La « colobanisation » du palais de la république
Les images qui nous proviennent, depuis un certain temps, de la présidence du
Sénégal sont proprement hallucinantes. Ce haut lieu qui aurait dû être celui où se préservent
et se vivent la décence, la rectitude et autres valeurs, parmi les plus achevées de notre
société, se transforme sous nos yeux médusés, en une foire où le marchandage fait office
d’objet d’audience et de discussion. Le palais est devenu tout simplement celui de la rue
publique. On assiste impuissant à une « colobanisation » de la présidence où un monarque
atteint par l’âge des lésions se revigore, tel un vampire, des foules invitées faire acte de
soumission, tout en chantant des louanges au maître des lieux.
Ainsi, le palais a accueilli les ramasseurs d’ordures, les chefs de village et d’autres
corporations ou tout simplement groupements d’individus à la présence en ces lieux peu
compréhensible, sauf à la relier à des manœuvres bassement électoralistes. Dans ce souci
constant de rallier tous les supposés porteurs de voix à sa cause, le locataire du palais a
convié les lutteurs, à ce qu’il convient de nommer « marché kermel bis ». Comme
d’habitude, le président pour clore ces audiences distribue de l’argent, des voitures et des
promesses. De la sorte, le Sénégal est désormais gouverné dans la place publique. Il est
choquant de voir avec quelle légèreté et selon ses fantaisies, le président distribue des
sommes d’argent aussi importantes. Cela devient affligeant et insupportable quand on se
rend compte qu’au même moment, des villages n’ont pas accès à l’eau potable faute de
forage, des dispensaires manquent de médicaments, des quartiers entiers sont dans l’eau
par l’absence de motopompes…pendant ce temps, on fait des largesses illégitimes.
On est tenté de croire que la résolution de tout problème individuel ou collectif passe
par le détour humiliant au palais. Une audience au palais est devenue une quête
obsessionnelle pour nombre de sénégalais, y être invité rime avec enrichissement immédiat
dans la conscience collective. A la vue de la générosité dont fait montre le président, il
apparaît difficile de le nier. Convenons donc que la mendicité s’est introduite au palais et les
sénégalais confondus à des mendiants qui assiègent quotidiennement les portes de cette
institution. En se comportant de la sorte, le chef de l’état ne met il pas à nu une
caractéristique de notre société ? Ne joue t il pas avec cette faiblesse morale des
sénégalais ? Il nous semble que les « largesses » du président mettent en relief notre rapport
malsain à l’argent, notre cupidité. On doit à la vérité de reconnaître qu’il y a une grande
facilité, chez certains d’entre nous, à tendre la main trop facilement et sans vergogne,
comme si on nous éduquait dans ce sens. C’est ainsi que pour beaucoup, peu importe la
manière, pourvu qu’on soit riche. Dans cette logique, force est de constater que le régime
libéral se distingue par une apparition brutale et fulgurante de nouveaux riches, tous liés au
pouvoir, et qui n’ont absolument aucun moyen de justifier objectivement l’état de leur
fortune actuelle.