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Gaston FESSARD s. j., AUTORITE ET BIEN COMMUN, coll. Théologie, 5, Aubier, Paris, 1944, 120 p.,
En marche vers la communion…
Autorité, Bien commun… sont des mots qui irritent tout être vivant épris de liberté, en particulier les
hommes et les femmes de notre temps. Gaston FESSARD, jésuite et philosophe, a réfléchi sur les réalités
qu’expriment ces mots et écrit le livre AUTORITE ET BIEN COMMUN, toujours d’actualité. « Ces pages
essaieront de définir l’essence de l’autorité et d’en déterminer le principe et la fin : ce qui constitue et
mesure sa légitimité. Au moyen d’exemples très simples, elles aboutiront à faire surgir de cette essence
même la réalité du Bien commun et à montrer les rapports intimes qui unissent cette réalité à l’autorité ».
(Avant-propos, p. 8). Ainsi apparaîtront les mots : Communauté du bien, Bien de la communauté, Bien
de la Communion qui doivent mettre en lumière de nouvelles dimensions de la communauté et donc du
Bien commun : « ni seulement Communauté du bien, ni seulement Bien de la communauté, mais Bien
de la Communion » (p.9).
L’autorité ?
Gaston FESSARD explore le contenu de ce mot « autorité » : Que signifie le mot « autorité » ?
« En français le mot « autorité » a pris de multiples sens qui peuvent se ramener à trois principaux : ordinairement, ce mot
désigne le pouvoir juridique qui appartient au prince dans l’Etat ou plus généralement encore au chef dans une société
constituée en droit… Ce sens, le plus usuel, s’est étendu jusqu’à désigner l’influence, la considération, le pouvoir de fait
dont jouit celui qui sait s’imposer à autrui, en raison de qualités personnelles et en dehors de toute consécration juridique…
Enfin, ce sens général s’est spécifié pour caractériser la valeur qui dans son propre ordre, quel qu’il soit, s’impose purement
comme valeur. Ainsi, on dira d’un savant qu’il est une autorité dans sa science, ou encore qu’il y fait autorité… » Gaston
Fessard cherche ensuite dans l’origine linguistique du mot son sens originel. Ainsi le mot autorité viendrait du latin et du
grec et signifierait « faire croître, accroître, augmenter », puis plus tard « produire, faire naître…et parfaire, accomplir », les
deux termes d’une croissance, début et fin, ou en être l’auteur. L’autorité serait donc « la puissance génératrice du lien
social [« lien qui unit les êtres »], tendant de soi à croître jusqu’à son accomplissement ». (p. 13)
L’angoisse de la mort
Partant du fait que l’autorité est un pouvoir de fait (quelle que soit son origine) s’appuyant sur une certaine
force qui peut me menacer de la mort, et ainsi m’amener à « échanger la liberté contre la vie », Gaston
Fessard peut écrire : « Ainsi à l’origine du lien social que l’autorité a pour mission de faire croître, toujours
l’apparition du droit est précédé par le déploiement d’une force, charismatique chez le chef né,
créatrice et éducatrice chez le père (et la mère), ou simplement dominatrice chez le maître. Les
multiples autorités de nos sociétés peuvent combiner en des proportions variées à l’infini ces trois formes
fondamentales de supériorité, non point s’affranchir du caractère qui leur est commun, si bien qu’aucune
ne peut exercer son pouvoir de droit sans s’imposer d’abord comme un fait. » (Note du rédacteur :
« Si je ne puis, en aucune manière, éviter l’angoisse de la mort, alors je peux être tenté de me révolter et de
devenir violent »). (p. 21)
Autorité et vérité
Si j’échange ma liberté pour sauver ma vie, c’est que je perçois dans l’autorité une vérité, peut-être une
vérité universelle ! Gaston Fessard pose les limites de cette autorité de la vérité. « D’une part en effet, c’est
seulement pour le savant et pour ceux qui participent à sa science que découvertes et démonstrations
acquièrent une valeur absolue et s’imposant par elle-même. Valeur qui, étant identiquement celle de la
vérité, se révèle à tous dans la mesure où ils veulent ou peuvent accéder au savoir du savant. Seulement, du
coup et dans cette même mesure, l’autorité du savant s’évanouit. Car c’est pour les non-savants seuls et
en proportion de leur non-savoir que le savant fait autorité. Or, pour ceux-ci, le savoir ne s’impose pas en
vertu de sa valeur propre ; il joue au contraire à leur égard le même rôle que la force vis-à-vis du plus
faible ; il s’impose du dehors… Ainsi donc, si la vérité est la source ultime de l’autorité, celle-ci disparaît ;
ou si elle ne disparaît pas, c’est que la vérité donne seulement naissance à un pouvoir de fait tendant
encore à se changer en pouvoir de droit… (D’où la question) : La fin de l’autorité ne serait-elle pas en
effet de disparaître en s’accomplissant ? N’est-elle pas « vouloir de sa propre fin » au point où, par
mon adhésion, je peux coïncider avec elle ? (p.23)
Autorité et bien
Reprenant les exemples du savant et du maître, Gaston Fessard découvre que la rencontre dans la vérité du
maître et du disciple est le fruit d’un long processus. « Or, au début et durant tout ce processus, ce n’est
pas sous l’aspect du vrai que le disciple reçoit l’enseignement du maître. S’il écoute celui-ci, c’est
parce que le savoir lui apparaît tout d’abord comme un bien… » Ainsi « l’autorité reste médiatrice
entre le savoir désiré, ou la vérité immédiate possédée comme un bien, et le vrai dont la valeur s’impose
par elle-même… » Prenant ensuite des exemples dans la vie quotidienne, Gaston Fessard peut
écrire : « Mais c’est dans la banalité de la vie quotidienne qu’apparaît avec le plus de clarté le rôle rempli
par cette médiation. Car alors, dans la plupart des cas, - pour ne pas dire en tous – celui qui recourt à
l’autorité du savant, médecin, avocat, ingénieur, etc., renonce d’avance et délibérément à prendre
l’attitude du disciple qui cherche à franchir lui-même l’intervalle enjambé d’un seul coup par le
savoir du maître… Ainsi, renonçant d’une part à la communication de la vérité sous son aspect
formel, il l’attend de l’autre sous la forme où elle est utilisable par lui et par tous les ignorants
comme lui, c’est-à-dire comme bien. En un mot, il demande au savant d’être médiateur entre lui et la
vérité, de la faire descendre pour ainsi dire à sa portée et de le faire communier avec elle ». (p.30)
Autorité, sacré, religieux…
Le P. Gaston Fessard continue : « Rien de plus naturel et de plus commun qu’une telle attitude. Rien non
plus qui éclaire davantage l’essence profonde de l’autorité. Car, en raison du désintéressement attaché à la
nature même du savoir et de l’universalité propre à la vérité, l’autorité du savant s’auréole ici d’une
gratuité de l’universel qui explique d’une part que cette autorité nous soit apparue de prime abord comme
le type achevé de l’autorité, et d’autre part que toute autorité revête naturellement en son exercice un
caractère sacré.
Ce n’est pas d’hier que les sociologues ont signalé le rapport étroit de la magie avec la science, le pouvoir et la religion.
Mais peut-être touchons-nous ici au nœud le plus intime de cette relation. Car n’est-ce pas dans la communication
désintéressée d’un savoir auquel il ne peut accéder de lui-même, que l’homme saisit la plus pure image de la
bienfaisance de Dieu ? Comme c’est dans le pouvoir universel que lui confère cette vérité révélée, qu’il pressent le
mieux la surnaturelle élévation de sa destinée… » (p. 30). Ainsi celui qui connaît cette « vérité révélée » devient un
« clerc » ou une « augure » qui assure l’accroissement ou le succès d’une entreprise quelle qu’elle soit…
Autorité et gratuité
« Mais il faut considérer de plus près ce caractère nouveau de sacré, cette gratuité qui nimbe l’autorité du
maître en savoir dès que celui-ci n’a plus en face de lui un disciple, mais seulement un sujet qui ne peut
prétendre à l’égaler. Un élément analogue s’est déjà présenté, dès le début de notre analyse, dans le pouvoir
du chef né dont l’ascendant personnel – « charismatique » - tend à fonder une communauté et à engendrer
un droit toujours plus large. A travers ce « charisme », l’autorité se manifeste donc comme gratuité de
l’individuel (ce qui vient du chef) vers l’universel (ce qui concerne tout le monde). Mouvement inverse
de celui qui se révèle à travers le maître en savoir. Ici en effet, puisque l’autorité va à communiquer la
science sous forme de bien au sujet qui ne peut la recevoir sous forme de vrai (puisqu’il ne peut
tendre à égaler le maître), la gratuité descend de l’universel (que possède le maître) vers l’individuel
(qui ne peut prétendre égaler le maître). » Le maître (particulier) a atteint l’universel (valable pour tous)
qu’il donne gratuitement à tous les sujets qui ne peuvent égaler sa propre démarche, mais qui considèrent
comme un bien son savoir. Le maître distribue son savoir acquis sans demander à ses élèves de refaire son
parcours vers son savoir. Il donne d’autorité, gratuitement, son savoir.
L’autorité vouloir de sa propre fin
« Si donc nous parvenons maintenant à saisir comment l’autorité, à partir de l’universelle vérité que
possède le maître en savoir, arrive à rejoindre le bien individuel que le sujet désire, puis en quoi
consiste le lien qui unit ces deux êtres au terme de cette médiation, nous aurons déterminé par le fait même
la fin où s’accomplit la croissance de l’autorité. Non seulement par rapport aux êtres qu’elle lie, mais en
elle-même par rapport au fait et au droit, à l’universel et à l’individuel, au vrai et au bien dont elle doit
opérer la synthèse. Alors l’essence de l’autorité se révèlera pour ce qu’elle est : un pur mouvement de
l’esprit qui, à travers l’être et les êtres, va de soi vers soi. Si bien que sa définition comme « vouloir de
sa propre fin » perdra son apparence paradoxale pour devenir l’expression de sa plus profonde
vérité. Du même coup se justifiera la gratuité de l’universel dont s’auréole nécessairement l’exercice de
l’autorité lorsqu’elle tend à sa fin, et s’expliquera aussi la gratuité de l’individuel que le pouvoir reçoit,
comme un don, dès son principe ». (p. 35)
Autorité et Bien commun
Universelle vérité et bien individuel se rejoignent dans le Bien commun. Le P. Gaston Fessard reprend
l’exemple de la relation du médecin et du malade qu’il analyse longuement. La médecin qui a l’autorité du
savoir présente à qui le consulte le remède exigé par sa maladie. « Ce faisant, son pouvoir de fait détermine
la vérité universelle de sa science par rapport au bien particulier du malade ». En donnant une ordonnance
il exerce un pouvoir de droit qui « guide la volonté du malade, afin qu’en usant du remède, il recouvre la
santé »… « Mais la santé qui est désormais le lien entre malade et médecin… devient un bien
communiqué par le médecin au malade, puis un bien communiquant à celui-ci la satisfaction de son désir
de bien-être… La guérison devient à son tour un bien communiqué par le malade au médecin (par la
satisfaction qu’il a de la valeur de son diagnostic et de sa thérapeutique) et un bien lui communiquant
aussi une satisfaction analogue à celle du malade. Analogue en ce sens qu’elle comble chacun selon la
particularité de leurs désirs, et en même temps identique en tant qu’elle contente pour une part l’universel
désir de mieux-être qui leur est commun. Ainsi la santé devient le bien commun du malade et du médecin.
Et parce que ce bien commun résulte d’une action réciproque où il communique quelque chose de chacun à
l’autre, il prend à leurs yeux l’aspect d’un bien se communiquant à tous deux et les liant l’un à l’autre en
lui. » (p. 36)
Bien commun et lien de l’amour
« Aussi bien, dès que l’autorité a commencé de tendre vers la fin qui l’accomplit et d’atteindre ce bien
commun, le lien des êtres qu’elle unit participe à cette vie même qui est l’essence la plus profonde du
Bien commun. En chaque homme en effet, intelligence et volonté battent au même rythme et la moindre
pulsation de l’un se répercute en tous. Si bien qu’en s’insérant au sein de leur communication mutuelle, la
vie de cet Universel concret (santé par exemple) tisse entre eux des liens plus solides que ceux de la chair
et en même temps plus fluides que ceux du sang. Quels que soient en effet l’occasion, le mode ou l’objet
de cette communication : santé recouvrée dans le rapport médecin-malade, science enseignée dans
celui de maître-disciple, sécurité, justice, prospérité dans celui de prince-sujets, toujours le Bien
commun manifeste sa nature profonde et sa vie intime en faisant surgir entre les êtres qu’il unit le
lien de l’amour. Amour incarné parce qu’il repose sur l’échange réciproque de biens réels et concrets.
Amour spirituel aussi parce qu’au moyen même de cet échange il atteint les êtres sous leur aspect le plus
universel et constitue les personnes mêmes dans leur reconnaissance mutuelle, où se transcende toute
autorité. » (p. 41)
Amour-Justice-Eglise
Jusqu’ici il s’agit d’un pouvoir de fait qui doit s’ouvrir vers l’universel. Qu’en est-il du pouvoir de
droit ? « Ce n’est pas assez pour celui-ci de poser les bases d’une essentielle égalité entre les termes qu’il
doit unir, ni de s’orienter vers une communauté toujours plus large par le moyen de la justice. Pour que la
bienfaisance du pouvoir de droit apparaisse, il faut que la limite du bien universel vers laquelle il se dirige
naturellement, soit elle-même dépassée. Comment le peut-elle être, puisque cette limite englobe tout le
temporel au sein duquel est contenu la communauté humaine ? A ce point précisément, l’âme de
l’autorité rappelle aux pouvoirs de droit, que ce soit celui du père, du chef ou de l’Etat, qu’elle est
non seulement médiatrice entre les hommes – au sens horizontal – mais qu’elle doit l’être aussi – au
sens vertical – entre la communauté petite ou grande dont elle a le soin, et l’essence la plus secrète de
ce Bien commun qui nous est apparue comme Universel et concret, comme Amour. Si devant ces
pouvoirs de droit se rencontre une communauté universelle, engendrée par cet Amour et représentant
l’aspect spirituel de ce Bien commun, leur autorité ne pourra être fidèle à son essence qu’en s’orientant
dans la direction désignée par cette communauté. Aux yeux du chrétien, c’est l’Eglise qui a reçu pour
mission de représenter à tout pouvoir cette sommation suprême de l’autorité. Mais nul homme n’est
assez aveugle pour être soustrait aux rayons de l’Universel concret, assez sourd pour ne pas entendre
l’appel du Bien commun spirituel de l’humanité. En toute conscience en effet vit et se représente l’idée de
la communauté des hommes entre eux et avec Dieu, telle que sa religion le lui propose ou telle que la
raison le discerne comme le vœu ultime de l’esprit en chacun, de la personne. Idée de l’Eglise avant
l’Eglise dans l’âme naturellement chrétienne. » (p. 46)
Du Bien de la communauté…
Gaston Fessard distingue dans le Bien commun le Bien de la communauté et la Communauté de bien.
« On entend par Bien commun la somme des biens privés et publics, matériels et moraux, qu’intègre une
société donnée, bref sa prospérité. La communauté y est envisagée comme une totalité concrète et objective
où l’ensemble des besoins et des désirs de ses membres trouve sa satisfaction. C’est là sans doute un
aspect essentiel du Bien commun, mais qui ne suffit pas à le définir dans son intégrité… Par le fait
même, la prospérité qu’elle (la société) pourra atteindre et offrir aux membres de sa communauté, après
avoir soumis leur égoïsme d’individu, sera radicalement incapable de satisfaire le désir de l’être universel
qui est en l’homme plus profond encore que cet égoïsme.
Pour que puisse être comblé ce désir vivant au plus intime de chaque individu et le constituant personne, il faut que la
communauté dont il est membre ne soit pas close sur elle-même et que le Bien commun qu’elle vise assure son ouverture sur
l’infini vers lequel se tend la personne. Sous son aspect de totalité concrète et objective, le Bien commun s’est déterminé
en Bien de la communauté ; ici au contraire, il doit devenir bien universel, tel qu’il peut être possédé identiquement
par tous. Sous cet aspect opposé, il s’universalise donc en Communauté du bien. » (p. 54)
De la Communauté du bien…
« Ce qui constitue cette Communauté du bien, c’est non point la part réelle mais toujours limitée que
l’individu prend au Bien de sa communauté, mais la participation illimitée à tout bien possible qui lui
est reconnue sous forme de « droits ». Droits universels, droits de l’homme comme tel. Et non
seulement droits du sujet de telle communauté : car, si cette communauté est close et quelle que soit la
grandeur de la prospérité qui y règne, ces droits du sujet sont à vrai dire moins « droits », faute de référence
à l’universel, que simple parts de jouissance à l’avoir collectif. Au contraire, pour autant que ces « droits de
l’homme » définissent la participation de chacun à la Communauté du bien, seule capable de satisfaire le
vœu de la personne, ils sont effectivement sacrés. Nulle interaction de tous et de chacun n’est possible en
effet si tous, en tant que communauté, ne se font moyen par rapport à chacun et le prennent pour fin. Aussi
la conscience individuelle peut à juste titre invoquer ces « droits de l’homme » contre la communauté
qui veut se clore. L’autorité qui les nie et les viole se nie et se détruit elle-même. » (p. 55)
Du Bien de la Communion…
« Pour mettre les êtres en relation réciproque, l’autorité trouve en son essence même le modèle de la
médiation de l’universel et du particulier, du fait et du droit : la valeur qui lui prescrit d’être vouloir de sa
fin. De même le Bien commun porte au plus profond de lui-même l’exigence d’une médiation qui réunisse
sans les confondre, Bien de la communauté et Communauté du bien. Cette réciprocité d’action est
véritablement l’âme, le nœud vital, le lien substantiel du Bien commun. Aussi, pour être distinguée des
deux aspects opposés qu’elle unit, mérite-t-elle d’être appelée Bien de la Communion. » (p. 77)
Communion, communication mutuelle…
« Sous le nom de Bien commun, c’est ce Bien de la Communion que l’autorité et les membres de
communauté doivent formellement viser, l’une pour être conforme à son essence, les autres pour
promouvoir et accomplir leur existence sociale. En effet, qui dit communion, dit lien à la fois spirituel et
charnel, unité en même temps concrète et universelle. Unité par conséquent qui ne repose pas seulement
sur un état de fait, sur une détermination de la nature commune à plusieurs, mais sans que leurs volontés y
soient pour rien, ni sur un rapport de subordination qui peut s’étendre sans doute indéfiniment, mais sans
réussir à atteindre la véritable universalité. Lien qui ne consiste pas davantage ni dans un seul rapport de
droit reliant identiquement tous et chacun à un transcendantal, mais laissant l’intimité de leur être
inchangée, ni dans une pure coordination que la matière de l’univers entier peut sans doute remplir, mais
en l’éparpillant aussi dans une particularité indéfinie. Non, la communion ne naît que d’une action où il
y a communication mutuelle et volontaire d’un bien concret et déterminé assurément, mais en vue
d’un lien qui transcende et la particularité du bien et l’individualité de ceux qu’elle unit. Cette action
a sans doute pour origine une subordination et pour moyen une coordination, mais c’est seulement par la
mise en relation réciproque de ces deux modes d’unité qu’elle atteint son terme et s’achève dans
l’intégration de la communion. En visant à ce sommet, toute autorité réalise déjà son essence qui est
d’être vouloir de sa propre fin, et tout membre d’une communauté atteint aussi déjà la plénitude de
son existence sociale qui est de se donner à tous et de recevoir l’être de tous. » (p.78)
Recherche du Bien de communion universel…
Gaston Fessard analyse comment se sont réalisées, en fait, au niveau de la famille, au niveau des relations
entre l’Etat et la société…, toutes ces composantes du Bien commun, dans deux mystiques opposées : la
Puissance et le Travail : « En réalité, par ces deux mystiques se trouvaient divinisés les principes opposés
de toute communauté humaine, - la volonté de puissance et l’appétit de jouissance, qui sont à la racine de
l’homo politicus et de l’homo oeconomicus, - et portés à l’absolu les deux aspects partiels du Bien
commun. Aussi, bien loin de pouvoir mettre en relation sur le plan de l’Universel Bien de la
communauté et Communauté du bien, pour y produire le Bien de la Communion, ces deux
mystiques devaient exacerber l’opposition qu’elles prétendaient surmonter. Poursuivant l’unité de
l’humanité à partir de principes et en des directions diamétralement opposées, elles ne pouvaient que
provoquer le mal d’une division universelle. Division de l’humanité en nations ennemies, division de
chaque nation et de chaque communauté particulière au-dedans d’elle-même, division même de chaque
conscience en son for le plus intime. A ces trois plans se reflète la même déchirure radicale de l’homme :
sous l’opposition de l’homo politicus et de l’homo oeconomicus, visant chacun leur propre bien et ne
comptant que sur leurs propres forces pour l’atteindre, se manifeste le conflit de l’appétit de jouissance
et de la volonté de puissance, le heurt de « la chair et de l’esprit en leurs désirs contraires » qui
détruit en tous et en chacun l’humain et ne laisse subsister que l’animal, usant des conquêtes du
rationnel pour s’entredéchirer… ». (p. 96)
Avec le Bien commun des communautés particulières…
« Ce qui est la vérité d’aujourd’hui sera plus encore celle de demain : le Bien commun de l’humanité
commande celui des communautés particulières. Or, celui-ci ne peut être déterminé avec sécurité,
sans que celui-là le soit aussi. Déterminer en quoi consiste ce Bien commun universel et par quelle
médiation peuvent être dépassées les oppositions internes de l’humanité, c’est donc la tâche
primordiale, celle qui, tant qu’elle n’est pas accomplie, risque d’annuler tout effort vers les biens
communs particuliers, bien plus de pervertir ceux-ci en leurs contraires. » (p.97)
Du Bien commun universel…
« Mais en se posant ainsi sur le plan de l’universel, le problème du Bien commun définit du même coup la
seule voie où peut en être recherchée la solution. D’une part en effet, il est nécessaire que l’humanité
trouve un centre d’unité qui oriente ses efforts et une loi de convergence qui en assure l’interaction
horizontale. D’autre part, il lui est impossible de dépasser ses oppositions internes pour déterminer à la
verticale l’au-delà capable d’être ce centre d’unité et cette loi de convergence. Insoluble est donc le
problème du Bien commun universel… A moins qu’au-delà de l’humanité et à la verticale de l’homme,
il n’y ait Dieu. A moins que l’impossible et le nécessaire à l’homme ne deviennent le libre et le
possible à Dieu. C’est donc d’une médiation entre l’homme et Dieu que le problème du Bien commun
peut recevoir une solution définitive. » (p. 98)
Communauté du Bien divin…
« Mais il y a plus… Les hommes en effet, autorités ou membres des communautés particulières, ne
pourront s’orienter vers le Bien commun universel que si cette médiation s’offre à leurs visées comme
réussissant la réconciliation des termes hors d’elle séparés. Il faut donc d’abord qu’elle détermine le Bien
commun universel en se révélant à leurs yeux comme le principe même de l’unité humaine, puisqu’elle
manifeste à tous les échelons de cette unité les exigences concrètes de l’interaction qui tend à réaliser
l’universalité de la communauté du Bien divin, enfin qu’elle représente dans le monde le Bien de la
Communion qui, fruit de l’interaction de l’homme et de Dieu, est communion des hommes entre eux en
même temps que communions des hommes avec Dieu.
En d’autre termes, il faut que le jeu des catégories du Bien commun se symbolise au niveau de l’universel et apparaisse
comme engendrant entre l’homme et Dieu un lien social grâce auquel toutes les oppositions, celles de l’individu comme
celles de ses communautés, puissent être surmontées ». (p. 98)
Communauté religieuse…
Gaston Fessard voit dans la communauté religieuse le lieu où toutes ces oppositions peuvent être
surmontées, malgré les révolutions, les persécutions et l’instabilité essentielle du temps. « Au contraire
l’autorité spirituelle de l’Eglise a les promesses de l’éternité. Dans la persécution en effet, la
communauté religieuse est contrainte de refaire tout entière, en corps, le mouvement de médiation
qu’a accompli le premier son Chef, pour réconcilier l’homme et Dieu. Dans la mesure où elle imite cet
exemple, l’Eglise se dépouille elle aussi du « corps de péché » que lui compose l’indignité de ses membres,
cause pour une part de la persécution. Mais, en revanche, elle se revêt aussi du « corps de grâce » que lui
tisse la médiation de l’action humano-divine. A travers ce « corps de grâce » transparaît alors le
pouvoir infini de l’Esprit qui dissout l’orgueil des volontés de puissance dressée contre l’Eglise, et la
bonté sans limites de l’amour qui rassemble tous les désirs des êtres égarés loin d’elle. Si bien qu’au
terme de la persécution, où par sa passion l’Eglise continue de réconcilier l’humanité avec Dieu et les
hommes entre eux, elle est aussi par eux à nouveau reconnue pour ce qu’elle est en réalité : Communauté
universelle déterminant le bien de l’humanité et rendant les hommes participants de la nature
divine, tabernacle de la Communion où peut s’alimenter la vie même de leur Bien commun. » (p.
112)
Communauté Corps du Christ
« Par la vertu de ce Sacrifice (mort sur la Croix), l’Eglise ne doute pas de vaincre les nécessités du destin.
Et, en gage de sa victoire, elle présente aux hommes et à leurs nations le Pain de la Communion
Eucharistique ; symbole où le Bien commun de l’Humanité se rend lui-même présent. Dans cette
action de grâces, l’Amour nous donne en effet de reconnaître sa Force et sa Valeur, surmontant toute
division, celle du fait et du droit, du particulier et de l’universel, de l’inférieur et du supérieur, de l’onéreux
et du gratuit, si bien que la nature même en est transubstantiée . Mystère d’unité et de charité où l’Esprit
rassemble les éléments constitutifs du Bien commun, les intègre dans leur fonction propre, et se
révèle comme le lien substantiel grâce auquel l’Eglise réconcilie les hommes entre eux et avec Dieu.
Aussi, ce Bien commun indéterminé dont tout le monde parle, objet de tous les vœux mais se soustrayant aux main-mises de
l’orgueil et de l’égoïsme, nous pouvons maintenant avec l’Eglise l’invoquer en l’appelant par son nom propre : il n’est
autre que le Corps même du Christ, ce Corps mystique de l’Humanité-Dieu où, parce qu’il n’y a plus « ni homme ni
femme, ni maître ni esclave, ni juif, ni grec » (1), toute autorité humaine, bien plus toute autorité divine trouve sa fin et sa
consommation. » (p.119)
(1) Saint Paul, Epître aux Galates, 27-28 : « Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y
a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. »
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