaz. Pal. 1965, I, p. 70 : les frais de la surélévation des cheminées ne tirant
plus en raison de celle de l'immeuble voisin sont à la charge du propriétaire de cet immeuble.
100
Voir Dijon, 8 octobre 1968, Gaz. Pal. 1968, II, p. 390 : suppression d'un équipement de climatisation.
99
François RIBARD, Dualité du régime juridique
60 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
Une solution pourrait être trouvée, à propos du droit au paysage, dans le cadre des procédures
d'urgence.
La personne qui voit se construire un bâtiment dont les caractéristiques (dimension,
esthétique...) risquent de provoquer un trouble paysager anormal, obtiendra une réparation
adéquate du dommage, en l’anticipant, s’il parvient à convaincre le juge de prononcer la
suspension des travaux.
Encore faut-il que cette personne évalue le risque potentiel d’atteinte au paysage de la
construction envisagée. Mais surtout, le juge peut-il apprécier par anticipation le caractère
anormal du trouble futur ?
La solution semble donc difficilement envisageable.
Dans l'extrême majorité des cas, la réparation se fait par indemnisation de la victime en lui
versant, à titre de dommages et intérêts un somme d'argent.
Le droit personnel au paysage voit à nouveau sa portée relativisée puisque la réparation d'une
atteinte à son égard ne peut s'envisager qu'en tant qu'indemnisation, qu’une compensation. Il
est dans la plupart des cas, impossible d'obtenir la restauration de ce paysage sur lequel on
disposerait d'un droit propre.
Cette indemnisation de principe pose également un délicat problème en matière de réparation
du dommage.
Elle induit l'évaluation du préjudice causé, ce qui est loin d'être une chose aisée en matière
d'atteinte au paysage.
B-. L'évaluation du dommage paysager réparable
Le Droit de l'Environnement connaît en général de considérables difficultés dans l'évaluation
du dommage réparable.
Le préjudice paysager en est sans doute l'une des expressions les plus extrêmes, puisque le
Droit n'est toujours pas parvenu à définir la notion de Paysage. Comment évaluer un
dommage subi par une chose que l'on n'appréhende pas.
101
Paris, 17 septembre 1986, Gaz. Pal. 1987, somm. 17-18 août 1987. Il ne s'agissait pas d'un trouble visuel de
voisinage.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
61 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
Une solution spécifique au droit personnel au paysage serait, comme le souhaiterait une partie
de la jurisprudence102 et de la doctrine, de ne considérer que la dépréciation du patrimoine
immobilier, qui constitue le principal du dommage.
L'indemnisation porterait sur la perte de valeur subie par l'immeuble au sujet duquel une
atteinte paysagère a été causée.
Il est vrai que cette solution rend plus facile l'identification et surtout l'évaluation du dommage
puisque l'on dispose de repères.
Ce principal préjudice n'est cependant pas exclusif d'un préjudice moral et d'un préjudice
d'agrément, qui sont souvent ceux qui sont le plus fortement ressentis. La jurisprudence
l'affirme103 expressément.
Le préjudice moral consiste en la perte sentimentale causée par la dégradation du paysage
auquel la personne était attachée.
Le préjudice d'agrément s'analyse comme la perte d'une situation agréable, et dispose d'une
reconnaissance plus réduite.
Mais comment évaluer ces préjudices, qui posent déjà problème en droit commun, en matière
de paysages ?
L'évaluation du dommage personnel paysager pose donc certaines difficultés. Si la
jurisprudence admet l'existence d'un dommage moral et d'un dommage d'agrément, la
réparation d'une atteinte à un droit au paysage se limite dans la plupart des cas à la
dépréciation du patrimoine immobilier.
Le droit personnel au paysage s'en trouve à nouveau restreint dans sa mise en oeuvre.
Le recours au régime de la théorie des troubles anormaux de voisinage pour fonder un droit au
paysage en restreint considérablement la portée.
Ce régime, justifié par les caractéristiques inhérentes à cette théorie, limite en effet un tel
droit : - dans son action, qui n'est ouverte qu'en matière de rapports de voisinage et se voit
imposer une cause d'exonération certes relative en la matière, mais qui se révèle discutable.
- dans la réparation de ses atteintes, qui se limite à une compensation inadaptée et difficile à
évaluer.
Mais la notion d'atteinte anormale au paysage, à laquelle est subordonnée la mise en oeuvre
d'un droit individuel au paysage dans le cadre de la théorie des troubles de voisinage, constitue
également un élément déterminant pour limiter un tel droit à un cadre bien spécifique.
102
Le Tribunal de grande instance de Nice considère, à l'inverse, que "le trouble de voisinage s'apprécie
objectivement, en référence non aux avantages dont un particulier lésé bénéficiait antérieurement, mais à la
situation nouvelle qui lui est faite", T.G.I. NICE, 22 avril 1980, J.C.P. 1981, IV, p. 392.
103
Voir Civ 3ème, 3 novembre 1977, Bull. cass., III, n° 367, p. 280.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
62 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de voisinage
François RIBARD, Dualité du régime juridique
63 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
Chapitre 2-. L'atteinte au paysage : une notion imprécise et
restreinte
L'émergence d'un droit au paysage peut être interprétée dans une certaine application de la
théorie des troubles de voisinage : le fait qu'une atteinte portée à un paysage, auquel est
attachée une personne, soit sanctionnée dans le cadre de cette responsabilité manifeste dans un
certain sens l'existence d'un tel droit.
Nous l'avons vu dans le chapitre précédent, le régime de responsabilité propre à cette théorie
restreint considérablement la portée de ce droit, mais une autre limite peut être trouvée dans la
notion d'anormalité.
Celle-ci constitue la clef de voûte de la théorie. Il y a atteinte réparable dès lors que le juge a
estimé que le trouble qui en était la cause dépassait le seuil de la normalité des troubles de
voisinage.
L'atteinte paysagère réparée, et par conséquent la portée réelle d'un droit au paysage, va donc
dépendre de l'appréciation jurisprudentielle de l'anormalité du trouble paysager de voisinage.
L'existence d'un éventuel droit au paysage repose sur cette constatation.
Nous allons voir en effet que les juges considèrent restrictivement l'anormalité du trouble
paysager, limitant le jeu de la responsabilité à des cas bien précis.
Mais nous constaterons surtout, dans un premier temps, la grande incertitude qui caractérise la
notion d'anormalité des troubles de voisinage ; incertitude qui découle du caractère
jurisprudentiel de son appréciation, mais surtout de l'affirmation faite par la Cour de cassation
que cette appréciation constitue une question de pur fait.
Section 1-. Le trouble paysager de voisinage : une question de pur fait
François RIBARD, Dualité du régime juridique des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
La Cour de cassation la rappelle régulièrement : "les juges du fond apprécient souverainement
en fonction des circonstances de temps et de lieu la limite de la normalité des troubles de
voisinage"104.
La jurisprudence a construit la théorie des inconvénients de voisinage afin de permettre
d'établir un régime de responsabilité pour les multiples et diverses situations des rapports de
voisinage, desquelles il est impossible de déduire des règles.
De cette nécessité d'adaptabilité découle une impossibilité d'établir des principes stricts de
responsabilité.
Face au choix classique en matière de régime prétorien de droit, adaptation ou sécurité
juridique, la jurisprudence semble opter, en matière de troubles de voisinage, pour la première
possibilité : les juges du fond apprécient souverainement au cas par cas l'anormalité du trouble
paysager de voisinage.
Mais l'option n'est pas aussi radicale qu'il y paraît.
Il est en effet possible de dégager des lignes directrices pour l'appréciation de l'anormalité du
trouble paysager de voisinage dans les décisions de la Cour de cassation, qui manifeste encore
une fois sa fonction pondératrice et créatrice de droit.
§1-. Une appréciation au cas par cas
Les troubles paysagers de voisinage ne dérogent pas à la règle édictée de façon générale pour
la théorie. La Cour de cassation le confirme à l'occasion de plusieurs arrêts.
Mais il apparaît alors nécessaire de s'interroger rapidement sur une telle source d'insécurité
juridique.
A-. Une confirmation de la Cour de cassation au sujet des troubles paysagers
La Cour suprême se contente de reprendre les formules laconiques de rigueur :
"Attendu que l'anormalité d'un trouble visuel de voisinage relève du pouvoir souverain
d'appréciation des juges du fond"105.
104
Civ 2ème, 8 juin 1983, Bull. cass., II, n° 122, p. 85.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
65 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
Il convient toutefois d'observer qu'il ne s'agit que de décisions de rejet, qui démontrent
l'approbation par la Cour de cassation de l'appréciation faite par les juges du fond.
Le juge de cassation n'estime pas nécessaire d'affirmer à nouveau la règle spécifiquement en la
matière.
B-. Une source de grande insécurité juridique
La subordination de l'action en responsabilité pour inconvénients de voisinage à l'appréciation
souveraine de l'anormalité du trouble par les juges du fond est un grand facteur
d'imprévisibilité des solutions.
Celles-ci dépendent totalement de la situation de fait et de son appréciation par le juge.
Dès lors, tout justiciable qui subit un trouble, paysager ou autre, est dans l'incapacité de savoir
si une action en justice est envisageable ou non pour obtenir réparation du préjudice qu'il
estime subir en l'espèce.
Les frais à engager pour agir en justice peuvent le décourager face à cette incertitude
juridique.
Il est possible de voir également, au delà du souci d'adaptabilité qui induit une telle insécurité,
une aspiration de la jurisprudence à limiter les velléités d'action en justice des justiciables. On
sait en effet que le contentieux des troubles de voisinage est en extension constante.
Une personne, face à cette incertitude, n'agirait en justice que s'il avait la certitude de subir un
préjudice grave émanant d'un trouble.
Certains auteurs virulents voient même en cette insécurité juridique une caractéristique de la
théorie des troubles de voisinage qui la rendrait inopérante car insuffisante "pour protéger les
uns contre la détérioration de leurs conditions de vie, sans décourager l'esprit d'entreprise des
autres"106.
105
106
Civ 2ème, 8 juin 1983, Bull. cass., II, n° 122, p. 85.
R. BRUN, Les troubles de voisinage, A.J.P.I., 1974, p. 385.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
66 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
La critique apparaît excessive, d'autant que la Cour de cassation est intervenue, comme l'y
invitaient de nombreux auteurs 107 , de façon détournée afin de dégager certains principes
directeurs permettant d'orienter les juges du fond dans leur travail d'appréciation du caractère
anormal d'un trouble.
§2-. Des lignes directrices dégagées par la cour de cassation
Le but de ce développement est de montrer, à partir de l'analyse de la jurisprudence, que la
liberté d'appréciation des juges du fond est loin d'être complète et que, bien au contraire, en
tout cas à propos des troubles visuels et paysagers, la Cour de cassation fournit un certain
nombre d'indications quant aux éléments à prendre en considération pour décider si le seuil
d'anormalité a été ou non franchi.
Nous allons voir que le juge de cassation utilise à cette fin les instruments dont il dispose dans
le cadre de son contrôle.
A-. Par l'approbation explicite ou la reprise de la motivation des juges du fond
Face à un recours en cassation contestant l'appréciation par les juges du fond du caractère
anormal d'un trouble de voisinage, la Cour devrait systématiquement rejeter le recours en
rappelant la souveraineté des juges du premier ou du second degré en la matière.
Si le rejet n'est pas systématique, comme nous le verrons ultérieurement, les arrêts qui le
prononcent ne se contentent pas tous d'un simple recours à cette souveraineté.
Très souvent, la Cour suprême reprend à son compte les motifs de fait retenus par les
juridictions inférieures108, ce qui fournit déjà de précieux renseignements sur la valeur de ces
éléments en tant que critères de l'anormalité.
107
Voir note F. CABALLERO sous Civ 3ème, 3 novembre 1977, D. 1978, p. 135.
Civ 3ème, 18 juillet 1972, Bull. cass., III, n° 367, p. 280 ; Civ 2ème, 11 février 1976, Gaz. Pal. 1976, I,
somm. p. 75.
108
François RIBARD, Dualité du régime juridique
67 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
Parfois même, la Cour manifeste expressément son approbation de la démarche suivie par le
juge du fond.
La troisième chambre civile109 a ainsi estimé que l'arrêt "qui constate une diminution pour un
voisin, du fait d'une construction, de la vue sur le paysage environnant, de la lumière et de
l'ensoleillement, la présence d'un mur aveugle de grande hauteur clôturant la cour et le
caractère inesthétique de la clôture exhaussée, a exactement déduit de ces constations
l'existence de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage"110.
De telles décisions permettent de façon manifeste à la Cour de cassation de déterminer les
éléments pouvant diriger les juges du fond dans leur appréciation.
L'insécurité juridique s'en trouve réduite et un éventuel droit au paysage renforcé.
B-. Par la cassation pour défaut de base légale
Les arrêts de cassation sont encore plus significatifs.
Dans ce type de décisions, en effet, "la Cour de cassation aborde la question de droit en
indiquant les points qui auraient dû être examinés par les premiers juges [...], elle définit les
conditions d'application d'une règle de droit, les caractères d'une notion juridique"111.
Elles permettent ainsi, dans le cadre de l'appréciation de l'anormalité des troubles paysagers de
voisinage112 de dégager encore plus facilement les critères d'un trouble paysager anormal de
voisinage.
Ainsi donc, au delà d'une déclaration, qu'il serait malgré tout excessif de qualifier de principe,
la Cour de cassation, affirmant que l'appréciation de l'anormalité d'un trouble de voisinage
constitue une question de pur fait, qui relève par conséquent du pouvoir souverain des juges
du fond, en fournit les lignes directrices.
109
Civ 3ème, 27 novembre 1979, D. 1980, inf. rap., p. 207 ; Gaz. Pal. 1980, I, somm. p. 146.
Cette décision est d'autant plus remarquable qu'elle reprend les critères essentiel du dépassement du seuil de
la normalité en matière de troubles visuels. Voir infra, Section 2, §1.
111
FOSSEREAU, "L'interprétation des arrêts de la Cour de cassation", Bull. inf. Cass. 1er octobre 1987.
112
Civ. 3ème, 3 novembre 1977, préc. ; Civ 2ème, 30 novembre 1983, Gaz. Pal. 1984, I, somm. p. 124.
110
François RIBARD, Dualité du régime juridique
68 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
Il apparaît donc possible de déterminer le plus objectivement possible, à l'aide de cette
jurisprudence, les critères du trouble paysager anormal de voisinage, ce qui nous permettra par
la même occasion de constater la portée restreinte d'un éventuel droit subjectif au paysage.
Section 2-. Le trouble paysager anormal de voisinage : une notion
restreinte
Le trouble paysager anormal de voisinage constitue l'atteinte dont le dommage qu'elle
provoque est réparé dans le cadre de la responsabilité reposant sur la théorie des inconvénients
de voisinage.
L'étendue de cette notion détermine si l'on peut oui ou non invoquer un droit subjectif au
paysage.
Nous savons déjà que cette étendue ne peut pas être trop vaste. Tout trouble paysager, aussi
insignifiant soit-il ne peut pas être estimé anormal puisqu'une telle dérive aboutirait à la
consécration d'un droit absolu au paysage qui, s'il est philosophiquement satisfaisant, se
révélerait pratiquement impossible à mettre en oeuvre.
Mais une anormalité trop restreinte, sinon inexistante comme c'était encore le cas il y a une
quarantaine d'années, entraînerait l'inexistence du droit au paysage, déjà considérablement
altéré par sa soumission au régime de responsabilité pour trouble de voisinage.
La marge de manœuvre reste assez large, mais l'efficience du droit au paysage en dépend.
Mais qu'est-ce que l'anormalité ? Où se situe la norme, en matière paysagère, dans les rapports
de voisinage ? La norme est une notion relative, le paysage est une notion subjective... le
problème est délicat !
De surcroît, la jurisprudence en avait fait une question de fait. La Cour de cassation est
cependant intervenue pour apporter des repères, des points d'ancrage qui nous permettent
d'appréhender la notion d'anormalité du trouble du paysage.
La synthèse de ces décisions de justice nous amène à une double constatation.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
69 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
D'une part, un critère principal se manifeste : la gravité du trouble qui traduit l'idée d'un
principe de seuil.
D'autre part, l'appréciation de la gravité est pondérée par la prise en compte d'autres facteurs.
Ces derniers expriment un certain critère de relativité du trouble qui vient compléter le critère
principal lorsqu'il se révèle insuffisant.
§1-. Un critère principal : la gravité du trouble ou principe de seuil
Il est naturel de s'intéresser avant tout à la gravité intrinsèque du trouble. Si celle-ci est
suffisamment caractérisée, le trouble pourra, du seul fait de cette gravité exceptionnelle, être
jugé comme excessif au regard des inconvénients anormaux de voisinage.
C'est le principe de seuil, maintes fois évoqué par la doctrine113.
Mais quelle matérialité provoque le franchissement de ce seuil de gravité ?
L'analyse de la jurisprudence fait ressortir deux types de matérialité, mais il convient dans un
premier temps de distinguer, dans un souci de clarté (!) le trouble paysager du trouble
d'ensoleillement, et d'écarter un trouble qui n'est pas pris en compte : la perte ou l'altération
d'un panorama.
A-. Un trouble d'ensoleillement distinct
Le trouble paysager et le trouble d'ensoleillement relèvent tous les deux du domaine du visuel.
De fait, les premières décisions de justice reconnaissant l'anormalité de ces troubles visuels
avaient tendance à les confondre, du fait de l'exceptionnelle gravité caractérisant les premiers
troubles sanctionnés.
Face à de telles situations, le trouble d'ensoleillement se manifestait prioritairement.
113
Deux exemples parmi tant d'autres : M.-F. NICOLAS : "Le fait qu'un dommage soit qualifié de trouble de
voisinage ne permet d'envisager une quelconque réparation qu'à la condition qu'il atteigne un certain seuil de
gravité" in "La protection du voisinage", Rev. trim. dr. civ., 1976, p. 675 et s. ; RODIERE : "au-dessus d'un
certain seuil, il n'y a pas de préjudice juridiquement sanctionné", Rev. trim. dr. civ., 1965, p. 643 et s.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
70 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
Ainsi, le fait de l'exhaussement d'un mur mitoyen qui transforme la propriété voisine en "fond
de puits" privé de "tout ensoleillement"114 caractérise l'anormalité du trouble d'ensoleillement
comme l'observe la Cour, mais également celle du trouble paysager.
Cependant, si le soleil modifie le paysage, il n'en fait pas pour autant partie.
Des troubles paysagers excessifs peuvent survenir sans que pour autant une atteinte grave à
l'ensoleillement soit constatée.
La distinction s'opère progressivement, au fur et à mesure du développement de la théorie des
inconvénients anormaux de voisinage.
Dans les premiers temps, le juge, frileux, sanctionne les troubles visuels exceptionnels et on
se contente de la notion de trouble visuel.
Puis la préoccupation sociale paysagère se développe et le juge prend confiance. Des troubles
paysagers graves sont désormais sanctionnés sans atteinte à l'ensoleillement 115 ce qui
consomme la distinction.
B-. Le rejet de la perte ou de l'altération d'un panorama
Le paysage se caractérise par son unité. Il est la vue dont dispose une personne sur les espaces
environnants.
Le Droit semble pourtant procéder à une distinction entre le paysage de proximité, la vue sur
les espaces voisins, et le paysage "panoramique", sur les territoires lointains.
Une telle dichotomie eut été compréhensible si elle était déduite de la soumission au régime
de la théorie des troubles de voisinage.
Le régime de responsabilité porte sur les rapports de voisinage, et il est difficilement
envisageable de qualifier de voisin l'individu qui vit de l'autre coté d'une baie ou d'une
vallée116.
114
Civ 3ème, 18 juillet 1972, Bull. cass., III, n° 478, p. 348.
Nous nous contenterons d'évoquer l'arrêt le plus récemment publié : Civ. 2ème, 29 novembre 1995, R.J.E.
juin 1997, p. 229, obs. C. GIRAUDEL.
116
Mais où se situe alors la limite du voisinage ? La jurisprudence ne fournit pas de critères objectifs à la
détermination de ce rapport.
115
François RIBARD, Dualité du régime juridique
71 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
Pourtant, ce n'est pas sur le terrain de l'absence de rapport de voisinage que la jurisprudence se
fonde, mais sur la normalité du trouble qui fait perdre ou altère un panorama.
Si à titre anecdotique, un vieil arrêt de la Cour de cassation117 a admis la réclamation d'un
propriétaire d'une villa, privé par l'avancée d'un casino sur le domaine public de la possibilité
de regarder le soleil couchant ainsi que le port et l'agglomération de Palavas, l'ensemble de la
jurisprudence récente rejette l'anormalité d'un trouble au panorama118.
Le trouble paysager ne peut donc être apprécié comme anormal par le juge que s'il porte sur le
paysage immédiat, le paysage de proximité, qui reste à définir.
C-. La perte de l'existence d'une vue
Il s'agit de la gravité extrême pour un trouble paysager119. Que peut-on envisager de pire en la
matière que la privation totale d'une vue sur un paysage ?
Ce fut donc tout naturellement le premier type de trouble paysager grave à être sanctionné par
la jurisprudence encore timide, qui liait trouble d'ensoleillement et trouble paysager pour
apporter plus de poids à son appréciation de l'anormalité d'un trouble visuel.
Dès 1965120, la Cour de cassation approuve le juge du fond d'avoir estimé que causait à un
propriétaire une "gêne exceptionnelle" excédant les obligations ordinaires de voisinage
l'empilage de madriers sur le terrain voisin, lesdits madriers privant son immeuble "de toute
vue" et restreignant "considérablement l'air et le soleil dont il pouvait jouir".
Depuis, la jurisprudence prenant confiance, distingue les deux troubles, mais reste encore
réticente à qualifier d'anormal un trouble qui provoque la perte d'une partie réduite d'un
paysage.
117
Civ 2ème, 3 juillet 1958, Bull. civ., II, n°498, p. 329. Arrêt survenu à une époque où même le trouble
d'ensoleillement n'avait pas encore émergé !
118
Ni la perte de la vue de la mer, ni celle d' un cours d'eau, ni celle d'une chaîne de montagne. Voir R. LEOST,
A.J.P.I. 1996, p. 1036.
119
Le trouble peut trouver sa source dans une construction, un arbre, et même simplement des travaux.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
72 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
Enfin, il convient de rappeler que seuls la perte d'une vue sur les espaces de proximité est
prise en considération.
D-. L'altération du paysage : le trouble à l'esthétique des paysages
Il s'agit de l'évolution jurisprudentielle la plus récente et sans doute la plus remarquable au
sujet de l'appréciation de l'anormalité du trouble paysager.
Certes, une décision du Conseil d'Etat121 avait, dès 1977, apporté une solution relativement
dans le sens de cette extension, considérant que la présence d'une usine d'incinération
d'ordures ménagères à 150 mètres d'un pavillon constituait un trouble anormal de voisinage
même en l'absence de bruits ou de fumées, en raison de son volume, de son aspect, et de sa
destination, mais, compte tenu du caractère exceptionnel de la mise en oeuvre de cette
responsabilité en matière d'ouvrage public (ce que nous verrons ultérieurement), il s'agissait
plus d'un cas d'espèce.
L'affirmation d'une possibilité de trouble à l'esthétique du paysage apprécié comme anormal
par la jurisprudence civile se manifeste dans un arrêt de la deuxième chambre civile de
1995122.
Il s'agissait de l'entrée en activité d'une carrière qui avait altéré l'esthétique du paysage pour les
propriétaires d'une résidence secondaire voisine.
L'arrêt énonce que le nouveau paysage "contraste avec l'harmonie de la ligne de crête et des
champs, masqués en partie", que "même après remblaiement le sol ne retrouvera pas son
niveau" et que "cette transformation de l'environnement affecte les conditions d'habitabilité de
la maison".
La Cour de cassation apporte ici de façon explicite les éléments de l'appréciation de ce nouvel
aspect du trouble paysager grave.
Désormais, un trouble à l'esthétique paysagère est susceptible d'entraîner réparation dans le
cadre de la théorie des inconvénients de voisinage.
120
121
122
Civ 1ère, 13 octobre 1965, D. 1966, somm. p. 50.
C.E., 22 juillet 1977, Synd. intercommunal de l'agglomération caennaise, D.A. 1977, n° 320.
Civ 2ème, 29 novembre 1995, op. cit.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
73 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
L'étape est importante dans l'affirmation d'un droit subjectif au paysage à la portée réelle,
puisqu'il prend en compte justement la subjectivité de la notion de paysage.
Il n'en reste pas moins qu'une telle extension, encore en gestation, soulève une certaine
difficulté.
Intégrer l'esthétique du paysage est louable, mais qui est à même d'apprécier la beauté du
paysage ? La victime est le propriétaire voisin, or c'est le juge qui détermine le caractère
anormal de l'atteinte à l'esthétique (sur quels critères ?).
Il convient d'attendre les futures décisions en la matière afin de pouvoir préciser les contours
de cette extension.
En résumé, le trouble paysager anormal de voisinage, qui se distingue du trouble
d'ensoleillement et ne prend pas en considération les atteintes au panorama, se limite, pour la
jurisprudence, aux atteintes au paysage de proximité qui se matérialisent soit en une perte d'un
paysage, soit en une altération de son esthétique, bien que cette dernière hypothèse ne soit pas
précisément déterminée.
Lorsque le critère de la gravité est suffisant, le juge ne va pas chercher plus loin pour apprécier
l'anormalité du trouble.
Dans l'hypothèse inverse, la jurisprudence prend en compte d'autres facteurs, qui lui
permettent d'affiner sa qualification et qui peuvent être analysés comme un critère secondaire :
la relativité du trouble.
§2.- La prise en compte d'autres facteurs : un critère secondaire ?
Dans certaines situations de fait, la gravité du trouble paysager ne suffit pas au juge pour
apprécier son anormalité.
Il recourt alors ,de façon inorganisée, à un ou plusieurs facteurs qui vont emporter ou non sa
conviction.
Ces facteurs constituent, de par les considérations qu'ils abordent, un certain critère de
relativité du trouble.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
74 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
Il est possible d'en distinguer deux principaux : la situation de la victime et la préoccupation
collective.
Toutefois, dans un premier temps, il convient d'examiner le régime spécifique de la théorie
des inconvénients de voisinage en Droit public. Ce régime de responsabilité très strict ne se
contente pas en effet du simple critère de la gravité du trouble.
A-. Le trouble paysager anormal de voisinage en Droit public
L'application de la responsabilité pour inconvénients anormaux de voisinage se révèle délicate
en Droit public.
L'intérêt particulier paysager se heurte en effet à l'intérêt général sur lequel repose l'ouvrage
public.
Le Droit administratif considère en conséquence très restrictivement la mise en oeuvre de
cette responsabilité.
La théorie générale de la responsabilité administrative exige d'une part la preuve d'un
préjudice spécial, ce qui peut être difficile à établir en la matière.
L'ouvrage public bénéficie d'autre part de la préoccupation individuelle comme cause
exonératoire123. S'il a été implanté avant que la personne s'installe dans le voisinage et en
subisse le trouble paysager même anormal, cette personne ne pourra pas obtenir réparation de
son préjudice.
Enfin, le Conseil d'Etat apprécie l'anormalité du trouble au regard de la théorie du bilan. Or
l'intérêt particulier paysager n'est pas prêt d'équilibrer la balance vis-à-vis de l'intérêt général
qui justifie l'implantation de l'ouvrage public.
Toutes ces restrictions au régime de la responsabilité objective pour trouble de voisinage font
que les arrêts du Conseil d'Etat concluent dans la très grande majorité des cas au rejet de la
demande en réparation. La décision de 1977 précitée serait l'exception qui confirme la règle.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
75 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
B-. La situation de la victime
Le juge a été amené à se demander si, pour parvenir à apprécier le plus finement possible
l'anormalité du trouble paysager, il pouvait utiliser d'autres facteurs qu'il prenait en compte
pour d'autres troubles de voisinage.
Tout d'abord peut-il s'appuyer sur la situation antérieure de la victime ?
Une grande partie de la doctrine et de la jurisprudence est favorable à une telle considération
qui fait de la dépréciation du patrimoine immobilier le principal préjudice pouvant résulter
d'une atteinte au paysage. L'évaluation et l'identification du dommage à réparer s'en trouvent
grandement facilitées.
Mais la Cour de cassation a rappelé que le préjudice matériel n'est pas exclusif du préjudice
moral et du préjudice d'agrément124.
Un arrêt du tribunal de grande instance de Nice125, d'autre part, refuse de faire intervenir un tel
paramètre, estimant que "le trouble de voisinage s'apprécie objectivement, en référence non
aux avantages dont un particulier lésé bénéficiait antérieurement, mais à la situation nouvelle
qui lui est faite".
La position n'est donc pas encore profondément tranchée par la jurisprudence.
Faut-il d'autre part prendre en compte la réceptivité de la victime ?
La jurisprudence s'y montre généralement hostile et cette attitude devrait se vérifier a fortiori
en ce qui concerne les troubles paysagers où la détermination de la réceptivité d'une victime
relève de l'exploit.
Les tribunaux prennent en revanche en considération l'activité professionnelle de la victime
pour d'autres troubles126. Mais là encore le critère paraît inadapté en matière paysagère. Quelle
profession souffrirait plus qu'une autre des troubles paysagers de voisinage, à part peut-être le
restaurateur qui dispose d'une vue touristique ?
Doit-on s'attacher à la destination de l'immeuble de la victime ?
123
124
125
126
Voir J.-P. THERON, op. cit.
Civ 3ème, 3 novembre 1977, op. cit.
T.G.I. Nice, 22 avril 1980, J.C.P. 1981, IV, p. 392.
Civ. 2ème, 12 janvier 1966, D.S. 1966, p. 473.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
76 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
La dernière décision publiée de la Cour de cassation en matière paysagère127 le laisse à penser
puisqu'elle semble estimer que la qualité de résidence secondaire de cet immeuble aggrave
l'anormalité du trouble paysager.
On notera que pour l'immeuble source du trouble, la destination semble soit jouer
positivement 128 , soit être indifférente 129 pour aggraver le trouble apprécié par le Conseil
d'Etat.
Pour finir, il convient de rappeler, au sujet de la situation de la victime, que son installation
postérieure exonère le fauteur de trouble industriel de la réparation des dommages du trouble
(article L112-16 C.C.H.).
Dans l'arrêt du 29 novembre 1995130, si la Cour n'admet pas l'activité antérieure de la carrière,
elle n'exclut pas le jeu de cette disposition législative pour les troubles paysagers.
C-. La préoccupation collective
La préoccupation collective est une création prétorienne qui vise à prendre en compte le
caractère du quartier pour déterminer le seuil d'anormalité.
Le conseiller Fabre écrit que "la communauté de voisinage est avant tout constituée par une
sorte de préoccupation collective car c'est elle, en effet, qui définissant et caractérisant la vie
du quartier, permet de déterminer la mesure de ce que les habitants doivent ou non
supporter"131.
Selon certains auteurs, il faut entendre par "caractère du quartier" non seulement l'état actuel
du quartier, mais également la physionomie future déterminée par les plans d'urbanisme.
Il ne saurait par conséquent y avoir dépassement des inconvénients ordinaires du voisinage
lorsque la nouvelle construction a été édifiée conformément à la législation d'urbanisme132.
D'autres 133 considèrent qu'une telle solution conduirait à priver la théorie des troubles de
voisinage de son intérêt.
127
Civ 2ème, 29 novembre 1995, op. cit.
C.E., 22 juillet 1977, Synd. intercommunal de l'agglomération caennaise, op. cit. : le trouble paysager est
anormal en raison du volume, de l'aspect, et de la destination de l'ouvrage public.
129
C.E., 22 mai 1939, Sieur PUYBONNIEUX, Rec., p. 349.
130
Civ. 2ème, op. cit.
131
Rapport préc. sur Civ 3ème, 18 juillet 1972, op. cit.
132
Voir M.-F. NICOLAS, "La protection du voisinage", Rev. trim. dr. civ 1976, p. 675.
133
M. PRIEUR, op. cit. p. 847 ; M.-C. LAMBERT-PIERI, Construction immobilière et dommages au voisins,
Economica 1982.
128
François RIBARD, Dualité du régime juridique
77 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
Elle aboutirait à déterminer des seuils d'incommodités très inégalitaires, aggravant les
inégalités sociales et écologiques et consacrant les droits de nuire acquis illégalement par les
pollueurs.
Quelle est la position de la jurisprudence ?
Parfois les "circonstances de lieu" viennent renforcer la gravité du trouble134.
Mais certaines juridictions ont au contraire refusé de reconnaître un caractère anormal à des
dégradations de l'environnement visuel en fondant cette appréciation sur le caractère actuel ou
prévisible du quartier.
Ainsi, bien qu'ils disposent d'une vue qui s'étend à plusieurs kilomètres, "les demandeurs ne
sauraient soutenir qu'il y a un dépassement des inconvénients normaux de voisinage dès lors
que, leur habitation se trouvant dans la zone constructible d'une agglomération, la vue dont ils
jouissent se trouve virtuellement compromise, dès l'instant où le POS pouvait la limiter
réglementairement"135.
La Cour de cassation, pour sa part, ne semble pas accorder à ce critère une place importante
dans la détermination du seuil d'anormalité.
Ainsi en est-il de la décision cassant un arrêt d'appel qui avait considéré que la construction
d'un mur dans un quartier résidentiel ne présentait pas un caractère anormal, et qu'il n'y avait
pas lieu d'y voir un trouble anormal, en lui reprochant de ne pas avoir recherché "en quoi la
construction litigieuse n'avait pas eu pour effet de créer un trouble anormal de voisinage"136.
Cela ne signifie pas que la Cour néglige complètement cet élément d'appréciation. Il est pris
en considération lorsque la gravité intrinsèque du trouble ne permet pas à elle seule de
caractériser l'anormalité de ce trouble.
L'émergence d'un droit subjectif au paysage dépend d'une mise en oeuvre spéciale de la
responsabilité pour trouble de voisinage.
Elle est subordonnée à la sanction par le juge des troubles paysagers anormaux dans le cadre
des rapports de voisinage.
Un tel droit se trouve donc doublement limité.
Le régime de responsabilité de cette théorie restreint son champ d'application aux rapports de
voisinage et propose des modalités de réparation inadaptées.
Le recours à la notion jurisprudentielle de trouble paysager anormal de voisinage limite à
nouveau le domaine de ce droit au paysage de proximité, et à la perte totale ou à l’altération
esthétique de celui-ci. D'autres facteurs viennent encore réduire l'interprétation de cette notion.
134
135
C.A. Versailles, 7 novembre 1983, R.L. 1985, p. 419.
C.A. Rouen, 16 octobre 1984, Gaz. Pal. 18 janvier 1986,
François RIBARD, Dualité du régime juridique
78 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
2 Chapitre 2-. L’atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte
Un certain droit subjectif au paysage, certes encore en gestation et relativement limité, existe
donc bel et bien.
136
Civ 2ème, 30 novembre 1983, op. cit.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
79 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
Conclusion
Conclusion
Le Paysage, fait social, est devenu objet du Droit.
La difficulté d'appréhension de la notion a conduit les juristes à développer un régime
juridique double ou plutôt une dualité de régimes juridiques.
Le Droit du Paysage se compose, en effet, d'un Droit public des paysages remarquables et d'un
droit civil au paysage.
Les deux constructions se révèlent strictement autonomes, ayant répondu chacune
indépendamment de l'autre à l'une des deux préoccupations paysagères de la société.
La société aspire, dans un premier temps, à la préservation des "grands paysages", de ceux,
hors du commun, qui sont les plus unanimement appréciés.
Le Droit public, le plus apte à appréhender cet intérêt général paysager, est intervenu le
premier, développant, depuis le début de ce siècle, un véritable Droit des paysages
remarquables.
Le régime de ce Droit, s'il manifeste un caractère profondément chaotique du fait de la
profusion et de l'absence de cohérence de ses dispositions, se révèle relativement efficace,
faisant même évoluer les modalités de sa sauvegarde paysagère de la stricte protection à la
gestion au sens le plus large du terme.
Les individus qui composent la société se soucient également, désormais, de la qualité des
paysages "ordinaires" qui participent à leur cadre de vie.
La jurisprudence civile, source la plus souple de ce Droit, tente, depuis une trentaine d'années,
de satisfaire cette délicate préoccupation en s'attachant à faire émerger un certain droit
subjectif au paysage.
A cette fin, elle recourt à la théorie des troubles anormaux de voisinage, ce qui restreint
considérablement la portée d'un tel droit : le paysage pris en compte est cristallisé sur un
immeuble, il se limite à la proximité des rapports de voisinage, ses atteintes prises en
considération sont réduites à la perte totale d'une vue et au caractère inesthétique d'une
construction, et restent soumises à l'incertitude de l'appréciation du juge, et enfin les modalités
de sa réparation apparaissent relativement inadaptées (mais peuvent-elles l'être).
Mais un tel droit ne doit-il cependant pas être limité ?
François RIBARD, Dualité du régime juridique des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
Conclusion
La dualité de ce Droit du Paysage et la stricte autonomie de ses deux régimes nous amènent
pour finir à nous interroger sur leur articulation.
Le nouvel article L200-1 du code rural, résultant de la loi du 2 février 1995 qui proclame les
paysages "patrimoine commun de la nation" traduit une volonté d'accaparer la notion de
Paysage de la part de l'approche publiciste.
L'approche civiliste apparaît pourtant indispensable socialement.
De quel poids dispose donc un intérêt personnel paysager face à l'intérêt général paysager ?
La question ne s'est pas encore présentée aux deux ordres de juridictions, mais sans se lancer
dans l'art divinatoire, il reste fort à parier que l'intérêt personnel aura un faible poids dans la
balance.
Enfin, pour conclure, il semble nécessaire de constater (et de regretter) que l'intérêt paysager,
qu'il soit général ou particulier, s'incline encore bien trop souvent lorsqu'il s'oppose à d'autres
intérêts généraux.
Les splendeurs paysagères préservées comme les paysages personnels sauvegardés ne
sauraient en effet faire oublier les mutilations dont ont fait l'objet certains espaces paysagers
pour des motifs qui se révèlent purement économiques.
Le pont de l'île de Ré ou le passage d'une ligne haute tension, aux pylônes de 75 mètres de
haut, au cœur de vallées pastorales des Hautes-Pyrénées ne sont que deux exemples parmi tant
d'autres.
Sans doute doit-on appeler cela la "part du riche".
François RIBARD, Dualité du régime juridique
81 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
Bibliographie
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la direction de MM. F. COLLART-DUTILLEUL et R. ROMI, 1995.
François RIBARD, Dualité du régime juridique
83 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
Table des matières
Tables des matières
Introduction
___________________________________________________________ 2
1ère Partie-. Les paysages, patrimoine commun de la nation
_______ 8
Chapitre 1-. Les paysages à sauvegarder : de l’élitisme à un vaste domaine _______
Section 1-. Une typologie de la prise en compte paysagère ______________________
§1-. La prise en compte indirecte ________________________________________
A-. Les monuments historiques _______________________________________
B-. Les sites et monuments naturels ____________________________________
C-. Les secteurs sauvegardés _________________________________________
D-. Les espaces naturels _____________________________________________
§2-. La sauvegarde directe _____________________________________________
A-. Les enseignes et publicités ________________________________________
B-. Dans le cadre du Règlement National d'Urbanisme et des documents
d'urbanisme _______________________________________________________
C-. L'émergence de la Montagne et du Littoral ___________________________
D-. La loi "Paysage" et la loi "BARNIER" _______________________________
Section 2-. Les modalités de la détermination des paysages à sauvegarder __________
§1-. Les acteurs de la détermination ______________________________________
A-. L'omniprésence des services de l'Etat : un élitisme technocratique ? _______
B-. Une certaine décentralisation ______________________________________
C-. L'existence d'une concertation _____________________________________
D-. Le rôle de la jurisprudence administrative ____________________________
§2-. Les critères déterminants ___________________________________________
A-. Des sites et monuments aux paysages _______________________________
B-. Du pittoresque au remarquable _____________________________________
10
10
11
11
12
14
15
16
16
Chapitre 2-. La sauvegarde des paysages : de la protection à la gestion ___________
Section 1-. Une évolution nécessaire _______________________________________
§1-. Un changement de priorités _________________________________________
A-. L'urgence d'un sauvetage _________________________________________
B-. La nécessité d'une mise en valeur ___________________________________
§2-. Une stérilisation par la protection ____________________________________
A-. Un mécontentement des propriétaires _______________________________
B-. Un risque de dépréciation _________________________________________
§3-. La nécessité d’une vision d’ensemble _________________________________
A-. Dans un souci d'harmonisation de chaque paysage _____________________
B-. A la recherche d'une politique des paysages ___________________________
Section 2-. Les manifestations de l’émergence d’une gestion des paysages _________
§1-. Dans le cadre de la pratique administrative_____________________________
A-. Plus de souplesse dans l'application des régimes de protection ____________
B-. L'exemple des cahiers de gestion des sites classés ______________________
§2-. Les directives paysagères __________________________________________
A-. Le contenu des directives paysagères ________________________________
B-. La portée des directives paysagères _________________________________
§3-. Par le partenariat _________________________________________________
A-. Les plans de paysage ____________________________________________
29
30
30
30
31
32
33
33
34
35
36
36
37
38
39
39
40
40
41
42
François RIBARD, Dualité du régime juridique des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
17
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Table des matières
B-. Les contrats de paysage __________________________________________
C-. La labellisation des paysages du terroir ______________________________
§4-. Par l’incitation ___________________________________________________
A-. Des collectivités locales __________________________________________
B-. Des administrés : le volet paysager du permis de construire ______________
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2ème Partie-. Un droit au paysage ___________________________________ 47
Chapitre 1-. Un droit limité par le régime de la responsabilité pour troubles de
voisinage ______________________________________________________________
Section 1-. Les caractéristiques de la théorie des troubles de voisinage ____________
§1-. Une création prétorienne autonome __________________________________
A-. La recherche d'un fondement ______________________________________
B-. Une affirmation jurisprudentielle de l'autonomie de la théorie ____________
§2-. Une responsabilité objective ________________________________________
A-. Les éléments indifférents _________________________________________
B-. Les éléments exigés _____________________________________________
Section 2-. Les limitations découlant de son régime ___________________________
§1-. Quant à l’action __________________________________________________
A-. Une action limitée aux rapports de voisinage__________________________
B-. La préoccupation individuelle : une cause d'exonération ? _______________
§2-. Quant à la réparation du dommage ___________________________________
A-. Les modalités de la réparation _____________________________________
B-. L'évaluation du dommage paysager réparable _________________________
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Chapitre 2-. L'atteinte au paysage : une notion imprécise et restreinte ___________
Section 1-. Le trouble paysager de voisinage : une question de pur fait_____________
§1-. Une appréciation au cas par cas _____________________________________
A-. Une confirmation de la Cour de cassation au sujet des troubles paysagers ___
B-. Une source de grande insécurité juridique ____________________________
§2-. Des lignes directrices dégagées par la cour de cassation___________________
A-. Par l'approbation explicite ou la reprise de la motivation des juges du fond __
B-. Par la cassation pour défaut de base légale ____________________________
Section 2-. Le trouble paysager anormal de voisinage : une notion restreinte ________
§1-. Un critère principal : la gravité du trouble ou principe de seuil _____________
A-. Un trouble d'ensoleillement distinct _________________________________
B-. Le rejet de la perte ou de l'altération d'un panorama ____________________
C-. La perte de l'existence d'une vue ___________________________________
D-. L'altération du paysage : le trouble à l'esthétique des paysages ____________
§2.- La prise en compte d'autres facteurs : un critère secondaire ? ______________
A-. Le trouble paysager anormal de voisinage en Droit public _______________
B-. La situation de la victime _________________________________________
C-. La préoccupation collective _______________________________________
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Conclusion ____________________________________________________________ 80
Bibliographie _________________________________________________________ 82
François RIBARD, Dualité du régime juridique
85 des paysages, Mémoire DEA 1997-1998
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