de doute et d'altercation ; matière d'opinion, non matière de foi ; ce que je discours selon
moi, non ce que je crois selon Dieu, comme les enfants proposent leurs essais ; instruisables,
non instruisants ; d'une manière laïque, non cléricale, mais très religieuse toujours (I,56 Des
prières)
L'Autre doit rester en place tierce (comme la vérité dans le dialogue, ou le roi dans les
tumultes politiques). Son inaccessibilité le préserve de récupération, de perversion : cf Tu
nous a faits à ton image, mais nous te l'avons bien rendu (Voltaire). Hors champ de Dieu
comme le seul moyen de garantir solidement l'éthique et la paix entre humains.
Extraits significatifs des Essais
Essais
Si mon âme pouvait prendre pied, je ne m'essaierais pas, je me résoudrais ; elle est toujours en
apprentissage et en épreuve. (III,2 Du repentir)
C'est un inventaire de divers et muables accidents, et d'imaginations irrésolues, et, quand il y
échoie, contraires ; soit que je sois autre moi-même, soit que je saisisse les sujets par autres
circonstances et considérations. Tant y a que je me contredis bien à l'aventure, mais la vérité,
je ne la contredis point (II,6 De l'exercitation).
Singulier/universel
On attache aussi bien toute la philosophie morale à une vie populaire et privée qu'à une vie de
plus riche étoffe ; chaque homme porte la forme de l'humaine condition. Les auteurs se
communiquent au peuple par quelque marque particulière et étrangère ; moi, le premier, par
mon être universel, comme Michel de Montaigne, non comme grammairien, ou poète, ou
jurisconsulte (III, 2).
Un jugement roide et hautain et qui juge sainement et sûrement, il use à toutes mains des
propres exemples ainsi que des choses étrangères, et témoigne franchement de lui comme de
chose tierce. Il faut passer par dessus ces règles populaires de la civilité, en faveur de la vérité
et de la liberté. J'ose non seulement parler de moi, mais parler seulement de moi ; je me
fourvoie quand j'écris d'autre chose et me dérobe à mon sujet. Je ne m'aime pas si
indiscrètement et ne suis si attaché et mêlé à moi que je ne me puisse distinguer et considérer
à quartier, comme un voisin, comme un arbre (III, 8 De l'art de conférer)
Soi/autrui
Il faut se réserver une arrière-boutique toute nôtre, toute franche, en laquelle nous établissons
notre vraie liberté et principale retraite et solitude (I, 39 De la solitude).Qui ne vit aucunement
à autrui ne vit guère à soi (III, 10 De ménager sa volonté). On dit bien vrai qu'un honnête
homme c'est un homme mêlé (III, 9 De la vanité). Pour m'être, dès mon enfance, dressé à
mirer ma vie dans celle d'autrui, j'ai acquis une complexion studieuse en cela (…) J'étudie tout
: ce qu'il me faut fuir, ce qu'il me faut suivre (III, 13 De l'expérience).
Tancer, rire, vendre, payer, aimer, haïr et converser avec les siens et avec soi-même
doucement et justement, ne se relâcher point, ne se démentir point, c'est chose plus rare, plus
difficile, moins remarquable. (III, 2 Du repentir)
Politique
Celui qui va en la presse, il faut qu'il gauchisse, qu'il serre les coudes, qu'il recule ou qu'il
avance, voire qu'il quitte le droit chemin, selon ce qu'il rencontre ; qu'il vive non tant selon soi
que selon autrui, non selon ce qu'il se propose, mais selon ce qu'on lui propose, selon le
temps, selon les hommes, selon les affaires (III, 9 De la vanité).
En toute police, il y a des offices nécessaires, non seulement abjects, mais encore vicieux ; les
vices y trouvent leur rang et s'emploient à la couture de notre liaison, comme les venins à la
conservation de notre santé. S'ils deviennent excusables, d'autant qu'ils nous font besoin et
que la nécessité commune efface leur vraie qualité, il faut laisser jouer cette partie aux
citoyens plus vigoureux et moins craintifs qui sacrifient leur honneur et leur conscience,