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Conférence
Association culturelle châtillonnaise
Lundi 28 mars 2011
Robert FRIES
La Bourgogne et les Iles Britanniques
Pourquoi cette conférence?
Je suis un Bourguignon d'adoption ; je découvre la région et son histoire. J’ai
remarqué que des Anglais se sont souvent trouvés associés aux événements et aux
monuments qui ont marqué cette région. Qu'il s'agisse de la Haute Antiquité, du
Moyen Age ou du temps de la Révolution industrielle, des Britanniques ont laissé
leurs traces en Bourgogne. Alors j'ai voulu y voir un peu plus clair
pour répondre à des questions simples du genre « Pourquoi y-a-t-il un évêque
anglais enterré à Fontenay? » ou « Jeanne d'Arc a-t-elle bien été livrée aux
Anglais par le duc de Bourgogne? » ou encore « Pourquoi des forges anglaises
dans la région? »;
également pour situer ces événements ponctuels dans un cadre plus vaste, c'est-
à-dire tenter une analyse de ce qu'ont été les relations entre la Bourgogne et les
Iles Britanniques au cours du temps.
Par ailleurs j'ai le plaisir d'entretenir d'amicales relations avec quelques membres
éminents de la « colonie » britannique présente dans le Châtillonnais. J'ai pensé que
les quelques réflexions qui vont suivre pourraient les intéresser. C'est donc aussi en
pensant à eux que j'ai entrepris ce travail.
Enfin last but not least c’est une occasion de revisiter, à grandes enjambées,
l’histoire de la Bourgogne.
Nous allons suivre une démarche chronologique avec les trois étapes principales
suivantes et naturellement quelques escales imprévues
L'antiquité: du vase de Vix aux Gallo-Romains
Le Moyen-âge: le temps des monastères et le temps de l’Etat bourguignon
Les temps modernes : Le temps des révolutions agricoles et industrielles
Et en guise de conclusion quelques mots sur la situation actuelle.
Avant de parler d’histoire, quelques mots de géographie
Par Bourgogne, nous entendrons la région actuelle, celle qui couvre les 4
départements, Yonne, Côte d’Or, Nièvre et Saône et Loire ; mais, comme nous
le verrons, l’Etat bourguignon a connu des frontières très différentes. Quant
aux Iles britanniques, il s’agit de l’Angleterre, de l’Ecosse et de l’Irlande.
La Bourgogne est une zone de partage des eaux entre le versant de la Seine, ce
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lui de la Loire et celui du Rhône. Au temps les transports se faisaient
principalement par voie fluviale, la Bourgogne était forcément un lieu de
transbordement, donc un lieu d’échanges et d’enrichissement économique et
culturel.
L’antiquité.
La haute antiquité
Avant la conquête romaine, les habitants de Bourgogne et d’Angleterre appartenaient
à la même civilisation, celle des Celtes.
Le magnifique vase de Vix que chacun connait montre qu’une population prospère
résidait dans les environs de Châtillon. Cette population entretenait des relations
avec les peuples plus avancés de la Méditerranée. De quoi étaient faites ces
relations ? Notamment du trafic de l’étain dans le sens nord sud ; de diverses denrées
artisanales (poteries, armes, étoffes, produits finis en général) dans le sens sud nord.
L’étain était extrait des mines de Cornouailles (les iles mythiques Cassitérides) et
transporté jusqu’en Italie du nord voire en Grèce pour participer à la métallurgie du
bronze (90% de cuivre et 10% d’étain). En dépit de sa situation éloignée de la mer, la
Bourgogne entretenait donc des relations avec l’Angleterre dès le VIème siècle avant
JC.
Un article paru dans Les cahiers du Châtillonnais sous la plume de Pierre Roy
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, donne des
indications sur les conditions de ce transport.
De lourds bateaux (pentécontores : 24mx3,5m ; 3 à 4 tonnes de charge utile) adaptés à la
navigation en mer et sur les rivières profondes et chargés de marchandises destinées à
l’échange (huiles, bronze, armes, vins) remontaient la Saône jusqu’au lieu dit Les Maillys.
Là un transbordement intervenait.
Les marchandises étaient chargées sur des embarcations plus petites à fond plat (10mx2m).
Cette flottille remontait la Saône, la Tille puis l’Ignon, sans doute jusque vers Pellerey. A
cette époque le niveau des fleuves était plus élevé. Là chaque bateau avec son chargement
était placé sur un chariot et halé sur une distance de 3,5 km jusqu’à la Seine.
Remis à l’eau les bateaux descendaient la Seine puis remontaient l’Oise jusqu’à Tergnier.
nouveau halage (10km) pour atteindre la Somme (Ham sur-Somme) qui était descendue
jusqu'à la baie de Somme (Eu ou Auga en latin).
Les bateaux étaient alors déchargés et les lingots d’étain mis à bord pour le voyage de
retour.
A la période romaine, ce trafic perdura. Une des raisons de la conquête de la Gaule
par César fut la volonté de pacifier la vallée du Rhône qui devait devenir une voie de
communication fondamentale pour les échanges nord sud. Autun (Augustodunum)
est un centre important de la Gaule romaine. C’est un croisement de deux axes
routiers : la via Agrippa qui relie Lyon à Boulogne en passant par Chalon, Auxerre,
Sens, Beauvais et l’axe est-ouest reliant Besançon à Bourges. Autun est également
1
Pierre Roy, Une voie fluviale de l’étain, Cheminement des Grecs en Bourgogne, Les cahiers du Châtillonnais. N° 117,
1996.
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un centre administratif et universitaire sont formés les membres de l’élite gallo-
romaine.
Antiquité tardive
A la fin de l’Empire romain, à l’heure le christianisme se développe, les barbares
venus de l’est de l’Europe déferlent dans les provinces romaines
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. Les temps sont
difficiles. Voici la description que donne Orens, évêque d’Orléans, de l’arrivée des
Barbares dans les années 430 : « La mort a soudain balayé le monde. Dans les
villages et les domaines, dans les champs, aux carrefours, dans chaque bourg, sur les
routes de toutes parts, on ne voit plus que mort, douleur massacres, incendies et
deuil. La Gaule toute entière n’a été qu’un bûcher
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».
La Bourgogne et plus particulièrement Auxerre est alors un centre de rayonnement du
christianisme dans sa forme la plus orthodoxe. Saint Germain (378-448) jouit d’une
renommée qui dépasse les frontières du diocèse qu’il administre. Il fait d’Auxerre un
centre spirituel, axé notamment sur le culte des saints (Saint Alban par exemple) et
sur celui des reliques, qui attire de nombreux étrangers. Deux fois de suite, il est
appelé en Grande Bretagne pour lutter contre l’hérésie pélagienne
4
. Selon son
hagiographe
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, lors du premier séjour dans les années 430, il utilise la douceur et la
persuasion pour ramener les brebis égarées dans le droit fil de l’orthodoxie. De
nombreux miracles marquent son séjour ; ils sont autant de manifestations du soutien
de Dieu. Son second voyage en 446 est destiné à venir à bout des pélagiens relapses.
La méthode est plus ferme : les récalcitrants sont tout simplement exilés sur le
continent
6
. Jean Pierre Soisson avance l’idée que Germain était animé d’un grand
projet : celui de mettre en place une société celto-romaine qui serait différenciée de
la société « germano-romaine » en cours d’installation.
Saint Patrick (386-461), dont la vie fut particulièrement mouvementée passa quelques
années à Auxerre (vers 430) avant de retourner en Irlande pour y évangéliser les
populations.
Un siècle plus tard, Saint Colomban (540-615) venu d’Irlande, passe par Langres,
Nevers et Auxerre au cours de ses nombreuses pérégrinations d’évangélisation.
Il y a donc des échanges entre évangélisateurs de part et d’autre de la Manche.
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Les « Barbares » - Huns, Alamans, Vandales, etc. traversent le Rhin le 31 décembre 406. Le Rhin ne marque plus la
limite de l’Empire romain.
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Cité par Jean Pierre Soisson, Saint germain d’Auxerre, Ed. Rocher, 2011.
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Pour Pélage (360-422), l’homme n’est pas frappé par le péché originel. S’il fait le mal, c’est du fait de son libre
arbitre. En conséquence, pas de baptême des enfants pour les laver du péché. Pas non plus d’intervention de la grâce
pour obtenir le salut. Ces doctrines furent combattues par Saint Augustin et condamnées par le concile de Carthage en
411 puis 418. La question fut au cœur des débats liés au jansénisme. Les jansénistes ne cesseront de proclamer « que la
cause efficiente du libre arbitre n’est pas une faculté naturelle de la libre volonté, mais la grâce... et que celle-ci doit
libérer la volonté pour que l’homme puisse accomplir des actions non pas seulement surnaturelles mais tout simplement
moralement bonnes ». La volonté a perdu toute liberté à la suite du péché origine; elle subit donc l’attrait du bien qui
produit le mérite, ou du mal qui produit le péché. La grâce, qui seule peut permettre de faire le bien, n’est pas donnée à
tous.
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Constance, prêtre à Lyon, a écrit une vie de Saint Germain (Vita Germani) quelque 30 ans après la mort de l’évêque
d’Auxerre.
6
J.P. Soisson, op. cit. p. 129.
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Un mot sur les Burgondes qui ont donné leur nom à la région.
Le peuple burgonde vient d’Europe centrale. Il traverse le Rhin en décembre 406 avec les autres
peuples « barbares ». Quelques décennies plus tard il subit un sérieux revers face aux Huns. Les
Burgondes s’allient alors aux Romains et deviennent un peuple fédéré. A ce titre, le gouverneur
romain Aetius leur concède un vaste domaine centré sur l’actuelle Savoie. C’est le royaume de
Bourgogne qui connait des fortunes diverses
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. Il s’étend à un moment entre le Jura et la Durance et
tombe finalement sous la coupe de Clovis, puis de ses enfants qui partagent le royaume de leur
père. Les luttes entre héritiers sont permanentes. La coutume franque veut en effet que les enfants
se partagent les territoires du père, d’où une division à chaque génération.
A l’occasion des incursions arabes, Pépin le Bref prend le contrôle de la Bourgogne. Des comtes
relevant de son autorité sont installés à la place de l’aristocratie burgonde.
La succession de Charlemagne (traité de Verdun en 843 entre les petits fils de Charlemagne Louis
le Germanique, Charles le Chauve et Lothaire) a une conséquence importante : une frontière
s’établit le long de l’axe Saône, Meuse et une autre le long du Rhin. Ces frontières délimitent la
Lotharingie. Ensuite en 870, Louis le Germanique et Charles le Chauve se partagent la
Lotharingie
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. La nouvelle frontière Saône Meuse sépare les terres relevant de l’Empereur de celles
relevant du roi de France ».Les héritiers carolingiens poursuivent les partages. Ils doivent aussi
lutter contre les incursions des Normands
9
. Face à la faiblesse du « pouvoir royal » qui ne peut
assurer l’ordre, les grands barons en profitent et prennent de plus en plus d’indépendance.
La Bourgogne est morcelée. Elle ne deviendra une entité politique qu’avec les Capétiens en 987.
Le Moyen-âge
Le temps des monastères
Les me et XIème siècles sont marqués par la création de deux ordres monastiques
qui ont essaimé dans toute l’Europe et notamment en Angleterre : Cluny et Cîteaux.
C’est au sein de ces institutions que se retrouvait l’élite intellectuelle du moment.
Cluny fondé en 909 à l’initiative de Guillaume d’Aquitaine connait un
développement considérable sous le règne des grands abbés Bernon le
fondateur Odon ( mort en 942), Maïeul (954-994), Odilon (994-1049),
Hugues de Semur (1049-1109), Pierre le Vénérable (1122-1156). Au XIIème
siècle 2.000 prieurés font partie de l’ordre soit quelque 10.000 moines. En
Angleterre, plusieurs abbayes sont créées
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; on en comptera 35 au temps
d’Henri VIII. L’évêque de Winchester, Henri de Blois (1100-1171), petit fils
de Guillaume le Conquérant et frère du roi Etienne, reçoit sa formation de
moine et de prêtre à Cluny. Il y fait des séjours nombreux et contribue à son
financement.
La première abbaye de Cîteaux est fondée par Robert de Molesme en 1098.
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Au moment de sa splendeur, vers les années 500, sous le roi Gondebaud, un code juridique, dit « Loi Gombette » a été
établi. C’est une juxtaposition de droit romain et de coutumes germaniques. Il a la caractéristique de s’appliquer au
territoire burgonde ; à cet égard, il a un caractère national.
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La Lotharingie comprenait également la Provence et le nord de l’Italie.
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Au cours de la seconde moitié du IXème siècle, Auxerre, Langres et Sens sont pillés par les Normands.
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Notamment Saint Pancras, Lewes, Reading. Notons que le l’organisation de Cluny s’inspire de la société féodale :
l’abbé de Cluny nomme les prieurs des abbayes filles et reçoit leur serment de fidélité. C’est une organisation
monarchique.
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Grâce à Saint Bernard, abbé de Clairvaux, l’ordre de Cîteaux connut un
développement spectaculaire : 209 établissements intégrés à l’ordre en 1200,
soit 50 ans après la mort de Bernard. Ce développement est dû en partie à
l’action d’Etienne Harding, un compagnon anglais de Bernard, le troisième
abbé de l’ordre. C’est à lui que l’on doit la « Charte de Charité
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» qui prévoit
notamment que le pouvoir suprême n’appartient pas à l’abbé de Cîteaux mais à
un chapitre général qui réunit chaque année les abbés élus de chaque
monastère. Peut-être est-ce une première manifestation d’un souci
d’équilibre des pouvoirs qui animera au cours des siècles suivants la nation
anglaise
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.
On compte 88 abbayes cisterciennes en Angleterre et au Pays de Galles. Ces
abbayes sont rapidement devenues des puissances financières en accumulant
des terres par des moyens qui ne relèvent pas toujours de la charité
chrétienne, d’où la réputation de rapacité des moines cisterciens en Angleterre-
et en y développant des activités rémunératrices. C’est ainsi que les abbayes
cisterciennes anglaises sont devenues le plus important fabricant de laine dans
le royaume. Cette puissance financière avait des inconvénients : elle suscitait
la convoitise. La rançon de Richard ur de Lion fut payée par les abbayes
cisterciennes. De nombreux prélats anglais en délicatesse avec leur souverain
ont séjourné dans des abbayes françaises, notamment: Thomas Becket à
Pontigny. Egalement Evrard (1075-1147), évêque de Norwich, à Fontenay. Ce
prélat y est du reste enterré.
Le temps de lEtat bourguignon
L’Etat bourguignon, c’est le duché de Bourgogne. Notons que le duché est à l’ouest
de la Saône et relève en droit féodal du roi de France ; le comté est à l’est de la Saône
et relève de l’empereur. Cette distinction est un héritage des partages carolingiens.
Deux dynasties exercent le pouvoir sur le duché de Bourgogne et parfois sur le com
de Bourgogne pendant près d’un demi-millénaire entre l’an 1000 et l’an 1477.
Les familles princières
La première est issue directement d’Hugues Capet, premier roi des Francs et
ancêtre de tous les rois de France jusqu’à Louis Philippe. En 1016 Robert le
Pieux, fils d’Hugues Capet, donne à son fils Henri un ensemble de fiefs autour
de Dijon, Avalon, Beaune, Autun, avec le titre de duc de Bourgogne. C’est un
ensemble disparate de domaines situés à l’ouest de la Saône, que les princes de
cette première dynastie vont s’employer à arrondir et à rendre cohérent. A titre
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Cette charte prévoit notamment une entraide spirituelle et matérielle entre les abbayes, un système de filiation entre
abbaye mère et abbaye fille, les premières ayant une responsabilité morale vis des secondes (obligation de visite
annuelle), et une surveillance de l’abbaye fondatrice (Cîteaux) par ses 4 premières filles (visite annuelle par les abbés de
Clairvaux, La Ferté, Pontigny, Morimond).
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Il ne semble pas interdit de rapprocher le réseau des abbayes cisterciennes du réseau formé par les villes de la Hanse à
partir du XIIe siècle. Dans les deux cas chaque membre du réseau conserve son autonomie.
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