Processus de transformation et « TIC 2.0 » : proposition d`un modèle

Processus de transformation et « TIC 2.0 » : proposition d’un modèle
système d’information
Christine SYBORD
Laboratoire COACTIS Université Lumière - FSEG
16, quai Claude Bernard
F-69365 Lyon Cedex 07
Tél. : +33 478 69 76 10
Résumé
A la fois outil et méthode de gestion, les technologies du numérique, les « TIC 2.0 »,
interpellent le management dans sa globalité. Ces technologies génèrent en effet une nouvelle
dynamique sociotechnique qui, appréhendée comme une suite de décisions individuelles et
collectives, peut être supportée par un système d’information d’aide à la décision, à condition
de réinterroger la conception d’un tel système décisionnel. La question centrale de cet article
porte ainsi sur la manière appréhender, via le système d’information, cette suite de décisions.
Pour répondre à cette problématique, la première partie spécifie le processus de
transformation qui accompagne les changements liés aux TIC. Cette spécification permet,
dans une deuxième partie, de présenter le cadre conceptuel du SI décisionnel. Ce cadre,
initialisé par les limites managériales des SI décisionnels actuels, est le résultat d'une analyse
critique des systèmes de connaissances, fondés eux-mêmes sur la Théorie du Système
Général. La troisième partie explicite le modèle SI décisionnel à partir de l'approche
méthodologique socio-cognitive. Cette approche, privilégiant les situations effectives de
travail et les actions effectuées par les internautes permet de prendre en compte la majeure
partie des informations et des connaissances que la collectivité « fabrique » et utilise dans une
organisation numérique.
Mots-clés
Technologies du numérique, Processus de transformation, Systèmes à base de connaissances,
Système d’information décisionnel, Approche socio-cognitive.
Summary
At the same time tool and method of management, the digital technologies, «ICT 2.0”, call
out to the management in its entirety. In this reason we are contacting you is to propose a
model for an Information System (IS) designed to help the transformation process. The
primary issue is related to the conceptual tools which enable strategic management of
Information and Communication Technologies (ICT), with the aim of accompanying the
change brought about by the Internet. In order to respond to this issue, the first section
specifies the transformation process in the implementation of a digital organization. This
specification allows, in a second section, the presentation of the concept behind the
Information System decision-making. The third section sets out the details of the IS,
beginning with a socio-cognitive methodological approach, one of the advantages of which is
that it takes into account the actionable knowledge of the decision-makers.
Keywords
Digital technologies, Transformation process, Knowledge system, Information System for
decision-making, Socio-cognitive approach
Introduction
Les Technologies de l’Information et de la Communications (abrégées désormais TIC) sont à
l’origine de nombreux changements fondamentaux, dont l’économie du numérique
aujourd’hui. Le développement du web, en particulier, a engendré des transformations
culturelles majeures qui sont depuis la fin des années 90 au centre de plusieurs recherches
académiques.
Dans les organisations ou entreprises, le numérique remet profondément en question
l’ensemble de la chaine de valeur du modèle d’affaires (Delmond et al, 2013). Le défi est
alors de passer de « l’entreprise » à « l’entreprise numérique », c’est-à-dire à celle « qui a une
vision numérique et un plan numérique pour toutes les dimensions de son modèle d’affaires »
(Cigref, 2010). Caractérisée par l’ouverture, le dynamisme et le collectif, l’entreprise
numérique bouleverse les règles du jeu stratégique et les comportements acquis sont remis en
cause pour adapter les pratiques de gestion à l’écoute, l’initiative et l’autonomie (Corniou et
al, 2013)
Comment relever ce défi ?
En sciences de gestion, la revue de la littérature sur les TIC, s’accorde sur le fait que le
système d’information (désormais abrégé SI) est devenu une composante essentielle de la
mise en œuvre de la stratégie de l’entreprise et de sa recherche de performance (Laudon et al,
2013), (Reix et al, 2011), (Vidal et al, 2009), (Marciniak et Rowe, 2009), (Rowe, 2002). Le SI
peut ainsi être un outil de gestion possible pour accompagner le changement organisationnel
généré notamment par le caractère disruptif des technologies du numérique.
De plus, même s’il n’existe pas encore de définition universelle de l’entreprise numérique, il
est possible d’en déterminer le design puisque les technologies du numérique obligent à
repenser le travail collaboratif dans toutes ses dimensions : managériale, organisationnelle,
technologique (Chaumette et Desbien, 2008). En effet, à la fois outil et méthode de gestion,
les technologies du travail collaboratif interpellent le management dans sa globalité : systèmes
organisationnels, ressources humaines et technologiques, aspects juridiques, sociaux et
comportementaux.
A ce titre, même si le modèle (organisationnel) réseau est ancestral (castells, 2002), les
technologies du numérique permettent de repenser les questions relatives aux liens
qu’entretiennent le social et la technique. Générant effectivement des transformations
importantes dans la représentation de l’organisation, le numérique oblige à appréhender une
nouvelle dynamique socio-technique constituée d’interactions, nombreuses et variées, entre
« sujet » et « objet ».
En référence aux principes fondateurs de la théorie de l’acteur-réseau, l’organisation socio-
technique est réticulée et se construit au g d’une suite de décisions, individuelles et
collectives (Akrich et al. 2006), (Kidder, 1981). Cette suite de décisions révèle, dans une
certaine mesure, les manières qu’ont les acteurs du réseau de créer, utiliser et communiquer
les informations. Par exemple, la manière d’apparaître sur un réseau social est révélatrice
d’une manière de paraître qui, elle-même, évolue en fonction de l’état d’apparaître du réseau.
En sciences de gestion, cette suite de décisions devient une variable stratégique
incontournable dans ce contexte l’activité de production d’un réseau est essentiellement
immatérielle et basée sur les informations et les connaissances. Comment alors tenir compte
de cette variable stratégique dans la mise en place d’une entreprise numérique ?
En référence à la littérature sur le management, le SI dit « décisionnel » par Lebraty (2006)
est un outil de gestion possible (David et al., 2008). En effet, ces systèmes ont pour but de
supporter les activités de pilotage, et en particulier d’aider à la décision. Ils utilisent largement
les TIC et sont appelés « Systèmes Décisionnels » par J.F. Lebraty qui en détaille les
caractéristiques dans Lebraty (2006). Dans la suite de l’article, ces systèmes décisionnels sont
abrégés SAD : Systèmes (d’information) d’Aide à la Décision et apparaissent, en théorie,
comme une réponse au défi managérial de la transformation numérique.
En pratique, notamment dans les « Pratiques de la décision » de Falque et Bougon (2005), il
est, en revanche, communément admis que l’impact de ces SAD sur la « performance » des
processus de prise de décision, individuels et collectifs, reste mitigé. D’ailleurs, dans la
synthèse de Vidal et Lacroux (2000), et en dépit de l’évolution des TIC et des travaux de
recherche effectués depuis 50 ans, ce constat est récurrent. Il est également évoqué dans
Baujard (2006) et Sybord (2013).
Cet écart entre le SAD et son apport effectif dans la prise de décision pose alors la question
théorique de son évaluation.
Dans l’analyse quantitative des publications académiques concernant les SAD et faite par
Eom (2004), il ressort que l'évaluation est l'étape finale du processus de management d'un
SAD, constitué d'abord de la conception, puis de la mise en œuvre d'un SAD. Ainsi, cet article
propose d’aborder la question originelle de la conception d'un SAD pour analyser dans
quelles mesures le SAD peut accompagner le processus (décisionnel) de transformation
inhérent aux technologies du numérique.
Dit autrement, la problématique de cet article est:
Comment appréhender la conception d’un SAD qui tienne compte des transformations
inhérentes aux technologies du numérique, les « TIC 2.0 » ?
Pour répondre à cette problématique, la première partie spécifie le processus de
transformation qui accompagne les changements liés aux TIC. Cette spécification permet,
dans une deuxième partie, de présenter le cadre conceptuel du SI décisionnel. Ce cadre,
initialisé par les limites managériales des SI décisionnels actuels, est le résultat d'une analyse
critique des systèmes de connaissances, fondés eux-mêmes sur la Théorie du Système
Général. La troisième partie explicite le modèle SI décisionnel à partir de l'approche
méthodologique socio-cognitive. Cette approche, privilégiant les situations effectives de
travail et les actions effectuées par les internautes permet de prendre en compte la majeure
partie des informations et des connaissances que la collectivité « fabrique » et utilise dans une
organisation numérique.
1. / Le processus de transformation + TIC = « TIC 2.0 » ?
Les problématiques relatives à l’entreprise numérique s’inscrivent en majorité dans des
projets d’innovation, de transformation, voire de création… Quel que soit le qualificatif
employé, il s’agit de projets visant à remettre en cause les comportements acquis, pour
optimiser les pratiques de gestion via les technologies du numérique. L’enjeu est d’abord
stratégique même si très souvent l’innovation n’est pensée qu’au travers du prisme
technologique (Besson et Rowe, 2011), (Dubouloz, 2013).
Sur ces projets de transformation, la revue de la littérature (Beauvallet, 2009), (Thaler et
Sunstein, 2010), (Pezet et Sponem, 2010) énonce d’ailleurs un fort taux d’échec de
réalisation, le changement étant appréhendé, le plus souvent, de manière trop incrémentale et
caniste : le parcours linéaire va, soit de l’idée à l’usage, soit d’un « besoin » à la recherche
de solutions innovantes et d’idées nouvelles.
Or, en sociologie de l’innovation, les observations pratiques montrent que le processus de
transformation ne se réduit pas à la matérialisation d’une idée nouvelle : l’idée, au contraire,
est transformée. De même, les propriétés de l’objet, celles qui font son originalité, sa force,
son intérêt, changent au cours des étapes de développement. L’usage lui-même est transformé
au cours du processus. Enfin, chaque acteur spécifique et nécessaire au processus de
développement (inventeur, concepteur, développeur, utilisateurs) se transforme au cours de ce
processus (Vinck, 2006). Le processus de transformation n’a donc pas de résultat final
prédictible.
Ainsi, cette partie, centrée sur le processus de transformation, interroge d’abord la notion
d’innovation dans le cadre de l’innovation numérique, pour ensuite spécifier les
caractéristiques du processus de transformation.
1.1./ De l’innovation technique à l’innovation numérique
Selon une abondante littérature en économie/ gestion, innover consiste à mettre au point des
objets ou services nouveaux, que des utilisateurs utilisent effectivement et pour une certaine
durée. Le point de départ est l’idée de l’inventeur qui crée l’objet, le point d’arrivée est
l’usage que les utilisateurs finaux font de l’objet effectivement utilisé dans le temps.
Inversement, l’expression d’un besoin, une nouvelle pratique usagère, peut générer la
recherche de solutions innovantes et d’idées nouvelles.
Dans les deux cas, l’innovation est l’aboutissement d’une démarche qui commence par une
invention et se termine par l’acceptation sociale de la nouveauté. Elle peut être représentée par
le schéma « invention innovation diffusion », conformément à la figure 1 :
Or, les recherches en histoire, en sociologie et en économie/ gestion du changement technique
montrent la variété des trajectoires qui mènent à l’usage effectif (Tremblay, 2007), (Akrich et
al. 1991). D’abord, les idées nouvelles viennent de personnes de tout horizon, scientifique ou
non. Ensuite, inventeur et utilisateur sont, dans certains cas, un seul et même acteur. Parfois,
aussi, les utilisateurs sont impliqués dans la conception du produit, voire dans son
développement (la communauté de l’open source, par exemple). Parfois, encore, les
dynamiques économiques du marché impulsent de nouveaux comportements, de nouveaux
besoins (Lorenzi et Villemeur, 2009).
Ce processus de transformation est donc un « entre deux » qui doit s’efforcer de combiner
sciences, technique, marché et société pour arriver à des configurations sociotechniques
nouvelles (Boly, 2004), (Akrich et al, 2006). Tous ces pôles sont importants et la mise en
œuvre des projets d’innovation architecturale, initialisés par les technologies du numérique,
montre la multitude et la variété des allers-retours entre ces pôles. Le processus de
transformation à l’œuvre dans l’innovation numérique n’est donc ni linéaire, ni prédictible car
les interactions entre l’objet et ses connections sont indissociables et génèrent de nouvelles
manières d’être : par exemple, le livre numérique permet de réinventer l’expérience de la
lecture.
Autrement dit, sur le plan organisationnel, les acteurs, les intentions, l’espace de
responsabilité, les interactions émergentes ou organisées, la communication sont des éléments
fondamentaux, à prendre en compte dans la mise en place d’un processus de transformation.
L’innovation numérique n’est donc pas du simple fait de l’innovation technologique. Elle
implique tous les acteurs qui sont parties prenantes de la transformation et doit s’inscrire dans
un cadre intégrateur de transformation organisationnelle (Besson et Rowe, 2011). Ce cadre
intégrateur est composé de :
La nature de l’initiative de transformation,
L’écologie de la transformation,
Le processus de transformation,
Les résultats de la transformation et leur mesure.
Puisque la question de cet article porte sur la conception d’un SAD qui tienne compte des
transformations d’usages, en lien avec les TIC du numérique, la partie suivante propose de
spécifier les caractéristiques du processus de transformation.
1.2. / Les caractéristiques du processus de transformation
Rappelons que la mise en place d’une nouvelle organisation sociotechnique n’obéit à aucune
pré-rationalité (Vinck, 2006), les représentations sociales étant gouvernées en temps réel, par
le tandem « objet + sujet ». L’opérateur « + » de ce tandem désigne toutes les interactions
évolutives entre l’objet représenté par les TIC du numérique et le sujet qui, à terme, utilisera
ces TIC en adéquation avec ses besoins et ses expériences. Le processus de transformation est
donc composé d'un grand nombre d'entités en interaction locale et simultanée.
Dans le cadre de notre réflexion sur la conception d’un SAD, ces entités en interaction sont
schématiquement composées par les acteurs, les outils numériques et les décisions prises par
les acteurs à l’égard des outils numériques. En rapport à cette dernière entité, les théories de la
décision, qu'elles soient issues d'une perspective organisationnelle ou d'une perspective
individuelle, s'accordent sur le fait que la prise de décision est le résultat d'un processus
cognitif complexe visant à la sélection d'un type d'action (effective ou raisonnée) parmi
différentes alternatives (Saussois, 2012). Ainsi, les décisions mettent en forme
progressivement, et de manière aléatoire, des trajectoires non linéaires et, le plus souvent,
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