"Ceci est ton sang", ou l'anthropologie nationale-socialiste entre mysticisme et sciences aryennes
pure était encore à créer. Mais la race de Chamberlain est une race ressentie, de sorte que la race idéale à créer
n'est autre qu'une race essentiellement mystique.
Les principaux théoriciens de l'idéologie nationale-socialiste constituèrent leur anthropologie sur cet arrière-plan
philosophique, mais on ne peut qu'être frappé de la distance qui les sépare sur des questions aussi essentielles que
celles de l'identité de leurs ancêtres, ou encore de la fonction historique des nomades. En fait, l'idéologie
nationale-socialiste s'est davantage définie de manière négative, par la désignation de ses ennemis, qu'en précisant
la nature de la race d'élite, comme si celle-ci allait de soi. Alfred Rosenberg fut sans nul doute le plus mystique
d'entre eux. Esquissant dans son Mythe du XXe siècle un tableau de l'histoire universelle depuis les origines de la
civilisation humaine, il affirme que toute création culturelle de l'histoire mondiale ne serait l'oeuvre que de la seule
race nordique. En une lecture très hérétique des textes de Maître Eckhart, Rosenberg affirme que l' « étincelle » dont
parle le mystique rhénan, cette part de l'homme qui est en Dieu, serait l'expression même de la nature nordique : un
sens inné, divin, de l'honneur et de la liberté. Face à cet homme nordique rêvé dans le Mythe se dresse le Juif, être
statique et dominateur, que son mythe de l'élection divine pousse à la domination mondiale. Assimilant les Juifs à
Satan même, Rosenberg prétendit que la seule présence des Juifs serait responsable de l'impossibilité pour les
Allemands de réaliser l'union mystique avec Dieu et entre eux à laquelle leur sang les prédispose pourtant. Comme
Rosenberg, Adolf Hitler ne cessa jamais de situer l'opposition entre Juifs et Aryens au coeur de sa vision du monde,
et, comme Rosenberg, il conçut cette opposition essentiellement sur le mode religieux. Face à l'Aryen, être
prométhéen et miraculeux auquel Dieu aurait confié sa création, se dresserait son antithèse la plus complète, le Juif,
parasite dépourvu de toute vie spirituelle. Pour lutter contre l'ennemi par excellence, Hitler prétendit vouloir se
dégager de la tradition antijuive séculaire pour pratiquer un « antisémitisme scientifique ». Mais cet antisémitisme ne
parvint en fait jamais à s'élever au-dessus du niveau d'un darwinisme social primaire. Il faut surtout remarquer que le
darwinisme de Hitler s'accommode très bien avec un véritable panthéisme, au point qu'on peut se demander si le
vocabulaire darwiniste de Hitler ne recouvre pas en fait de pures croyances religieuses. L'idéologie hitlérienne pose
la question fondamentale de l'origine et de la signification du Mal, et montre que la mission historique et téléologique
des Allemands consiste à sauver les Aryens afin de préserver la Création du chaos. Beaucoup moins métaphysique,
l'antisémitisme de Julius Streicher a pour particularité de reposer sur une vision pornographique des relations entre
Juifs et non-Juifs, comme si la lutte des races devait presque toujours se jouer sur le terrain de la sexualité. Le sang
constitua un thème obsessionnel de la pensée de Streicher. On le retrouve décliné sous ses différentes formes (sang
du meurtre, sang du sacrifice rituel, sang symbole de vie au même titre que le sperme, etc.) dans le Stürmer. Les
innombrables crimes sexuels attribués aux Juifs y sont invariablement expliqués par deux facteurs : l'obéissance à la
loi talmudique et l'hérédité. Attaquer les non-Juifs serait un commandement religieux, fruit de l'esprit de la race juive,
ayant pour objectif d'anéantir les « goys » physiquement et moralement. Adepte de la croyance (alors très
controversée) en la prépotence du sang juif, Streicher affirmait qu'en ayant des rapports avec de jeunes Allemandes,
les Juifs condamnaient leurs victimes à être souillées à tout jamais. Le Reichsführer SS fut l'homme le plus
représentatif de la tension permanente entre rationalité et irrationalité au sein de l'idéologie et de la pratique
nationales-socialistes. Bien que Himmler n'ait jamais douté de sa capacité à contribuer au triomphe de la science, et
notamment au savoir de la race qu'il considérait comme l' « évangile allemand », on constate que sa conception du
monde ne reposait en définitive que sur un ensemble de croyances généralement sans fondement, et que son
anthropologie se caractérisait avant tout par sa grande imprécision conceptuelle. En dehors des « Germains »,
Himmler ne semble connaître l'existence de quasiment aucun autre groupe ethnique que les « Slaves » et les « Juifs
», les premiers représentant avant tout un ennemi politique, et les seconds incarnant un ennemi métaphysique. A
l'antithèse hitlérienne Aryens-Juifs, Himmler substitue donc l'opposition Europe-Asie. Souvent assimilés aux
bolcheviques, les Slaves non assimilables se confondent à terme avec les Juifs, pour ne plus constituer qu'un seul
et même principe négatif. Himmler ne décrit jamais le phénotype juif, comme si l'ennemi était totalement désincarné.
Son seul trait distinctif est sa volonté de destruction et de domination. Caste de prêtres unis par le sang et par
l'esprit, la S.S. n'eut quant à elle pas le sang aussi pur qu'on le dit. Après une période de recrutement des plus
strictes dans les années 1930, l'Ordre noir s'ouvrit à tous les Européens d'origine nordique, puis, après la défaite de
Stalingrad, aux Européens de l'Est, et même aux Tsiganes ! Richard Walther Darré partageait avec le Reichsführer
SS le rêve de mettre en place un élevage d'hommes supérieurs. Le mysticisme de Himmler lui était toutefois
étranger, car il concevait la race d'une manière résolument matérialiste. Il distingua deux catégories d'individus, «
deux contraires absolus et insurmontables » : le sédentaire d'une part, qui cultive un sol et qui est à l'origine de toute
Copyright © Université Paris-Sorbonne Page 4/6