Ceci est ton sang - Université Paris

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"Ceci est ton sang", ou l'anthropologie nationale-socialiste entre mysticisme et sciences aryennes
Extrait du Université Paris-Sorbonne
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"Ceci est ton sang", ou
l'anthropologie
nationale-socialiste entre
mysticisme et sciences
aryennes
Date de mise en ligne : mardi 15 novembre 2005
Date de parution : 25 novembre 2005
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"Ceci est ton sang", ou l'anthropologie nationale-socialiste entre mysticisme et sciences aryennes
Vendredi 25 novembre 2005
14 heures 30
Centre Malesherbes
Amphithéâtre A 122
108, Bd Malesherbes
Paris 17e
Mme Anne QUINCHON CAUDAL soutient sa thèse de doctorat :
"Ceci est ton sang", ou l'anthropologie nationale-socialiste entre mysticisme et sciences aryennes
En présence du Jury :
M. MERLIO (Paris 4)
M. CAHN (Paris 4)
M. TAGUIEFF (CNRS)
M. CLUET (Rennes 2)
Position de thèse
Tout l'édifice philosophique national-socialiste fut forgé à partir d'un unique axiome : celui de l'inégalité fondamentale
et indépassable des races humaines. Mais comment les nationaux-socialistes définissaient-ils la race ? La
concevaient-ils comme une substance plutôt corporelle ou plutôt spirituelle ? Y-eut-il seulement un dogme racial
unanimement accepté au sein de l'Etat et du Parti ? Le discours racial national-socialiste fut plus complexe qu'on ne
le suppose généralement, en raison même de la difficulté qu'il y a à saisir l'essence de la race. Lorsqu'elle fut objet
de réflexion pour les philosophes et autres penseurs « racialistes », la race fut définie de manière essentiellement
métaphysique, à partir de prémisses indémontrables souvent teintées de mysticisme. Et pourtant, cette
anthropologie philosophique eut la prétention d'être aussi rationnelle et objective qu'un discours scientifique.
Lorsqu'elle fut objet de recherche pour les anthropologues et les généticiens, qui s'attachaient alors davantage à sa
matérialité, la race ne put jamais être définie de manière suffisamment objective pour s'élever au-dessus du niveau
du simple préjugé et de la conviction personnelle du chercheur. Il manqua donc toujours au discours racial à
prétention scientifique ce critère de démarcation essentiel qu'est la « falsifiabilité » (Karl R. Popper). Si de
nombreuses études ont été consacrées à l'un ou à l'autre type de discours, presque aucune ne s'est risquée à mettre
en évidence leur imbrication. Il est vrai que la part de religiosité qui imprègne les croyances relatives au sang est
souvent difficile à saisir, et qu'elle n'est ni spécifiquement allemande, ni spécifiquement fasciste. Il n'est pas un écrit
patriotique qui ne contienne une allusion au sang des ancêtres ou à celui versé pour la patrie. Mais la mystique nazie
du sang va plus loin, dans la mesure où c'est le sang lui-même qu'elle élève au rang de valeur suprême (avant la
patrie, donc, et même avant les ancêtres, qui ne sont plus que des vecteurs du sang). Il faut toutefois savoir
distinguer, dans la démarche des chercheurs du Troisième Reich, entre le calcul opportuniste et l'adhésion réelle à
ce qui fut une religion politique. Aussi une large partie de ce travail est-il consacré à ceux des plus grands savants de
l'époque qui, par une démarche de foi, contredirent sciemment leurs propres thèses, choisissant d'oublier ce qu'ils
savaient des lois de l'hérédité pour adapter leur « découvertes » à l'idéologie nationale-socialiste, toujours première.
Pour rendre compte de ce culte du sang, si présent sous le Troisième Reich et quasi absent du franquisme et du
fascisme italien, il faut commencer par s'attacher à ses racines et à son évolution jusqu'à la naissance du NSDAP,
avant de déterminer quelles étaient les conceptions anthropologiques des principaux dirigeants du Troisième Reich.
Enfin, puisque cette anthropologique théorique nationale-socialiste eut aussi de sinistres applications pratiques, il
faut voir de quelle manière les dirigeants du Reich et les biologistes collaborèrent pour conférer une aura scientifique
à ce qui n'était que des fantasmes raciaux.
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Le patriotisme culturel des Allemands se distingue de celui de ses voisins européens par son insistance sur le thème
de la primitivité (Ursprünglichkeit). Ainsi, après la redécouverte des oeuvres de Tacite, les anciens Germains
furent-ils présentés comme formant une nation « pure de tout mélange ». De même, les nationalistes allemands du
XIXe siècle débutant, et en particulier Fichte, définirent-ils le peuple allemand comme le peuple par excellence en
raison de sa fidélité à ses origines. L'universalisme missionnaire de Herder ou de Fichte cèda progressivement la
place à une pensée ethnique, si bien que le nationalisme allemand devint plus xénophobe. Les premières allusions à
la race et au sang apparurent, notamment chez Josef Görres, soucieux de protéger le peuple contre cette cause de
maladie que seraient les influences étrangères. De même, les propos antisémites se firent plus nombreux, en
particulier chez Adam Müller, Ernst Moritz Arndt et Friedrich Ludwig Jahn. Dans le même temps, un autre courant de
pensée se fit jour, qui aboutit lui aussi à une définition essentialiste de l'appartenance ethnique, mais cette fois-ci sur
une base nettement plus raciale : le mythe de l'ascendance aryenne de l'homme blanc. Herder ayant fait de la
langue la manifestation de l'esprit d'un peuple, on déduisit de l'existence, nouvellement prouvée par la linguistique,
de langues aryennes et de langues sémitiques, l'existence de deux âmes raciales correspondantes. L'altérité
religieuse et culturelle se mua en une altérité de nature. Sous l'influence de Joseph Arthur de Gobineau, que Ludwig
Schemann fit connaître aux Allemands dans les années 1880, la race put accéder pour la première fois au rang de
seul facteur explicatif de l'histoire universelle comme de toutes les manifestations de l'esprit, et les « Arians » à celui
de race supérieure de l'humanité. Si les wagnériens des Bayreuther Blätter prêtèrent à cet Aryen des traits
nordiques, c'est que l'Allemagne de la fin du XIXe siècle se passionnait toujours pour le vieux mythe des origines
nordiques des Allemands. On rendit alors les différents mythes compatibles en situant l'origine des Aryens à la fois
dans les terres germaniques et dans les terres scandinaves. Mais ce qui explique que la fascination pour le monde
septentrional n'ait pas entamé l'admiration des Allemands pour la civilisation grecque antique, c'est que, avec
Nietzsche, ils sont passés d'une vision essentiellement géographique du Nordique à une conception idéologique de
celui-ci : l'Hyperboréen se distingue désormais bien davantage par son aptitude culturelle que par ses traits
somatiques. Alors que les philosophes tendaient de plus en plus à définir la race de manière spirituelle, la biologie
moderne ouvrit la voie à une vision très matérialiste des faits humains. Le biologiste Ernst Haeckel fut ainsi l'un des
premiers grands scientifiques de son temps à tenter d'établir une classification systématique des différentes races
humaines en tenant compte des lois de l'évolution. Parmi les darwinistes sociaux, on peut citer Ludwig Gumplowicz,
qui était convaincu que les processus sociaux se déroulent de la même manière que les processus naturels ; Otto
Georg Ammon, qui admirait le « chef d'oeuvre » que constituait la société si inégalitaire de son époque ; et l' «
aristocrate social » Alexander Tille, pour qui Nietzsche aurait été le premier à porter la morale évolutionniste à son
terme par sa glorification de la volonté de puissance. Les Archives de biologie raciale et sociale de l'eugéniste Alfred
Ploetz et les écrits de Wilhelm Schallmayer proposaient un programme de « service racial » qui évoque terriblement
celui du Troisième Reich : politique résolument nataliste, stérilisation des êtres dangereux pour le patrimoine
héréditaire de la nation, primat de l'intérêt commun sur le souci des malades. Quant à la théorie du plasma
germinatif, développée par le zoologue et médecin August Weismann, elle fit apparaître de manière criante la
nécessité de choisir son partenaire sexuel avec la plus grande prudence. Dans les années 1870-1890, les courants
de l'historisme relativiste et de la biologie humaine se rejoignirent pour nourrir le débat sur la nature du sang et de la
race. Mais alors que, durant les décennies précédentes, l'on cherchait prioritairement à définir l'identité allemande,
c'est maintenant la quête d'une essence juive qui mobilise les énergies. On voit s'effectuer le passage de
l'antijudaïsme traditionnel à l'antisémitisme moderne : la supposée différence de nature des Juifs devient un facteur
explicatif de l'ensemble des maux de l'univers, si bien que le sang se met à jouer chez les penseurs racistes le rôle
de clé de compréhension du monde, un peu comme le matérialisme historique chez les marxistes. Les écrits
consacrés à la possibilité de l'assimilation des Juifs fleurirent (pensons à ceux de Paul de Lagarde, Richard Wagner,
Adolf Stoecker, Heinrich von Treitschke, August Julius Langbehn, ou encore des groupuscules völkisch). Nombre de
penseurs hésitèrent au cours des décennies entre une conception plus spirituelle et une définition plus biologique de
la race. Pour Wilhelm Marr et Eugen Dühring, en revanche, il fallait résolument cesser de considérer la question juive
comme une question religieuse pour l'aborder selon une approche purement scientifique, afin qu'elle devienne une
véritable idéologie. Plus riche et plus néfaste, la réflexion de Theodor Fritsch aboutit à la conviction que le Juif aurait
été créé pour contraindre les Allemands à lutter pour leur survie en préservant leur patrimoine spirituel et biologique.
L'importance de l'apport de Houston Stewart Chamberlain réside quant à lui dans le fait que l'Anglais parvint à rendre
compatibles deux des principaux courants de pensée de son siècle : l'idéalisme et le darwinisme. Disciple de
Gobineau, Chamberlain fit opérer aux thèses du comte une « révolution copernicienne » en affirmant que la race
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pure était encore à créer. Mais la race de Chamberlain est une race ressentie, de sorte que la race idéale à créer
n'est autre qu'une race essentiellement mystique.
Les principaux théoriciens de l'idéologie nationale-socialiste constituèrent leur anthropologie sur cet arrière-plan
philosophique, mais on ne peut qu'être frappé de la distance qui les sépare sur des questions aussi essentielles que
celles de l'identité de leurs ancêtres, ou encore de la fonction historique des nomades. En fait, l'idéologie
nationale-socialiste s'est davantage définie de manière négative, par la désignation de ses ennemis, qu'en précisant
la nature de la race d'élite, comme si celle-ci allait de soi. Alfred Rosenberg fut sans nul doute le plus mystique
d'entre eux. Esquissant dans son Mythe du XXe siècle un tableau de l'histoire universelle depuis les origines de la
civilisation humaine, il affirme que toute création culturelle de l'histoire mondiale ne serait l'oeuvre que de la seule
race nordique. En une lecture très hérétique des textes de Maître Eckhart, Rosenberg affirme que l' « étincelle » dont
parle le mystique rhénan, cette part de l'homme qui est en Dieu, serait l'expression même de la nature nordique : un
sens inné, divin, de l'honneur et de la liberté. Face à cet homme nordique rêvé dans le Mythe se dresse le Juif, être
statique et dominateur, que son mythe de l'élection divine pousse à la domination mondiale. Assimilant les Juifs à
Satan même, Rosenberg prétendit que la seule présence des Juifs serait responsable de l'impossibilité pour les
Allemands de réaliser l'union mystique avec Dieu et entre eux à laquelle leur sang les prédispose pourtant. Comme
Rosenberg, Adolf Hitler ne cessa jamais de situer l'opposition entre Juifs et Aryens au coeur de sa vision du monde,
et, comme Rosenberg, il conçut cette opposition essentiellement sur le mode religieux. Face à l'Aryen, être
prométhéen et miraculeux auquel Dieu aurait confié sa création, se dresserait son antithèse la plus complète, le Juif,
parasite dépourvu de toute vie spirituelle. Pour lutter contre l'ennemi par excellence, Hitler prétendit vouloir se
dégager de la tradition antijuive séculaire pour pratiquer un « antisémitisme scientifique ». Mais cet antisémitisme ne
parvint en fait jamais à s'élever au-dessus du niveau d'un darwinisme social primaire. Il faut surtout remarquer que le
darwinisme de Hitler s'accommode très bien avec un véritable panthéisme, au point qu'on peut se demander si le
vocabulaire darwiniste de Hitler ne recouvre pas en fait de pures croyances religieuses. L'idéologie hitlérienne pose
la question fondamentale de l'origine et de la signification du Mal, et montre que la mission historique et téléologique
des Allemands consiste à sauver les Aryens afin de préserver la Création du chaos. Beaucoup moins métaphysique,
l'antisémitisme de Julius Streicher a pour particularité de reposer sur une vision pornographique des relations entre
Juifs et non-Juifs, comme si la lutte des races devait presque toujours se jouer sur le terrain de la sexualité. Le sang
constitua un thème obsessionnel de la pensée de Streicher. On le retrouve décliné sous ses différentes formes (sang
du meurtre, sang du sacrifice rituel, sang symbole de vie au même titre que le sperme, etc.) dans le Stürmer. Les
innombrables crimes sexuels attribués aux Juifs y sont invariablement expliqués par deux facteurs : l'obéissance à la
loi talmudique et l'hérédité. Attaquer les non-Juifs serait un commandement religieux, fruit de l'esprit de la race juive,
ayant pour objectif d'anéantir les « goys » physiquement et moralement. Adepte de la croyance (alors très
controversée) en la prépotence du sang juif, Streicher affirmait qu'en ayant des rapports avec de jeunes Allemandes,
les Juifs condamnaient leurs victimes à être souillées à tout jamais. Le Reichsführer SS fut l'homme le plus
représentatif de la tension permanente entre rationalité et irrationalité au sein de l'idéologie et de la pratique
nationales-socialistes. Bien que Himmler n'ait jamais douté de sa capacité à contribuer au triomphe de la science, et
notamment au savoir de la race qu'il considérait comme l' « évangile allemand », on constate que sa conception du
monde ne reposait en définitive que sur un ensemble de croyances généralement sans fondement, et que son
anthropologie se caractérisait avant tout par sa grande imprécision conceptuelle. En dehors des « Germains »,
Himmler ne semble connaître l'existence de quasiment aucun autre groupe ethnique que les « Slaves » et les « Juifs
», les premiers représentant avant tout un ennemi politique, et les seconds incarnant un ennemi métaphysique. A
l'antithèse hitlérienne Aryens-Juifs, Himmler substitue donc l'opposition Europe-Asie. Souvent assimilés aux
bolcheviques, les Slaves non assimilables se confondent à terme avec les Juifs, pour ne plus constituer qu'un seul
et même principe négatif. Himmler ne décrit jamais le phénotype juif, comme si l'ennemi était totalement désincarné.
Son seul trait distinctif est sa volonté de destruction et de domination. Caste de prêtres unis par le sang et par
l'esprit, la S.S. n'eut quant à elle pas le sang aussi pur qu'on le dit. Après une période de recrutement des plus
strictes dans les années 1930, l'Ordre noir s'ouvrit à tous les Européens d'origine nordique, puis, après la défaite de
Stalingrad, aux Européens de l'Est, et même aux Tsiganes ! Richard Walther Darré partageait avec le Reichsführer
SS le rêve de mettre en place un élevage d'hommes supérieurs. Le mysticisme de Himmler lui était toutefois
étranger, car il concevait la race d'une manière résolument matérialiste. Il distingua deux catégories d'individus, «
deux contraires absolus et insurmontables » : le sédentaire d'une part, qui cultive un sol et qui est à l'origine de toute
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création culturelle, et le nomade d'autre part, homme qui n'est lié à aucun sol, n'a pas d'histoire, et se repaît des
biens créés par d'autres. Ce qui serait responsable du déclin de la plus noble des races sédentaires, ce ne serait que
secondairement le mélange des races, comme chez Hitler ou Rosenberg, ou l'effet dysgénique des guerres, mais ce
serait essentiellement la séparation d'avec le sol. Le programme de Darré pour le Reich allemand à venir repose
donc sur l'ancrage du paysan dans sa terre, et sur la création, grâce à des pratiques eugénistes strictes inspirées
des récents enseignements de la biologie, d'une élite de paysans nordiques destinés à former une « nouvelle
noblesse issue du sang et du sol ». Cet attachement au sol distingue Darré des autres idéologues
nationaux-socialistes. Mais on ne peut comprendre l'union sang-sol qu'en acceptant de considérer que le sol idéalisé
du paysan de Darré est un sol métaphorique, une image de la continuité sur laquelle les vicissitudes de l'histoire
n'ont pas prise. En ce lieu situé hors du temps, le sang pourrait se transmettre inchangé, et garantir ainsi l'éternité de
l'homme vivant sur ce sol. Cette sortie de l'histoire est renforcée par le fait que Darré examine tous les événements
avec le regard du biologiste, si bien que seul le sang, porteur de vie, accède au statut de valeur.
Sous le Troisième Reich, théorie et pratique se nourrirent mutuellement. Les dirigeants nazis encouragèrent les
recherches raciologiques de grands savants, qui s'efforcèrent à leur tour de fonder rationnellement la politique
irrationnelle des nouveaux maîtres de l'Allemagne. Aussi la « science aryenne » science des Aryens pour les seuls
Aryens fut-elle à la fois complice et complexe (R.N.Proctor). Dès les années 1930, le postulat de l'inégalité des
hommes devant la constitution du savoir fut appliqué aux sciences exactes elles-mêmes, comme l'illustrent les
thèses des physiciens Philipp Lenard et Johannes Stark, et du mathématicien Ludwig Bieberbach. De nombreux
anthropologues et généticiens de renom décidèrent eux aussi d'apporter une caution scientifique à des principes
dont ils connaissaient l'origine pour le moins douteuse. L'un des plus importants fut l'anthropologue Eugen Fischer,
qui affirma le premier que les lois mendeliennes de transmission héréditaire dans les cas d'hybridation s'appliquent à
l'homme, mais qui, dans le même temps, ne cessa pas de défendre les typologies raciales fixistes et la quête du
sang pur du Reich hitlérien. Autre brillant scientifique, le généticien eugéniste Fritz Lenz assimila groupes sociaux et
groupes raciaux, défendit la thèse de la supériorité nordique, et collabora à la politique d' « évacuation » des
territoires de l'Est en triant les hommes d'après les critères des typologies raciales qu'il dénonçait par ailleurs.
L'officier de la S.S. et spécialiste d'hématologie Otto Reche tenta pour sa part de distinguer les différentes races dont
le peuple allemand serait constitué et de déterminer un groupe sanguin propre à la race juive. Il faut évoquer
également le généticien Otmar von Verschuer, qui s'attacha à l'étude des prédispositions héréditaires de maladies et
de la criminalité, et qui défendit la thèse totalement dépassée de l'existence du plasma germinatif. Curieusement,
l'homme qui imposa ses vues aux plus grands scientifiques de l'époque, Hans Friedrich Karl Günther, n'était qu'un
anthropologue amateur, un disciple de Vacher de Lapouge sachant se réclamer avec habileté des connaissances
scientifiques les plus modernes pour confirmer des croyances totalement infondées. Les distinctions qu'il établit, à
l'aide de critères anthropométriques et psychologiques, entre sept races européennes principales servirent de
fondement théorique au racisme du Troisième Reich. Un autre fervent défenseur de l'idée nordique, Ludwig
Ferdinand Clauß, séduisit une partie de l'élite intellectuelle nationale-socialiste par sa « psychologie raciale ». Il
voulut saisir le mouvement propre à chaque âme raciale à l'aide de sa « méthode mimique », mais cette méthode ne
reposait en définitive que sur l'intuition du chercheur, qui devait posséder un talent inné pour percevoir en quoi des
traits de caractère universellement répandus se manifestent de manières différentes dans les différentes races. Tous
ces biologistes allemands ne parvinrent que rarement à préconiser unaniment les mêmes mesures raciales ou
eugénistes. Trois thèmes en particulier suscitèrent de nombreux débats : la race nordique, l'eugénisme et la race
juive. Le Parti choisit d'insister sur l'idée que la race nordique est de nature plus spirituelle que physique, qu'elle
constitue même une race idéale. La race nordique originelle ne pouvant être recréée, la renordification devrait passer
par le choix judicieux du conjoint et l'exclusion des indésirables. Indésirables entre tous, les Juifs furent finalement
définis comme un peuple hybride ayant tant pratiqué l'endogamie qu'il serait en passe de constituer une race, mais
avant tout une « race mentale » (Hitler), dont l'esprit plus que le corps est immédiatement ressenti comme étranger
par tout Allemand encore sain. Modèle pour le programme eugéniste de la race nordique, la race juive en fut la
principale victime, et en tout premier lieu dans le domaine « médical ». L'essentiel étant de préserver la vie digne
d'être vécue, les éléments pathogènes du corps du peuple furent parfois utilisés comme cobayes humains. Une
première catégorie d'expériences était destinée à accroître la puissance de l'Allemagne par l'augmentation de la
fécondité des femmes dignes de procréer, mais aussi en donnant aux soldats allemands un maximum de chances
de survie. La seconde catégorie d'expériences était destinée à lutter contre les ennemis de la race élue : les
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principales maladies bien sûr, mais aussi le sang étranger, dont la propagation devait être stoppée grâce aux
progrès des méthodes de stérilisation et de castration. La médecine aryenne fut donc la science « aryanocentrique »
par excellence. Cependant, si les médecins nazis avaient vraiment cru à l'altérité des races, ils n'auraient pas songé
à tester sur des races étrangères des médicaments destinés à la seule race aryenne. Le lien entre le travail des
scientifiques et celui des législateurs du Troisième Reich fut étroit, ces derniers ayant cherché à créer un système
juridique nouveau, d'inspiration purement germanique, conforme aux découvertes scientifiques les plus récentes.
Cette « biologie appliquée » (Rudolf Heß) à la société concerna en premier lieu la famille : adoption des lois raciales
au sein du Parti, puis de l'Etat, nécessitant une classification des parentèles ; législation relative au mariage et au
divorce ; incitation à l'union libre entre personnes de bon sang, etc. A cette eugénique positive a correspondu
l'eugénique négative qui toucha en premier lieu les « asociaux », c'est-à-dire les citoyens allemands qui montraient
par leur comportement qu'ils ne voulaient pas s'intégrer à la communauté. Ils formèrent « l'antirace
concentrationnaire » (Joseph Billig), le pendant négatif de l'élite S.S.. Mais ces mauvais Allemands étaient-ils en
définitive de véritables Allemands ? La trahison des conjurés du 20 juillet 1944 conforta Hitler et ses proches dans la
certitude que la race est bien plus un mode de pensée et d'être qu'un ensemble de traits somatiques. Convaincu que
l'anormalité est largement conditionnée par l'hérédité, l'Etat hitlérien lança son programme de stérilisation en 1933,
puis d'euthanasie dès le début de la guerre. Le fait que les Juifs internés en hôpitaux psychiatriques aient reçu un
traitement particulier met en évidence le lien existant entre l'eugénisme négatif du Reich et le génocide. Des «
traitements » meurtriers furent également appliqués, sous la direction de psychiatres, aux détenus des camps
devenus inaptes au travail. Le meurtre médical, pratiqué pour des raisons « sanitaires », devint alors véritablement
un meurtre médicalisé, c'est-à-dire un meurtre auquel était conférée une aura médicale, mais dont tout homme
pouvait être victime. Les mesures spécifiquement racistes du Troisième Reich relevaient de la même logique
eugéniste et darwiniste. Entre le pôle aryen et le pôle juif se trouvait toute une nébuleuse de races, qu'il est parfois
malaisé de situer sur une échelle allant de l'animalité à la divinité. Ainsi les catégories de « sang allemand » et de «
sang étranger à l'espèce » ne furent-elles jamais clairement définies. C'est la détermination de l'appartenance à la
race juive cette race qui n'était pas tant une race inférieure qu'une anti-race qui fut la plus problématique.
Conformément à son programme de 1920, le NSDAP exclut d'emblée les Juifs de la vie allemande afin de permettre
la renaissance de l' « esprit » allemand et de protéger le sang allemand contre toute souillure. Or, c'est avec
l'adoption des lois de Nuremberg que la politique antijuive nationale-socialiste prit toute sa dimension
pseudo-scientifique, car les rédacteurs de ces lois prétendirent se référer aux lois de Mendel pour distinguer les Juifs
des métis au premier ou au second degré, alors que le critère de l'appartenance religieuse des grands-parents
demeura en tout état de cause le critère ultime.
C'est pour cette raison que l'historien Michael Ley nie l'authenticité des considérations raciales nationales-socialistes,
ne voyant dans les les lois « raciales » du Reich que des lois religieuses. De même, pour Raul Hilberg, les crimes du
Troisième Reich contre les Juifs relèveraient de la même motivation que ceux de l'Eglise, et ne s'en distingueraient
que par leur ampleur. Il ne faut toutefois pas négliger l'importance fondamentale de la pensée et du vocabulaire
biologisants à l'oeuvre sous le Troisième Reich. En fait, cet Etat fut une biocratie à l'aura médicale perverse, et
l'extermination des indésirables conçue comme une mesure sanitaire et rationnelle. En outre, c'était la voix du sang,
double biologique de l'Esprit saint, qui seule enseignait à distinguer l'homme sain du dégénéré, le bien du mal. La
dimension spécifiquement religieuse du racisme nazi est donc sans doute à chercher davantage du côté de sa
fonction que de son origine : phénomène indiscutablement moderne, ce racisme posséda la puissance mobilisatrice
et éventuellement assassine des grandes fois religieuses.
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