Réseau Action Climat France Changement climatique : pour ranimer la dynamique politique Lettre ouverte aux députés, sénateurs, membres du Conseil constitutionnel, Président de la République, Premier ministre, , M le Ministre de l’Economie et des Finances, Mme la Ministre de l’Environnement, M le Secrétaire d’Etat à l’Industrie, M le Président de la Mission Interministérielle de l’Effet de Serre, et M le Président de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie Tout au long de l'année 2000, la Ministre de l’Environnement, le Premier Ministre et le Président de la République ont affirmé la volonté de la France de jouer un rôle de chef de file dans la lutte contre le changement climatique. Ce fut le cas lors de la présentation du Programme national de lutte contre le changement climatique, en janvier, puis lors des conférences internationales de Lyon et de La Haye, en septembre et novembre. En présentant ses vœux télévisés, le 31 décembre, le Président de la République a encore insisté sur ce point. Le 6 février dernier, le Parlement français conférait à la lutte contre "l'intensification de l'effet de serre" la qualité de "priorité nationale", avec le soutien "sans réserve" du gouvernement et de l'ensemble des groupes politiques. Pour que ces paroles aient une quelconque crédibilité, encore faudrait-il qu'elles soient suivies d'actes. Au contraire, une succession d'initiatives politiques hétéroclites récentes empêchent pour l'instant l'application de la plupart des mesures du Programme national de lutte contre le changement climatique. Dans le domaine des transports, les mesures prévues par ce Programme, déjà insuffisantes pour empêcher une croissance des émissions de ce secteur, sont passées à la trappe en septembre dernier. La suppression de la vignette et du rattrapage programmé du gazole, la relance du programme autoroutier, la supériorité des crédits destinés à la route par rapport à ceux dévolus au rail dans les contrats de plan État-Régions, vont pousser les émissions à la hausse. Quant à la principale mesure destinée à réduire les émissions dans l'industrie, l'extension de la TGAP aux consommations intermédiaires d'énergie, elle a été largement affaiblie par les arbitrages inter-ministériels puis par le Parlement, avant de se voir finalement censurée par le Conseil Constitutionnel le 28 décembre, suite à deux saisines émanant de députés et de sénateurs de l'opposition. Même si le projet gouvernemental était loin de nous satisfaire, les arguments retenus par le Conseil constitutionnel sont à nos yeux inacceptables. Comme le montre le dossier ci-joint, cette institution est sortie de son rôle d'expertise juridique pour se risquer à une expertise économique et environnementale sans visiblement en posséder les capacités. Quant aux députés et sénateurs à l'origine de ces saisines, ils ont pris le risque de ruiner la crédibilité de la France devant l'ONU, en réduisant le cri d'alarme du Président de la République à une gesticulation dénuée de volonté politique. Réseau Action Climat France, 2B rue Jules Ferry, 93100 MONTREUIL Tel : 01,48,58,83,92 ; Fax : 01,48,51,95,12 ; E-mail : [email protected] ; www.rac-f.org Réseau Action Climat France Aujourd'hui, la lutte contre l'effet de serre est au point mort en France. Cette carence apparaîtra clairement en juin prochain, lors de la première évaluation de la mise en œuvre du Programme national, si des mesures radicales ne sont pas prises d'ici là : priorité absolue doit être donnée aux alternatives au tout autoroute et au tout camion (ferroviaires, fluvial, cabotage) dans le schéma de service transports (issu de la LOADDT) et dans les contrats Etat-Régions ; jusqu'à présent, le gouvernement n'a pas réagi à l'annulation de l'extension de la TGAP. Il est indispensable qu'il annonce dans les mois qui viennent un nouveau projet de taxation de l'énergie qui permette de lutter efficacement contre les pollutions climatique et radioactive. Nous ne nous contenterons pas de formules floues du type engagements volontaires de l'industrie, qui ont amplement montré leur inefficacité. Dans un dossier qui sera présenté à la presse mardi 20 février, nous proposons des pistes pour une taxation efficace et cohérente de l'énergie et des émissions de gaz à effet de serre1. Nous souhaitons par ailleurs que le Conseil constitutionnel réponde à nos critiques, et que les groupes parlementaires à l'origine de la saisine nous expliquent quelle politique ils comptent défendre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l'industrie, les transports et les autres secteurs. Organisations signataires: Réseau Action Climat Agir pour l'environnement Les Amis de la Terre Comité de Liaison Energies Renouvelables FNAUT France Nature Environnement Greenpeace-France Réseau sortir du nucléaire WWF-France 1 Contact : Réseau Action Climat, 01 48 58 83 92. Réseau Action Climat France, 2B rue Jules Ferry, 93100 MONTREUIL Tel : 01,48,58,83,92 ; Fax : 01,48,51,95,12 ; E-mail : [email protected] ; www.rac-f.org Réseau Action Climat France Critique de la décision du Conseil constitutionnel2 Parmi les arguments des parlementaires, le Conseil constitutionnel en a accepté deux. Sur ces deux points, cette institution est sortie de son rôle d'expertise juridique pour se risquer à une expertise économique et environnementale sans visiblement en posséder les capacités. Premier argument, " il est prévu de soumettre l'électricité à la taxe, alors pourtant qu'en raison de la nature des sources de production de l'électricité en France, la consommation d'électricité contribue très faiblement au rejet de gaz carbonique et permet, par substitution à celle des produits énergétiques fossiles, de lutter contre l' effet de serre ". Cet argument ignore deux réalités. Tout d'abord, l'ouverture progressive du marché de l'électricité européen, qui permet d'ores et déjà à certaines entreprises3, et bientôt à toutes, de recourir à des fournisseurs d'autres pays de l'Union européenne, qui produisent majoritairement l'électricité grâce à des énergies fossiles. Ensuite, le fait qu'en France même, ce sont des centrales à charbon et à fuel qui fournissent l'électricité marginale, c'est-à-dire qui sont mises en service ou stoppées selon l'évolution de la demande. Autrement dit, même si en moyenne 80 % de l'électricité est nucléaire, les mesures d'économie d'électricité (par exemple la TGAP) réduisent d'abord la production de courant par les centrales à combustibles fossiles. Anciennes, ces dernières brûlent les combustibles les plus nuisibles au climat (fuel, charbon) avec un piètre rendement (environ 30 %)4. Aussi, l'émission de CO2 par kWh marginal varie selon les usages mais dépasse généralement largement l'émission moyenne de CO2 par kWh. Cette manière de comptabiliser l'intensité en gaz à effet de serre de la production électrique est refusée – on comprend pourquoi – par EDF. Pourtant, l'une des grandes fiertés de cette entreprise est d'avoir développé une tarification en fonction du coût marginal de production de l'électricité 5 . Comment peut-on défendre le raisonnement marginaliste pour les tarifs électriques et le refuser pour fixer la TGAP sur l'électricité ? Le contenu moyen en CO2 du kWh produit en Europe s'élève à environ 500 g. Le contenu marginal en CO2 du kWh produit en France est d'environ 350 g6. Or, le projet de loi taxait l'électricité comme si un kWh émettait 183 g de CO2. De ces deux points de vue, l'électricité apparaissait sous-taxée, et non sur-taxée, dans le projet de loi. 2 Cette décision, ainsi que les saisines, la liste de leurs signataires et les observations du gouvernement, sont disponibles sur http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2000/2000441/. 3 Soit 30 % de la demande émanant de l'industrie. 4 Pour une même production, une centrale à gaz moderne à cycle combinée ou, mieux, à cogénération (production combinée de chaleur et d'électricité), atteint un rendement deux à trois fois supérieur. Mais la priorité absolue donnée par EDF au nucléaire sur les autres sources d'énergie aboutit à ce que le parc de centrales thermiques (non nucléaires) français émet beaucoup plus de gaz à effet de serre, par kWh produit, que ceux de nos principaux voisins. 5 Grâce en particulier aux travaux de Marcel Boiteux, ancien directeur général d'EDF, qui constituent l'une des principales contributions de notre pays à la théorie économique. Cf. M. Boiteux, "Sur la gestion des monopoles publics astreints à l'équilibre budgétaire", Econometrica, 24(1) pp. 22-40, 1956. 6 Etude de l'INESTENE pour l'ADEME (2000) pour le kWh marginal et Agence Internationale de l'Énergie pour le contenu en CO2 du kWh en Europe. Réseau Action Climat France, 2B rue Jules Ferry, 93100 MONTREUIL Tel : 01,48,58,83,92 ; Fax : 01,48,51,95,12 ; E-mail : [email protected] ; www.rac-f.org Réseau Action Climat France Plus fondamentalement, la TGAP ne doit pas avoir pour seul but de lutter contre le réchauffement climatique, mais aussi d'inciter aux économies d'énergies en général, ce qui est particulièrement justifié dans le cas du nucléaire, dont les déchets resteront dangereux pendant des milliers d’années. Le Conseil va-t-il pousser sa logique absurde jusqu'au bout et censurer les mesures d'isolation des logements qui sont chauffés à l'électricité ? Second argument du Conseil, "les modalités de calcul de la taxe […] pourraient conduire à ce qu'une entreprise soit taxée plus fortement qu'une entreprise analogue, alors même qu'elle aurait contribué de façon moindre au rejet de gaz carbonique dans l'atmosphère." Cet argument méconnaît la logique même des abattements à la base, qui est de maintenir une même incitation pour tous les contribuables en limitant la facture totale pour les gros émetteurs. Rappelons donc le principe de ces abattements. Il s'agit de fixer un unique taux de taxe pour toutes les entreprises, en retenant pour assiette de la taxe non les émissions totales, mais seulement les émissions au-dessus d'un certain niveau de référence. Autrement dit, les firmes doivent payer une taxe d'un montant : T=t.(E-R) où t est le taux de taxe (260F/tonne de carbone dans le projet de loi), E le niveau d'émissions et R le niveau de référence. Par exemple, une entreprise qui émet 1 000 tonnes de carbone en 2001, et dont les pouvoirs publics ont fixé le niveau de référence à 800 tonnes, payerait 260 x (1 000-800) = 52 000 francs, contre 260 000 F si la taxe n'avait pas comporté d'abattement. Avec ou sans abattement, cette entreprise gagne 26 000 F quand elle diminue ses émissions de 100 tonnes. L'intérêt de la formule apparaît clairement : maintenir une incitation forte à réduire les émissions, tout en allégeant la somme totale payée par les gros émetteurs. Si les firmes ne peuvent pas manipuler le niveau de référence, et si celui-ci est suffisamment strict, ce système maintient, pour chaque firme, la même incitation à réduire ses émissions7. C'est pourquoi ce type d'abattement a la faveur des économistes spécialistes des questions d'environnement, au contraire par exemple de la fixation d’un taux de taxe plus faible ou de l'exemption complète de certaines industries8. Le Conseil ignore-t-il que dans le cadre de la politique de l'eau, ou de la pollution atmosphérique par les sources fixes par exemple, un gros pollueur peut payer moins qu'un petit, par le biais des subventions reçues pour réduire ses émissions ? 7 Cependant, ces conditions n'étaient pas clairement satisfaite par le projet (cf. plus loin). 8 Cf. par exemple Sylviane Gastaldo, Note de travail sur les modalités des clauses d'exemption lors de la mise en place d'une taxe environnementale, INSEE, ou encore D. Bureau et J.-C. Hourcade, "Les dividendes économiques d'une réforme fiscale écologique", Rapport du Conseil d'analyse économique Fiscalité de l'environnement, 1998. Réseau Action Climat France, 2B rue Jules Ferry, 93100 MONTREUIL Tel : 01,48,58,83,92 ; Fax : 01,48,51,95,12 ; E-mail : [email protected] ; www.rac-f.org Réseau Action Climat France Critique du projet de loi Si les arguments du Conseil sont inacceptables, il n'en reste pas moins que le projet de loi était loin de nous satisfaire, ceci pour trois raisons : à cause des multiples exonérations prévues : exonération des entreprises consommant moins de 100 tonnes équivalent pétrole par an, plafonnement de la taxe à 0,3 % de la valeur ajoutée ; parce que les critères de négociation du niveau de référence étaient loin de fournir les garanties suffisantes pour éviter un détournement du principe de la taxe ; enfin, parce qu'il ne concernait ni les transports, ni les ménages, ni les administrations. Il est vrai que la facture énergétique représente une charge non négligeable pour les ménages modestes, en particulier ceux chauffés à l'électricité et ceux qui logent loin de leur lieu de travail sans bénéficier de transports en commun efficaces. Ce n'est pas une raison valable pour exonérer de la TGAP ces utilisations, pourvu que l'État s'engage à compenser ces ménages. Cette compensation pourrait prendre la forme d'un versement forfaitaire 9 , ainsi que de subventions aux économies d'énergie et à l'usage des transports en commun, à l'installation de chauffe-eau solaires, de chaudières à bois, etc. De plus, le montant prévu dans le projet de loi aurait été significatif pour les entreprises, dont les consommations d'énergie sont très peu taxées aujourd'hui, mais peu pour les ménages, dont les consommations le sont davantage. Par exemple, les taxes sur le super sans plomb n'augmenteraient que de 4 % en ajoutant une taxe à 260 F/tonne de carbone, alors que celles sur le fuel pour les industriels doubleraient en pareil cas. Quant au charbon, il n'est aujourd'hui pas taxé du tout10. De même, dans les administrations, un énorme potentiel d'économies d'énergies est disponible, souvent avec un temps de retour très faible. L'ampleur de ces gisements rentables d'économie d'énergie a d'ailleurs été mise en évidence par les services du Premier Ministre eux-mêmes11. Même si les gestionnaires des administrations ne se comportent pas comme des chefs d'entreprise, ils n'y a pas de raison de penser qu'ils ne réagiraient pas à une hausse du coût de l'énergie, car celle-ci accélérerait la rentabilité des investissements économisant l'énergie. Enfin, la croissance tendancielle des émissions dues aux transports ne saurait être empêchée sans une augmentation du prix des carburants. Réseau Action Climat 9 Prenons l'exemple d'un ménage chauffé à l'électricité, abonné au tarif bleu d'EDF avec une puissance de 6 kW sans l'option heures creuses. Son abonnement annuel s'élève donc à 327,84 F HT et le kWh est tarifé 51,1 centimes HT. L'application de la TGAP au tarif prévu dans le projet de loi ferait passer le coût du kWh à 52,4 centimes HT. Si ce ménage consomme 10 000 kWh par an, soit une facture de 6 500 F TTC, il suffit que l'État reverse les recettes de la taxe en remboursant 150 F sur l'abonnement, pour que la facture totale reste stable. Par contre, puisque le coût du kWh a monté, les économies d'énergie seront plus rapidement rentables pour ce ménage. 10 Cette mesure, destinée à l'origine à protéger la production nationale, devient parfaitement aberrante maintenant que le charbon est importé à 80 %. 11 Mission interministérielle de l'effet de serre, http://www.effet-de-serre.gouv.fr/fr/solutions/index.htm. Mémento des décideurs, Paris, Réseau Action Climat France, 2B rue Jules Ferry, 93100 MONTREUIL Tel : 01,48,58,83,92 ; Fax : 01,48,51,95,12 ; E-mail : [email protected] ; www.rac-f.org juin 99,