LC : je me doute bien qu’il manque ce qu’il y a de vivant et d’humain dans toute pédagogie !?
AP : en effet, ma deuxième prise de conscience ce fut de faire le deuil de l’élève idéal pour pouvoir
considérer l’enfant dans chaque élève, prendre en compte les intelligences multiples et la fameuse
hétérogénéité.
Comment cela est-il arrivé ? La surprise pour moi est venue des demandes singulières, « hors sujet »,
formulées directement ou pressenties à travers leurs comportements devant les autres ou les
apprentissages. Et j’ai alors compris que lorsque l’enfant pose sa question, et accède à une demande
c’est gagné pour l’élève qu’il devient ! Que sinon, il ne peut penser pour lui, se montre bloqué, envahi,
perturbé, embarrassé -tout comme Perceval, en échec dans sa quête car retenant passivement ses
questions devant le Graal pourtant à sa portée. Il n’ose pas poser sa question.
Or, au fond, que demandent les enfants à l’école sinon comprendre la même chose que le Petit Poucet,
Boucle d’Or ou les autres : comment vivre, grandir, comment s’en sortir face aux obstacles et aux
choses inconnues ; sur qui et sur quoi compter ?
A mes collègues, je parlais maladroitement de « l’enfant entier, unique », expression englobant pour
moi l’enfant, son environnement, son devenir en tant que personne et en tant qu’élève ; mon IEN de
ma pédagogie de l’encouragement.
M’est venue une réponse basique, un peu mégalomaniaque : susciter chez tous l’envie de venir à
l’école, tout simplement. J’ai misé sur des expériences pédagogiques vivantes et variées, pour que
chacun se sente, à mon insu, concerné là où il en est. C’est bien là le problème : l’enseignant peut
évaluer des connaissances mais ne peut savoir où en est chacun dans son désir d’apprendre, même face
à des dispositifs d’apprentissage favorisant la réussite, la confiance et l’estime de soi, l’autonomie,
l’initiative, la responsabilité et les échanges.
Je me suis donc engagée naturellement sur les chemins de traverse, autant de détours pour aider à
penser « mine de rien ». Il y a tant de façons de penser ! Penser c’est se décentrer, peser le pour et le
contre pour faire des choix à soi, pour remettre en question, pour résoudre un problème ou créer du
neuf ... On pense de différentes manières, avec les émotions, le corps, les mains, les oreilles, les yeux
… ; on pense avec les codes, les images, les mots, les concepts, les rêves … ; on pense seul, on pense
avec les livres, la nature, un crayon en main ou en parlant avec d’autres … Penser peut être difficile,
dangereux, défendu tout autant que jubilatoire.
Penser - étymologiquement - c’est faire des liens entre ça ET ça. Par conséquent, en tant qu’enseignant
ou en tant qu’élève, c’est penser la vie de la classe Et sa place, penser l’école Et la famille, penser ses
progrès scolaires ET sa croissance, penser les dangers/obstacles Et les solutions, penser avec son corps
Et sa tête, penser soi ET les autres, la partie ET le tout, le désir ET la contrainte, la cause ET les effets
... Mais une chose est sûre : ça se passe au mieux quand « ça » pense.
LC : On ne peut forcer personne à apprendre ; même avec les plus habiles stratégies, parfois ça
ne marche pas. Alors, concrètement comment les amenais-tu à penser par eux-mêmes, -ce qui
est en fait l’objectif premier de l’Ecole ?
AP : on y vient ! Avec le recul, trois médiations pédagogiques me semblent fondamentales
aujourd’hui, puisque fondées sur le développement et les besoins de l’enfant. Je les ai créées chaque
fois à partir d’une situation posant problème à un élève : huit ans après mes débuts ce fut Titou
, puis
dans la foulée l’album de croissance, et enfin en 1996 les Ateliers de Philosophie.
- L’objet transitionnel collectif en GS de maternelle, mémoire de licence universitaire 2002
- L’accompagnateur de croissance, article de la revue n°9 de l’AGSAS, « Je est un autre » 1999
- La classe-Titou, article d’octobre 1996 publié dans Je est un autre, pour un dialogue pédagogie-
psychanalyse, Jacques Lévine, Jeanne Moll, ESF, 2001