Chapitre 4 : Conflits et mobilisation sociale (d'après http://brises.org/) 1 / 11
CHAPITRE 4 : Conflits et mobilisation sociale
Introduction
On vient de voir à quel point les sociétés démocratiques sont traversées par la tension entre les inégalités et l'idéal égalitaire
(chapitre 3). Inutile de dire que ces tensions se traduisent bien souvent dans la réalité par des conflits. Les conflits vont donc être
notre objet d'étude dans ce chapitre.
Pourquoi s'intéresser aux conflits ? A priori, on a souvent tendance à penser que les conflits ne servent à rien, qu'il vaut mieux les
éviter. Ce n'est pas du tout ce que pensent les sociologues : en effet, si l'on réfléchit à la dynamique sociale, on est bien obligé de
se demander comment elle se fait, et on constate en général que le changement social ne peut se faire qu'à travers des conflits.
Ceux-ci ont donc une vertu essentielle : rendre le changement social possible.En effet, si l'on ne pensait pas que les
changements sont possibles, ce ne serait pas la peine de se battre. Les conflits sociaux, parce qu'ils mettent les individus dans
l'action, contribuent aussi à forger les identités et à développer des solidarités. La première difficulté, pour vous, dans ce chapitre
est donc de devoir envisager les conflits dans un le positif. La deuxième difficulté sera de ne pas oublier que les relations entre
changement social et conflits vont dans les deux sens : certes le changement social entraîne des conflits, mais les conflits
entraînent eux aussi du changement social.
Qu'appelle-t-on conflits sociaux ? Un conflit social met en jeu des acteurs regroupés, il y a donc une dimension collective
dans le conflit social. Ces acteurs doivent avoir entre eux des relations d'interdépendance : s'il n'y a pas ces relations entre eux,
il y a peu de chance qu'il y ait un conflit car il n'y aurait pas d'objet de conflit. Ces relations d'interdépendance sont dans un
rapport de domination, c'est-à -dire que la question du pouvoir est toujours essentielledans un conflit social : les acteurs n'ont
pas tous le même pouvoir et ils essaient d'user de leurs pouvoirs respectifs pour obtenir telle ou telle chose. Enfin, et bien sûr, le
conflit social a toujours un enjeu on peut gagner ou perdre, quelque chose est disputé-, un objet. Cet objet a deux aspects :
un aspect matériel, celui qui est mis en avant, et un aspect plus symbolique (celui qui va gagner ” aura montré le pouvoir dont il
disposait). On le voit, le conflit social se situe entre les tensions, qui peuvent toujours exister entre les individus, et la rupture : il
suppose toujours qu'il y a une discussion possible dans le domaine concerné par le conflit, ce qui n'est pas le cas dans la rupture.
Les formes d'action changent au cours du temps, de la même façon que change la façon dont la société s'organise pour résoudre
les conflits.
Après avoir montré comment, depuis le 19èmesiècle, les conflits sociaux ont été liés pour l'essentiel aux transformations du
travail et de l'emploi, nous nous interrogerons sur les nouvelles formes des conflits sociaux aujourd'hui et nous emploierons le
terme action collective ”. Quelle différence avec l'expression conflits sociaux ? Dans l'action collective, des individus se
regroupent pour agir, mais pas forcément pour entrer en conflit directement avec un autre acteur collectif. Cela peut être pour
promouvoir des idées, pour revendiquer des changements très généraux, etc… Autrement dit, les relations d'interdépendance
hiérarchisées ne sont pas toujours présentes, en tout cas pas explicites. L'action collective intègre donc les conflits sociaux mais
englobe aussi d'autres formes d'action.
1. Mutations du travail et conflits sociaux.
Depuis que les sociétés sont entrées dans la modernité, depuis le 18èmesiècle environ, l'essentiel des conflits sociaux s'est déroulé
sur le terrain du travail et de l'emploi. On peut essayer de comprendre pourquoi : le travail occupe, directement ou indirectement,
l'essentiel de la vie des individus, en temps d'abord (et bien plus au 19èmesiècle qu'aujourd'hui) et aussi parce qu'il est à l'origine
de certaines des inégalités dont nous avons parlé dans le dernier chapitre (revenus en particulier). C'est aussi dans le travail que se
noue une bonne partie des relations sociales qui entourent (et intègrent) l'individu. Pour toutes ces raisons, auxquelles il faut
ajouter la valeur hautement symbolique du travail, les conflits sociaux sont bien souvent nés dans le monde du travail
depuis la naissance du capitalisme.
Nous allons d'abord nous demander comment, concrètement, les conflits sociaux se développent à partir de la question du travail.
Puis, à travers l'étude de la classe ouvrière, nous verrons comment les conflits engendrent des classes sociales, c'est-à -dire
comment le conflit agit sur la structure de la société.
Les conflits sociaux, on l'a dit plus haut, mettent en jeu des acteurs collectifs, des groupes. La mobilisation de ces groupes ne va
pas de soi : comment s'entendre sur les objectifs et les moyens d'action ? Qui organise et dirige le conflit ? Nous nous
interrogerons donc sur les difficultés de l'action collective ”. Enfin, nous aborderons la question des syndicats et nous verrons le
rôle complexe qu'ils jouent dans la gestion des conflits sociaux.
1.1 - Des conflits du travail aux conflits sociaux.
C'est la première question qu'il faut se poser : pourquoi le travail est-il une source de conflit social ? Nous allons pour cela
réutiliser ce que nous avons vu dans les chapitres précédents, tant sur les inégalités que sur la division du travail - la division, c'est
déjà un peu le conflit ! Mais nous verrons qu'il y a un autre facteur de conflit social, c'est ce que l'on appelle la capacité de
mobilisation d'un groupe social, c'est-à-dire la capacité des individus qui le composent à agir en commun, de façon coordonnée et
au profit de buts communs.
1.1.1 - Les inégalités du monde du travail peuvent déboucher sur des conflits.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que les sociétés modernes, et a fortiori les entreprises, sont traversées par des inégalités
nombreuses qui, même si elles tendent à se réduire sur le long terme, restent encore très importantes. Il y a un premier motif de
conflit dans le monde du travail. Analysons-le plus en détail :
Les inégalités suscitent le conflit quand elles ne sont pas acceptées. C'est ce que l'on a vu dans la troisième section du
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chapitre précédent. Les inégalités font partie du fonctionnement de l'économie, mais on a vu qu'il est très difficile de leur
trouver une justification consensuelle. Il n'est donc pas étonnant que les avantages accordés à une personne ou à un groupe
entraînent la jalousie ou les justes récriminations ! de ceux qui en sont privés. Les inégalités sont souvent l'enjeu des
conflits sociaux : on se bat pour accroître la part des salaires dans la valeur ajoutée au détriment des profits, ou pour
améliorer sa rémunération par rapport aux autres métiers de l'entreprise.
Mais les inégalités ne suffisent pas à engendrer un conflit social, parce qu'elles peuvent susciter une compétition entre les
individus plutôt qu'entre les groupes. C'est une analyse somme toute assez classique et assez simple. Si un individu n'est pas
satisfait de sa situation sociale, il peut l'améliorer de deux façons : soit en changeant de position dans la société en obtenant une
promotion individuelle, soit en agissant pour améliorer le sort de tous ceux qui ont la me position sociale que lui c'est-à-dire
de son groupe social. Dans ce dernier cas, il y a effectivement un conflit collectif. Mais dans le premier cas, il n'y a qu'une
compétition entre individus pour parvenir aux meilleures places offertes par l'entreprise ou la société. On ne peut pas parler à ce
moment-là de “ conflit social ”.
La plus ou moins grande mobilité sociale entre les métiers joue aussi sur la capacité de mobilisation. S'il existe une grande
fluidité entre les positions dans l'entreprise, si l'on peut facilement obtenir une promotion individuelle, alors un individu peut
espérer améliorer sa situation personnelle par son seul mérite, sans agir au profit de l'ensemble de son groupe social. Mais si la
mobilité sociale est faible, si les métiers restent fermés les uns aux autres, alors les revendications personnelles passeront d'autant
plus par une revendication collective. C'est en substance ce que l'on a vu au chapitre 2 sur la crise du système fordiste : les OS, de
plus en plus qualifiés, se sont révoltés collectivement contre une organisation du travail qui ne leur laissait entrevoir aucune
possibilité de promotion, qui ne témoignait guère de considération pour leurs mérites professionnels.
Vous voyez donc pourquoi les inégalités ne sont pas à elles seules la cause des conflits sociaux. Ce point-là est important, parce
qu'il permet de dissiper un préjugé un peu simpliste qui associe les gros conflits aux grosses injustices. Or, ce n'est pas toujours
loin s'en faut ! il y a les plus fortes inégalités qu'il y a les conflits les plus durs. Par exemple, il y a plusieurs millions de
mal logés en France mais on ne les voit jamais protester.
1.1.2 - Ces inégalités et ces conflits finissent par constituer les individus en groupes
rivaux.
Nous avons abondamment montré dans le chapitre 2 que les différentes organisations du travail aboutissent toujours à différencier
et hiérarchiser les tâches dans l'entreprise, mais cette division horizontale et verticale du travail est aussi une division des
travailleurs, donc une source de conflits potentiels. Comment passe-t-on de la division au conflit social ? Ce n'est pas si simple
qu'on peut le croire. Le point essentiel est que la division du travail peut renforcer la conscience d'appartenir à un groupe social.
La division du travail entraîne la différenciation des travailleurs et donc l'émergence d'identités professionnelles
distinctes. Construire son identité professionnelle, c'est revendiquer certaines appartenances, se reconnaître une
certaine position dans le groupe et dans sa hiérarchie, se sentir différent d'autres individus (n'appartenant pas au
groupe, en général). L'identité professionnelle, c'est aussi les valeurs partagées au sein du collectif de travail, au sein
d'un métier. Ces valeurs peuvent changer en fonction de ce que l'on fait dans l'entreprise (on peut penser à la solidarité
des mineurs face à la pénibilité et la dangerosité de leur métier), mais aussi en fonction de ce que l'on est (la
féminisation d'un métier peut en changer les valeurs).
Les identités professionnelles deviennent facilement concurrentes dans l'entreprise. On veut dire par que les valeurs des
groupes sociaux s'opposent sur toutes les questions qui concernent l'entreprise, et au-delà la société un peu comme une culture
et une contre-culture. Le premier point d'opposition est bien sûr les inégalités de rémunérations. Chaque groupe a une idée
différente de la valeur des métiers, et donc des inégalités justes ou injustes faut-il par exemple payer plus ceux qui
fabriquent le produit ou ceux qui le commercialisent ? Mais l'opposition s'étend aussi à la façon de gérer l'entreprise : on l'a vu
dans le cas de la fermeture des usines LU dans le nord de la France, la logique entrepreneuriale de l'encadrement (recentrer
l'activité du groupe sur les productions les plus rentables) s'opposait à la logique des salariés (maintenir les sites aussi longtemps
que possible pour sauvegarder les emplois). L'affirmation d'une identité professionnelle fait donc non seulement apparaître
un groupe social, mais elle lui donne aussi un adversaire.
L'organisation matérielle du travail est un autre déterminant de la construction de la conscience du groupe. Si les
individus sont dispersés et travaillent séparément, sans se rencontrer, il leur sera très difficile de se coordonner pour agir. Marx
expliquait ainsi au 19ème siècle que les paysans français étaient trop dispersés géographiquement pour agir, bien qu'ils aient eu
matière à se révolter. Inversement, le regroupement des ouvriers dans les ateliers puis dans les grandes usines, l'on travaille
ensemble, fait la pause ensemble, mange ensemble, où l'on se rencontre en allant au travail et en repartant chez soi, a
incontestablement favorisé l'organisation de la classe ouvrière. Plus près de nous, la connexion des individus sur Internet a facilité
la réussite du mouvement des chercheurs, en permettant la circulation des informations, des mots d'ordre et des pétitions.
Pour qu'il y ait un conflit du travail, il faut donc qu'il y ait un conflit d'intérêt, autour des inégalités dans l'entreprise. Il faut
aussi qu'il y ait des identités collectives fortement affirmées pour que le conflit prenne une dimension sociale, et oppose des
groupes les uns aux autres. Enfin, il faut que ces groupes se mobilisent, c'est-à -dire que les individus qui les composent
acceptent d'agir ensemble avec des objectifs communs. Mais la relation entre conflit et identité professionnelle fonctionne
également dans l'autre sens. Ainsi, un conflit peut déboucher sur l'affirmation renouvelée et vivante d'une solidarité retrouvée,
et donc reconstituer un groupe social. Ainsi, le conflit des infirmières, au milieu des années 90, permit à celles-ci d'affirmer et
d'afficher une solidarité qui ne s'était jamais réellement exprimée jusque-là et de s'éprouver elles-mêmes comme membres d'un
collectif de travail.
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1.1.3 - Les conflits portés par ces groupes finissent par déborder du cadre du travail
proprement dit pour concerner l'ensemble de la société --> conflit social.
Dans les chapitres 2 et 3, vous avez trouvé de quoi percevoir et comprendre la réalité de l’opposition entre les ouvriers d’une part
(qui représentent le travail), les dirigeants d’entreprise, les cadres et les contremaitres d’autre part (qui représentent directement
ou indirectement le capital, et donc les “capitalistes” ou bourgeois, détenteurs des capitaux). Voyons maintenant comment cette
opposition au sein de l’entreprise est devenue une opposition à l’échelle de la société entière.
L’opposition entre ouvriers et bourgeoisie a pris une valeur politique. Au début du 20ème siècle, le clivage entre la
gauche et la droite s’est progressivement confondu avec le clivage entre travailleurs et capitalistes. Au fur et à mesure
que les ouvriers devenaient numériquement plus importants (au détriment notamment des agriculteurs, qui avaient une
toute autre vision du monde), le conflit politique s’est cristallisé sur la question de la propriété, la gauche, représentant
les salariés, voulant “nationaliser” le capital, c’est-à -dire exproprier les capitalistes pour qu’ils ne contrôlent plus les
entreprises, et donc pour résoudre le conflit social par la disparition d’un des adversaires ! Symétriquement, la droite
défendait le droit de propriété comme principe, et donc le pouvoir des actionnaires dans l’entreprise. Moins
radicalement, l’enjeu politique entre la droite et la gauche était aussi l’adoption de lois et de règlements qui limitaient
le pouvoir des employeurs sur les salariés (Semaine de 40h, Congés payés, Droit du travail, protection contre les
licenciements, mais aussi indemnisation du chômage).
L’opposition entre ouvriers et bourgeoisie a pris une valeur culturelle. Chaque groupe a affirmé ses valeurs, et son mode de vie.
La “culture ouvrière” était nourrie de la fierté du métier : essentiellement masculin, le travail ouvrier supposait souvent la force
physique, des connaissances et astuces, essentiellement pratiques, qui se transmettaient au sein de l’atelier. La “culture
bourgeoise” était ce qu’on appellerait aujourd’hui la culture savante, celle qu’on transmet à l’école et à l’université (littérature,
musique classique, sciences, beaux-arts, …). Les loisirs des deux groupes n’étaient pas non plus les mêmes, d’ailleurs l’obtention
d’un droit aux congés payés en 1936 avait une valeur conflictuelle symbolique : jusque-les vacances étaient l’apanage de la
bourgeoisie.
L’opposition entre ouvriers et bourgeois a engendré une véritable ségrégation sociale. Elle était visible dans la structure des villes,
les "quartiers ouvriers” généralement les banlieues la périphérie des villes s’opposaient aux “beaux quartiers” le
centre-ville. Mais on la retrouvait aussi à l’école, puisque les enfants des classes populaires et supérieures ne fréquentaient pas les
mêmes cursus scolaires. Il a fallu attendre 1975 et la création du collège unique pour que tous les écoliers suivent la même
scolarité obligatoire.
On voit donc que le conflit social, initialement circonscrit à l’entreprise, s’est étendu à toute la société, ce qui justifie que l’on
parle de classes sociales plutôt que de groupes sociaux, puisque les groupes ne rassemblent plus seulement, par exemple, les
ouvriers d’une entreprise, mais tous les ouvriers de la société. De même, le conflit social mérite l’appellation de “lutte des
classes” parce qu’il prend une valeur générale.
1.1.4 - L'analyse du conflit social peut alors être menée en termes de lutte des classes.
Karl Marx philosophe allemand du 19ème siècle (mais aussi économiste, historien, sociologue) a été un des premiers à
s'intéresser aux conflits sociaux et à les analyser non pas comme le signe d'un dérèglement social, mais comme la conséquence
normale du fonctionnement des sociétés. Il a aussi lié les conflits sociaux à l'organisation sociale du travail, ce qu'il appelle les
rapports de production ”. Il est donc logique de l'évoquer à ce moment du cours. Dans la société contemporaine, le conflit social
- la lutte des classes dans la terminologie marxiste - oppose les salariés et les capitalistes, propriétaires des entreprises. Le
conflit d'intérêt repose sur une injustice faite aux salariés par les capitalistes l'exploitation et dégénère en conflit social
quand les groupes s'érigent en classes sociales.
L'analyse de l'exploitation capitaliste. Les capitalistes sont ceux qui possèdent les moyens de production (machines,
bâtiments, terrains), tandis que les salariés, que Marx appelle les prolétaires ”, ne disposent que de leur force de
travail. Or, dans la société industrielle, il n'est guère possible de produire avec son seul travail. Pour vivre, les salariés
sont donc obligés de louer leur travail aux capitalistes, qui s'accaparent la valeur de la production en échange du
versement d'un salaire. C'est le régime du salariat. Marx pense que cette domination des salariés par les capitalistes
permet à ces derniers d'exploiter les salariés, c'est-à-dire de leur verser un salaire inférieur à la valeur de la
production et de garder la différence, le profit. Comment est-ce possible ? Les salariés ne sont pas en mesure de
réclamer la totalité de la valeur ajoutée produite parce qu'ils ne sont pas organisés, et que l'employeur peut jouer de la
concurrence entre eux. De plus, un volant perpétuel de chômage, caractéristique des sociétés industrielles (Marx
l'appelle “ l'armée de réserve ” capitaliste), attise la concurrence entre les salariés : les exclus de l'emploi sont toujours
prêts à accepter un salaire plus faible pour retrouver un travail et échapper à la misère. L'existence du profit est donc
pour Marx la conséquence d'un rapport de force, et donc une injustice parce qu'il estime que seul le travail est source
de valeur une autre façon de dire que la productivité du capital est nulle, aspect très critiquable et très critiqué de la
théorie marxiste.
La constitution des groupes en classes sociales. Il ne suffit pas d'un conflit d'intérêt pour que l'on puisse parler de conflit social, il
faut encore que les individus partageant une même situation dans les rapports de production, ici les salariés, aient conscience de
leur similitude et s'unissent pour revendiquer contre un ennemi commun. Ils constituent alors ce que Marx appelle une classe
sociale ”. Cette opération n'est pas spontanée, et les conditions de travail déterminent souvent la capacité des individus à s'unir.
Ainsi, Marx note que les petits paysans français du 19ème siècle, quoiqu'ayant objectivement des intérêts communs, ne
constituaient pas une classe sociale parce que leur dispersion géographique et la concurrence entre eux sur les marchés ou dans
l'appropriation de la terre les empêchaient de s'unir. De même, les ouvriers dans le système artisanal médiéval, qui étaient logés
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chez leur patron, étaient plus proches de celui-ci que des autres et n'avaient donc pas de conscience de classe. Mais le
développement des grandes usines au 19èmesiècle, rassemblant de nombreux ouvriers soumis à un contrôle hiérarchique très
strict, leur a fait prendre conscience de leur identité professionnelle, et l'habitude de s'opposer aux employeurs leur a révélé qu'il
constituaient une classe sociale. Il leur restait alors à s'organiser en syndicats, en partis politiques, pour structurer leurs actions
revendicatives et défendre leurs intérêts. De leur côté, les capitalistes procédaient de me, en se structurant en organisations
patronales.
L'analyse marxiste théorise donc les conflits du travail comme source principale de conflictualité dans la société. Mieux, les
conflits du travail structurent la société en groupes adverses, organisent l'identité professionnelle comme la vie politique. Cette
vision de la société peut paraître pessimiste, mais Marx souligne qu'il en est de même à toutes les époques : dans l'antiquité, les
maîtres dominaient les esclaves, et au moyen âge les seigneurs féodaux dominaient les paysans. Il en va de même chaque fois que
la production est organisée de telle sorte qu'un groupe exerce un pouvoir sur un autre.
1.2 - A travers un exemple, la classe ouvrière, comment les mutations du
travail transforment-elles les conflits sociaux ?
Maintenant que nous avons vu comment l'organisation du travail pouvait engendrer des conflits sociaux, il faut comprendre
comment l'existence de conflits sociaux aboutit à son tour à la constitution de classes sociales ”, c'est-à -dire d'une structuration
sociale autour du conflit. Nous prendrons pour cela l'exemple de la classe ouvrière, parce que l'opposition entre les ouvriers et les
patrons ” a longtemps été l'archétype de la transformation du conflit social en lutte des classes ”. Ce qui nous intéresse ici c'est
de savoir comment l'opposition entre ouvriers et patrons à l'intérieur de l'entreprise, sort de celle-ci pour devenir une
opposition valable dans toute la société. Mais cet exemple est aussi intéressant parce que le travail des ouvriers s'est tellement
transformé ces 30 dernières années, que cela amène certains à penser que les ouvriers ne constituent plus un groupe social en
conflit comme autrefois, et donc que l'on assiste à la “ fin de la classe ouvrière ”. Nous discuterons le bien fondé de cette analyse.
1.2.1 - Les mutations du travail ont duit le poids des ouvriers, brouillé leur identité
professionnelle et diminué leur capacité de mobilisation.
Les transformations du travail et les mutations de la classe ouvrière remettent-elles en cause la division de la société française en
classes sociales antagonistes ? C'est ce que pensent certains sociologues, et nous allons présenter leurs principaux arguments.
La diminution de la part des ouvriers dans la population active. Le recensement de mars 1999 en France met en
évidence la poursuite du mouvement amorcé dès le milieu des années 1970 : les ouvriers étaient encore plus de 7
millions en 1982, ils étaient 6.5 millions environ en 1990 et 5.9 millions seulement en 1999. Cela représente une
diminution de plus de 15% des effectifs ouvriers entre 1982 et 1999, alors que, dans le même temps, la population
active occupée augmentait. Résultat : la part de la P.C.S. ouvriers dans la population active occupée a encore plus
nettement diminué que ses effectifs : elle est passée de 32.8% de la population active occupée en 1982 à 25.6% en
1999 (Insee, recensements de la population), soit une diminution de 22% environ. Aujourd'hui, la part des ouvriers
dans la population active est inférieure à celle des employés.
La transformation de la nature du travail des ouvriers : la première grande transformation est que les ouvriers travaillent de plus
en plus souvent dans les services, comme les chauffeurs routiers, par exemple. Ainsi, 2001, il y a plus d'ouvriers travaillant dans
le tertiaire que d'ouvriers travaillant dans le secondaireen France. Ces ouvriers sont en particulier des ouvriers d'entretien et de
maintenance. La classe ouvrière est désormais disséminée dans les rouages de la société de services et non plus soudée au cœur
du système industriel ” (E. Maurin, Sciences humaines,mars 2003). Même dans le secteur secondaire, les ouvriers font
beaucoup moins souvent qu'avant des tâches de production au sens strict car celles-ci sont de plus en plus automatisées. On a
donc un développement des tâches de tri, d'emballage et de manutention en général d'un côté, et un développement des tâches de
surveillance, contrôle et réglage des machines automatisées d'un autre côté. La deuxième transformation touche la qualification
des ouvriers : la qualification personnelle des ouvriers s'est plutôt élevée (il y a davantage de diplômes professionnels) mais ils
exercent souvent un emploi dont la qualification est inférieure à celle qu'ils possèdent (31% des salariés embauchés pour un
emploi ne nécessitant pas officiellement de qualification sont titulaires d'un CAP ou d'un BEP). Le nombre des emplois d'ouvriers
non qualifiés avait beaucoup diminué entre 1982 et 1994 mais il a réaugmenté entre 1994 et 2001. Au total, la part des emplois
d'ouvriers qualifiés dans l'ensemble des emplois ouvriers progresse cependant.
Taille des entreprises et du collectif de travail : parce que la nature du travail a changé, la taille des entreprises dans lesquelles
travaillent les ouvriers a beaucoup diminué. Cela s'explique d'une part par l'automatisation des tâches de production proprement
dites : certaines usines sont aujourd'hui quasi désertes ”, d'autre part par le fait que les ouvriers travaillent de plus en plus
souvent dans des entreprises du tertiaire qui sont traditionnellement, en moyenne, de taille inférieure à celle des entreprises
industrielles. Le cadre de travail des ouvriers a donc été bouleversé : les grands rassemblements ouvriers à l'ouverture des grilles
de l'usine ne font bien souvent plus partie de l'expérience vécue par les ouvriers. Mais le fait que la taille de l'entreprise diminue
ne signifie pas que les ouvriers seront plus proches du patron : en règle générale, ces petites entreprises appartiennent à de grands
groupes industriels et financiers et le pouvoir est en général bien loin du lieu de production.
Les transformations récentes du travail et de l'emploi (précarisation du travail, suppression de certains emplois non qualifiés, par
exemple d'ouvriers, individualisation de la carrière des salariés, etc.) agissent aussi sur l'identité professionnelle : les frontières de
l'emploi sont plus floues, les métiers se transforment, les horaires sont à la carte ”, l'individu semble triompher et les collectifs
de travail semblent moins englobants, moins contraignants pour les individus, mais aussi moins protecteurs. L'identité
professionnelle semble donc moins imposée à l'individuqui doit bien davantage trouver ses repères seul pour la construire.
Dans ces conditions, on voit bien que la mobilisation en vue d'un sera sans doute plus difficile à obtenir.
La culture ouvrière recule avec la transformation du travail ouvrier. La précarisation du travail et l'expérience du chômage (qui
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touche proportionnellement plus les ouvriers que les autres P.C.S.) dévalorisent le travail ouvrier, tandis que le changement de la
nature du travail ouvrier (moins directement en contact avec la matière et la production) attaquent directement sa spécificité. De
me, les conditions de vie des ouvriers se sont transformées, semblant rejoindre celles d'une vaste classe moyenne : d'une
part, les revenus, et donc la consommation, se sont élevés rapidement durant les années 1960 et 1970, permettant aux ouvriers
d'accéder aux biens de consommation durables comme la télévision, la machine à laver ou l'automobile ; d'autre part, les modes
de vie des ménages ouvriers se sont également transformés par le développement du travail des femmes d'ouvriers, l'allongement
de la durée de scolarisation des enfants d'ouvriers et le développement de l'accession à la propriété grâce au crédit. Au final, les
conditions de vie semblent s'égaliser avec celles d'autres groupes sociaux et les éléments qui contribuent à forger et à transmettre
la culture ouvrière semblent peu à peu disparaître.
1.2.2 - CEPENDANT, SI L'INFLUENCE POLITIQUE ET SOCIALE DES OUVRIERS EST MOINS NETTE, LES
RAISONS DU CONFLIT AVEC LES CLASSES SUPERIEURES RESTENT FORTES.
Il faut nuancer le diagnostic d'une disparition de la classe ouvrière, parce qu'il ne s'agit pas d'une disparition des ouvriers, mais de
la perte de leur statut de classe sociale, c'est-à-dire de la capacité à transposer leur conflit à l'échelle de la société tout entière. De
plus, les sources du conflit social, les inégalités, la faible mobilité sociale, perdurent toujours et même parfois s'aggravent.
Le poids numérique des ouvriers dans la population française reste important malgré leur relatif déclin. Le groupe
social des ouvriers disparaîtrait, faute de combattants en quelque sorte ? Ce n'est pas si évident que cela. En effet,
aujourd'hui, près d'un tiers des pères de famille sont ouvriers et 40% des enfants sont élevés dans un ménage où un des
deux adultes au moins est ouvrier. Ce sont des proportions élevées qui montrent que la transmission de la culture
ouvrière reste toujours possible, au moins en partie. D'autre part, il semble bien que la diminution des effectifs
ouvriers soit stoppée depuis quelques années.
La faible mobilité sociale enferme encore la classe ouvrière sur elle-même et la coupe des classes supérieures. Louis Chauvel a
montré à quel point depuis 20 ans, la mobilité sociale nette est faible : les chances de monter dans la hiérarchie sociale, si l'on
enlève les effets des transformations de l'emploi, sont très faibles, et cela malgré la scolarisation allongée des enfants, ceux des
ouvriers en particulier. Aujourd'hui, on observe de plus en plus fréquemment des enfants qui ont fait des études bien plus longues
que celles de leurs parents et qui, pourtant, intègrent le marché du travail, d'une part bien plus difficilement, d'autre part à un
niveau équivalent, voire moins élevé. Résultat de cette faible mobilité ascendante : l'écart social entre les groupes sociaux a
recommencé à s'accroître. Et ce d'autant plus que, on l'a vu dans le chapitre précédent, l'accès à l'enseignement supérieur est
encore très inégal selon l'origine sociale, au détriment des enfants d'ouvriers.
Enfin, les inégalités, y compris matérielles, demeurent importantes. On en a déjà parlé dans le chapitre précédent mais on peut en
reparler ici sous l'angle des classes sociales. Certes les ouvriers ont accédé dans leur majorité à la consommation de masse, mais
la distinction se porte sur de nouveaux biens et surtout sur les services : les taux de départ en vacances restent très inégaux (et il
ne s'agit pas des mes vacances quand il y a départ), l'accès à Internet reste socialement très inégalement réparti, les cadres ont
largement développé leurs consommation de services à domicile (femmes de ménage, garde d'enfants, …), l'habitat reste
spatialement très différencié, etc.
Conclusion : les ouvriers constituent plus certainement un groupe social qu'une classe sociale au sens marxiste du terme.
1.3 - Le rôle des syndicats dans les conflits sociaux.
Vous avez l'habitude d'associer les syndicats aux conflits sociaux, et même de les considérer, sinon comme la cause, du moins
comme des acteurs essentiels des conflits. Ils sont effectivement souvent à l'origine des grèves, des manifestations, et, par les
revendications qu'ils expriment, ils peuvent entretenir la tension sociale. Mais cette vision des choses ne recouvre qu'une partie de
la réalité, car les syndicats jouent en fait un rôle bien plus complexe, et, paradoxalement, permettent aussi de réduire la
conflictualité dans les entreprises. Cela amène à s'interroger sur les conséquences de la désyndicalisation que l'on constate dans
les sociétés modernes : cela va-t-il accroître ou diminuer la conflictualité dans la société ?
1.3.1 - SI LES SYNDICATS ONT FAVORISE L'EMERGENCE DE CONFLITS SOCIAUX PAR LEUR CAPACITE
D'ORGANISATION, ILS ONT EGALEMENT PERMIS DE LES REGLER PLUS FACILEMENT PAR
L'INSTITUTIONNALISATION (DES CONFLITS ET DES ORGANISATIONS).
Voyons concrètement comment le développement des syndicats peut permettre le développement des conflits sociaux dans les
entreprises, et plus généralement au niveau de la société tout entière.
Les syndicats rassemblent les moyens matériels et humains de l'action collective. L'action collective coûte cher, et les
syndicats sont d'abord un moyen de la financer. Ils collectent des cotisations, reçoivent parfois des dons ou des
subventions publiques, qui permettent de faire face aux dépenses nécessaires à la mobilisation des salariés (presse
syndicale, tracts, locaux et moyens de communication, transports des militants, caisse de solidarité pour compenser les
pertes de salaires en cas de grève…). Mais ces moyens permettent surtout de payer des permanents, c'est-à -dire des
personnes qui travaillent à temps plein pour le syndicat, assurent des permanences pour informer ou aider les salariés,
gèrent les aspects matériels de la vie syndicale, négocient avec les employeurs. Les permanents et plus généralement
les militants syndicaux assurent la coordination et donc l'efficacité de la revendication. En effet, si on veut par
exemple lancer grève pour faire pression sur l'employeur, il vaut mieux que tout le monde cesse le travail en même
temps pour que la démonstration de force soit plus convaincante : c'est le rôle des syndicalistes de coordonner les
actions individuelles de revendication. Et si on veut que la grève soit un succès, il faut aussi informer les salariés à
l'avance et essayer de les convaincre de participer, et encore, les syndicats fournissent un travail essentiel pour le
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