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LE FUNERAIRE
Mémoire, protocoles, monuments.
Colloque interdisciplinaire de la Maison Archéologie & Ethnologie, René-
Ginouvès, 18-19-20 juin 2014
Organisé par : Grégory Delaplace et Frédérique Valentin
À plus d’un titre, la question du funéraire est un lieu commun de l’archéologie, de l’histoire et de
l’anthropologie. À plus d’un titre car, dans un premier sens du terme, l’étude des pratiques, idées
et artefacts mobilisés par une société donnée à la mort de l’un de ses membres est un sujet
classique un topos de ces disciplines. Les sépultures données à leurs défunts par les sociétés
du passé sont parfois les seules traces à travers lesquelles il nous est possible aujourd’hui de les
étudier : miroir des activités économiques et de la vie quotidienne, indice de l’organisation
sociale, le funéraire a constitué de fait le lieu par excellence de la recherche archéologique
depuis ses débuts. Les historiens et les anthropologues, pour leur part, ont mis à profit l’accès
simultané aux vestiges et aux témoignages dont ils bénéficiaient pour étudier dans une
perspective comparative « l’idéologie funéraire » (Vernant 1989) des sociétés du passé et du
présent ; la forme donnée à la sépulture ainsi que les discours sur la mort et l’au-delà traduisent
dans ce cas la place donnée au mort dans une société donnée.
De fait, dans un autre sens du terme, le funéraire est un « lieu commun » de ces disciplines en
tant qu’il est simultanément envisagé dans des perspectives théoriques et méthodologiques
différentes par l’archéologie, l’histoire et l’anthropologie. Si chacune de ces disciplines bénéficie
pour ses propres recherches des résultats obtenus par les autres, ce « lieu commun » du
funéraire a rarement donné lieu à des discussions partagées. Lorsque celles-ci ont eu lieu, elles
ont généralement pris la forme de dialogues rapprochant ces disciplines par paires : entre
archéologues et historiens (Gnoli et Vernant 1982), entre historiens et anthropologues (Gordon
et Marshall 2000), ou entre archéologues et anthropologues (Humphreys 1981 ; Thévenet,
Rivoal, Sellier, Valentin, à paraître).
À l’occasion de son colloque annuel, la Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie propose de
relever le défi d’une discussion inédite entre archéologues, historiens et anthropologues autour
des enjeux du funéraire à travers les sociétés humaines. Ce colloque proposera un nouvel état
des lieux de la recherche sur cette question croisant les approches des disciplines représentées
dans la Maison, tout en servant de point de départ à de nouvelles perspectives comparatives
entre celles-ci. Trois pistes de réflexion sont proposées:
Mémoire et régimes de visibilité de la sépulture
Plusieurs travaux d’anthropologie ont suggéré que les sépultures humaines n’avaient pas
toujours vocation à servir de support à la mémoire des morts. De nombreuses sociétés en
Amazonie (Taylor 1993) comme en Mongolie (Delaplace 2011) utilisent au contraire la
sépulture comme technique d’oubli, permettant de faire disparaître toute trace du défunt et de
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faciliter l’effacement de son souvenir. L’idée que les morts puissent avoir vocation à être
rapidement oubliés (sans être pour autant bannis) et que la monumentalité de la sépulture ne
soit pas seulement fonction du prestige de son occupant donne l’occasion d’une réévaluation
générale du rapport entre mort, vestiges et mémoire. Si l’on admet que la sépulture n’est pas
nécessairement le lieu privilégié de célébration de la mémoire du défunt, voire que le souvenir
n’est pas un impératif catégorique du funéraire, il convient alors d’étudier comment mémoire et
oubli se conjuguent aux différents régimes de visibilité des sépultures et des monuments les
moins visibles n’étant pas nécessairement les moins prestigieux. Dans quelle mesure ces
exemples contemporains peuvent-ils « parler » aux historiens ou aux archéologues, dont les
recherches sont tributaires des traces (écrites ou construites) laissées par les sociétés du passé ?
Rituels, protocoles, manières de faire
Si des sociétés oublient les restes de leurs morts, leur lieu de dépôt, voire les font disparaitre
totalement telles certaines populations de Bali (Sebesteny 2013), en amont, le devenir du corps
et de l’âme n’en est pas moins un sujet central de préocupation (Hertz 1907 ; Thomas 1985).
Prise en charge et traitement du défunt dans toutes ses composantes mobilisent et engagent à
des degrés divers les proches et la communauté autour d’un ensemble de gestes, protocoles et
rituels inscrits dans une durée variable. Quelles relations peut-on établir entre transformation
biologique du cadavre (thanatomorphose), manipulations anthropiques du corps (préparation,
conservation, destruction) et rite de passage ? À quelles conditions peut-on inférer manières de
faire et protocoles de leur résultat, tel qu’il est découvert par l’archéologue à l’issue d’une fouille
de sépulture ? À quelles conditions les témoignages des historiens et anthropologues peuvent-ils
nous informer sur les manières de faire des sociétés du passé lointain ? Dans la perspective
comparative d’une analyse dynamique des traces livrées par les sépultures, on s’interrogera en
particulier sur les interprétations des mises en scène sépulcrales et sur les reconstructions des
séquences de gestes et leur signification.
Espaces de la mort : (dé)placer les restes humains
Le traitement du corps du défunt, ainsi que la forme donnée à la sépulture inscrivent les restes
du défunt dans l’espace, de manière plus ou moins durable et localisée, avant leur oubli total ou
leur inscription dans d’autres systèmes. Au-delà de la question classique de la « place des
morts » à travers les sociétés humaines, que le croisement de perspectives archéologiques,
historiques et anthropologiques permettra néanmoins de poser à nouveaux frais, on portera une
attention particulière aux problèmes posés par des morts déplacés ou mal-placés, et d’une
manière générale aux situations où la place des morts ne va plus de soi. Du déni de sépulture (de
Polynice à Mohamed Merah) au déplacement des restes de personnages déchus ou au contraire
réhabilités (Verdery 1999, Zempleni 2011), en passant par les interventions de l’Etat pour
légiférer sur la dignité ou l’indignité du traitement des défunts et de leurs restes (Esquerre
2011), il s’agira d’apporter un éclairage nouveau sur la question de la spatialisation de la mort.
Les contributions développant des approches interdisciplinaires et les collaborations entre
chercheurs seront privilégiées. Les sumés (200 mots) sont à adresser avant le 20 décembre 2013
à Grégory Delaplace (g.delaplace@yahoo.fr) ou Frederique Valentin (frederique.valentin@mae.u-
paris10.fr).
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Références citées
Delaplace, Grégory. 2011. « Enterrer, submerger, oublier. Invention et subversion du souvenir
des morts en Mongolie ». Raisons Politiques 41 : 87-103.
Esquerre, Arnaud. 2011. Les os, les cendres et l’Etat. Paris : Fayard (Histoire de la Pensée).
Gnoli G. et J.-P. Vernant (eds.). 1982. La mort, les morts dans les sociétés antiques. Cambridge et
Paris : Cambridge University Press et Maison des Sciences de l'Homme.
Gordon B. et P. Marshall (eds.). 2000. The Place of the Dead. Death and Remembrance in Late
Medieval and Early Modern Europe. Cambridge : Cambridge University Press.
Hertz, Robert. 1907 [1928]. « Contribution à une étude sur la représentation collective de la
mort », in R. Hertz, Mélanges de Sociologie Religieuse et Folklore: 1-98. Paris : Librairie Félix
Alcan.Humphreys 1981
Humphreys, S. C. & H. King. 1981. Mortality and immortality : The anthropology and archaeology
of death. Londres : Academic Press.
Sebesteny, Aniko. 2013. « Création collective d’une entité immatérielle : la crémation à Bali », in
Thévenet C., I. Rivoal, P. Sellier, et F. Valentin (eds.)., op.cit. : 40-41.
Taylor, Anne-Christine. 1993. « Remembering to Forget. Identity, Mourning and Memory Among
the Jivaro », Man 28/4 : 661-662.
Thévenet C., I. Rivoal, P. Sellier, et F. Valentin (eds.). 2013 à paraître. La chaîne opératoire
funéraire. Ethnologie et archéologie de la mort, Paris : De Boccard.
Verdery, Katherine. 1999. The Political Lives of Dead Bodies. Reburial and Postsocialist Change.
New York : Columbia University Press.
Vernant, Jean-Pierre. 1989. L’individu, la mort, l’amour : Soi-même et l’autre en Grèce Ancienne.
Paris : Gallimard (Folio Histoire).
Zempleni, András. 2011. « Le reliquaire de Batthyány : du culte des reliques aux réenterrements
politiques en Hongrie contemporaine », in G. Vargyas (éd.), Passageways : From Hungarian
ethnography to European ethnology and sociocultural anthropology. Budapest : L’Harmattan : 23-
89
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