Les politiques commerciales et industrielles et le Pacte mondial pour l’emploi Turin Formation PME destinée aux syndicats 25 novembre2010 Le Pacte mondial pour l’emploi: pourquoi cette session? • La partie IV du Pacte mondial pour l’emploi, qui parle d’une « mondialisation équitable et durable », indique la nécessité de faire face aux déséquilibres mondiaux et aux causes profondes de la crise • L’une des causes profondes de la crise concerne l’accent mis sur la croissance induite par les exportations, ce qui a engendré des vulnérabilités (marchés et produits limités) • Une autre cause profonde concerne la mauvaise qualité de cette croissance, faute d’intérêt pour l’industrialisation, pour une production à plus haute valeur ajoutée et à la nécessité de créer des marchés et une demande intérieurs dynamiques et diversifiés 2 PME - Références II. Principes visant à promouvoir la reprise et le développement: • (6) éviter les solutions protectionnistes ainsi que les conséquences dommageables de la spirale déflationniste des salaires et de la détérioration des conditions de travail; • (11) l’OIT s’engage avec les autres organismes internationaux, les institutions financières internationales et les pays développés à renforcer la cohérence des politiques et à intensifier l’aide au développement et l’appui aux pays les moins avancés, aux pays en développement et aux pays en transition ayant une marge de manœuvre budgétaire et politique restreinte pour faire face à la crise. PME - Références 21(2) promouvoir des échanges commerciaux et des marchés efficaces et bien règlementés qui profitent à tous, et éviter le protectionnisme. Il faut tenir compte des différents niveaux de développement des pays lorsqu’il s’agit de lever les obstacles à l’accès aux marchés intérieur et étranger; 22(5) reconnaître la valeur de l’agriculture dans les pays en développement et la nécessité d’infrastructures, d’une industrie et d’emplois ruraux; 22(6) promouvoir la diversité économique en renforçant les capacités aux fins d’une production et de services à valeur ajoutée pour stimuler la demande tant intérieure qu’extérieure; Libéralisation des échanges: la vision actuelle • La vision néolibérale, qui prévaut encore, est que la libéralisation des échanges profite à la croissance économique et à l’emploi • L’OMC, la Banque mondiale, le FMI, l’OCDE et même l’OIT continuent à promouvoir le libre-échange, l’absence de protectionnisme et l’intensification de la libéralisation des échanges MAIS: • La qualité de la croissance n’est absolument pas prise en considération (quels types d’emplois (qualité) crée-t-on et cela profite-t-il ou fragilise-t-il l’industrialisation et la transformation structurelle?) • La répartition des coûts et des avantages de cette croissance n’est pas prise en considération (même si on en tient à présent de plus en plus compte) La libéralisation des échanges et l’emploi: quelques résultats • • • • La libéralisation des échanges a entraîné une destruction et une création d’emplois, d’où la nécessité de politiques d’accompagnement, comme l’adéquation de l’offre et de la demande d’emplois, des compétences et des indemnités de chômage, inexistantes la plupart du temps Les inégalités de revenu se sont aggravées dans le cadre de la mondialisation et de la libéralisation des échanges (hausse de la pression concurrentielle et baisse du pouvoir de négociation des syndicats et des gouvernements face aux multinationales) La qualité de l’emploi s’est détériorée (augmentation du travail précaire et détérioration des conditions de travail ainsi que des salaires), des emplois de qualité ont été supprimés et des emplois précaires, parallèles, créés La diversification des économies s’est aggravée. Certaines se sont désindustrialisées, tandis que d’autres n’ont pas été en mesure de poursuivre leur industrialisation. Beaucoup sont tributaires de l’IDE et de l’établissement d’un lien avec les chaînes de valeur, d’où la difficulté pour les pays de « s’approprier » leur processus de développement Libéralisation des échanges et développement • La libéralisation des échanges a eu de graves conséquences sur le développement industriel des économies • La libéralisation des échanges entraîne une spécialisation • Les pays se spécialisent dès lors dans des produits pour lesquels ils présentent un avantage concurrentiel au moment de la libéralisation • Pour beaucoup de pays en développement, la libéralisation des échanges entraîne par conséquent une spécialisation dans des produits à faible valeur ajoutée, comme les matières premières, les ressources naturelles et les produits manufacturés à faible valeur ajoutée, comme les textiles et les composants électroniques, ce qui se traduit par des niveaux de revenus faibles. Libéralisation des échanges et développement • « Les secteurs les plus avancés sont ceux qui sont le plus exposés à un rendement croissant et, dès lors, les plus sensibles à la baisse de volume provoquée par la concurrence étrangère soudaine ». « Par conséquent, le libre-échange entre des pays aux niveaux de développement très différents a tendance à détruire les industries les plus efficientes dans les pays les moins efficients »: l’effet Vanek-Reinert • Cela signifie que les pays en développement doivent se montrer prudents dans la libéralisation de leurs échanges, en particulier avec des économies plus avancées. • Lorsqu’un pays se libéralise et s’engage dans un accord commercial, il est difficile de revoir ces engagements, ce qui va en réalité empêcher le pays de protéger les nouveaux secteurs qu’il souhaite développer. Deux approches en matière de libéralisation des échanges 1. Limiter les conséquences négatives des accords commerciaux sur l’emploi, l’industrialisation et la diversification 2. Utiliser la politique commerciale de manière stratégique pour aider les pays à s’industrialiser, à créer des emplois décents et productifs et à progresser dans la chaîne de valeur, afin de permettre des niveaux de salaires plus élevés Il faut passer de la première approche à la seconde Pourquoi l’industrialisation est-elle si importante? • Rares sont les pays qui se sont développés et qui ont atteint des niveaux de revenus élevés sans s’industrialiser et les économies connaissant une croissance rapide ont tendance à se caractériser par des secteurs manufacturiers connaissant une croissance rapide • La spécialisation dans l’agriculture, les ressources naturelles et les produits et services à faible valeur ajoutée seulement se traduit par le maintien de niveaux de revenus faibles ainsi que de la pauvreté nationale : ce que le pays produit est une donnée importante! • Cette transformation structurelle – le passage, pour le capital et la main-d’œuvre, de secteurs à productivité et à salaires faibles à des secteurs à productivité/salaires élevés - d’une économie agricole et basée sur les ressources à une économie industrialisée n’est possible que grâce à une politique industrielle ciblée et à une forte influence de l’État, y compris une politique commerciale axée sur la diversification, la sophistication des produits et l’ industrialisation Valeur ajoutée du secteur manufacturier (ONUDI 2009) VAM par habitant $ 2000 VAM par habitant $ 2005 VAM en % du PIB 2000 VAM en % du PIB 2005 Part de la TM/HT dans la VAM % 2000 Part de la TM/HT dans la VAM % 2005 États-Unis 5,414.0 5,528.1 15.8 15.0 57.0 55.7 Allemagne 4,769.9 5,179.0 20.7 21.7 61.0 61.1 Argentine 1,264.4 1,372.6 16.5 17.2 30.2 25.9 Brésil 700.4 748.7 20.0 20.4 36.6 33.5 Bulgarie 245.0 382.2 15.7 18.5 36.1 28.5 El Salvador 488.1 506.1 23.1 23.2 23.1 23.1 Indonésie 216.4 259.1 27.7 28.1 31.6 29.8 Jordanie 226.1 342.4 13.5 17.2 25.4 21.3 Mongolie 17.7 20.9 4.7 4.5 4.0 2.5 Nigeria 14.4 19.1 3.6 4.1 35.9 35.9 Afrique du Sud 521.1 575.9 17.3 16.3 28.3 24.2 Chine 307.2 495.9 32.1 34.1 43.1 46.9 Développement industriel • On dénombre trois facteurs de développement: la hausse des rendements d’échelle, les changements technologiques et les synergies, et les effets de grappe (Reinert) • On observe trois étapes dans le développement industriel: • Premièrement, la dépendance à l’égard des produits primaires • Ensuite, un secteur manufacturier basé sur les ressources et à forte intensité de main-d’œuvre • La dernière étape concerne la production de produits de haute technicité et à forte valeur ajoutée Composante sectorielle de l’industrialisation • Premières étapes: concentration/spécialisation basées sur des avantages concurrentiels naturels • Étapes intermédiaires: diversification: basée sur l’avantage concurrentiel acquis dans le cadre des politiques et du renforcement des capacités • Maturité: concentration/spécialisation à un niveau technologique élevé Qu’est-ce que la politique industrielle? Un ensemble de politiques visant à induire un changement structurel/développement industriel. Ces politiques, nécessaires pour démarrer et pour une croissance à long terme, comprennent: • Des politiques axées sur l’aide aux « industries naissantes » de différents types • Des politiques commerciales • Des politiques dans les domaines des sciences et de la technologie • Les marchés publics • Des politiques ayant des conséquences sur les investissements étrangers directs • Les droits de propriété intellectuelle • L’attribution de ressources financières Quels sont les éléments nécessaires à une politique industrielle efficace? • • • • • • • • • • • L’intervention de l’État est essentielle pour orienter le processus d’industrialisation Privilégier les activités de qualité (rendement croissant), caractérisées par une concurrence imparfaite dynamique, et non les activités de mauvaise qualité, caractérisées par une concurrence parfaite Des risques doivent être pris pour réussir Des investissements s’imposent dans l’éducation et l’innovation (centres de recherche publics) Certaines politiques ciblées doivent prévoir des mécanismes de contrôle (comme des objectifs en matière d’exportation, des prescriptions relatives à la teneur en éléments locaux) L’expérimentation et l’innovation sont essentielles Des avantages concurrentiels peuvent être créés Accès à des financements (nationaux) bon marché pour les industries naissantes L’adhésion nationale à la stratégie d’industrialisation est importante La libéralisation des échanges peut entraîner une désindustrialisation La politique douanière n’est pas le seul instrument de politique industrielle, mais elle peut s’avérer déterminante lorsqu’il s’agit de protéger un secteur ou une industrie Activités de mauvaise qualité (Erik S. Reinert) • • • • • • • • • • • • • • • • • Connaissances anciennes à faible valeur économique Courbes d’apprentissage stationnaires Faible croissance de la production Progrès technologiques limités Faible teneur en R&D Apprentissage personnel ou institutionnel nécessaire limité Informations parfaites Investissements divisibles Concurrence parfaite Faible niveau des salaires Peu ou pas d’économies d’échelle/risque de baisse du rendement Industrie fragmentée Enjeux faibles: peu d’obstacles à l’entrée et à la sortie Matières premières Peu de liens et de synergies Remaniements, le cas échéant Les idées néoclassiques sont raisonnables 16 Activités de qualité • • • • • • • • • • • • • • • • • (Erik S. Reinert) Nouvelles connaissances à valeur économique élevée Apprentissage rapide Forte croissance de la production Progrès technologiques rapides Teneur élevée en R&D Nécessite et génère un apprentissage par l’action Informations imparfaites Les investissements arrivent « par gros morceaux » (indivisibles) Concurrence imparfaite mais dynamique Niveau de salaires élevé Économies d’échelle et ampleur importantes Forte concentration de l’industrie Enjeux élevés: obstacles majeurs à l’entrée et à la sortie Produit de marque Production de liens et synergies Innovations dans les produits Idées néoclassiques standard non pertinentes 17 Deux courants d’idées • Privilégier les « politiques industrielles horizontales », c.-à-d. créer un environnement propice à l’industrialisation, comme un climat d’investissement favorable, attirer l’IED, établir un lien avec les chaînes de valeur internationales, stratégies axées sur l’exportation conformes à l’avantage comparatif, promotion de l’enseignement et de la formation professionnelle, construction d’infrastructures appropriées et efficientes, encourager les transferts technologiques internationaux ainsi que la recherche et le développement (Banque mondiale, ONUDI) • Privilégier les « politiques industrielles verticales », c.-à-d. ciblées sur certains secteurs: rôle important pour l’État, favoriser le développement des industries naissantes, créer un avantage comparatif, privilégier la croissance des activités à haut rendement, développer les marchés intérieurs, industrialisation orientée vers le remplacement des importations, industrialisation orientée vers l’exportation, apprentissage par l’action, transferts technologiques, rôle primordial des investisseurs nationaux, recherche nationale, objectifs d’exportation, ingénieurs à haut rendement, répartition des revenus relativement équitable, activités de maximisation de la rente, R&D au niveau des entreprises, niveaux élevés d’investissements, réinvestissement des bénéfices, etc. (Ha Joon Chang, Reinert, Cimoli, Dosi, Amsden, Stiglitz, etc.) Quelques expériences (Erik S. Reinert) • Pérou: « Le secteur industriel peu efficace au Pérou a néanmoins créé un niveau de salaire équivalent environ au double de ce que l’économie mondialisée actuelle est capable de produire au Pérou ». • Mongolie: « Un demi siècle de renforcement de l’industrie en Mongolie a été quasiment annihilé en quatre ans seulement, entre 1991 et 1995. Dans la plupart des secteurs industriels, la production avait baissé de plus de 90 pour cent en volume physique depuis l’ouverture du pays au reste du monde, d’un jour à l’autre ou presque, en 1991. » • Mexique: « Le salaire réel au Mexique a baissé de façon drastique lorsque l’ALENA a peu à peu décimé les "industries achevées" traditionnelles tout en renforçant les activités d’assemblage simple(maquila). Les industries à rendement croissant ont disparu pour donner naissance à des activités à rendement constant, « primitivisant » ainsi le système de production national. » 19 Politique douanière • Joue un rôle important dans la formulation des politiques industrielles • La promotion de la libéralisation et des programmes d’ajustement structurel, de même que la croissance induite par les exportations ont réduit l’importance accordée à la fonction des tarifs douaniers • Toutes les économies prospères se sont servies des tarifs douaniers pour protéger leurs industries, y compris des pays comme la Corée, la Chine et le Vietnam. Politique douanière (suite) • • • • La politique douanière est d’autant plus importante que d’autres politiques industrielles sont déjà sérieusement restrictives au sein de l’OMC Sont concernées les restrictions stratégiques contenues dans l’accord sur les MIC (en matière de rendement et de prescriptions relatives à la teneur en éléments locaux), dans l’accord sur les ADPIC (en matière de transfert technologique, d’ingénierie inverse et de protection des brevets) et les restrictions rigoureuses en matière d’utilisation des subventions Les économies développées et avancées, comme la Corée, ont usé et abusé de ces politiques « Les brevets et leurs droits, qui créent des rentes artificielles afin de promouvoir les nouvelles connaissances, sont présentés comme un élément indispensable à la croissance mondiale, tandis que la protection, qui crée des rentes de fabrication afin de propager cette production à de nouvelles zones géographiques, est considérée comme le pire des maux » (Erik S. Reinert et Jomo S) Tarifs et développement industriel • Les politiques commerciales dans les pays en développement sont très libérales aujourd’hui par rapport aux politiques utilisées par les pays industrialisés • Les pays industrialisés appliquaient des tarifs nettement plus élevés à des niveaux de revenus similaires • On demande en outre aux pays en développement de réduire leurs tarifs à un rythme nettement plus rapide • On demande aux pays en développement d’harmoniser leurs niveaux tarifaires Caractéristiques des tarifs dans le processus d’industrialisation • Coexistence de tarifs très faibles et de tarifs très élevés durant le processus • La variation des tarifs sectoriels augmente d’abord, avant de chuter • Les tarifs ont augmenté pour certains produits et baissé pour d’autres • Les tarifs moyens augmentent d’abord et baissent ensuite Représentation simplifiée des politiques d’aide dans les économies ouvertes (CNUCED) Support policies MT HT LT RL Time RL: Resource-based and labor-intensive manufactures LT: Low technology-intensive manufactures MT: Medium technology-intensive manufactures HT: High technology-intensive manufactures Que faire de tout cela dans le cadre du PME? 1. Analysez la structure actuelle de votre économie 2. Identifiez les secteurs à valeur ajoutée plus grande potentielle (notamment les secteurs à moyenne et haute technologie (MT/HT) et les secteurs à potentiel d’apprentissage et de propagation élevé) 3. Identifiez les besoins en termes de politique industrielle 4. Identifiez les besoins en termes de protection des échanges 5. Faites de la stratégie de développement industriel l’une des priorités du pacte national pour l’emploi À court terme: limitation des dégâts • Ne signez pas d’accords de libre-échange avec des pays plus avancés sur le plan économique • En cas de signature d’accords, prévoyez des niveaux tarifaires suffisamment élevés (pour une politique douanière flexible et stratégique), aucune restriction en matière de propriété intellectuelle, pas de libéralisation des services et des comptes de capital, aucune restriction en matière d’utilisation des subventions en faveur du développement industriel, aucune restriction en matière de prescriptions relatives à la teneur en éléments locaux, etc., et prévoyez des mesures de sauvegarde en vue de protéger les industries naissantes ainsi que des dispositions sociales • Privilégiez les accords commerciaux régionaux avec des pays au niveau de développement similaire afin d’augmenter les économies d’échelle. Quels changements sont-ils nécessaires? • • • • • Processus d’intégration régionale afin de renforcer les marchés régionaux, les capacités de production et la demande intérieure grâce à une hausse des salaires et à des négociations collectives Privilégier encore une fois l’industrialisation, la diversification et la production d’éléments à plus haute valeur ajoutée dans les pays en développement Libéralisation des échanges stratégiques uniquement. Prévoir des tarifs faibles pour les ressources et des tarifs élevés pour les produits nécessitant une protection temporaire: les tarifs doivent être utilisés de façon flexible Maintenir ou rétablir les autres instruments de politique commerciale, comme les subventions, l’ingénierie inverse, les prescriptions relatives à la teneur en éléments locaux, la protection des industries naissantes, etc. Revenir à une répartition équitable des avantages grâce à un système fiscal basé sur la redistribution (faire face à la fraude fiscale, exonération fiscale et imposition des transactions financières), à des systèmes de protection sociale, à la négociation collective et à un renforcement du rôle de l’État 27