Recherche sur l`embryon aux USA : financement fédéral illégal

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Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique
N°129 : Septembre 2010
Recherche sur l’embryon aux USA : financement fédéral illégal ?
Le 23 août 2010, le juge Royce Lamberth
du tribunal fédéral de Washington, a
suspendu par une décision en référé le
financement fédéral de la recherche sur les
cellules souches embryonnaires humaines.
Interdit par George W. Bush, ce
financement avait été autorisé par un décret
de Barack Obama le 9 mars 2009. Plusieurs
scientifiques et organisations avaient alors
fait appel, arguant que l’embryon est un être
humain dont la destruction ne saurait être
légalisée et que ce financement lèse la
recherche sur les cellules souches adultes,
domaine pourtant éthique et dont les
applications sont prometteuses.
Une autorisation hors-la-loi
Dans un texte de 15 pages, le juge a estimé
que les plaignants avaient "démontré qu’ils
avaient des chances de gagner sur le
fond."Il s’avère en effet que les directives
édictées à la suite de l’autorisation de
Barack Obama violent une législation de
1996 toujours en vigueur : l’amendement
Dickey-Wicker, qui interdit explicitement le
financement public fédéral de la recherche
"dans laquelle un embryon est détruit". Les
défenseurs de la recherche sur les cellules
souches embryonnaires avaient contourné
l’interdiction en prétextant que les cellules
utilisées pour la recherche ne proviennent
pas directement d’un embryon mais de
lignées cellulaires cultivées depuis de
nombreuses années. Les recherches
actuelles n’impliqueraient donc plus la
destruction d’embryons.
Un "dommage irréparable"
Le magistrat a pourtant établi que cet
argument n’était pas recevable et que
l’amendement Dickey-Wicker était sans
ambiguïté : le contourner "irait à l’encontre
de la volonté du Congrès". "L’amendement
Dickey-Wicker prohibe sans ambiguïté
l’usage de fonds fédéraux pour toute
recherche dans laquelle un embryon
humain est détruit. […] Pour mener une
recherche sur des cellules souches
embryonnaires (ESC), les ESC doivent être
dérivées d’un embryon. Le processus de
dérivation d’un embryon résulte de la
destruction de l’embryon." Il faut donc
entendre le terme de "recherche" de
manière globale, sans que les différentes
étapes puissent en être séparées : "Si le
Congrès avait voulu limiter l’interdit [de
l’amendement Dickey Wicker] aux actes
entraînant eux-mêmes la destruction, il
l’aurait rédigé ainsi. Or, il ne l’a pas fait." "Si
l’une des étapes d’un projet de recherche
sur les cellules souches embryonnaires
résulte de la destruction d’un embryon, le
projet tout entier est écarté du financement
fédéral par l’amendement Dickey-Wicker."
Il conclut que "les malades ne pâtiront pas
[de cette décision] puisque la possibilité
qu’un jour la recherche sur les cellules
souches embryonnaires puisse aboutir au
traitement de leur maladie reste
hypothétique." Il estime également que
l’autorisation de Barack Obama occasionne
un dommage irréparable pour la recherche
sur les cellules souches adultes qui se voit
retirer une part de ses financements.
L’administration Obama a fait appel de cette
décision le 31 août 2010. Si le juge Royce
Lamberth a maintenu sa décision, estimant
que "le Congrès reste parfaitement libre
d’amender ou de réviser ce texte, ce que le
tribunal ne peut faire", une Cour d’appel,
saisie par l’administration Obama a décidé
de suspendre cette décision le temps que la
requête gouvernementale ait subi un
examen approfondi. En réaction, plusieurs
projets de lois pour la recherche sur
l’embryon ont été déposés.
Geron : premier essai clinique avec cellules souches embryonnaires humaines
La société américaine Geron Corporation a
annoncé avoir été autorisée par la Food and
Drug Administration (FDA) à réaliser les
premiers essais cliniques sur l’homme avec
une lignée de cellules souches
embryonnaires humaines. Il s’agit d’un
essai de phase I sur des patients atteints de
lésions de la moelle épinière. Le traitement,
visant à restaurer la moelle épinière,
consiste à injecter à même la lésion du
patient,
des
cellules
progénitrices
oligodendrocytes (cellules du tissu
entourant les cellules nerveuses) issues de
cellules embryonnaires humaines. La lignée
cellulaire utilisée (GRNOPC1) est issue de
la lignée de cellules embryonnaires
humaines H1, créée le 9 août 2001 par
Geron, compagnie leader en recherche sur
les cellules souches embryonnaires
humaines. Cette lignée est déclarée
qualifiée pour une utilisation sur l’homme
(caryotype normal et dénué de
contaminants d’origine animale ou
humaine).
d’injection
des
cellules
souches
embryonnaires. La FDA avait donc décidé
de surseoir aux essais cliniques sur
l’homme et de continuer les travaux sur
l’animal. Geron affirme aujourd’hui avoir
développé de nouveaux marqueurs et
essais qui auraient été testés sur l’animal
avec succès.
Une autorisation mouvementée
Un essai controversé
Pourtant, cette autorisation avait déjà été
délivrée début 2009 avant d’être suspendue
en août 2009. En effet, les 24
expérimentations sur les rats et les souris,
menées séparément par Geron, avaient
révélé l’apparition de microkystes aux points
Dans le milieu scientifique, l’essai clinique
de Geron est loin de faire l’unanimité même
si l’autorisation de la FDA a suscité
l’enthousiasme de certains chercheurs. Lors
de la première autorisation, le Pr Marc
Peschanski, directeur du laboratoire I-Stem,
Gènéthique - n°129 – Septembre 2010
se réjouissait : "Les lignées de cellules SEh
[souches
embryonnaires
humaines]
oligodendrocytaires préparées pour la
réalisation de cet essai seront mises à la
disposition des équipes pour conduire
d’autres essais ce qui va nous faire gagner
un temps considérable. Cela fait longtemps
que nous sommes en discussion avec ce
groupe et nous savons que ces chercheurs
sont ouverts et prêts à échanger. " D’autres
sont plus prudents. Le Dr David Prentice,
ancien professeur de biologie à l’Indiana
State University, s’inquiète : "Même un
certain nombre de scientifiques favorables
aux cellules souches embryonnaires ont
émis des réserves au sujet de l’essai de
Geron, qui n’a pas fait ses preuves, même
sur les rats. Le souci, pour beaucoup
d’entre nous, est que Geron met en danger
la santé et la vie des patients, juste pour
marquer un point politique et faire monter le
cours de ses actions. "
Ce n’est en effet pas la première fois que
Geron bénéficie de ce genre d’annonce. En
2004, elle affirmait déjà vouloir passer aux
essais cliniques avec des cellules gliales
issues de cellules souches embryonnaires
pour la réparation des lésions de la moelle
épinière. Elle avait réitéré en 2005. Ces
annonces ont toujours été de paire avec
une hausse de sa côte en bourse.
Révision des lois de bioéthique : présentation du projet de loi
Le projet de loi de bioéthique a été présenté
le 31 août 2010 par la ministre de la Santé
Roselyne Bachelot. Ce texte condensé
d’une trentaine d’articles sera présenté au
Conseil des ministres à la fin du mois de
septembre 2010, et débattu à l’Assemblée
nationale en novembre.
Assistance médicale à la procréation
L’accès aux techniques d’assistance
médicale à la procréation (AMP) reste
indiqué pour des raisons strictement
médicales – c’est-à-dire dans les cas d’une
infertilité reconnue – et n’est pas étendu aux
femmes célibataires et aux couples
homosexuels. Il est en revanche ouvert aux
couples pacsés sans avoir à justifier de
deux années de vie commune.
La technique de la vitrification ovocytaire
(congélation ultra-rapide des ovocytes)
pourra être expérimentée. L’argument
avancé en faveur de cette nouvelle
technique d’AMP consiste à dire que la
conservation d’ovocytes permettrait de
réduire le stock d’embryons surnuméraires
congelés sujets à de nombreuses
interrogations éthiques. Les embryons
pourraient être conçus à la demande et la
destruction des ovocytes surnuméraires
restants poserait moins de difficultés
éthiques. Pourtant, l’expérimentation de
cette technique risque d’impliquer la
production d’embryons à des fins de
recherche, ce qu’interdit l’article 2151-5 du
Code de la Santé publique. Par ailleurs,
cela ouvre la porte à un possible trafic
d’ovocytes et à des pressions sur les
femmes pour obtenir des dons. Rappelons
que le don d’ovocyte, contrairement au don
de sperme, suppose des traitements
hormonaux et une intervention relativement
lourde.
Le texte prévoit également la levée partielle
et conditionnelle de l’anonymat du don de
gamètes : les personnes nées à la suite
d’un don de sperme ou d’ovocyte pourront,
à l’âge de 18 ans, accéder à des données
non-identifiantes
sur
le
donneur
(informations
médicales,
origine
géographique, situation professionnelle,
etc.) ou à son identité si celui-ci donne son
accord.
La gestation pour autrui demeure interdite.
Le transfert d’embryons post mortem et
l’insémination artificielle post mortem
demeurent eux aussi proscrits.
Recherche sur l’embryon
La recherche sur l’embryon et les cellules
souches embryonnaires reste soumise à un
régime d’interdiction de principe avec
dérogations dont les conditions pourraient
être modifiées. Jusqu’à présent, les
dérogations étaient soumises à deux
conditions : finalité thérapeutique et
absence
d’alternative
d’efficacité
comparable dans l’état actuel des
connaissances scientifiques. L’exigence de
finalité thérapeutique, notamment, pourrait
céder le pas à celle, plus large, de finalité
médicale. Cette nouvelle condition viderait
en fait le principe d’interdiction de sa
substance, toute recherche sur l’embryon
pouvant être qualifiée de "médicale" et
devenant a priori susceptible de dérogation.
Cette nouvelle formulation fait craindre une
généralisation des recherches sur des
milliers
d’embryons
actuellement
cryoconservés. La recherche sur l’embryon
va pourtant à l’encontre de "l’intérêt de
l’enfant", principe réaffirmé dans le rapport
Léonetti.
Diagnostic préimplantatoire (DPI)
Le diagnostic préimplantatoire (DPI) ne sera
pas étendu au dépistage de la trisomie 21
comme l’avait préconisé le CCNE et le
rapport Léonetti. Il demeure néanmoins
indiqué à titre exceptionnel pour les familles
touchées par "une maladie génétique d’une
particulière gravité".
Don d’organes
En matière de don d’organes et de produits
du corps humain, la nouveauté annoncée
serait la possibilité d’un don croisé
d’organes, notamment pour le rein : deux
donneurs pourront "échanger" leurs
receveurs respectifs s’ils ne sont pas
compatibles avec lui. Les organes seront
prélevés simultanément et l’anonymat des
deux paires de donneur-receveur sera
garanti. Le sang de cordon, de son côté,
devrait passer du statut de déchet à celui de
tissus, cellules et produits du corps humain.
Le ministre de la Santé reste attaché au
principe de l’anonymat du don pour un
usage allogénique et exclut la création de
banques privées pour une conservation
autologue. Certains, dont le Pr Gluckman,
estiment cette restriction regrettable : alors
que la France manque de greffons (8500
unités disponibles pour 40 000 demandes),
au point qu’elle doit acheter des greffons à
l’étranger pour un montant de 15 000 à
25 000 euros, ne faudrait-il pas favoriser la
création de banques privées mixtes ? Cette
solution autoriserait les parents à conserver
le sang de leur enfant à des fins autologues
tout en acceptant de le céder à une
personne histocompatible en cas de besoin.
Révision de la loi
Concernant l’établissement de la loi ellemême, le projet prévoit d’abandonner le
principe de révision de la loi tous les cinq
ans. Les dispositions devraient donc rester
établies dans le long terme. Il convient
pourtant de veiller à ce que la suppression
de cette révision périodique n’occasionne
pas la confiscation du débat bioéthique par
les agences indépendantes : Agence de la
biomédecine, etc.
Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune – 37 rue des Volontaires, 75 725 Paris cedex 15.
Siège social : 31 rue Galande, 75 005 Paris - www.genethique.org – Contact : [email protected] – Tél. : 01.44.49.73.39
Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Aude Dugast - Imprimerie PRD S.A.R.L. – N° ISSN 1627 - 498
Gènéthique - n°129 – Septembre 2010
Gènéthique - n°129 – Septembre 2010
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