LES FONDEMENTS ET LES VALEURS DE LA DEMOCRATIE AMERICAINE Quelles sont les valeurs qui fondent la démocratie libérale américaine ? Ont elles des limites ? Ce système est il un modèle pour le monde ? Quelles sont les causes de son succès ? Introduction Depuis la fin de la dernière guerre les États-Unis se présentent aux yeux du monde comme un “ modèle ” de liberté et de démocratie. Ces “ valeurs ” sont mises en avant pour exercer le “ leadership ” sur le monde occidental dans la lutte contre le communisme. Aux États-Unis même, ces idéaux sont le fondement de l'organisation institutionnelle et politique du pays. Le système politique évolue cependant sous l'action des dirigeants, mais aussi des citoyens qui peuvent infléchir le cours des événements. Nous devons analyser dans un premier temps les fondements idéologiques et institutionnels de la démocratie libérale américaine, pour ensuite identifier les forces politiques, partis mais aussi “ opinion publique ”, contribuant au cours de ce demi-siècle à modifier la démocratie américaine. I - Les fondements idéologiques et institutionnels de la démocratie américaine La démocratie américaine se fonde sur une Constitution fédérale (1787), une Constitution de chaque État et sur une Déclaration des droits (1790-91). Ces textes, rédigés par les “ pères fondateurs ” de la nation américaine, garantissent des principes toujours en vigueur dans le pays. Les libertés individuelles et publiques sont ainsi considérées comme sacrées ; elles s'inscrivent dès les origines dans la forme républicaine de gouvernement et sur l'égalité civile accordée à l'ensemble des citoyens. L'ancienneté de la Constitution ne doit pas faire oublier qu'elle évolue : les amendements adoptés par le Congrès (la majorité à 18 ans en 1971), les arrêts de la Cour suprême (abolition de la ségrégation raciale en 1954) permettent l'infléchissement des institutions. En 1945 les États-Unis sont une démocratie libérale qui, outre les libertés, se fonde sur le suffrage universel, un État de droit garanti à tous par les textes constitutionnels. Pourtant le régime politique présente des aspects spécifiques, liés à l'histoire du pays, il est incontestablement un régime présidentiel. En effet le Président, élu au suffrage indirect pour 4 ans, est à la fois chef de l'État, de l'administration et du gouvernement. Il nomme luimême les “ secrétaires ” (ministres) et les juges de la Cour suprême. Il peut mener une politique indépendante du Congrès, n'étant pas lié à sa majorité politique, et peut user d'un droit de veto suspensif. Le principe de séparation des pouvoirs est quand même respecté car le Congrès (sénateurs et représentants) garde l'initiative des lois et vote le budget de l'État. La Cour suprême, composée de juges nommés à vie, garde son indépendance vis-à-vis du pouvoir. II - Les forces politiques La liberté suppose la pluralité des opinions qui s'expriment, entre autres, par l'intermédiaire des partis politiques. Depuis 1945, “ républicains ” et “ démocrates ” alternent au pouvoir en dominant le Congrès et/ou la Présidence. Ces deux forces opposées partagent pourtant des valeurs communes : attachées l'une comme l'autre à la liberté politique, elles défendent aussi le système capitaliste, la propriété privée des moyens de production, la libre circulation des biens et la concurrence (même si dans les faits les entorses aux principes sont nombreuses). Pendant toute la période de la guerre froide, républicains et démocrates communient dans la haine et le rejet du communisme, y compris à l'intérieur du pays. Au début des années cinquante, au moment des plus fortes tensions Est-ouest, le sénateur McCarthy a pu mener une politique de délation et d'arrestation à l'encontre de tous ceux soupçonnés de pactiser avec l'ennemi, au point de compromettre les principes démocratiques du pays. Les deux partis sont enfin essentiellement des “ machines électorales ” : ils ne mobilisent leurs adhérents que lors des consultations électorales pour désigner leur candidat à la Présidence (les primaires). La politique démocrate est incarnée par plusieurs Présidents : Truman (1945-53), Kennedy (1961-63), Johnson (1963-69), Carter (1977-81), et enfin Clinton depuis 1993. Elle s'appuie (jusqu'aux années quatre-vingt) sur une politique économique et sociale keynésienne. Truman par son projet de “ Fair Deal ”, Kennedy puis Johnson par leur volonté de faire reculer les frontières de la pauvreté, ont donné à l'État un rôle de correcteur des inégalités sociales (extension du droit à la sécurité sociale, salaires minimaux). Les échecs internationaux, l'approfondissement de la crise économique conduisent les américains à élire un Président républicain, R. Reagan (1981-1989), qui conduit une politique néolibérale. Elle se traduit par un désengagement de l'État : les réglementations protégeant les salariés et les consommateurs sont en partie abrogées, les dépenses sociales de l'État sont diminuées de manière drastique. Parallèlement les impôts sont diminués, la concurrence est stimulée pour amorcer la croissance. Cette politique s'est traduite par une aggravation des inégalités sociales mais aussi par une relance de la croissance et par la modernisation de l'appareil économique ; cela explique peut-être pourquoi le Président actuel (démocrate) se situe partiellement dans cette perspective néolibérale. III - Le rôle de l'opinion publique Si les citoyens américains participent assez peu aux consultations électorales (il y a régulièrement environ 50 % d'abstentionnistes), ils ont montré au cours de ce demi-siècle leur capacité à infléchir le fonctionnement de la démocratie libérale. Dans les années soixante, l'opinion publique s'est manifestée à plusieurs reprises pour contester l'ordre politique et social. Le combat de la minorité noire pour l'égalité des droits civiques est incarné par la personne du pasteur Martin Luther King, qui réussit à mobiliser les foules lors de grandes manifestations comme à Washington en 1963. Cette pression conduit le Président Johnson à faire adopter par le Congrès deux lois pour l'égalité des droits. Cependant les émeutes des ghettos noirs de Watts (Los Angeles) en 1965, la révolte endémique jusqu'en 1970, la radicalisation d'une partie des Noirs réclamant un “ Black Power ” montrent l'ampleur des problèmes sociaux, la ségrégation raciale se combinant à l'exclusion sociale. Dans ce contexte la jeunesse étudiante prend le relais de la contestation, elle dénonce la politique extérieure des États-Unis au Viêt-nam et son caractère impérialiste, remet en cause le modèle social américain en dénonçant son matérialisme et son conformisme. Ce mouvement contestataire, qui connaît son apogée en 1968, contribue à modifier la société américaine : il accélère le désengagement militaire des États-Unis au Viêt-nam, permet une certaine libéralisation des mœurs, et met au premier plan le combat des femmes pour l'égalité. Les médias occupent aussi une place grandissante dans l'évolution de la politique américaine. Les dirigeants apprennent à se servir de la télévision comme d'un instrument de conquête du pouvoir. Kennedy est le premier à savoir user de ce nouveau média aux élections de 1960 en offrant une image de présidentiable jeune et séduisant. Mais la liberté d'informer peut aussi contraindre les dirigeants. En 1972, le Washington Post révèle les agissements de proches du Président Nixon ayant donné l'ordre de mettre sur écoutes le siège du parti adverse (les démocrates). Cette affaire du “ Watergate ” oblige le Président à démissionner deux ans plus tard. Si, depuis la fin des années soixante-dix, la société ne remet plus en cause l'ordre politique et social, une vieille tradition de “ lobbying ” se maintient, des groupes de pression de toutes natures tentent d'intervenir pour infléchir le pouvoir. Par exemple, dans un contexte de conservatisme néolibéral à l'époque de Reagan, des associations politico-religieuses tentent de restaurer ce qu'elles estiment être un ordre moral voulu par Dieu. Elles font pression sur les élus pour interdire l'avortement, sanctionner juridiquement la liberté des mœurs, réintroduire un enseignement religieux à l'école. Conclusion La démocratie libérale américaine se fonde sur des valeurs communes à l'ensemble des démocraties libérales : liberté, égalité civile, État de droit garanti par la Constitution. Mais l'histoire propre à ce pays révèle des spécificités : un régime présidentiel ; une ségrégation raciale et sociale conduisant les citoyens et les dirigeants à modifier le système. Cette étude montre le rôle que les citoyens peuvent exercer dans le cadre de la démocratie libérale : élection des dirigeants certes, mais aussi pression sur ceux-ci pour infléchir le cours de la politique.