Réseau Action Climat France
Réseau Action Climat France, 2B rue Jules Ferry, 93100 MONTREUIL
Tel : 01,48,58,83,92 ; Fax : 01,48,51,95,12 ; E-mail : [email protected] ; www.rac-f.org
Changement climatique :
pour ranimer la dynamique politique
Lettre ouverte aux députés, sénateurs, membres du Conseil constitutionnel, Président de la
République, Premier ministre, , M le Ministre de l’Economie et des Finances, Mme la Ministre
de l’Environnement, M le Secrétaire d’Etat à l’Industrie, M le Président de la Mission
Interministérielle de l’Effet de Serre, et M le Président de l’Agence de l’Environnement et de la
Maîtrise de l’Énergie
Tout au long de l'année 2000, la Ministre de l’Environnement, le Premier Ministre et le
Président de la République ont affirmé la volonté de la France de jouer un rôle de chef de file
dans la lutte contre le changement climatique. Ce fut le cas lors de la présentation du
Programme national de lutte contre le changement climatique, en janvier, puis lors des
conférences internationales de Lyon et de La Haye, en septembre et novembre. En présentant
ses vœux télévisés, le 31 décembre, le Président de la République a encore insisté sur ce point.
Le 6 février dernier, le Parlement français conférait à la lutte contre "l'intensification de l'effet
de serre" la qualité de "priorité nationale", avec le soutien "sans réserve" du gouvernement et de
l'ensemble des groupes politiques.
Pour que ces paroles aient une quelconque crédibilité, encore faudrait-il qu'elles soient suivies
d'actes. Au contraire, une succession d'initiatives politiques hétéroclites récentes empêchent
pour l'instant l'application de la plupart des mesures du Programme national de lutte
contre le changement climatique.
Dans le domaine des transports, les mesures prévues par ce Programme, déjà insuffisantes pour
empêcher une croissance des émissions de ce secteur, sont passées à la trappe en septembre
dernier. La suppression de la vignette et du rattrapage programmé du gazole, la relance du
programme autoroutier, la supériorité des crédits destinés à la route par rapport à ceux dévolus
au rail dans les contrats de plan État-Régions, vont pousser les émissions à la hausse.
Quant à la principale mesure destinée à réduire les émissions dans l'industrie, l'extension de la
TGAP aux consommations intermédiaires d'énergie, elle a été largement affaiblie par les
arbitrages inter-ministériels puis par le Parlement, avant de se voir finalement censurée par le
Conseil Constitutionnel le 28 décembre, suite à deux saisines émanant de députés et de
sénateurs de l'opposition.
Même si le projet gouvernemental était loin de nous satisfaire, les arguments retenus par le
Conseil constitutionnel sont à nos yeux inacceptables. Comme le montre le dossier ci-joint,
cette institution est sortie de son rôle d'expertise juridique pour se risquer à une expertise
économique et environnementale sans visiblement en posséder les capacités.
Quant aux députés et sénateurs à l'origine de ces saisines, ils ont pris le risque de ruiner la
crédibilité de la France devant l'ONU, en réduisant le cri d'alarme du Président de la République
à une gesticulation dénuée de volonté politique.
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Aujourd'hui, la lutte contre l'effet de serre est au point mort en France. Cette carence
apparaîtra clairement en juin prochain, lors de la première évaluation de la mise en
œuvre du Programme national, si des mesures radicales ne sont pas prises d'ici là :
priorité absolue doit être donnée aux alternatives au tout autoroute et au tout camion
(ferroviaires, fluvial, cabotage) dans le schéma de service transports (issu de la LOADDT)
et dans les contrats Etat-Régions ;
jusqu'à présent, le gouvernement n'a pas agi à l'annulation de l'extension de la TGAP. Il
est indispensable qu'il annonce dans les mois qui viennent un nouveau projet de taxation de
l'énergie qui permette de lutter efficacement contre les pollutions climatique et radioactive.
Nous ne nous contenterons pas de formules floues du type engagements volontaires de
l'industrie, qui ont amplement montré leur inefficacité. Dans un dossier qui sera présenté à
la presse mardi 20 février, nous proposons des pistes pour une taxation efficace et cohérente
de l'énergie et des émissions de gaz à effet de serre
1
.
Nous souhaitons par ailleurs que le Conseil constitutionnel réponde à nos critiques, et que les
groupes parlementaires à l'origine de la saisine nous expliquent quelle politique ils comptent
défendre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l'industrie, les transports et les
autres secteurs.
Organisations signataires:
Réseau Action Climat
Agir pour l'environnement
Les Amis de la Terre
Comité de Liaison Energies Renouvelables
FNAUT
France Nature Environnement
Greenpeace-France
Réseau sortir du nucléaire
WWF-France
1
Contact : Réseau Action Climat, 01 48 58 83 92.
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Critique de la décision du Conseil constitutionnel
2
Parmi les arguments des parlementaires, le Conseil constitutionnel en a accepté deux. Sur ces
deux points, cette institution est sortie de son rôle d'expertise juridique pour se risquer à une
expertise économique et environnementale sans visiblement en posséder les capacités.
Premier argument, " il est prévu de soumettre l'électricité à la taxe, alors pourtant qu'en raison de la
nature des sources de production de l'électricité en France, la consommation d'électricité contribue très
faiblement au rejet de gaz carbonique et permet, par substitution à celle des produits énergétiques
fossiles, de lutter contre l' effet de serre ". Cet argument ignore deux réalités.
Tout d'abord, l'ouverture progressive du marché de l'électricité européen, qui permet d'ores et
déjà à certaines entreprises
3
, et bientôt à toutes, de recourir à des fournisseurs d'autres pays de
l'Union européenne, qui produisent majoritairement l'électricité grâce à des énergies fossiles.
Ensuite, le fait qu'en France même, ce sont des centrales à charbon et à fuel qui fournissent
l'électricité marginale, c'est-à-dire qui sont mises en service ou stoppées selon l'évolution de la
demande. Autrement dit, même si en moyenne 80 % de l'électricité est nucléaire, les mesures
d'économie d'électricité (par exemple la TGAP) réduisent d'abord la production de courant par
les centrales à combustibles fossiles. Anciennes, ces dernières brûlent les combustibles les plus
nuisibles au climat (fuel, charbon) avec un piètre rendement (environ 30 %)
4
. Aussi, l'émission
de CO2 par kWh marginal varie selon les usages mais dépasse généralement largement
l'émission moyenne de CO2 par kWh. Cette manière de comptabiliser l'intensité en gaz à effet
de serre de la production électrique est refusée on comprend pourquoi par EDF. Pourtant,
l'une des grandes fiertés de cette entreprise est d'avoir développé une tarification en fonction du
coût marginal de production de l'électricité
5
. Comment peut-on défendre le raisonnement
marginaliste pour les tarifs électriques et le refuser pour fixer la TGAP sur l'électricité ?
Le contenu moyen en CO2 du kWh produit en Europe s'élève à environ 500 g. Le contenu
marginal en CO2 du kWh produit en France est d'environ 350 g
6
. Or, le projet de loi taxait
l'électricité comme si un kWh émettait 183 g de CO2. De ces deux points de vue, l'électricité
apparaissait sous-taxée, et non sur-taxée, dans le projet de loi.
2
Cette décision, ainsi que les saisines, la liste de leurs signataires et les observations du gouvernement, sont
disponibles sur http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2000/2000441/.
3
Soit 30 % de la demande émanant de l'industrie.
4
Pour une même production, une centrale à gaz moderne à cycle combinée ou, mieux, à cogénération (production
combinée de chaleur et d'électricité), atteint un rendement deux à trois fois supérieur. Mais la priorité absolue
donnée par EDF au nucléaire sur les autres sources d'énergie aboutit à ce que le parc de centrales thermiques (non
nucléaires) français émet beaucoup plus de gaz à effet de serre, par kWh produit, que ceux de nos principaux
voisins.
5
Grâce en particulier aux travaux de Marcel Boiteux, ancien directeur général d'EDF, qui constituent l'une des
principales contributions de notre pays à la théorie économique. Cf. M. Boiteux, "Sur la gestion des monopoles
publics astreints à l'équilibre budgétaire", Econometrica, 24(1) pp. 22-40, 1956.
6
Etude de l'INESTENE pour l'ADEME (2000) pour le kWh marginal et Agence Internationale de lnergie pour le
contenu en CO2 du kWh en Europe.
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Plus fondamentalement, la TGAP ne doit pas avoir pour seul but de lutter contre le
réchauffement climatique, mais aussi d'inciter aux économies d'énergies en général, ce qui est
particulièrement justifié dans le cas du nucléaire, dont les déchets resteront dangereux pendant
des milliers d’années. Le Conseil va-t-il pousser sa logique absurde jusqu'au bout et censurer
les mesures d'isolation des logements qui sont chauffés à l'électricité ?
Second argument du Conseil, "les modalités de calcul de la taxe […] pourraient conduire à ce
qu'une entreprise soit taxée plus fortement qu'une entreprise analogue, alors même qu'elle aurait
contribué de façon moindre au rejet de gaz carbonique dans l'atmosphère." Cet argument méconnaît
la logique même des abattements à la base, qui est de maintenir une même incitation pour tous
les contribuables en limitant la facture totale pour les gros émetteurs. Rappelons donc le
principe de ces abattements. Il s'agit de fixer un unique taux de taxe pour toutes les entreprises,
en retenant pour assiette de la taxe non les émissions totales, mais seulement les émissions
au-dessus d'un certain niveau de référence.
Autrement dit, les firmes doivent payer une taxe d'un montant :
T=t.(E-R) t est le taux de taxe (260F/tonne de carbone dans le projet de loi), E le niveau
d'émissions et R le niveau de référence.
Par exemple, une entreprise qui émet 1 000 tonnes de carbone en 2001, et dont les pouvoirs
publics ont fixé le niveau de référence à 800 tonnes, payerait 260 x (1 000-800) = 52 000 francs,
contre 260 000 F si la taxe n'avait pas comporté d'abattement. Avec ou sans abattement, cette
entreprise gagne 26 000 F quand elle diminue ses émissions de 100 tonnes. L'intérêt de la
formule apparaît clairement : maintenir une incitation forte à réduire les émissions, tout en
allégeant la somme totale payée par les gros émetteurs.
Si les firmes ne peuvent pas manipuler le niveau de référence, et si celui-ci est suffisamment
strict, ce système maintient, pour chaque firme, la même incitation à duire ses émissions
7
.
C'est pourquoi ce type d'abattement a la faveur des économistes spécialistes des questions
d'environnement, au contraire par exemple de la fixation d’un taux de taxe plus faible ou de
l'exemption complète de certaines industries
8
.
Le Conseil ignore-t-il que dans le cadre de la politique de l'eau, ou de la pollution
atmosphérique par les sources fixes par exemple, un gros pollueur peut payer moins qu'un petit,
par le biais des subventions reçues pour réduire ses émissions ?
7
Cependant, ces conditions n'étaient pas clairement satisfaite par le projet (cf. plus loin).
8
Cf. par exemple Sylviane Gastaldo, Note de travail sur les modalités des clauses d'exemption lors de la mise en
place d'une taxe environnementale, INSEE, ou encore D. Bureau et J.-C. Hourcade, "Les dividendes économiques
d'une réforme fiscale écologique", Rapport du Conseil d'analyse économique Fiscalité de l'environnement, 1998.
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Critique du projet de loi
Si les arguments du Conseil sont inacceptables, il n'en reste pas moins que le projet de loi était
loin de nous satisfaire, ceci pour trois raisons :
à cause des multiples exonérations prévues : exonération des entreprises consommant
moins de 100 tonnes équivalent pétrole par an, plafonnement de la taxe à 0,3 % de la valeur
ajoutée ;
parce que les critères de gociation du niveau de référence étaient loin de fournir les
garanties suffisantes pour éviter un détournement du principe de la taxe ;
enfin, parce qu'il ne concernait ni les transports, ni les ménages, ni les administrations.
Il est vrai que la facture énergétique représente une charge non négligeable pour les ménages
modestes, en particulier ceux chauffés à l'électricité et ceux qui logent loin de leur lieu de travail
sans bénéficier de transports en commun efficaces. Ce n'est pas une raison valable pour
exonérer de la TGAP ces utilisations, pourvu que l'État s'engage à compenser ces ménages.
Cette compensation pourrait prendre la forme d'un versement forfaitaire
9
, ainsi que de
subventions aux économies d'énergie et à l'usage des transports en commun, à l'installation de
chauffe-eau solaires, de chaudières à bois, etc.
De plus, le montant prévu dans le projet de loi aurait été significatif pour les entreprises, dont
les consommations d'énergie sont très peu taxées aujourd'hui, mais peu pour les ménages, dont
les consommations le sont davantage. Par exemple, les taxes sur le super sans plomb
n'augmenteraient que de 4 % en ajoutant une taxe à 260 F/tonne de carbone, alors que celles sur
le fuel pour les industriels doubleraient en pareil cas. Quant au charbon, il n'est aujourd'hui pas
taxé du tout
10
.
De même, dans les administrations, un énorme potentiel d'économies d'énergies est disponible,
souvent avec un temps de retour très faible. L'ampleur de ces gisements rentables d'économie
d'énergie a d'ailleurs été mise en évidence par les services du Premier Ministre eux-mêmes
11
.
Même si les gestionnaires des administrations ne se comportent pas comme des chefs
d'entreprise, ils n'y a pas de raison de penser qu'ils ne réagiraient pas à une hausse du coût de
l'énergie, car celle-ci accélérerait la rentabilité des investissements économisant l'énergie.
Enfin, la croissance tendancielle des émissions dues aux transports ne saurait être empêchée
sans une augmentation du prix des carburants.
Réseau Action Climat
9
Prenons l'exemple d'un ménage chauffé à l'électricité, abonné au tarif bleu d'EDF avec une puissance de 6 kW
sans l'option heures creuses. Son abonnement annuel s'élève donc à 327,84 F HT et le kWh est tarifé 51,1 centimes
HT. L'application de la TGAP au tarif prévu dans le projet de loi ferait passer le coût du kWh à 52,4 centimes HT.
Si ce ménage consomme 10 000 kWh par an, soit une facture de 6 500 F TTC, il suffit que l'État reverse les recettes
de la taxe en remboursant 150 F sur l'abonnement, pour que la facture totale reste stable. Par contre, puisque le coût
du kWh a monté, les économies d'énergie seront plus rapidement rentables pour ce ménage.
10
Cette mesure, destinée à l'origine à protéger la production nationale, devient parfaitement aberrante maintenant
que le charbon est importé à 80 %.
11
Mission interministérielle de l'effet de serre, Mémento des décideurs, Paris, juin 99,
http://www.effet-de-serre.gouv.fr/fr/solutions/index.htm.
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