Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire Pôle Socio-économie de la Solidarité Cahier de propositions pour le XXIe siècle Finances Solidaires Novembre 2001 Coordonné par Renée Chao Beroff et Antonin Prébois Site: http://finsol.socioeco.org/ 1 Synthèse Les institutions de microfinance au Nord par leurs interventions génèrent un lien entre épargnants (ayant les moyens financiers) et emprunteurs (n’ayant pas de moyens financiers) en donnant un caractère éthique à leur épargne. Le lien social se crée entre les populations ayant les capacités de financement (plus aisées) et celles qui sont exclues des circuits traditionnels (plus pauvres). Au sud, les programmes de microfinance interviennent auprès des personnes ‘pauvres’ ou exclues du secteur bancaire classique uniquement. Pour celles-ci, les liens sociaux constituent un enjeu majeur de leur intégration et de leur insertion durable dans la société et dans l’économie. A un moment où l’euphorie de la microfinance s’estompe et que le secteur se trouve devant une croisée des chemins, il devient donc indispensable de s’interroger, au Nord comme au Sud, dans une perspective solidaire qui prend en compte les liens sociaux et le capital social. I) Constats : a) Les expériences de finance solidaire populaire s’appuient sur les liens sociaux et ont un impact social positif. De nombreux exemples de finance solidaire populaire, celles mises en place et pratiquées par les gens, sur leurs propres initiatives, selon leurs propres valeurs et formes d’organisation, montrent que les liens sociaux permettent d’intégrer les plus vulnérables ou les personnes temporairement fragilisées dans l’économie. Elle leur donnent des opportunités d’apprentissage en conduite d’affaire comme en comportement en société, leur permet de participer à la définition de règles dans un cadre qui les concerne. En les respectant et en étant à leur tour solidaire avec les membres du groupe, ces personnes sont ou redeviennent acteurs. Ces liens, développés dans un cadre de confiance et d’empathie, rendent “ bancables ” financièrement et culturellement des personnes totalement “ non bancables ” précédemment. b) Les Institutions de microfinance (IMF) pour beaucoup copient mais ne pratiquent pas la finance solidaire Les Institutions de Micro Finance empruntent souvent à des organisations de finance solidaire populaires quelques caractéristiques, telles que la formation de groupes, les réunions et cotisations régulières, la mise en place de fonds de secours pour l’entraide et les imposent aux populations auprès desquelles elles interviennent, en leur donnant une fonction de garantie des remboursements de crédit et en faisant un véhicule au travers duquel passent les services financiers permettant de réaliser une économie d’échelle. Ce qui constituait la base du capital social et renforçait les liens sociaux est instrumentalisé pour devenir une “technologie” de délivrance des crédits. Certaines Institutions de Micro Finance ignorent les solidarités qui préexistent autour de leurs clients et ne les prennent pas en compte dans leur conception de l’organisation du système, ni des produits et des services financiers offerts. Celles là considèrent que le crédit seul suffit à améliorer les conditions des individus. D’autres, à leur début, avaient le souci de bien comprendre l’environnement social dans lequel évoluaient leurs clients, de préserver les liens sociaux positifs qui renforçaient leur capital social et de construire leur système financier en lui assignant pour mission l’intermédiation sociale. Cependant, avec les pressions externes fortes de la part du courant dominant, de la profession et des bailleurs de fonds, elles ont dû abandonner cette option en cours de route, notamment au moment crucial de l’institutionnalisation. 2 c) Certaines institutions de Micro Finance peuvent avoir un impact social limité voire négatif Les groupes de caution solidaire que mettent en place certains Institutions de Micro Finance (IMF), sont loin d’être le lieu où se tissent des liens sociaux. Des études d’impacts montrent que la plupart des Institutions de Micro Finance ne parviennent pas à toucher leurs publics cibles et qu’il y a peu de changements dans la situations des clients, même après plusieurs années. Parfois, on constate même des régressions: des conflits dans des familles liées aux crédits, des ruptures de liens sociaux au sein d’une communauté, des décapitalisations pour rembourser les crédits des IMF, voire le recours à nouveau à des usuriers pour rembourser les crédits des IMF, une situation plus vulnérable qu’auparavant. d) Qu’est-ce qui empêche les IMF de prendre en compte les liens sociaux ? Les raisons de la non prise en considération des liens sociaux par les IMF sont à la fois d’ordre politique, institutionnel et culturel. Les IMF sont intégrées au système libéral dominant dans lequel l’économique prédomine sur le social. Les bailleurs, en s’inscrivant dans cette même logique, imposent le plus souvent un objectif de rentabilité à court terme qui à pour conséquence une focalisation des IMF sur les objectifs financiers au détriment des objectifs sociaux. L’ignorance des liens sociaux existants est certainement également due à une indifférence pour des données qui ne semblent pas utiles de prime abord. Elle est aussi redevable à la complexité des situations sociales qui les rend difficilement appréhensibles. Les IMF n’en tiennent donc pas compte dans leurs réflexions stratégiques et dans leur modalité de fonctionnement. D’autre part, l’évolution institutionnelle des IMF joue également en défaveur de la prise en compte des liens sociaux. L’augmentation en volume de l’activité de crédit, la couverture géographique de plus en plus large, la centralisation des systèmes de financement à grande échelle rend difficile le contact direct avec les clients qui est indispensable à la prise en compte des liens sociaux. e) Nécessité de distinguer deux types de micro finance Il est nécessaire et urgent est de distinguer différentes formes de microfinance en fonction des types de pratiques des IMF. On peut différencier deux grandes catégories d’instituions : 1) La microfinance qui considère son rôle comme celui d’un prestataire de services financiers, voire de pourvoyeur de crédits. Ces institutions ont démarré en général sur un créneau délaissé par les banques et établissements de crédits, celui des clients “ non bancables ”. Les “ banquiers ” ont progressivement trusté ce marché du microcrédit, en y infiltrant leur personnel, leurs experts, leurs standards de performance et de reporting et ont créé des barrières à l’entrée, tant psychologiques que financières, pour repousser à la marge d’autres acteurs. Nombre de bailleurs de fonds ont finalement adhéré à cette vision technocratique et bancaire du secteur, séduits par le discours professionnel et rassurant. Les bailleurs sont aussi hostiles aux risques ! C’est cette forme de microfinance qui prône l’institutionnalisation en banques commerciales pour accéder au marché monétaire, une rentabilité élevée pour attirer des investisseurs privés. On peut la qualifier de “ microfinance pré-bancaire ”. 2) La microfinance qui considère que la finance est un outil efficace, mais au service du développement humain et sociétal. Pour ces micro financeurs, la manière d’apporter les services peut faire toute la différence. Parce qu’elle met les hommes et leurs liens sociaux au centre de sa mission, cette forme de finance agira toujours en fonction des contextes et des milieux, qu’elle cherchera à connaître, pour mieux les servir et les valoriser. La consécration pour cette finance est l’impact sur le capital social et l’autonomie de ses clients, qui à leur tour aura un impact sur la pérennité de ce type d’institution. On peut la qualifier de “ Finance Solidaire ”. Tout comme la banque est un métier, la finance solidaire est un autre métier, un nouveau métier à faire reconnaître et à promouvoir. 3 Aujourd’hui, après deux décennies d’une microfinance pionnière et triomphante, le secteur se trouve confronté pour la première fois à une crise en profondeur, qui se traduit par des départs massifs de clients, par des groupes ou clients inactifs, par une chute des volumes de transactions et surtout par des impayés qui commencent à devenir alarmants. Y a t-il un lien entre cette “marche forcée” vers la rentabilité et l’abandon des liens sociaux d’une part et ces blocages et dysfonctionnements d’autre part? La microfinance souffre t-elle de ne pas avoir su créer et consolider du capital social au sein de sa clientèle, de ne pas avoir su tisser des liens sociaux entre les clients et entre les clients et l’institution? Une réflexion sur les concepts s’impose. Que sous-tendent les termes de “capital social”, de “liens sociaux”? Y a t-il différents types de microfinance? Comment les différentie t-on? Quelle est la définition d’une“finance solidaire”? Quels sont les indicateurs pour évaluer la finance solidaire? Quelles sont les mesures à mettre en œuvre pour soutenir la finance solidaire? 4 II) Visions & paradigmes a) Définition du capital social et des liens sociaux Le capital social peut être défini comme la capacité des personnes à coopérer et à agir ensemble en utilisant ou en créant les liens sociaux nécessaires pouraller vers des buts solidaires et durables communs. Le capital social ne se réfère donc pas seulement à une somme de capacités individuelles mais à un capital collectif qui appartient au groupe et lui permet d’assurer sa cohésion, sa pérennité et son action. Le capital social est la résultante de l’interaction entre les valeurs partagées des individus et les institutions et structures dont ils se sont dotés pour se rapprocher de ces valeurs. Les valeurs sont sous-jacentes aux désirs, motivations et intérêts de chacun mais communes à tous. La capacité des personnes à agir ensemble dépend de la capacité qu’ils auront à réaliser leurs valeurs à travers les actions collectives. On peut lister ces valeurs et les définir. Valeur Pouvoir Ouverture Bien-être Compétences Respect Affection Droiture Richesse Définition Capacité d’influencer les décisions Accès à l’information Satisfaction des besoins primaires Capacités Sentiment d’appartenance Exigence morale Matérielle, intellectuelle, culturelle et spirituelle Les liens sociaux sont les relations et les interactions qui existent entre les individus et les groupes. Ils sont soit donnés (liens horizontaux, non volontaires, innés) : la parenté, la religion, le voisinage ; ou créés (liens verticaux, choisis) par les individus et les groupes en fonction de leurs intérêts et buts. Les liens sociaux sont un des composants du capital social. La qualité des liens sociaux traduit l’état du capital social. Les indicateurs permettant de mesurer l’état du capital social peuvent être: la participation des clients des IMF aux décisions, à l’allocation des ressources, leurs capacités à analyser leurs situations et à formuler un projet, l’état de leur santé, sécurité, éducation, logement, leurs capacités à s’organiser, à gérer, à établir des relations avec l’environnement administratif et politique, à négocier avec l’encadrement technique, à s’approprier le système financier mis en place, à discerner les bonnes mesures et décisions des mauvaises, à s’ouvrir sur des horizons temporels plus lointains, à intégrer les outils dans une dynamique territoriale ... b) Définition de la finance solidaire La finance solidaire se définit à un certain nombre de niveaux comme la mission, la vision, l’identité, les compétences, le comportement et l’environnement. La finance solidaire a pour mission d’utiliser l’outil financier pour un développement équitable et durable. Elle a pour vision à long terme d’augmenter le capital social. Ses acteurs sont multiples, ayant chacun des techniques et des comportements différents, agissent selon desmodes différents, mais ensemble font émerger une identitéspécifique de la finance solidaire. Ses compétences consistent à penser globalement, à pouvoir fédérer des individus et des acteurs autour de l’activité financière, à connaître les besoins des entrepreneurs individuels et des communautés quelques soient leurs conditions économiques et sociales. Le métier du financier solidaire consiste à financer des activités et des personnes, dans un cadre d’intérêt général, en veillant au respect du capital social. La finance solidaire œuvre dans un environnementde pauvreté, d’exclusion ou de difficulté d’accès aux services financiers. 5 La finance solidaire cherche à apporter une réponse aux trois crises majeures de la société: la crise de l’homme avec lui même, celle des hommes entre eux et celle de l’homme avec son environnement. Face à ces crises, la Finance Solidaire, en renforçant le capital social, c’est-à-dire en rapprochant l’homme et la société de leurs valeurs, contribue à créer les conditions d’un développement durable. 6 III) Initiatives et innovations Les innovations soulignées par le chantier finance solidaire portent sur les méthodes (avec le refus du postulat de leur neutralité) et sur le nécessaire effort de prise en considération des avantages, au même titre que des coûts, qu’induisent la prise en compte des liens sociaux pour les IMF. a) les méthodes d’intervention ne sont pas neutres socialement Les méthodes utilisées jouent un rôle, soit dans le renforcement des liens sociaux, soit dans leur fragilisation ou rupture. Il semblerait que les méthodes qui prennent en compte la solidarité et les liens sociaux existants entre les gens, qui cherchent à les valoriser dans l’organisation à mettre en place ou à les intégrer dans leur dispositif en les renforçant dans leurs identités propres, ont plus de chance de recueillir la confiance des populations et d’établir avec elles un environnement convivial et de sécurité réciproque. Celles qui partent des contraintes, des besoins et des stratégies des clients pour définir leurs produits et leurs services, ont plus de chance d’avoir un impact positif sur les conditions de vie de ses clients. Et pour préserver cette efficacité, l’existence de mécanismes permanents d’écoute et de vérification de leur satisfaction est essentielle. En plus d’être proches des clients, il est nécessaire d’avoir une méthode de gestion rigoureuse, efficiente et transparente : les engagements financiers doivent pouvoir être tenus, tant en terme de facilité de retraits des dépôts, que l’accès à temps et en montant suffisant aux crédits. Des défaillances de ce côté entraînent inévitablement méfiance, conflits et ruptures, tant au niveau des clients entre eux (entre les clients, entre les clients et leurs leaders) qu’au niveau des clients et de l’institution. Une bonne gestion financière agit aussi fortement dans le maintien et le renforcement de liens sociaux. Dans ce sens, les méthodes qui privilégient la formation et l’information du plus grand nombre, renforcent la confiance et créent du capital social. Les produits ont de la même façon une influence sur les liens sociaux. Les produits définis avec les clients et partant de leurs demandes, de leurs contraintes et de leurs stratégies seront adaptés à leurs besoins et renforceront leurs capacités. Cependant, certains produits apparaissent selon les témoignages et les analyses comme plus précisément favorables : 1. 2. 3. 4. L’épargne volontaire, souple, accessible et sécurisée est un produit plébiscité pour son impact fort sur la création de liens sociaux. Pour le crédit, la possibilité de fixer le montant, la durée, les échéances de remboursement librement est aussi un facteur important de cohésion. Différents produits d’assurance, comme l’assurance décès, mais aussi l’assurance maladie sont considérés par les clients comme de nature à renforcer les liens sociaux, car nefaisant pas peser sur les proches des choses qu’ils ne pourraient peut-être pas prendre en charge. Dans le même ordre d’idée, le fonds commun de garantie auquel les emprunteurs peuvent souscrire à moindre frais et qui permet de ne pas faire peser le poids des impayés temporaires sur les avalistes peut aussi être favorable aux liens sociaux. Par contre, il y a des produits que l’on sait aujourd’hui être très sensibles et sujets à casser des liens sociaux : 1. L’épargne régulière obligatoire ou prélevée à la source. 2. Le crédit à montant progressif (mécanique) et à remboursement hebdomadaire. 3. Le Fonds de Groupe dont les règles d’utilisation n’ont pas été fixées par les membres dès le début. 7 b) Les liens sociaux et le capital social peuvent renforcer l’efficacité, la rentabilité et la pérennité des IMF Efficacité L’efficacité d’une IMF de finance solidaire peut être définie comme sa capacité à fournir des services et produits adaptés ayant un impact positif sur ses bénéficiaires . L’expérience montre que le plus souvent les programmes de microfinance efficaces cherchent, avec des méthodes différentes, à renforcer les liens sociaux. L’efficacité de ces programmes est due à la proximité avec les clients, la qualité des services qu’ils proposent, la possibilité d’évaluer l’adéquation des services proposés et les besoins des clients… Il y a donc une corrélation directe entre efficacité et prise en compte des liens sociaux. La finance solidaire n’est donc pas une finance d’assistanat ou ‘sociale’. C’est une finance qui gagne en efficacité car elle prend en considération les situations sociales existantes. Il n’y a pas d’opposition entre une finance de qualité et l’efficacité. La valorisation du capital social dans le contexte de la microfinance amène un grand nombre de plus-values en terme d’efficacité: 1. Pour l’institution de Microfinance : diminution des coûts de transaction et renforcement de la pérennité de l’institution. 2. Pour les clients : réduction des distances entre l’anonymat de la banque et la culture des clients les plus pauvres. Augmentation de l’information, développement des compétences au travers des échanges, amélioration de la participation. Augmentation de l’impact de la microfinance en terme social et économique. L’utilisation du capital social dans le contexte de la microfinance ouvre de nouvelles perspectives : Possibilité de valoriser le capital social des “ self help groups ” pour les relier aux organisations financières formelles. Il faut cependant que ces institutions respectent les valeurs des “ self help groups ”. Cependant l’utilisation du capital social peut avoir un effet limitant sur le développement institutionnel de l’IMF Les projets ancrés dans les communautés de base permettent un développement de capital social mais rencontrent des limites lorsque qu’il s’agit de passer à une phase plus commerciale et de changer d’échelle. Les liens sociaux représentent l’intérêt commun pour l’IMF et les clients. En effet, pour l’IMF améliorer les liens sociaux permet de ne pas perdre le sens de son action. Rentabilité La rentabilité d’une IMF s’évalue en mettant en regards ses coûts et ses ressources. Dans la problématique de la finance solidaire, il est essentiel de savoir si la prise en compte des liens sociaux augmente ou diminue les coûts de l’institution. Il semble que l’intégration des liens sociaux dans les programmes de micro finance génèrent à la fois des économies et des coûts supplémentaires. Augmentation du coût lié aux liens sociaux : 1. Coûts liés à la formation des groupes (formation au développement des groupes ; développement personnel ; formation informelle) 2. Coûts liés au suivi et à l’évaluation des liens sociaux 3. Coûts liés à la prise en compte des liens sociaux. Il faudra évaluer le temps à consacrer à chaque client et le rapporter au nombre de clients par agent de crédit. Réduction du coût lié aux liens sociaux : 1. Amélioration de la qualité du portefeuille 2. Fidélisation des clients 8 3. 4. 5. 6. Participation des clients au suivi Apport de l’épargne à moindre coût Discipline de remboursement due à l’appropriation Productivité accrue des agents de crédit du fait de la formation des clients et des groupes L’équilibre entre les coûts et les économies liées aux liens sociaux semble évoluer dans le temps. Dans un premier temps la prise en compte des liens sociaux représente des coûts importants. La construction de liens sociaux et de capital social entre l’institution et les clients est un processus lent. C’est donc seulement dans un second temps (sur une échelle de plusieurs années) que les coûts de l’institution diminuent. Pérennité A l’évidence la prise en compte des liens sociaux représente un coût non négligeable pour les IMF. Cependant les liens sociaux sont aussi une assurance d’efficacité et de pérennité pour les IMF. En effet, une institution qui articule son action sur les liens sociaux renforce sa stabilité et est moins vulnérable aux changements et aux crises. Elle a également plus de chance d’avoir une action pertinente dans le contexte où elle intervient. On s’aperçoit donc que l’impératif de rentabilité financière des IMF à court terme (souvent imposée par les bailleurs) est en contradiction avec leur efficacité et leur pérennité sur le long terme qui augmente le capital social. La pression des financeurs sur l’obtention de résultats financiers en cinq ans fait peser un risque important sur la finance solidaire. L’objectif de rentabilité à court terme d’une IMF fait peser de nombreux risques sur l’institution et ses clients : 1. 2. 3. 4. 5. Risque d’exclusion des clients les plus pauvres et de régions reculées Risque de perte de vision, de conscience de sa mission et de son identité de l’institution Risque de perte d’expérience et de savoir-faire par l’équipe de l’IMF. Risque sur la viabilité à long terme de l’institution Risque sur la viabilité des clients et des groupes L’équilibre financier est une nécessité. Toute la difficulté réside dans le fait que la compatibilité entre l’obtention de bons résultats économiques et sociaux ne peut être envisagée que sur le long terme. Si la finance solidaire, de par ses spécificités, doit faire face à des surcoûts, comparativement aux institutions de microfinance pré-bancaire, elle doit trouver des moyens pour les financer notamment au cours des premières années d’existence des IMF. La question clé est bien sûr de savoir qui doit supporter ces surcoûts ? Il est nécessaire de différencier les coûts ponctuels des coûts récurrents. Les coûts ponctuels peuvent plus facilement être financés par des financeurs extérieurs ponctuels. Les coûts récurrents doivent trouver des modes de financement pérennes. Prise en charge des coûts récurrents 1. Ils peuvent être pris en charge par les clients ou les groupes (en intégrant par exemple les coûts supplémentaires dans le calcul du taux d’intérêt ou en organisant une participation des clients à titre bénévole dans les activités de formation et de gestion). Ici le risque est de faire supporter un coût trop élevé aux clients pour qui les services financiers ne seraient pluséconomiquement viables. Ils peuvent être pris en charge par les bailleurs publics ou privés. Cela devrait être le cas notamment si l’on considère que les liens sociaux relèvent de l’intérêt public. Il faut alors une capacité d’évaluation qui démontre la pertinence de l’investissement d’argent public dans la prise en compte des liens sociaux. Possibilité de créer des fonds nationaux abondés par les bailleurs. IV) Propositions 9 1. Renforcer les bases empiriques sur lesquelles fonder la démonstration de la valeur ajoutée de la Finance Solidaire Approfondir la recherche sur l’impact de la microfinance sur les liens sociaux. Conduire des études d’impact de programmes de microfinance sur le capital social dans un certain nombre de cas précis (IMF bien connues), couvrant les différentes familles d’approches méthodologiques. Identifier à partir de ces cas, les méthodes et les outils qui renforcent ou qui fragilisent la formation de capital social. Elaborer des indicateurs de performance de renforcement du capital social et des liens sociaux. 2. Analyser les coûts et les gains des IMF qui renforcent le capital social Procéder de façon rigoureuse à l’analyse pour les IMF des coûts et des gains induits par le renforcement du capital social. Définir les champs d’application pertinents de la finance solidaire, en terme d’intérêt public ou d’utilité sociale. 3. Définir professionnellement la Finance Solidaire Définir la Finance Solidaire en terme de compétences spécifiques, en terme de métier et en terme de règles de gestion et de fonctionnement. Traduire ces normes en réglementations professionnelles pour créer un nouveau type d’institution financière, dans le cadre de la Loi bancaire. 4. Faire émerger le concept de finance solidaire sur la scène internationale Dialogue avec les Bailleurs de Fonds : les sensibiliser au concept, les aider dans la différenciation entre les formes de microfinance (prébancaire ou solidaire), les amener à s’intéresser à la Finance Solidaire et à créer des mesures incitatives destinées à encourager les IMF à renforcer le capital social. Le cas échéant, les amener à accepter des délais plus longs d’atteinte de la pérennité financière dans les cas où l’IMF agit clairement dans un contexte d’intérêt général. 5. Obtenir des politiques nationales des avantages fiscaux à la finance solidaire Accorder des avantages fiscaux aux épargnants solidaires et aux instruments financiers solidaires qui favorisent les initiatives en augmentant le capital social et en allant vers une société durable et solidaire. 6. Elargir le réseau des “alliés” de la Finance Solidaire Maintenir les dialogues sur le forum FINSOL et utiliser les outils web, lancer sur ce forum des études de cas. Donner à la Finance Solidaire des “visages” pour faciliter l’identification des praticiens à cette pratique. Articuler ce réseau avec d’autres réseaux ayant des préoccupations proches. 7. Promouvoir la Finance Solidaire auprès de tous les acteurs Organiser la promotion de la finance solidaire par des publications, la participation à des conférences et des séminaires internationaux. Organiser le lobbying. Chercher à toucher aussi bien les décideurs que les praticiens pour créer des alliances autour d’une finance qualitative. 8. Intégrer la finance solidaire dans une approche systémique de l’économie de solidarité 10 a) Intégrer la finance solidaire dans le projet global de l’économie de solidarité. L’économie solidaire propose une nouvelle perspective du changement social, perspective dans laquelle la dimension des valeurs joue un rôle fondamental. L’élément central est ici l’apport de solidarité. La finance solidaire s’intègre donc naturellement dans ce projet global. Elle peut y apporter sa compréhension du capital social. b) Intégrer la finance solidaire dans la chaîne économique (production, financement, distribution, consommation) constituée par les différents chantiers de l’économie de solidarité. Il semble nécessaire de créer des liens opérationnels qui renforcent le travail de chacun des acteurs de l’économie solidaire grâce à l’intégration de différents niveaux de la chaîne économique. c) Construire, en collaboration avec les autres acteurs de l’économie de solidarité, de nouvelles relations avec les instances politiques. La place des acteurs institutionnels dans le développement d’une économie de solidarité et la nécessaire redéfinition des relations avec les institutions politiques est un point commun aux différents acteurs de l’économie de solidarité. 11 V) Stratégies et acteurs Les acteurs du renforcement des liens sociaux et du capital social sont : les clients, les IMF, les gouvernements et les bailleurs. a) Les clients Les clients et les communautés de base elles-mêmes, au niveau individuel et des groupes, peuvent renforcer les liens sociaux en formulant clairement leurs buts, aspirations et valeurs, en réclamant leurs droits et en refusant des relations d’instrumentalisation. b) Les IMF Les agents de terrain ou les agents de crédit des IMF, au niveau local, peuvent renforcer les liens sociaux en cherchant à faciliter les processus de développement des groupes, en encourageant les communautés et les groupes dans l’analyse de leurs situations, en les aidant à parvenir à des conclusions et à mettre en œuvre leurs décisions, en offrant aux individus et aux groupes des opportunités d’échanges et d’interaction. La direction des IMF, au niveau régional et national, peuvent renforcer les liens sociaux en renforçant les capacités du personnel de terrain dans l’accompagnement des groupes, en concevant des programmes qui soutiennent les aspirations des groupes et des communautés, en allouant des ressources au développement des groupes. Les réseaux nationaux d’IMF, au niveau national, peuvent renforcer les liens sociaux en favorisant le benchmarking sur des critères non financiers, de renforcement de capital social, en formulant des normes de performance d’IMF engagées dans la création de capital social et en promouvant ces normes de performance dans la profession. Là où les liens sociaux sont encore vivants et forts En milieu rural, dans les pays du Sud, dans certains quartiers, auprès de certaines catégories de personnes, au sein de certains groupes professionnels, les liens sociaux sont encore vivaces, servent de filet social aux populations, sont de véritables laboratoires d’initiatives, des écoles de démocratie et de gestion individuelle et collective. Dans de tels contextes, les institutions de microfinance se doivent d’en tenir compte. Elles doivent trouver les modes opératoires qui au minimum préservent ces liens et idéalement, les renforcent en élargissant le champs des solidarités, notamment vers les sphères économiques et financières. Les institutions financières qui, par ignorance ou indifférence, fragilisent par leurs méthodes ou leurs produits les liens sociaux doivent être considérées comme des entreprises irresponsables, irrespectueuses et “ boycottées ”. Là où les liens sociaux ont été détruits (guerre, dictature…croissance et richesse ?) Dans des pays où la guerre civile a sévi, là où les dictatures ont sciemment détruit toute forme d’organisation de base entre les gens et même la confiance au sein d’une famille, les liens sociaux ont subi de sérieux dommages. En ville, dans les pays du Nord, là où le développement économique a induit de l’individualisme ou tout simplement, là où la solidarité entre personnes a été plus ou moins substituée par une forme de solidarité institutionnelle, les liens sociaux peuvent aussi avoir pris un coup. Dans de tels contextes, les institutions de microfinance doivent d’autant plus connaître le milieu dans lequel vivent leurs clients, les relations qui existent entre les gens, les peurs, les barrières et les stratégies de vie. Ils doivent tenir compte de ces facteurs pour concevoir un système, qui soit adapté à ce contexte : les modèles prêt à porter, les produits standardisés et les formes d’organisation dans lesquelles les clients doivent rentrer, devront être bannis. Une démarche de recherche-action devra être mise en place, pour trouver progressivement avec les gens, les modalités de fonctionnement qui peuvent petit à petit redonner confiance en soi et aux autres, prendre des responsabilités, retrouver des valeurs de bien commun et de service à la collectivité. Là où les liens sociaux sont distendus et fragiles 12 Dans de nombreux cas intermédiaires, les liens sociaux sans être détruits, se sont distendus progressivement. Dans ces contextes, les institutions de microfinance se doivent d’essayer de repérer les indices de ces solidarités, les organisations qui en seraient le plus porteuses, les valeurs qu’elles sous-tendent. Elles doivent en tenir compte dans la conception de ses modalités et de ses produits, pour les encourager, les valoriser, et favoriser la relance du dynamisme social et économique à laquelle la microfinance peut apporter sa contribution utilement. c) Les gouvernements et les bailleurs Les liens sociaux constituent le capital social et la sécurité des populations vulnérables et défavorisées. En servant ces populations et en renforçant les liens sociaux autour d’elles, les institutions financières participent à une mission d’intérêt public. Renforcer les liens sociaux requiert une attention particulière dans l’identification des clients, dans la connaissance des solidarités existant dans leur milieu, dans la prise en compte de ses facteurs dans la conception des services et des produits à leur apporter, dans le suivi des impacts des services financiers et non financiers sur les liens sociaux : ce travail, bien payant en terme de fidélisation des clients et de résultats opérationnels, n’est pas rentabilisable à court terme. Ce sont les raisons pour lesquelles une reconnaissance et un soutien sont nécessaires. Comment les gouvernements et les bailleurs peuvent –ils soutenir ces institutions ? 1. En intégrant le renforcement des liens sociaux dans leur politique de soutien au secteur Les gouvernements et les bailleurs doivent explicitement intégrer cette prise de conscience dans leur exposé de politique en faveur du secteur. Ils devront classer le renforcement des liens sociaux parmi les éléments essentiels de “ bonnes pratiques ” et veiller à ce que les institutions qu’ils soutiennent le respectent. 2. En traduisant ces pratiques en indicateurs de performance, suivis et notés Aux côtés des indicateurs de performance financière, qui aujourd’hui monopolisent les systèmes de rating, l’introduction d’indicateurs de performance en terme de renforcement des liens sociaux doit permettre de rééquilibrer le jugement sur les performances globales des institutions. 3. En allant vers la différenciation entre la microfinance pré-bancaire et la finance solidaire Reconnaître que ce sont des institutions à vocation différente, pratiquant des métiers différents et qui doivent être évaluées différemment. Elles doivent aussi bénéficier d’appuis différents selon la part plus ou moins importante de mission d’intérêt public qu’elles intègrent dans leurs activités. Pour cela, une recherche devra être confiée à des chercheurs sur le mode de calcul possible des coûts de renforcement des liens sociaux ou du surcoût de la prise en compte des liens sociaux par rapport à un travail plus classique de délivrance de services micro financiers. 4. En mettant en place un fonds national de la finance solidaire Ce fonds auquel abonderaient l’Etat, les bailleurs de fonds publics et privés soucieux des liens sociaux et les institutions de microfinance concernées, servira à financer ce surcoût, tout en créant un mécanisme de benchmarking dans ce domaine. Il publiera annuellement la liste des institutions les plus respectueuses et les plus novatrices dans le renforcement des liens sociaux. d) Les bailleurs de fonds et les institutions d’appui Elles peuvent renforcer les liens sociaux au niveau national et international, en apportant un appui institutionnel aux IMF, en leur apportant une assistance financière et technique et en promouvant la formation de capital social comme “bonne pratique” dans le secteur de la microfinance. 13 L’évaluation des coûts et des gains donnera un aperçu plus complet des avantages et inconvénients financiers des institutions à investir davantage ou non dans le capital social de leurs clients, au-delà de leur responsabilité sociale. 14