Colloque organisé au Sénat par le Cercle pour l`excellence des

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Colloque organisé au Sénat par le Cercle pour l’excellence
des originaires d’Outre-mer
Outre-mer et devise républicaine
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Vendredi 29 avril 2011
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L’Outre-mer dans la République
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Intervention de Bernard Stirn
Président de la section du contentieux du Conseil d’Etat
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C’est pour moi un réel honneur et un grand plaisir
d’ouvrir ce colloque, organisé par le Cercle pour l’excellence
des originaires d’outre-mer, qui va permettre, au cours d’une
riche journée, d’approfondir la réflexion sur les liens qui,
dans la longue histoire comme dans l’actualité d’aujourd’hui,
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unissent la République et l’outre-mer. Cette journée ne pouvait
trouver meilleur lieu que la salle Gaston Monnerville du Sénat
où nous nous trouvons ce matin. Je remercie les organisateurs,
et tout spécialement mes amis le préfet Pierre Lise et le
professeur Ferdinand Melin-Soucramanien, de m’avoir
demandé de formuler, en préliminaire à vos travaux, quelques
réflexions sur l’Outre-mer dans la République.
Pour l’outre-mer, la République est le cadre dans lequel
s’inscrit une évolution fondée sur le respect du droit et sur
l’égale dignité des hommes. Pour la République, l’outre-mer
est une de ses composantes, qui lui apporte davantage de
diversité, lui impose des obligations et contribue, par les
ouvertures qu’il lui offre, à son propre enrichissement.
L’histoire témoigne de la force de ces liens réciproques,
qui s’expriment en termes de développement économique et
commercial, de diversité, de présence internationale, de
rayonnement, d’humanisme partagé.
Durant la dernière guerre, la France d’outre-mer a été
l’une des lumières à partir desquelles la Résistance a pu
s’affirmer. A l’origine même de l’épopée du général de Gaulle
se trouve le constat que, la métropole occupée, il restait
l’Empire pour continuer le combat. « La libération nationale,
si elle était accomplie un jour grâce aux forces de l’Empire,
établirait entre la Métropole et les terres d’outre-mer des liens
de communauté » écrit le général de Gaulle dans l’un des
premiers chapitres de ses Mémoires de Guerre. Dès 1940,
grâce notamment au gouverneur Félix Eboué et au colonel
Leclerc, le Tchad, le Cameroun, le Congo rejoignent la France
libre. Le Conseil de défense de l’Empire est formé à
Brazzaville en octobre 1940. C’est à Alger que se constituent
le Comité français de libération nationale puis le
Gouvernement provisoire de la République française.
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Le droit n’exprime qu’une partie d’une si longue histoire
commune. Mais il est l’une des voies qui permet de constater
que l’outre-mer est aussi attaché à la République que la
République à l’outre-mer. Aussi les rapports que le droit, et
notamment les textes constitutionnels, ont tissés entre la
République et l’outre-mer font-ils apparaître à la fois un
engagement et un enrichissement réciproques.
I/ La République et l’outre-mer : un engagement
réciproque.
Sous ses formes successives, la République s’est engagée
envers l’outre-mer comme l’outre-mer envers la République.
A/ L’engagement de la République envers l’outremer.
L’engagement de la France envers l’outre-mer a certes
précédé la République. Il inspire Jacques Cartier, Richelieu,
Colbert, qui sont soutenus par les Rois de France, François Ier,
Louis XIII et Louis XIV.
Mais le tournant marqué par la Révolution de 1789
oriente de manière déterminante la République naissante
envers l’outre-mer. Toutes les Républiques successives ont
consolidé cet engagement.
Dès 1789, six députés
représentent l’outre-mer à
l’Assemblée constituante. Brissot crée la Société des amis des
Noirs. Barnave, député du Dauphiné, défend devant
l’Assemblée constituante l’autonomie locale.
Les premières hésitations apparaissent entre logique
d’identité et logique de spécialité législatives, entre lesquelles
la Constitution de l’an VIII (13 décembre 1799) réalise le
premier compromis : tout en affirmant l’unité et l’indivisibilité
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de la République, elle établit un régime particulier pour les
colonies, qui relèvent de « lois spéciales ».
A la IIème République revient, sous l’inspiration de Victor
Schoelcher, l’étape décisive de l’abolition définitive de
l’esclavage par le décret du 27 avril 1848. Les principales
colonies élisent leurs représentants à l’Assemblée constituante
puis à l’Assemblée législative, au suffrage universel.
Sous la IIIème République, la France consolide son
implantation outre-mer et y assoit l’esprit de Jules Ferry.
Même si, dans leur brièveté, les lois constitutionnelles de 1875
sont silencieuses sur l’outre-mer, les institutions républicaines
s’y enracinent, avec en particulier l’extension des grandes lois
métropolitaines et la constitution de l’Afrique occidentale
française (AOF) en 1904 puis de l’Afrique équatoriale
française (AEF) en 1910.
Dans le contexte de la décolonisation, la IV ème puis la V
ème Républiques ont marqué les engagements de la
République envers l’outre-mer.
Selon le Préambule de la Constitution du 27 octobre
1946, « la France forme avec les peuples d’outre-mer une
Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans
distinction de race ni de religion». L’Union française est
composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou
coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer
leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et
assurer leur sécurité ». Avec la Constitution de 1958, la
Communauté succède à l’Union française avant que les
indépendances successives ne conduisent en fait puis en droit
à sa disparition.
De manière beaucoup plus durable, le statut des
collectivités d’outre-mer qui font le choix de la République est
déterminé par la Constitution, à partir d’abord de la distinction
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entre départements et territoires d’outre-mer, à laquelle a
succédé, en vertu de la révision constitutionnelle du 28 mars
2003, la distinction entre les départements et régions d’outremer, d’une part, les autres collectivités d’outre-mer, d’autre
part, dotées chacune d’un statut déterminé par la loi organique.
L’ensemble de l’outre-mer français est en outre énuméré
à
l’article
72-3
de
la
Constitution,
qui
mentionne expressément, introduisant de la sorte à la fois une
reconnaissance et un verrou constitutionnels, la Guadeloupe,
la Guyane, la Martinique, la Réunion, Mayotte, Saint-Pierre et
Miquelon, les îles Wallis-et-Futuna, la Polynésie française, la
Nouvelle-Calédonie et les Terres australes et antarctiques
françaises.
B/ L’engagement
République.
de
l’outre-mer
envers
la
Les liens de l’outre-mer avec la République reposent sur
un engagement librement consenti. Dès le référendum du 27
septembre 1958, le choix est ouvert entre l’indépendance et
l’entrée dans la Communauté.
Sur le fondement de l’article 53 de la Constitution, en
vertu duquel « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de
territoire n'est valable sans le consentement des populations
intéressées », sept consultations ont été organisées depuis
1958, notamment pour la Côte française des Somalis en 1967,
les Comores en 1974, la Nouvelle-Calédonie en 1988 puis
1998. A partir d’une décision du 30 décembre 1975, le Conseil
constitutionnel a constamment jugé conformes à la
Constitution ces consultations d’autodétermination, sous
réserve de la clarté de la question posée.
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Au-delà du principe de l’appartenance à la République,
les populations d’outre-mer sont appelées à s’exprimer sur le
cadre général de leur organisation. La période récente a vu se
multiplier ces consultations locales et leur portée s’accroître.
Pour la Nouvelle-Calédonie, l’accord de Nouméa signé le
5 mai 1998 a été approuvé par la population locale et a reçu un
statut constitutionnel en vertu des deux révisions du 20 juillet
1998 et du 23 février 2007. Une nouvelle consultation de la
population de Nouvelle-Calédonie aura lieu, dans les
conditions prévues par cet accord, à partir de 2014.
Le 7 décembre 2003, les électeurs de la Guadeloupe et de
la Martinique ont rejeté l’instauration d’une collectivité unique
se substituant aux deux départements. Le même jour, SaintMartin et Saint-Barthélemy, alors communes de la
Guadeloupe, ont, en revanche, approuvé leur transformation
en collectivités d’outre-mer. Le 29 mars 2009, une
consultation de la population de Mayotte a exprimé l’accord
de celle-ci à la transformation de Mayotte en département :
Mayotte est ainsi devenue, le 31 mars 2011, le cinquième
département d’outre-mer et le 101ème département français. Le
24 janvier 2010, les électeurs de la Martinique et de la Guyane
ont enfin approuvé la création d’une collectivité unique
exerçant des compétences dévolues au département et à la
région, tout en demeurant régie par l’article 73 de la
Constitution.
II/ La République et l’outre-mer : un enrichissement
réciproque.
A/ L’enrichissement
République.
de
l’outre-mer
par
la
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Le cadre constitutionnel ouvert à l’outre-mer par la
République permet à la fois d’assurer le respect des grands
principes républicains et de prendre en compte les
particularités qui sont celles des différentes collectivités
d’outre-mer.
« La République reconnaît, au sein du peuple français,
les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté,
d’égalité et de fraternité » proclame, depuis la révision du 28
mars 2003, l’article 72-3 de la Constitution. L’unicité du
peuple français, « composé de tous les citoyens français sans
discrimination d’origine, de race ou de religion », selon la
formule retenue par le Conseil constitutionnel dans sa décision
du 9 mai 1991 relative au statut de la Corse, et les originalités
ultramarines se trouvent de la sorte conciliées autour de la
devise républicaine.
Pour les départements et régions d’outre-mer, l’article 73
de la Constitution affirme le principe de l’identité législative,
tout en permettant les adaptations nécessaires, en indiquant
que, dans ces collectivités : « les lois et règlements sont
applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet
d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes
particulières de ces collectivités ». Ces adaptations peuvent
être décidées par les collectivités intéressées elles-mêmes dans
les matières où s’exercent leurs compétences et si elles y ont
été habilitées par la loi. En outre, et sauf à la Réunion, la loi
peut les autoriser à fixer elles-mêmes les règles applicables sur
leur territoire, dans des matières autres que celles qui touchent
aux droits fondamentaux.
A côté des départements et régions d’outre-mer, les
collectivités d’outre-mer, régies par l’article 74 de la
Constitution, « ont un statut qui tient compte des intérêts
propres de chacune d’elles au sein de la République ». La
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souplesse est donc la règle. Il appartient à la loi organique de
tracer, après avis de l’assemblée délibérante de la collectivité
intéressée, le cadre approprié à chaque collectivité.
Le statut peut être, comme cela est le cas pour la
Polynésie française, un statut d’autonomie. Dans cette
hypothèse, certains actes de l’assemblée délibérante relèvent
directement du Conseil d’Etat, qui exerce sur eux « un
contrôle juridictionnel spécifique ». Grâce à l’outre-mer, le
rôle juridictionnel du Conseil d’Etat se trouve de la sorte
expressément mentionné dans la Constitution, qui ne traitait
jusque là que de son rôle consultatif. La révision du 23 juillet
2008 consacrera cette reconnaissance de l’ordre juridictionnel
administratif, dont le Conseil d’Etat est la juridiction suprême.
Dans sa décision du 12 février 2004, le Conseil constitutionnel
a précisé que les lois du pays de la Polynésie française sont
des actes administratifs, et qu’il appartient au Conseil d’Etat
de s’assurer qu’elles respectent notamment les principes
généraux du droit ainsi que les engagements internationaux de
la France applicables en Polynésie. Sur ces fondements, le
Conseil d’Etat exerce son contrôle de légalité depuis les
décisions du 1er février 2006 Commune de Papara et
M. Sandras et du 13 mars 2006 Flosse et autres.
Plus originale encore est la situation propre à la
Nouvelle-Calédonie, définie par le titre de la Constitution qui
lui est spécifique. Le Congrès de Nouvelle-Calédonie est doté
d’un véritable pouvoir législatif, qu’il exerce en adoptant des
« lois du pays », soumises, à l’instar des lois nationales, à
l’avis du Conseil d’Etat et au contrôle du Conseil
constitutionnel.
Un régime spécifique d’ordonnances, défini à l’article 741 de la Constitution, permet d’étendre, avec les adaptations
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nécessaires, les législations nationales aux collectivités
d’outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie.
La même volonté d’appartenance à un ensemble et de
respect des particularités se retrouve à l’échelle de l’Union
européenne. Celle ci distingue les régions ultrapériphériques et
les pays et territoires d’outre-mer. Signe de l’importance de
son outre-mer, la France est le seul pays de l’Union à avoir des
collectivités qui relèvent des deux catégories.
Selon l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne (TFUE), les régions ultrapériphériques
(RUP) sont la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique,
la Réunion, Saint-Barthélemy et Saint-Martin ainsi que les îles
espagnoles des Canaries et les archipels portugais de Madère
et des Açores. Les traités européens s’appliquent dans ces
collectivités mais le Conseil de l’Union européenne peut
arrêter à leur égard des mesures spécifiques en tenant compte
de leurs caractéristiques et contraintes particulières « sans
nuire à l’intégrité et à la cohérence de l’ordre juridique
communautaire, y compris le marché intérieur et les politiques
communes ».
Les autres collectivités d’outre-mer qui font partie
intégrante des Etats membres ont la qualité de « pays et
territoires d’outre-mer » (PTOM). Ils n’appartiennent pas à
l’Union européenne mais sont associés à celle-ci, au travers
notamment de la politique commerciale et des fonds
structurels. Leurs ressortissants sont citoyens de l’Union du
seul fait qu’ils ont la nationalité de l’un des Etats membres.
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Le passage de l’une à l’autre des catégories reconnues
par le droit de l’Union peut être décidé par une décision du
Conseil européen prise à l’unanimité, sur proposition de l’Etat
membre concerné. D’ici 2014, Mayotte, devenu département,
devrait parallèlement accéder au statut de région
ultrapériphérique tandis que Saint-Barthélemy suit le chemin
inverse, qui le conduira à devenir pays et territoire d’outre-mer
en 2012.
B/ L’enrichissement de la République par l’outremer.
La longue tradition de liens avec l’outre-mer donne aux
principes constitutionnels fondamentaux une force
particulière, en particulier le principe d’égalité ou celui de
dignité de la personne humaine.
Grâce à l’outre-mer, certains principes, sans perdre de
leur autorité, se déclinent de manière plus ouverte. Le principe
de laïcité se combine avec le respect du statut de droit local à
Mayotte et avec le rôle spécifique de l’Eglise catholique, en
particulier dans l’enseignement, à Wallis-et-Futuna. Si le
français est la langue de la République, comme le rappelle
l’article 2 de la Constitution, les langues régionales,
notamment le créole ou la langue tahitienne, peuvent être
enseignées et encouragées.
Dans la période récente, l’outre-mer a servi de laboratoire
d’idées pour l’évolution constitutionnelle des rapports entre
l’Etat et les collectivités territoriales, y compris de métropole.
Montrant que l’unité de la République pouvait
s’accommoder de diversité et de souplesse, les statuts des
collectivités d’outre-mer ont facilité le mouvement de
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décentralisation, initié par la loi du 2 mars 1982 et consacré
par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, qui a
complété les grands principes énoncés à l’article 1er de la
Constitution –« La France est une République indivisible,
laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la
loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou
de religion. Elle respecte toutes les croyances »- par une
phrase selon laquelle l’organisation de la République est
décentralisée. Dans l’ensemble de ses termes, le premier des
articles de notre loi fondamentale résonne notamment comme
un écho aux liens de la République et de l’outre-mer.
Avec la Nouvelle-Calédonie, les liens définis par le titre
XIII de la Constitution sont proches d’un modèle fédéral. La
République peut ainsi se construire de manière souple et
différenciée.
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A partir des principes constitutionnels, la force et la
richesse des relations entre la République et l’outre-mer
apparaissent avec évidence. Le colloque d’aujourd’hui va les
éclairer de multiples manières en réfléchissant à la belle et
riche question des liens entre la devise républicaine et l’outremer.
Nul doute que la devise de notre République est pour
l’outre-mer français une aspiration en même temps qu’une
exigence, au travers des perspectives multiples qui s’ouvrent à
chaque collectivité dans l’horizon républicain. Notre devise
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républicaine vaut sans partage pour l’outre-mer comme pour
la métropole. La liberté, l’égalité, la fraternité incluent ainsi le
thème, cher à Aimé Césaire, de l’identité.
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