Tentatives de trous pour voir le ciel à travers

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LA COMPAGNIE DEMESTEN TITIP PRÉSENTE
TENTATIVES DE TROUS
POUR VOIR LE CIEL À
TRAVERS
DIPTYQUE
D’APRÈS THE YELLOW WALLPAPER
de Charlotte Perkins-Gilman
Et DANGLING MAN
de Saul Bellow
calendrier et soutiens
Création le 6 mars 2012 au Théâtre Roger Barat / Herblay
Les 6&7 avril au 3bisF / Aix en Provence
Du 18 au 20 avril aux Argonautes / Marseille
Du 24 au 26 avril à la Loge / Paris
Du 1er au 3 mai à la Loge / Paris
Le 6 mai à la Loge / Paris
Du 8 au 10 mai à la Loge / Paris
Co-productions : 3bisF / Aix en Provence; ARCADI, Théâtre Roger Barat / Herblay
Résidences : 3bisF / Aix en Provence; Théâtre Roger Barat / Herblay ; Collectif 12
Diffusion : Théâtre Roger Barat / Herblay, 3bisF / Aix en Provence, la Loge / Paris,
Théâtre les Argonautes / Marseille
Soutiens acquis: Ville de Marseille , ARCADI, SPEDIDAM, DRAC PACA
Soutiens en cours : Région PACA, Conseil Général des Bouches du Rhône
ÉQUIPE
Conception et mise en scène: Christelle Harbonn
Dramaturgie et adaptations: Laurence Gervais
Avec: Solenne Keravis, Olivier Boréel et Sébastien Rouiller
Création sonore: Sébastien Rouiller
Scénographie: Muriel Valat et Christelle Harbonn
Création lumières: Olivier Schwal
« … Aujourd’hui, un journal intime est un peu considéré comme une preuve d’auto-indulgence, une faiblesse de mauvais goût. Car, nous vivons
une époque « pétrifiée ». Le code de l’athlète contemporain, du « dur » -l’héritage américain du gentleman anglais-, un curieux mélange d’esprit
de rivalité, d’ascétisme et de rigueur, (…) ce code est plus rigide que jamais. Avez-vous des sentiments ? Il y a plusieurs manières, les unes correctes, les autres incorrectes de les montrer. Avez-vous une vie intérieure ? Cela ne regarde personne d’autre que vous-même. Avez-vous une
sensibilité ? Etranglez-la. (…)
Un de leurs commandements est : si vous avez des difficultés, débattez-vous seul et en silence. Au diable tout cela ! J’ai l’intention de parler de
mes difficultés, et si je possédais autant de bouches que Siva possède de bras, si je les laissais parler toutes en même temps, je ne pourrais même
pas encore me faire justice à moi-même. (…) Il m’est devenu nécessaire de tenir un journal –c’est à dire de me parler dans la tête-. (…) Tous les
« pétrifiés » ont des compensations à leur silence : ils volent en avion, combattent des taureaux ou pêchent la truite, alors que moi je quitte rarement ma chambre… »
Saul Bellow, Un Homme en suspens,
(titre original Dangling Man)
« C’est une grande pièce aérée… avant d’être une chambre d’enfants elle servait de salle de jeux j’en suis sûre… le papier peint est arraché par
lambeaux autour de la tête du lit, je n’ai jamais vu un papier peint plus laid de ma vie… Son motif est vulgaire et voyant. Il est suffisamment monotone pour brouiller la vue, mais assez précis pour constamment provoquer une curiosité irritée. Quand vous en suivez les courbes incertaines
pendant un petit moment, voilà qu’elles se suicident tout à coup, plongeant à des angles absurdes, elles se détruisent de façon chaotique. La couleur en est repoussante, presque révoltante –un sale jaune qui fermente, étrangement fané par la lumière tournante du coucher de soleil. Le papier est arraché par plaques entières… ce devaient être des enfants remplis à la fois d’acharnement et de haine…
(…)
Il me semble que ce papier peint sait quelle influence morbide il possède.
(…)
De temps en temps le même motif revient qui pend comme une tête coupée dont les yeux exorbités me fixent de leur regard à l’envers.
J’enrage de voir leur insolence et leur obstination répétées : en bas, en haut , de côté, partout, je vois ramper ces yeux absurdes et fixes… je n’ai
encore jamais vu tant d’expression dans quelque chose d’inanimé, et pourtant nous savons tous combien les choses peuvent devenir expressives
!
Ce papier peint possède un autre motif plus flou, particulièrement irritant…Là où il n’est pas fané, quand il est touché par les rayons du soleil, il
me semble voir une silhouette bizarre, provocante et informe, qui rôde…
Il y a des choses concernant ce papier peint que personne ne sait sauf moi, et que personne ne saura jamais.
On dirait qu’une femme se penche jusqu’à terre pour aller ramper derrière le dessin. »`
Charlotte Perkins-Gilman, Le Papier peint jaune
(titre original The Yellow Wallpaper)
NOTES SUR LE PROJET
TENTATIVES DE TROUS
POUR VOIR LE CIEL A TRAVERS
Nous travaillons sur deux romans américains Le Papier Peint Jaune de Charlotte Perkins-Gilman et Un homme en suspens de Saul Bellow. Ces textes sont deux
journaux intimes écrits respectivement par une femme au XIXe et par un homme au XXe siècle. Ils sont des échappatoires à une vie qui cloue leurs protagonistes à des lois (psychanalytiques ou sociales) qui les démunissent. Ce sont leurs forces de résistance.
Ces textes forment ici un diptyque que nous appelons des Tentatives de trous pour voir le ciel à travers.
Parce que je me sens parfois incapable de regarder et de participer au déroulement du monde comme il faudrait que je le vois, comme il faudrait que je l’appréhende ou comme il faudrait que je l’aime, je trouve des affinités personnelles avec ceux qui déraillent, qui ne trouvent plus la force intérieure pour rester
tranquillement sur leur chaise en attendant que le monde leur passe dessus. On dirait qu’ils décident radicalement que leur monde est le monde, et bien
malin qui parviendrait à leur prouver le contraire - sinon à coups de lois plus absconses les unes que les autres ou de discours bien pensants mal pensés
censés les ramener à la réalité de leur petite vie de merde.
Le désir qui les meut alors de décrire leur monde les enjoint à prendre une parole intimiste, certes, mais qui a pour nécessité de trouver son « universalisme
». Une femme parle, un homme parle, mais à travers eux, ce sont une multiplicité de bouches qui dessinent des mondes inattendus, pluriels, où il est jubilatoire de penser qu’il est possible de faire un pas sans qu’un cadre nous donne le ton, la voie, la couleur et le sentiment à donner à notre marche.
Ces textes pourraient être des cris dont personne n’entend le son. Nous n’en voyons que la déformation d’une bouche qui nous appelle, mais nous sommes
comme derrière une vitre, et nous n’entendons rien. Puis, par tous les moyens mis à leur disposition, ces bouches tentent de briser notre séparation. Elles
revendiquent les formes d’inadéquations comme des formes de résistance.
J’essaie, avec toute l’équipe de ce projet, de rendre compte de ce qui me bouleverse à la lecture de ces textes ; il n’y a pas d’intellectualisme qui dénoncerait
théoriquement les disfonctionnements d’une société barbare. Il y a un langage de chair et d’épiderme, à mon sens tout à fait contagieux, et l’échange qui se
crée entre l’auteur et le lecteur se crée par les pores.
Ce projet ressemble, je crois, à une colère sourde.
Nous organiserons le texte tel une partition musicale dans laquelle les deux interprètes tenteront de dessiner des formes de poésies sonores. Ils sont excités,
exacerbés, percutés par une pluralité de sons produits en direct par un musicien sur la scène, fictionnalisé différemment dans les deux volets (tantôt
l’époux, tantôt le voisin).
De ce fait, nous voulons rendre compte de questions qui concernent l’enfermement, l’aliénation possible générée par le « devenir mère » (Gilman), l’aliénation possible générée par la perte de toute ossature sociale (Bellow).
Il ne s’agit pas de représenter des fous, car ici, c’est le langage qui dérape. Entre répétitions de la sentence apprise, déformations, insertions inopportunes
(syndrome de Tourette), lapsus verbaux, nous tentons de décrire à la fois ce que le personnage voudrait dire simultanément à ce qu’il doit dire.
Ce projet est dit de « dramaturgie plurielle », il associe textes, son, jeu, et vidéo. La scénographie tâchera d’exposer radicalement les interprètes, dont le travail veut rendre compte des couleurs inquiétantes, étranges, vives ou folles que nous ont donné les deux œuvres écrites à leur lecture. Il est fort probable
qu’elle soit constituée de murs blancs sans portes, dans une lumière crue, et qu’elle ne donne aucune autre possibilité d’issue que celle de la parole. Peutêtre que nous créerons toutefois une fenêtre, où il sera possible d’y contempler le ciel.
Christelle Harbonn
LE PAPIER PEINT JAUNE
D’après The Yellow Wallpaper
de Charlotte Perkins-Gilman
Avec : Solenne Keravis et Sébastien Rouiller
Adaptation : Laurence Gervais
Mise en scène : Christelle Harbonn
Notes dramaturgiques
à propos de The Yellow Wallpaper
The Yellow Wallpaper est une fiction d’inspiration largement autobiographique de Gilman, destinée selon ses propres termes, à illustrer l’enfermement des femmes dont le sien entre 1860 et 1890, dans le rôle qui leur est dévolu au XIXème siècle selon les règles établies par le « Culte de la vraie féminité » (domesticité, pureté, piété et soumission). C’est aussi le récit de ce que la psychiatrie
contemporaine appellerait une « dépression post-partum » ou encore une « psychose puerpérale », que l’on qualifie à l’époque dans le
cas de Gilman de « dépression passagère à tendance hystérique », ou encore souvent de « mélancolie » liée à l’accouchement. La «
folie des mères » à la fin du XIXème siècle aux Etats-Unis comme en Europe est considérée comme « naturelle », c’est à dire liée à la
nature féminine . Le traumatisme que représente le « devenir mère », que la médecine humorale de l’époque met facilement sur le
compte de la montée de lait (fièvre de lait) ou des suites de couches, est par conséquent évacué.
Loin de considérer l’ambigüité intrinsèque (amour/haine) de ce lien maternel obligatoire, le discours institutionnel du XIXème enferme les mères dans la sphère privée en leur ôtant toute liberté de mouvement et de pensée et pathologise celles qui ont des difficultés à devenir mère.
La cure imposée alors à ces dernières consiste à plus d’enfermement encore et Gilman veut démontrer que le traitement aliène davantage que la prétendue pathologie.
Le texte de Gilman suit une évolution claire sur le plan de la langue et du contenu qui correspond à celle de la narratrice
Dans la première partie de son journal, elle répète le discours officiel : celui de son mari, qui est lui-même médecin, la science légitimant ici le contrôle qu’il exerce sur elle. Ce discours officiel est celui de la médecine, qui infantilise le malade. D’où la présence dans
l’adaptation de passages extraits de dossiers médicaux de malades incarcérées dans des asiles psychiatriques au XIXème . La narratrice doit prendre un repos absolu et surtout ne pas écrire, ni avoir aucune activité intellectuelle.
Dans une deuxième partie, ce discours institutionnel prend corps, il s’incarne dans le papier peint, la chambre, il est la prison, le cauchemar. Elle se rend compte que cette prison est vivante, il s’agit du mari, du frère, des médecins, d’une prison bien réelle et la narratrice commence à en prendre conscience. Mais il s’agit aussi du papier peint lui-même, déchiré, malodorant, il devient l’obsession de
la narratrice. En lisant/décryptant le traitement qui lui est infligé comme inadapté, mauvais pour elle, la narratrice, et avec elle le lecteur/spectateur peut à la fois sortir de la prison que représente le discours officiel, mais en même temps elle/il prend le risque d’être
pris pour fou.
C’est ce qui arrive dans la troisième partie, où la narratrice se libère du discours institutionnel, « lit » le papier peint de sa chambre
n’ayant rien d’autre à lire, et finit par y discerner des femmes prisonnières, comme elle l’est elle-même. Décidée à les libérer, elle finira par arracher intégralement le papier de la chambre, à la fois sombrant dans la folie et se libérant de la prison qu’on veut lui imposer. La folie est un élément à la fois positif et négatif de la nouvelle. D’une part la narratrice finira probablement dans un
sanatorium, mais d’autre part elle a trouvé une faille, une brèche dans le système carcéral/la cure imposée : un possible espoir, elle a
réussi à parler pour elle-même, à ne plus répéter le discours des autres, à comprendre qu’elle est, comme les autres femmes qu’elle
discerne derrière le papier peint, enfermée.
La « folie des mères » a longtemps été considérée (jusqu’au milieu du XXème siècle) comme quelque chose d’à la fois mystérieux et
normal . La puerpéralité, le devenir mère, étaient des choses « naturelles » et à la fois le théâtre des pires superstitions. Que ce fut le
mariage même et la maternité qui aient enfermé les femmes et soient à l’origine de leur « mélancolie » ne frappait pourtant personne.
Cette « invention de la nature » nous ramène à d’autres pathologies comme l’hystérie, considérée comme inhérente à la « nature féminine ». Pourtant est-il si « naturel » de devenir mère ? D’accoucher, de devoir prendre en charge complètement et totalement un
autre être qui dépend physiquement de soi pour survivre ? De l’aimer ? Médée en puissance comme toutes les mères, on lit dans l’angoisse de la narratrice de The Yellow Wallpaper, la peur de cette ambigüité amour/haine du devenir mère. La peur de refuser son enfant/le tuer/l’abandonner est aussi souvent liée dans les croyances du XVIIIème et du XIXème siècle à la peur de l’enfant-monstre .
La peur/angoisse/désir de la mère lié à ce qui va sortir de son ventre (ce que la psychanalyse appellera les fantasmes) et que la psychiatrie du XXème siècle prendra pour les signes précurseurs de la psychose puerpérale doivent être évitées au maximum à la femme
enceinte du XIXème siècle car on la sait psychologiquement fragile. Elle ne doit pas lire, ne pas être exposée à des émotions excessives. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai adjoint quelques mots du Alice in Wonderland de Lewis Carroll à l’adaptation. La vision du bébé dont elle ne peut pas s’occuper sous la forme d’un cochon de lait est à la fois une référence à cette mère indigne et
infanticide qu’est la Duchesse dans le livre de Lewis Carroll, et un rappel de cette peur de « l’enfant-monstre ».
Laurence Gervais
Notes de mise en scène
The Yellow Wallpaper
The Yellow Wallpaper est un journal intime écrit en secret d’un XIXe siècle qui aime les femmes à une certaine place. Celle qui écrit
regarde le monde dans le papier peint de sa chambre et elle y voit des formes, des vies et des dépendances.
Nous travaillons dans une pièce vide, blanche, qui pourrait ressembler à un appartement, à ceci près qu’on n’y trouve aucun meuble,
aucun quotidien. Mais chaque geste y accompagne un certain type de prise de parole.
C’est Solenne Keravis qui parle. Elle raconte à ceux qui la regardent et par fragments l’histoire de cette chambre.
Sébastien Rouiller est derrière elle, dos à nous, il semble travailler sur un minuscule bureau. Il travaille en effet sur elle, sur les sons
qu’elle produit, il en émet d’autres ou il transforme les siens ; il provoque les heurts du langage, bégaiements, répétitions, variations.
Il est sans doute le mari, John, le médecin qui la traite. Ils créent ensemble un free-jazz agacé et agaçant, glacé et glaçant.
Le son s’amplifie de plus en plus et frappe sur tous les murs de la pièce où les spectateurs sont également assis, face aux deux autres.
Le langage devient un soutien, la parole un handicap ; je peux dire que nous cherchons quelque chose de cet ordre là. De la fluidité
d’une narration n’en restent que les à-coups. N’en restent que le langage frappant de celle qui tente et abandonne une négociation
avec cette folie discutable, née (sans doute) d’un post-partum.
Il y a également un petit cochon, qui est un dormeur du Val. C’est un assez joli cochon, mais « s’il avait grandi, ç’aurait été un enfant
horriblement laid ».
Un médecin de Boston à propos de « The Yellow Wallpaper » (The Transcript 1892) écrivait : « Une telle histoire ne devrait pas être
écrite… il y a assez dans ce récit pour rendre n’importe qui fou à sa seule lecture. » Tant mieux.
Christelle Harbonn
UN HOMME EN SUSPENS
D’après Dangling Man
de Saul Bellow
Avec : Solenne Keravis, Olivier Boréel
et Sébastien Rouiller
Création sonore : Sebastien Rouiller
Adaptation & traduction : Laurence Gervais
Mise en scène : Christelle Harbonn
Notes dramaturgiques
à propos de dangling man
La deuxième forme courte du spectacle est une adaptation de Dangling Man, le premier roman de Saul Bellow écrit en 1944. Ce
roman est écrit sous la forme d’un journal décrivant les interrogations intellectuelles et existentielles d’un homme qui attend d’être
appelé sous le drapeau américain en 1943. Saul Bellow écrit ce roman alors qu’il se trouve lui-même dans la marine marchande. Le
roman a des liens certains avec Les Carnets du sous-sol de Dostoievski (1864), roman également écrit à la première personne, monologue d’un ancien fonctionnaire misanthrope qui s’adresse au monde depuis le sous-sol où il s’est isolé, fuyant la compagnie des
hommes.
Dans Dangling Man, Joseph, le narrateur, citoyen canadien résidant à Chicago, a abandonné son emploi au Inter-American Travel
Bureau et quitté son appartement en prévision de son enrôlement imminent. Cependant pour d’obscures raisons administratives liées
à sa nationalité, les papiers n’arrivent pas, et il est contraint à attendre, enfermé dans un petit appartement meublé, vivant du salaire
de sa femme Iva. Il décide alors de mettre à profit cette période de latence pour s’engager dans une quête introspective à propos de
son état végétatif actuel. Il commence ainsi son journal, conscient de ce que cette démarche peut avoir de paradoxal dans les temps
troublés que le monde extérieur vit autour de lui entre 1942 et 1943. Autour de lui tous sont plus ou moins engagés dans l’effort de
guerre : sa femme qui travaille pour deux, son frère, un business man qui ne perd pas une occasion de reprocher son oisiveté à Joseph, un copain d’université qui appartenait au même groupe politique et qui, lorsqu’il le rencontre par hasard, refuse de le saluer…
Joseph va ainsi se sentir de plus en plus déconnecté de la réalité sociale des personnes qui l’entourent et développer des “symptômes”
dont il est tout à fait conscient et qu’il consigne dans son journal. Agressif, puis franchement violent et auto-destructeur, Joseph est
conscient d’inquiéter son entourage mais ne semble pas s’en soucier outre mesure. Il préfère continuer à écrire son journal.
Narcissique, misogyne, écrivain raté, puis violent et misanthrope… le personnage de Bellow reflète la préoccupation des intellectuels
américains des années 1940 pour l’existentialisme et le questionnement sur la liberté, la responsabilité morale, le contrat social et l’engagement politique. Toutefois, ce personnage m’a surtout intéressé en ce qu’il révèle les effets de l’enfermement (encore une fois
comme dans la nouvelle de Gilman, cet enfermement est à la fois réel et métaphorique). L’enfermement du narrateur dans des codes
sociaux et moraux ou, tout aussi bien, son exclusion de la société où prévalent ces codes, le rendent violent et agressif. Alors qu’il
finit par se disputer avec quasiment tous les membres de son entourage, Joseph succombe à la paranoïa et à la colère, s’embarque
dans une relation adultère qui ne le mène nulle part, se prend à detester la décadence physique de son voisin de palier et est hanté
par des angoisses de mort .
En 1944, les alliés commencent à libérer les camps d’extermination et les juifs américains doivent faire face à cette réalité là aussi.
Comme beaucoup des personnages de Bellow, Joseph est un homme aliéné, coupé de son temps et de son entourage, se détestant luimême et se complaisant dans sa souffrance. Il crée une image romancée de lui-même et du monde pour supporter la douleur, comme
Augie March après lui :
La vie est tellement puissante, ses instruments tellement grands et terribles, ses performances si impressionnantes et menaçantes, qu’il nous faut produire
un être qui peut exister en face d’elle. On invente un homme qui peut se tenir debout face aux terribles apparences. Non pas qu’il puisse obtenir justice de
cette façon, ou qu’il puisse rendre justice, mais pour vivre. Et c’est ce que la simple humanité fait toujours. Elle est faite de ces inventeurs et de ces artistes… chacun à sa façon essayant de convoquer d’autres personnes pour jouer le role de soutien et l’aider dans son travail d’illusioniste…
The Adventures of Augie March, Saul Bellow (1953)
Il s’agit également d’une réflexion de l’artiste sur la possible perte d’âme que représente l’engagement dans la vie réelle. Faut-il être
dans la vie, enrôlé dans l’armée et dans cette guerre, engagé politiquement, faut-il “être un homme” et gagner l’argent nécessaire à
soutenir sa famille, à être considéré ?
Joseph finira par se rendre à l’évidence : il n’y a pas moyen d’échapper à la condition humaine. Le confinement, l’isolement en compagnie de grands penseurs du XVIIIeme siècle ne lui apporteront aucune illumination, il se retrouvera réduit à la même réalité physique, sociale et historique que chacun, attendant dans le rang et nu comme un ver que le médecin des armées le déclare “bon pour le
service”.
En 1938 déjà, Virginia Woolf écrivait aux hommes, et faisait scandale, osant comparer l’incomparable… :
Vos mères combattaient le même ennemi que vous, et pour les mêmes raisons. Elles ont lutté contre la tyrannie du patriarcat comme vous luttez contre la
tyrannie fasciste… (les dictateurs) interfèrent aujourd’hui avec vos libertés ; ils dictent votre façon de vivre. Ils ne font plus la différence maintenant seulement entre les sexes, mais entre les races. Vous éprouvez en vos personnes ce que vos mères éprouvaient lorsqu’elles étaient exclues, tenues au silence en
temps que femmes…
Trois Guinées, Virginia Woolf, (1938).
Laurence Gervais
Notes de mise en scène
dangling man
The Dangling Man est un journal intime écrit en secret d’un XXe siècle qui aime les hommes à une certaine place. Celui qui écrit navigue dans un hors-temps où son identité sociale se trouble et se dissout, laissant place à l’animal penseur et vagabond. Son malheur
et sa chance, sans doute, sont de n’appartenir ni à une chose ni à une autre, de vivre en suspens.
En s’appuyant sur quelques portraits de Bacon, il s’agit de redécouvrir une certaine tragédie de l’existence, d’une certaine manière,
de tenter de métamorphoser le réel empirique en une réalité imaginaire.
La scénographie est un simple mur blanc, sur lequel sont projetés des photographies ou des images (réalisées par Xavier Oliviero)
qui ne sont que des empreintes en négatif de la réalité. Ce qu’on distingue dans tous les cas, c’est qu’il pourrait s’agir d’une table, de
chaises, d’une lampe, d’un appartement… sans relief.
En arrière plan, il y a une femme qui accomplit un certain nombre d’activités du quotidien dans cette chambre dessinée sur le mur.
Elle travaille, elle vaque, elle interpelle de temps en temps le jeune homme au centre (son mari ?). Tous les sons de ses mouvements,
de ses gestes et de ses pas, sont amplifiés par un homme un peu plus loin (s’agit-il du voisin trop bruyant ?).
Enfin au centre, il y a ce jeune homme. Qui parle comme la phrase infinie de Thomas Bernhard l’imposerait. Impulsé ou impulsant
les mouvements et les sons des deux autres derrière. C’est une petite symphonie à trois. Leur langage commun laissera fatalement des
traces dans le corps du jeune homme, qui finira au service de tous ces mouvements.
Christelle Harbonn
HISTORIQUE ET PERSPECTIVES DE
LA COMPAGNIE DEMESTEN TITIP
La Compagnie Demesten Titip a été créée en 2003 à Marseille.
La majorité des spectacles de la Compagnie Demesten Titip s’appuient sur des histoires célèbres (Cendrillon, Antigone, les Misérables,…) et prennent
pour centre dramatique les seconds rôles de ces fables, c’est-à-dire ceux qui ne sont ni des vainqueurs, ni des héros, et qui essaient de survivre par tous les
moyens que la vie met à leur disposition.
Détails des créations de la compagnie Demesten Titip :
- Zones Grises, création d’après Horvath, Genet et Bernhard. Ce projet était en co-réalisation avec la Distillerie d’Aubagne et en diffusion au Théâtre Antoine Vitez d’Aix en Provence.
- Idioglonia, d’après « Cendrillon » des Frères Grimm et « Ma Mère » de Georges Bataille. Ce spectacle a été créé et diffusé au Théâtre Paris Villette en
2005. Il a reçu l’aide au projet de la Ville de Marseille, et a été en diffusion à la Friche Belle de Mai de Marseille, au lieu Mains d’œuvres à St Ouen, et au
TBJ de Bordeaux
- Ils regardaient le monde dans les yeux de leurs voisins d’après Sophocle et Yannis Ritsos. Ce spectacle a été créé en co-production avec le 3bisF d’Aix en Provence, en co-réalisation avec la Distillerie d’Aubagne et Naxos Bobine à Paris. Il a reçu l’aide au projet de la Ville de Marseille, de la DRAC PACA et du
Conseil Général des Bouches du Rhône. Il a été repris en 2009 à l’Institut Marcel Rivière (78) et au Théâtre Antoine Vitez (Aix en Provence)
- Fantine(s) : esquisses de figures troubles d’après « Les Misérables » de Victor Hugo. Ce spectacle a été réalisé au 3bisF d’Aix en Provence où Demesten Titip
était en résidence toute la saison 2009-2010. Le spectacle a été repris au Bois de l’Aune d’Aix en Provence, au Théâtre Frédéric Mistral à Chateauneuf le
Rouge (13), au Collectif 12 de Mantes la Jolie, au Vent se Lève de Paris, au Théâtre Antoine Vitez d’Aix en Provence et à l’Institut Marcel Rivière. Il est
soutenu par la Ville de Marseille, la Région PACA et le Conseil Général 13. Il est en co-production avec le 3bisF et Opening Nights et a reçu l’aide à la diffusion d’ARCADI.
- Cosette(s) : esquisses de figures troubles d’après « les Misérables » de Victor Hugo a été créé en avril 2011 au Badaboum Théâtre. Il est soutenu par la Ville de
Marseille, la Région PACA et le Conseil Général des Bouches du Rhône. Il sera représenté au Théâtre Roger Barat à Herblay (95) en février 2012. Il est
actuellement en cours d’exploitation pour vingt-cinq représentations à Marseille.
En 2012, la Compagnie Demesten Titip créera Tentatives de Trous pour voir le Ciel à Travers d’après Charlotte Perkins-Gilman et Saul Bellow. Elle réalisera trois performances autour du personnage Javert qui auront pour titre Javert(s) : esquisses de figures troubles.
parcours de l’équipe
Christelle Harbonn, metteur en scène
Christelle Harbonn est titulaire d’un DESS de mise en scène / dramaturgie (Université de Nanterre).
Elle vit entre Marseille et Paris et tente de créer des ponts entre les différentes structures et compagnies de ces deux villes. Elle travaille depuis une dizaine d’années en qualité de dramaturge avec François-Michel Pesenti. Elle a également travaillé comme dramaturge avec Jean-Yves Ruf, Angela Konrad, Agnès del
Amo, Anne Pleis,…
Elle a travaillé en collaboration avec le Lieu Mains d’œuvres sur l’élaboration de sa programmation en 2006-2007, en collaboration avec le Lieu Naxos Bobine et
elle est aujourd’hui artiste associée au 3bisF d’Aix en Provence.
Depuis 2002, elle a mis en scène Cosette(s) spectacle pour enfants d’après Les Misérables de Victor Hugo, Le papier peint jaune petite forme adaptée de The
Yellow Wallpaper de Charlotte Perkins-Gilman, Fantine(s) : esquisses de figures troubles d’après Victor Hugo, Ils regardaient le monde dans les yeux de leurs
voisins création 2007/2008 d’après Sophocle et Yannis Ritsos, Idioglonia, les Cendrillon / Création d’après Grimm et Georges Bataille, Zones Grises / Création autour de Horvath / Genet / Bernhard / Meinhof, Match / Thomas Bernhard, Transparents / Adaptation de Un Fils de Notre Temps de Ödön von Horvath, La tentation d’avancer sans faire de bruit / Adaptation de Palais de Glace de T. Vesaas et de Wendy de V. Ravalec, Les Mouches/ Adaptation autour de
Les Paravents de J. Genêt et de textes de la RAF et Himmler, Cocktail / Adaptation de Manque de Sarah Kane, Intra Muros / Création 2001.
Elle prépare actuellement ce diptyque dans le prolongement de Tentatives de trous pour voir le ciel à travers et la dernière proposition autour de la trilogie Esquisses de Figures Troubles, Javert, qui sera écrite suite à des ateliers en milieu pénitentiaire, et qui donnera lieu à trois performances autour du personnage de
Javert.
Laurence Gervais, dramaturge
Elle est titulaire d’une thèse de doctorat de l'université Paris III en civilisation nord-américaine.
Elle est maître de conférences depuis 1998 à l’ Université Paris VIII en civilisation américaine. Domaines de recherche : sociologie urbaine ; privatisation des espaces urbains aux Etats-Unis ; minorités et communautés urbaines aux Etats-Unis ; genre et environnement urbain ; études sur le genre.
Elle a publié, entre autres : « "Sex Radicals" dans l’Amérique victorienne du XIXeme siècle, féminisme pro-sexe des années 1980 et théorie queer : à l’origine de
la bio-politique et des stratégies de résistance aux normes de genre », Résonances, à paraître ; « Traduction(s), confrontations, négociations, création, les gated
communities américaines : entre rejet de la grande ville et fantasme de la petite ville, traduction de la peur de la ville ou utopie de la cité idéale ? » revue TLE,
PUV, n°25, 2008 ; « Un infranchissable océan, correspondance de Simone de Beauvoir et Nelson Algren de 1947 à 1964 » Résonances n°9 mars 2008 ; Elle travaille avec la Compagnie Demesten Titip depuis 2009.
Solenne Keravis, comédienne
Elle est formée au Conservatoire National de Tours et à l’Académie théâtrale Pierre Debauche.
Elle a travaillé avec G. Tsaï, S. Gentil, E. Le Joncour, J.L Backes, L. Fourel, P. Vanneuville, P. Debauche, F. Danell, O. Gelpe et Zabo et Eve Ledig. Elle travaille avec la Compagnie Demesten Titip depuis sa création en 2003.
Elle est également chanteuse pour Les Morfolles, P. Debauche, M. Mammeri et La Furtive.
Elle a mis en lecture Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France et autres textes, Cendrars, et a été assistante à la mise en scène de Odes Maritimes de F. Pessoa Cie Théâtre par Miracle, de Oh ! Il est marrant, Théâtre du Jour et de de Un poisson dans la baignoire, Théâtre du Jour. Elle travaille avec
la Compagnie Demesten Titip depuis sa création sur la majorité de ses spectacles.
Sébastien Rouiller, musicien
Artiste protéiforme & autodidacte motivé par la notion de création, la conception réflexion, l'adaptation thématique et la réalisation sonore, ce musicien performeur cumul les mandats : sur scène, au théâtre, en design sonore et en production. De 1998 à 2007, il dirige des ensembles de Jazz et de Musiques Improvisées,
écrit et produit de la musique dans des contextes variés : spectacle vivant, cirque, danse, arts de la rue, musique d’image & de texte... Depuis 2009, en parallèle à
une activité professionnelle soutenue, il se forme à l'IRCAM en traitement du son, interaction en temps réel et en composition assistée par ordinateur. En 2010,
il se consacre à la création de contenus sonores et à la réalisation radiophonique tout en poursuivant sa formation personnelle et ces engagements dans le spectacle vivant et l'élaboration de projet. Il travaille en collaboration avec la Compagnie Demesten Titip depuis 2006.
Olivier Boréel, comédien
Il est formé au Conservatoire National d'Art Dramatique de Nantes et au CDN Dijon-Bourgogne.
Comme acteur de théâtre il a travaillé avec Perrine Mornay, H.Philippot, Marc Perrin, G.Gatteau, C.Petitgas, A.Moreau, …
Il a également travaillé pour des pièces radiophoniques avec M.Meerson et au cinéma avec Jean-Paul Civeyrac.
Il a mis en scène La route court sans arrêt afin de faire se reposer les trottoirs, Road-movie théâtral, Menus Plaisirs scènes brèves d’H.Levin, R.Walser, L.Calaferte, Dire double de Shakespeare à Tarkos – essai théâtral sur les enjeux de la parole, Les muses Orphelines de M.M.Bouchard, Lieux-Dits Création à partir
d’un collectage sur le territoire rural de Nozay.
Il travaille avec la Compagnie Demesten Titip depuis 2010, où il a intégré l’équipe de Fantine(s).
COMPAGNIE DEMESTEN TITIP
c/o Groupe Opéra
2 rue Corneille
BP 10053
13484 Marseille Cedex 20
TEL : 06.59.96.54.57.
[email protected]
www.cie-demesten-titip.blogspot.com
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