solidarité l’élément capable de réconcilier les parties et le tout, les individus et l’État, le peuple
souverain et la République.
Le terme a une origine juridique ancienne : agir in solidum, indique une action solidaire de
parties. Illustré en biologie par l’interdépendance des cellules d’un tissu ou des organes d’un corps
vivant, il est un concept majeur de la sociologie naissante avec Auguste Comte puis Émile
Durkheim qui théorise la notion de “ solidarité organique ” liant individu et société.
Le succès foudroyant du terme solidarité dans le vocabulaire politique de la IIIème République
s’explique par le fait que la notion est assez large pour que chaque tendance politique puisse s’y
reconnaître.
Charles Gide écrit en 1909 à ce propos : “ Le mot de solidarité qui autrefois n’était guère
employé que dans la langue juridique, depuis une vingtaine d’années fait retentir tous les échos, en
France tout au moins. Non seulement c’est le mot de la fin de toutes les harangues officielles, de
toutes les conférences sociales, de tous les appels pour déclencher les grèves ou pour délier les
bourses, mais il revient de plus en plus comme tête de chapitre dans les traités de morale et de
politique. ”
Le terme vient avantageusement remplacer celui de charité, d’inspiration chrétienne. “ On
entend à toute occasion répéter cette formule applaudie : la charité dégrade, la solidarité relève ”,
explique Charles Gide. La charité en effet maintient une hiérarchie entre le donateur et la personne
assistée. Le donateur charitable “ fait le bien ”, il s’abaisse au niveau du pauvre ; il pourrait ne pas
le faire ; on est tenu de l’admirer. Dans la solidarité au contraire, il y a un impératif d’aide aux
moins chanceux qui sont reconnus comme des semblables. Riches et défavorisés sont acteurs d’un
même système dont il convient de corriger le déséquilibre en donnant accès à tous aux mêmes
droits.
Si la solidarité devient le fond commun de la pensée politique au XIXe siècle, il en est autrement
de sa traduction en mouvement politique, comme a tenté de le faire Léon Bourgeois avec le
solidarisme. Les marxistes s’opposent au solidarisme qui ne reconnaît pas la lutte des classes et ne
récuse pas la propriété privée. Les libéraux, quant à eux, refusent l’idée implicite de redistribution
véhiculée par un système social fondé sur la solidarité qui, selon eux, encourage le “ parasitisme ”.
Quant à la doctrine anarchiste, si elle donne une importance capitale à l’entraide et à la solidarité,
elle récuse à la fois l’État et la propriété privée.
Le solidarisme a connu deux formes d’applications sociales ou politiques. D’une part, il a servi
de fondement aux mouvements associatifs, mutualistes, coopératifs qui sont nés pendant la IIIème
République. D’autre part, on peut en faire l’origine de ce qu’on a appelé par la suite l’État
Providence : instauration des premières lois sociales financées par un impôt progressif sur le
revenu, réglementation du travail, lois sanitaires, assurances obligatoires ouvrières, et enfin
implication de l’État dans la fourniture de services publics.
La notion de solidarité, si ce n’est le programme solidariste, arrive en effet à point nommé pour
redéfinir le rôle de l’État en le légitimant vis-à-vis de la société.
La doctrine traditionnelle de l’État en droit français faisait de celui-ci une puissance absolue,
au-dessus de la société, dont le pouvoir, essentiellement coercitif, ne nécessitait pour s’exercer
aucune justification autre que le fait qu’il incarnait l’intérêt général. De fait, l’autorité de cet État
républicain ressemblait, d’une certaine manière, au pouvoir monarchique d’ordre divin de l’ancien
régime qui tirait sa légitimité d’une entité d’ordre métaphysique, située au-dessus des hommes. Le
service public, tel qu’il va être théorisé par Léon Duguit, va faire passer la position de l’État
vis-à-vis de la société de la transcendance à l’immanence. L’État n’est plus au-dessus de la société,