Le deuxième poète qui supprime toute inquiétude pour le commentateur, cette fois vis-à-vis
de la crainte de ne pas être assez élogieux, c’est vous-même, Olivier. Dans Illusions comiques,
vous faîtes parler un personnage qui fait votre éloge. Ce personnage dit ceci :
« J’aime tellement votre travail, permettez-moi de vous cirer les pompes et de
quantitativement et qualitativement vous lécher le cul. (Il lui tend un livre.) J’ai écrit
cette ode à votre génie, publiée à compte d’auteur, j’y dis que vous et vous seul contre
tous avez crié dans le désert. Je vouerai ma vie à l’étude de vos œuvres, je veux créer
une grande académie qui soit dédiée à votre exégèse !
»
Or, ce personnage, vous l’avez nommé « Mon pire ennemi » et il porte une veste verte qui
justifierait à elle-seule toutes les superstitions des comédiens. Me voilà rassuré : vous craignez
par-dessus tout les flatteurs et les exégètes enthousiastes. Donc, ne vous inquiétez pas,
Olivier, je ne serai pas aujourd’hui votre « pire ennemi », je ne ferai pas d’éloge de votre
œuvre.
Je vais même faire l’inverse. Pour éviter tout risque de flatterie digne de votre « pire
ennemi », je vais plutôt me fonder sur une attaque qui vous a parfois été adressée. Non pas
un éloge, donc, mais un blâme. Ce blâme, le voici : Olivier Py est un cul-bénit ! Vous savez
peut-être que Barbey d’Aurevilly disait que le plus beau surnom que pouvait avoir un homme
était celui que lui donnaient ses adversaires. Léon Bloy intitula ainsi « Le Mendiant ingrat » un
volume de son Journal, se drapant dans ce surnom que ses ennemis jugeaient injurieux.
Elizabeth Mazev, amie d’enfance, comédienne et personnage d’Illusions comiques, ne s’y est
pas trompée. On le voit dans un bonus de la captation de la pièce au Rond-Point : vous
commentez une scène dans laquelle le Pape apparaît et vous redoutez qu’on se moque du
Pape sans comprendre votre réplique. Elizabeth Mazev s’exclame alors : « Quel cul-bénit, cet
Olivier Py ! ». Ma proposition aujourd’hui est donc de prendre Elizabeth Mazev au mot, de
prendre Barbey d’Aurevilly au mot, de montrer que votre œuvre est bien celle d’un cul-bénit,
mais que c’est cela qui en fait non la faiblesse, mais la richesse. Je relève tout de suite deux
formules du Pape, dans le passage au sujet duquel Elizabeth Mazev vous traite de cul-bénit.
Ces deux formules seront les deux axes principaux de ma réflexion : « Le théâtre comme
l’eucharistie est présence réelle
» et « J’aurais dû faire du théâtre, le mystère de l’incarnation,
oui, je crois que je l’aurais mieux compris
».
Premier aspect du problème, premier niveau de compréhension de « cul-bénit » : le
cul-bénit est celui qui passe son temps dans les églises, celui qui parle de Dieu sans cesse, celui
qui n’est apparemment jamais sorti du bénitier. Comparer le théâtre à l’eucharistie, c’est
encourir légitimement le soupçon d’être un cul-bénit. Certes, la formule prend place au cœur
d’un dialogue léger – le Pape dit aux carmélites : « Venez les filles » -, mais le passage signale
que la théologie catholique est bien un arrière-plan constant du théâtre de Py
. Sur ce point,
une précision s’impose : c’est une théologie en acte, incluant l’autodérision, et c’est une
Illusions comiques, Actes Sud, Babel, 2016, p. 33. Toutes nos références renvoient à cette édition.
IC, p. 43.
IC, p. 44.
Une troisième difficulté liée à la présence de l’auteur est l’hésitation constante entre la deuxième personne, au
risque de faire comme si le reste de l’assistance n’était pas là, et la troisième personne, qui « délocute » l’auteur,
comme disent les linguistes. En dehors des cas qui nous semblaient exiger une adresse directe, nous avons choisi
de parler d’Olivier Py et non à Olivier Py.